Dans Libertalia, il y a de la violence, de l’aventure, mais aussi une véritable idéologie : les pirates gagnaient leur liberté et rompaient avec la société mise en place
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Dans Libertalia,  il y a de la violence, de l’aventure, mais aussi une véritable idéologie : les pirates gagnaient leur liberté et rompaient avec la société mise en place

Rien à bâbord, calme à tribord, nous avons un océan de liberté qui nous attend, au coeur des préoccupations sociétales de pirates bien loin d’être ceux, cinématographiques, des Caraïbes. Car s’il y a de l’aventure, du sang et de la poudre sur les mains de Fabienne Pigière, Rudi Miel et Paolo Grella, en poursuivant la quête de Libertalia initiée par Daniel Defoe, les trois auteurs vont plus profond que la plupart des récits flibustiers. Nous les avons rencontrés autour du premier tome de cette série : Le triomphe ou la mort. Voguons, moussaillons !

 

 

 

 

 

 

 

© Paolo Grella

 

Bonjour à tous les trois. Pour commencer, honneur aux dames. Fabienne, à la base, vous n’êtes pas scénariste de BD. Vous êtes docteur en Histoire, Art et Archéologie. Comment êtes-vous arrivé au pays des phylactères ?

Fabienne : C’est grâce à Rudi. C’est lui qui m’a aidé à aborder le scénario BD. Il était intéressé par ma formation d’archéologue en vue d’approcher un thème historique en BD. Moins par mes travaux que par ma manière de travailler. En vue du parcours des personnages. C’est une matière qui m’intéresse beaucoup : quelle a été leur trajectoire ? Comment en sont-ils arrivés à imaginer cette utopie ? Comment ont-ils vécu et comment se sont-ils confrontés à leur époque ? Nous avons travaillé à deux sur ces questions.

Rudi : J’aime l’idée d’échanger, de tester ses idées l’un auprès de l’autre. Ça a beaucoup joué dans le développement de ce personnage inspiré de Daniel Defoe, l’auteur de Robinson Crusoe. Sur 2X30 planches, nous n’avons pas utilisé grand-chose des pistes qu’il lançait, 10% peut-être. Le reste, c’était à nous de le créer.

 

 

 

 

© Pigière/Miel/Grella chez Casterman

 

Rudi, avant ça, vous avez réalisé pas mal de bandes dessinées de sensibilisation.

Rudi : Oui, mais ça faisait un certain temps, après quelques projets de communication, que je voulais revenir à un projet personnel, avec des personnages, pas des commandes.

A priori, Fabienne, les pirates ne font pas vraiment partie de votre univers, si ? Au contraire de Paolo et Rudi, non ?

Fabienne : En effet, mais j’ai très vite eu un intérêt pour leur organisation et la matière dont ils remettaient en question leur société. Mine de rien, ils étaient des révolutionnaires avant la lettre, il visait le progrès social, l’égalité… Les femmes-pirates n’étaient pas rares. Et ensemble, ils gagnaient leur liberté et rompaient avec la société mise en place, en la combattant s’il le fallait. Oui, il y a de la violence, de l’aventure, mais aussi une véritable idéologie.

 

 

 

 

© Pigière/Miel/Grella

 

Paolo : Quant à moi, j’adore les récits de piraterie. Long John Silver, bien sûr, mais aussi les films, j’en regarde beaucoup. Ce pourquoi je voulais créer une BD qui soit dynamique, qui lorgne finalement plus du côté du cinéma que de la BD. Les deux médias sont, je trouve, de plus en plus liés.

Rudi : De mon côté aussi, j’ai toujours été fasciné par les pirates, leurs îles m’ont toujours intrigué en tant que huis-clos où les relations se développent. C’est extrêmement intéressant, comme cette idée de repartir à 0, libre et sans règle, ce qui n’est a priori pas compatible à l’idée qu’on se fait d’une société. Au-delà du grand large, comment faire pour mettre cela en place. Depuis vingt ans, je cherche à leur consacrer une série.

Mais vos deux personnages ne sont pas, au premier abord, destinés à rejoindre la piraterie.

Fabienne : En effet, un noble et un membre du clergé. Ils font partie du système en place, des oppresseurs, même. Mais dans une volonté de changement et de plus grande justice, ils vont rompre avec ce milieu.

