David Combet et Baptiste Payen intègrent les rangs des Cherub : « Proposer « une » vision de l’univers de Muchamore, sans prétention d’en faire « la » vision »
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David Combet et Baptiste Payen intègrent les rangs des Cherub : « Proposer « une » vision de l’univers de Muchamore, sans prétention d’en faire « la » vision »

Il n’y a pas que les grands qui peuvent être des espions. La preuve avec Cherub, une série littéraire jeunesse initiée par Robert Muchamore qui voit des agents âgés de 10 à 17 ans intégrer un département ultrasecret des services de renseignement britanniques. L’idée a fait son chemin et s’est retrouvé en BD. La deuxième mission, avec Baptiste Payen et David Combet aux commandes, amènent nos espions en herbe doivent infiltrer un véritable cartel de la drogue, le plus puissant du Royaume-Uni. Sans poudre aux yeux, interview avec les deux auteurs et adaptateurs.

 

 

 

 

 

 

 

© Payen/Combet chez Casterman

 

Bonjour à tous les deux. David, on vous a déjà vu dans des ouvrages collectifs comme Axolot ou We are the 90’s, mais c’est votre premier véritable album. Quel effet cela fait-il ?

David Combet : Je suis très content ! Les neuf mois de création n’ont pas été de tout repos, mais c’est tellement chouette de voir le livre imprimé et entre les mains des lecteurs !

Avant d’en parler, si vous nous disiez d’où vous nous venez et qu’est-ce qui a éveillé en vous le virus de la bande dessinée ? Avec des coups de foudre pour certains auteurs ?

David Combet : J’ai grandi en Savoie et je vis maintenant à Lyon. J’ai passé mon enfance à lire Picsou Magazine et mon adolescence à lire les comics Top Cow (Tomb Raider, Witchblade etc). J’étais un gros fan de Michael Turner, Francis Manapul et Andy Park.

 

 

 

 

© Payen/Combet chez Casterman

 

Mais alors à partir de quel moment avez-vous voulu en faire votre métier ? Avec quel parcours ? Des mentors vous ont-ils aidé ?

David Combet : Justement quand j’étais ado. Mes parents m’ont bien soutenu et j’ai pu faire un Bac Arts Appliqués et ensuite l’ENAAI, une super école d’art sur Chambéry. C’est là que j’ai rencontré Baptiste, qui était mon prof de BD. On a monté un projet ensemble et c’est en démarchant Casterman qu’on a eu l’occasion ensuite de bosser sur Cherub.

 

 

 

 

Un essai pour l’adaptation d’une série de romans jeunesse en BD © David Combet

 

Si le Caire est un nid d’espions, l’ENAAI de Chambéry est un repère de talents. Tous les deux vous sortez de cette école. Vous nous en parlez ?

David Combet : C’est une école d’arts appliqués à taille humaine et riche en enseignements. J’y ai suivi le cursus spécialisé en BD, illustration, animation et graphisme. C’est une vraie force d’avoir tous ces domaines différents car on apprend à gérer un projet complet, du dessin à la mise en page et au graphisme. Le tout avec une ambiance et des prof super chaleureux.

Est-ce facile pour un jeune auteur comme vous de débarquer dans ce monde en pleine métamorphose ?

David Combet : C’est loin d’être évident. Mais j’avoue avoir eu beaucoup de chance ! Entre les rendez-vous pro du festival BD de Lyon et les soirées de la librairie Expérience j’ai pu faire plein de belles rencontres.

Avec des (dés)illusions ?

David Combet : Pas vraiment. Je me suis rendu compte à quel point c’est un métier chronophage, et cet aspect-là du job n’est pas toujours simple à gérer. Mais à part ça tout roule !

 

 

 

 

© David Combet pour Axolot

 

Quand on commence, recherche-t-on un style, son style, ou cela vient-il naturellement ?

David Combet : Quand j’étais étudiant, je ne recherchais pas grand-chose et je me laissais porter par ce que je savais à peu près faire. C’est une fois sorti de l’école que je me suis mis à expérimenter des encrages et des techniques de couleurs différentes. La base du dessin reste à peu près la même mais le résultat final change selon les projets.