Paolo : Ils vont d’ailleurs suivre une évolution graphique assez forte, passer d’un habillement très classique, de nobles, à quelque chose de plus sauvage. J’ai dû changer leurs cheveux, accentuer leur dureté notamment avec la barbe. Puis, si le prêtre est gentil, il a une forte personnalité, ça devait se ressentir. Le lecteur devait sentir qu’une fois à Madagascar, le ton, les personnages avaient changé.

 

 

 

 

© Pigière/Miel/Grella

 

Quand on a l’habitude d’écrire de manière scientifique. J’imagine qu’il faut changer ses réflexes pour faire « BD ».

Fabienne : C’est vrai, j’ai l’habitude d’une écriture de vulgarisation mais, d’un autre côté, je suis très sensible à la peinture, notamment. Ça m’a beaucoup plu d’avoir ce dialogue entre écriture et dessin, cette incarnation, d’y adapter notre écriture en complémentarité. C’est vraiment un dialogue.

J’ai beaucoup aimé raconter des choses qui peuvent être très complexes en pensant au découpage et à l’aspect synthétique inhérent à ce type d’ouvrage. Que puis-je dire en une planche ? J’ai appris beaucoup de chose et c’est finalement assez cinématographique.

Une certaine fraîcheur que vous avez amenée, aussi ?

Fabienne : Disons que j’y ai été sans a priori. Pour la fraîcheur, c’est à ce vieux baroudeur de Rudi qu’il faut demander.

Rudi : Si Fabienne a amené un point de vue féminin dans les échanges d’écriture, elle a aussi apporté une caution historique. Même si la piraterie n’est pas forcément son domaine de prédilection, elle a des réflexes de chercheuse. C’était nécessaire pour pouvoir entrer en contact avec la culture malgache et envisager la construction de Libertalia. Quelles pierres pourraient utiliser nos personnages pour créer cette cité ? Ce n’est pas anodin, il fallait être crédible. Nous voulions être au plus près du reflet de cette époque.

 

 

 

 

© Pigière/Miel/Grella chez Casterman

 

Fabienne : Ici, les historiens n’ont jamais confirmé l’existence de Libertalia mais on sait que les pirates ont créé ce genre de cité. Daniel Defoe a donc imaginé la vie de ce Misson, gentilhomme français qui s’est rebellé et a rejoint les pirates. Est-ce un personnage réel ? Une pure invention ? L’auteur en a joué en tout cas. Mais le contexte historique était en tout cas juste et correct.

Finalement, des pirates, il y en a beaucoup en bande dessinée, de tous les calibres. Et peut-être même plus qu’au cinéma. Comment expliquez-vous que les pirates soient tant liés au Neuvième Art?

Fabienne : Je pense que la liberté et l’aventure véhiculées par le monde de la piraterie n’y sont pas étrangères. Avec des luttes qui parcourent ce média. Puis, les auteurs se retrouvent dans ces valeurs, cette mentalité.

 

 

 

 

© Pigière/Miel/Grella

 

Rudi : Les premiers récits de pirates auxquels j’ai vraiment accroché, ce sont les Barbe Rouge de Charlier et Hubinon. Bon, aujourd’hui, je n’arriverais plus à les lire ! La BD est appropriée à ce genre de récit. Regardez Long John Silver de Dorison et Lauffray. Après, parfois, des histoires de pirates en BD, il n’y en a pas beaucoup avec une réflexion derrière. Ce fut notre défi, voir comment des hommes pouvaient se passer des normes de l’époque sans pour autant négliger l’épique.

Paolo : L’idée était de créer une histoire qui soit plausible, réelle. Pas une vision générale, fantasmée, le visuel devait donc, du coup, être très crédible.

Avec des scènes dures…

Rudi : Nous n’avons pas voulu occulter le côté dur des choses, tout en parlant de ces pirates qui vont mettre en place une très forte solidarité, mettre à l’honneur le partage et créer, presque avant l’heure, une mutuelle avant la lettre. Tout en essayant de survivre. C’est le problème de la plupart des récits de pirates, ils sont très romanesques. On parle finalement peu de la dureté de cet univers, au quotidien, on privilégie l’aventure. Comme référence à Libertalia, on pourrait citer Les passagers du vent de François Bourgeon.

 

 

 

 

© Pigière/Miel/Grella

 

… et un méchant qui fait le froid dans le dos quand même.

Paolo : Dans le scénario, il n’avait pas l’air si méchant, mais j’ai voulu marquer son visage et montrer toute la terreur qu’il peut inspirer. Il est cruel, hors-la-loi… Au-delà du réel, en fait, je l’ai créé plus dans une idée de fantasy. C’est un des personnages que je préfère, celui que je dessine le mieux.

 

 

 

 

© Pigière/Miel/Grella

 

Rudi et Fabienne, votre tandem était formé. Mais comme est arrivé Paolo, alors ?

Fabienne : Il est arrivé très rapidement sur ce projet, chaudement conseillé par une connaissance (Paul). En fait, nous avions un premier projet sur les vikings auquel Paolo était déjà attaché. Mais Casterman ne savait pas trop où le positionner dans son catalogue. Du coup, on a changé d’idée et nous sommes partis sur Libertalia.

 

 

 

 

© Pigière/Miel/Grella

 

Rudi : Un projet comme Viking n’avait rien de comparable à Libertalia. Pour ce projet concrétisé, Benoit Mouchart était enthousiaste avant même que nous ayons écrit une ligne. On en a parlé à Paolo qui était partant et voilà…

Paolo, c’est Paul Teng qui nous l’a conseillé. Et c’est vrai qu’en y pensant, le dessin de cet Italien collait bien à l’idée de ce qu’on voulait faire. Il a un dessin classique, pas forcément à l’avant-garde mais avec quelque chose d’incomparable, une touche personnelle. Puis, comme il utilise des couleurs directes, il arrive à donner une dimension, de la substance aux personnages. On lui a laissé la liberté du découpage. Ce qu’il a très bien fait, d’une manière assez proche des séries télé et du cinéma. Tous les trois, nous avons vraiment eu la même vision, aucun ne s’est désolidarisé à un moment.

Paolo : L’idée de Libertalia m’a tout de suite séduit. c’est une idée très forte mais pas du tout classique. Donc très difficile. D’autant plus que la vision des pirates est très bien formée dans la tête du lecteur.

 

 

 

 

© Pigière/Miel/Grella

 

Il y a cette couverture très réussie avec laquelle le lecteur se retrouve droit dans les yeux avec le personnage principal.

Paolo : J’ai voulu rappeler les drapeaux pirates et la tête de mort qui les orne. Du coup, j’ai eu l’idée de ce personnage pris de buste avec les bras croisés et des revolvers.

Dès le début, on peut donc apprécier votre travail de couleurs directes.

Paolo : Oui, je travaille à l’huile. Cette technique va me permettre de jouer dans les contrastes, de l’ombre à la lumière, de la transparence à la profondeur. Même si le travail est plus long et que je dois parfois redessiner des choses, le jeu en vaut la chandelle, pour l’ambiance.

 

 

 

 

© Pigière/Miel/Grella chez Casterman

 

Les pirates, les vikings, vous aimez l’eau, ma parole !

Paolo : Ces univers permettent de beaucoup jouer avec le visuel, les grands bateaux, la mer mais aussi des personnages qu’on peut personnalise. On joue avec des choses réelles et on crée des personnages qui, eux, ne le sont pas vraiment.

Après, j’ai dû étudier des plans de construction. ce n’est pas évident de trouver le bateau parfait pour transporter tout ce beau monde. Il a vraiment fallu faire oeuvre de reconstruction, de Rome aussi où se déroule une partie de l’histoire.

 

 

 

 

© Pigière/Miel/Grella

 

Libertalia est d’abord prévu sur trois tomes. On pourrait voir plus loin ?

Rudi : Il y a matière, en tout cas. Mais oui, en attendant, c’est un triptyque divisé ainsi « Genèse – projet de cette cité – conclusion ». Mais c’est sûr qu’avec ces personnages, il y a bien d’autres choses à raconter sur ces hommes qui vont choisir Madagascar comme terre de replis et y établir une micro-société. Quand on lit le recueil de Defoe, on se rend bien compte que l’évolution va compter et va amener des tensions tant certains pirates ne vont plus être sur la même longueur d’onde que d’autres. C’est difficile de regarder dans la même direction.

Reste plus qu’à attendre le second tome, alors !

Paolo : J’ai réalisé dix planches. Il devrait arriver pour avril 2018. Je suis en train de m’activer pour qu’on puisse le sortir avant. Il y a beaucoup de corrections à faire au niveau du lettrage. J’espère que l’aventure de Libertalia continuera au-delà des trois tomes. C’est énorme, cette série, il y a vraiment des choses à dire. Toujours plus fort, toujours plus grand.

 

 

 

 

© Pigière/Miel/Grella chez Casterman

 

Merci à tous les trois et que le vent souffle bien et fort dans vos voiles de pirates !

 

Propos recueuillis par Alexis Seny



Publié le 29/05/2017.


Source : Bd-best

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