En tout cas le vôtre, David, on le reconnait au premier coup d’oeil. C’est déjà une victoire, non ? Qu’y avez-vous mis ? Tant au niveau du dessin que des couleurs, d’ailleurs…

David Combet : Au niveau de la base du dessin, j’imagine que c’est un mix d’influences que j’ai accumulé depuis que je dessine, les comics au début et des artistes plus graphique aujourd’hui (je pense notamment à Ines Longevial ou Alexandre Clérisse). Pour les couleurs, j’ai toujours adoré les ambiances de la photo argentique, où l’herbe et le ciel ne sont jamais vraiment vert et bleu. Je trouve ça super intéressant à travailler, et c’est vraiment un plus pour la narration.

 

 

 

 

Extrait du Vice d’Émile, une histoire courte pour le Projet Bermuda © David Combet

 

En tout cas, il y a un sens aiguisé de la composition chez vous, non ? Une envie que les planches soient des tableaux mais aussi bien plus que des planches. Pour que ce que vous racontez s’en échappe, non ? Qu’il y ait déjà de la vie avant même qu’on entre dans ce qu’il se passe dans les cases…

David Combet : Je suis très content si tu perçois les choses comme ça ! J’aime les belles planches et j’essaie de faire au mieux. Sur mes projets perso, je travaille avec peu de couleurs et ça demande un effort de plus pour la lisibilité. J’ai aussi une grosse névrose sur la symétrie que j’essaie d’atténuer un petit peu…

 

 

 

 

Recherches de couleur pour We Are the 90’s © David Combet

 

Pour Cherub c’est différent car Baptiste fait les storyboards. Je les modifie ensuite mais
c’est vraiment le résultat de nos deux visions.

Et votre art ne transpire-t-il pas un esprit comics plus que franco-belge ? Très sérigraphie aussi, non ?

David Combet : Vu que j’ai vraiment commencé à dessiner pendant ma période comics c’est possible qu’il en reste un peu ! Et maintenant oui, ça fait quelques temps que je me rapproche de choses plus graphiques et la sérigraphie m’inspire beaucoup.

 

 

 

 

Un tour sur l’Instagram de David Combet prouve que l’auteur aime les expériences

 

 

Votre travail des ombres est également impressionnant. Jusque sous les arbres ? Une obsession ou un côté maniaque de représenter la réalité au plus proche malgré des personnages moins réalistes ?

David Combet : J’essaie de faire en sorte que les couleurs racontent quelque chose en plus du dessin : qu’on ressente la chaleur, l’humidité, le lieu, ou l’émotion de la séquence.

À côté de ça, on sent une réelle envie (sur votre site en tout cas) de parler de sujets très contemporains : des MILFS qui doivent chercher leurs enfants sur une île thaïlandaise pour les besoins d’une télé-réalité, la vie d’un moche ou encore un plan-cul ? Puis il y a des chansons actuelles d’Orelsan ou Lilly Wood and the Prick. Tout est donc bon pour vous inspirer ? Que faut-il du coup pour que ça donne lieu à une histoire courte ou longue ?

David Combet : Il faut que ce soit fun (comme les Huîtres de Mai Lan et Orelsan), mais plus souvent que ça me touche personnellement, que ce soit un sujet dans lequel je me projette facilement. J’écris depuis pas très longtemps donc c’est plus facile pour moi de raconter ce que je connais bien. D’où les sujets contemporains j’imagine (je suis d’ailleurs très fan des séries Girls, Master of None et Please Like Me qui sont vraiment des chef d’oeuvre en la matière).


Comment êtes-vous arrivés dans Cherub ? Vous connaissiez cet univers bien connu des jeunes ados ?

David Combet : Pas du tout ! En fait, j’avais fait un test pour une adaptation d’un autre roman jeunesse chez Casterman, et comme ça ne s’est pas fait ils m’ont proposé Cherub. Du coup j’ai lu les bouquins, j’ai trouvé ça plutôt fun alors j’ai voulu essayer.

Pour vous, Baptiste, c’est une nouvelle corde à votre arc, un nouveau genre, non ? Il y avait de l’appréhension ?

Baptiste Payen : Il y avait évidement pas mal d’appréhension. Je me retrouve avec la responsabilité de créer un scénario adapté d’un best-seller alors que jusque là je n’avais été édité qu’en temps que dessinateur et coloriste. J’ai été bien accompagné sur cet album par l’éditeur, ça m’a rassuré. Le fait que ce soit un nouveau genre pour moi ne m’a pas posé de problème : j’aime raconter des histoires, le genre ne m’importe pas tellement, j’ai fait de la BD jeunesse, historique, sportive, aéronautique, policière, et maintenant de l’espionnage. Ça me permet de découvrir de nouvelles choses et de me cultiver.

 

 

 

 

© Baptiste Payen

 

Que Baptiste soit avant tout dessinateur, ça se sent dans sa manière d’écrire ?

David Combet : C’est mon premier job avec un scénariste du coup je ne peux pas vraiment faire de comparaison. Mais je pense que ça contribue au fait que la collaboration se passe très bien : il me comprend bien et il connaît bien les enjeux auquel un dessinateur se confronte.

Naturellement, c’est un tome 2, mais cela pourrait très bien être un tome 1, non ? L’histoire est reprise à zéro et le code de conduite au sein de ce département d’espions remis au goût du jour. Néanmoins, est-ce facile d’arriver sur une série en cours ? D’autant plus quand le premier tome date de … 2012 ?

Baptiste Payen : Nous nous sommes posé beaucoup de questions par rapport à la continuité de la série, puis nous avons décidé de ne pas tenter de coller absolument au tome précédent : nous aurions pris le risque de ne pas maîtriser ce que nous aurions fait. Nous avons pris le parti de rappeler les informations nécessaires à la définition de l’univers de CHERUB dans ce tome 2, et c’est aussi ce que fait Robert Muchamore dans le roman avec le texte d’introduction. Lire le tome 1 enrichit la lecture du tome 2, mais n’est pas absolument nécessaire à la compréhension. Le fait de considérer ce tome 2 comme « notre » tome 1 nous a permis de ne pas avoir réellement la sensation de poursuivre une série, mais simplement de proposer notre vision de cet épisode.

 

 

 

 

© Payen/Combet chez Casterman

 

Comment vous êtes-vous approprié l’univers de Robert Muchamore ? En le lisant d’abord ? Comment passe-t-on de lecteur à adaptateur ? Est-il question de représenter au mieux ce que notre esprit a imaginé au fil de la lecture ?

Baptiste Payen : Évidement, j’ai lu quelques fois les premiers tomes de la série, que je ne connaissais pas avant que l’adaptation soit proposée à David. Je ne sais pas si je me suis réellement approprié l’univers de Robert Muchamore, j’ai surtout essayé de le comprendre afin que notre adaptation soit respectueuse de son travail.

 

 

 

 

© Payen/Combet chez Casterman

 

Pour passer de la lecture à l’adaptation, il faut être très pragmatique : j’avais un nombre de pages à respecter, et une histoire à raconter. À partir de là il s’agit de trier les informations : que peut-on transmettre seulement par le dessin, que peut-on éluder, et quelles informations sont absolument nécessaires ? Une fois ce travail fait, la marge de manœuvre se réduit considérablement et on peut se concentrer sur la manière de raconter l’histoire.

Le roman Trafic est paru en 2004, il y a déjà une génération de lecture, au moins. Cela veut-il dire qu’il a fallu un peu rafraîchir la substance (et la manière dont les personnages se comportent entre eux, par exemple) pour coller à l’attitude et ce que vive les jeunes d’aujourd’hui ?

Baptiste Payen : Je n’ai pas tellement touché au comportement des personnages, CHERUB repose sur des stéréotypes qui sont encore d’actualité pour véhiculer des messages simples, j’aurai eu du mal à changer cela et j’aurai sans doute eu l’impression de ne pas respecter le roman. De son côté, David a modernisé l’univers en faisant coller son dessin à des références un peu plus contemporaines.

 

 

 

 

© Payen/Combet chez Casterman

 

Adapter en bande dessinée (comme en film, d’ailleurs), n’est-ce pas briser le pouvoir de l’imagination ? Comment contourner cela ? Qu’est-ce qu’une adaptation en images peut apporter de plus, du coup ?

Baptiste Payen : L’adaptation en image n’apporte sans doute rien de plus que le roman. On change simplement de média afin de raconter la même histoire différemment. On propose « une » vision de cet univers, sans prétention d’en faire « la » vision. Une lectrice nous a dit récemment : « Je sais que James est décrit comme blond dans les romans, mais je préfère l’imaginer brun. », la BD la prive sans doute un peu de cette liberté. J’espère qu’on n’a pas brisé le pouvoir de son imagination, et quelle sera capable de ne voir la BD que comme une proposition.

 

 

 

 

© Payen/Combet chez Casterman

 

On voit beaucoup d’histoires d’espionnage portées à l’écran (avec en têtes de gondole les James Bond, Jason Bourne ou autres aventures d’Ethan Hunt ou des Kingsman), comment la bande dessinée rivalise-t-elle avec le spectacle du cinéma, les effets spéciaux etc. Quelles sont les armes de la BD ? Que permet-elle de faire passer que le cinéma est incapable ?

Baptiste Payen : Je ne crois pas qu’on puisse rivaliser. La BD apporte un univers graphique et narratif propre, le rythme se fait par la forme et l’emplacement des cases, par la composition, par la mise en scène, puis le lecteur décide de passer le temps qu’il souhaite sur chaque scène, il maîtrise sa lecture, il a le droit, s’il le souhaite, de revenir trois page en arrière ou d’aller voir trois page en avant, c’est possible en littérature, en BD, mais pas au cinéma. En BD, on ne peut que suggérer un mouvement, un bruit, ou le passage du temps, il faut être assez habile pour que le lecteur puisse instinctivement comprendre nos intentions. La lecture de BD est une lecture active, devant un écran on peut être passif. Selon le public ce sera un atout ou un handicap pour la BD.

Au niveau des effets spéciaux, en BD nous n’avons aucune limite, il faut juste des idées, du
temps, de l’envie et parfois du talent.

 

 

 

 

© Payen/Combet chez Casterman

 

Cela dit, il ne manque pas grand-chose pour que vos personnages s’animent sous nos yeux. Ça vous parle le cinéma d’animation ?

David Combet : Carrément ! C’est d’ailleurs la grosse influence du parti-pris graphique.

En matière d’espionnage, quelles sont vos références, vos films/histoires cultes ? Et en BD ?

David Combet : C’est pas exactement de l’espionnage, même s’il y en a un peu, mais la série de détective Veronica Mars que j’ai regardé pendant toute mon adolescence (… et encore maintenant, en fait), et j’ai une grosse passion pour Élise Lucet et le journalisme d’investigation qu’elle représente. En BD, j’avais adoré Danger Girl !

Naturellement, c’est une BD pour les jeunes ados, il y a un canevas à respecter ? À quoi faut-il veiller quand on s’adresse à un tel public ?

Baptiste Payen : Nous avons le roman comme garde-fou, les choses y sont décrites de manière à être adaptées aux adolescents. En respectant cela, on reste dans les limites. C’est même un peu sage à mon sens, les ados peuvent encaisser bien pire avant qu’on passe dans le subversif.

Quelles sont les différentes étapes du scénario à la planche finale ? Quelle est votre méthode? À l’ancienne ou à l’aide d’une tablette graphique ?

David Combet : J’utilise les boards de Baptiste pour faire mon crayonné en proposant, si besoin est, des modifications. J’en profite pour faire le lettrage et le gros de la mise en page. Ensuite  l’encrage, les aplats, et la mise en couleurs. Pour ce projet je bosse exclusivement en numérique, notamment pour des raisons pratique et de planning.


L’album est également paru en Angleterre. Pas mal, hein ?

David Combet : Plutôt cool oui !

Quelle est la suite pour vous ? D’autres projets ou toujours du Cherub ?

David Combet : On travaille en ce moment sur le tome 3 de Cherub, Arizona Max. Ensuite, j’enchaîne avec un autre album qui n’aura rien à voir et qui sera très cool aussi, mais je ne peux pas en parler pour l’instant…


Baptiste Payen : Nous avons un projet commun qui restera en stand-by pour encore quelques temps car nous sommes tous les deux très occupés, mais nous ne l’abandonnons pas. C’est un récit qui commence comme toutes les histoires de super-héros, mais qui dégénère « légèrement », je pense être assez vague avec ça pour ne pas trop en dévoiler !

Merci à tous les deux !

 

Propos recueuillis par Alexis Seny



Publié le 03/10/2017.


Source : Bd-best

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