Entretien avec Nicolas Vadot (Maudit Mardi)
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Entretien avec Nicolas Vadot (Maudit Mardi)

J'essaye de ressentir ce que pourrait ressentir le lecteur

 

On entend, ou on lit souvent que tout a déjà été fait en BD. Avec “Maudit Mardi” Nicolas Vadot a démontré le contraire, nous offrant véritablement du “jamais vu”, du “jamais lu”. Le premier album du diptyque avait été très remarqué, le second volet paru chez Sandawe l'a superbement complété, pas seulement en nous offrant la suite et la fin de cette belle histoire, mais en enrichissant encore un univers très particulier. Un vrai coup de coeur...complété du vrai bonheur d'en savoir plus en posant quelques questions à son auteur, Nicolas Vadot.

 

Bonjour Nicolas. Avec Maudit Mardi, vous nous avez offert quelque chose d'unique. Le tome 2 du dyptique vient de sortir, une expo vous est consacrée au CBBD jusqu'au 21 octobre, que ressentez-vous à la conclusion de cette aventure ?

Je ne me sens pas dans un état particulier. Je suis resté très longtemps dans ce projet, et je pense que je ferai le point dans quelques jours. Je ne sais pas si je pourrai parler de vide, car mes autres activités (dessin de presse, radio) sont très prenantes, je verrai...

 

Maudit Mardi a été publié par le système participatif de Sandawe et de sa “tribu d'édinautes”, cela a-t-il impliqué pour vous une façon de faire particulière ?

Sandawe est arrivé en dernier ressort, car personne n'avait voulu du projet chez les “gros éditeurs”. J'ai donc découvert l'édition participative, suivi et soutenu par 289 édinautes. Ce qui est très motivant, car il est possible d'échanger avec eux et ça génère aussi une envie de les contenter. On ne peut pas se retrancher dans sa tour d'ivoire, de toutes manières, s'ils avaient ressenti ça, les édinautes me l'auraient fait savoir.

 

J'ai parfois entendu que certaines personnes trouvaient vos dessins de presse cruels. C'est un aspect que l'on ne retrouve pas du tout dans Maudit Mardi...

Si mes dessins semblent cruels, c'est parce que l'actualité dont je traite est cruelle. En dessin de presse, on a un rôle proche de celui d'un témoin, et donc c'est ma vision d'un événement ou d'une problématique que je livre à travers ces dessins.

 

En lisant le deuxième tome, j'avais l'impression que vous preniez vraiment, à travers le découpage, le temps nécessaire pour raconter votre histoire, mais aussi l'espace qui s'imposait, ce que la très belle double page qui constitue la vraie conclusion du récit semble confirmer...

Cette double page n'était pas prévue au départ, et puis elle s'est imposée comme une grande respiration, comme une fenêtre que l'on ouvre. On rencontre des thématiques relativement sombres au cours de l'histoire, à la fin elles sont oubliées et on s'offre un grand bol d'air frais. J'aime beaucoup ça, mais il est clair qu'on ne peut pas se permettre trop souvent ce genre de chose en BD. Ici, l'occasion était belle et ça n'a gêné personne, donc je ne m'en suis pas privé. Mais à d'autres moment, il y a jusqu'à 14 cases par planche, si le rythme du récit le nécessite... Je fonctionne à l'instinct pour ce genre de choses, j'essaye de ressentir ce que pourrait ressentir le lecteur... Après la confrontation d'Achille avec son double, une transition plus légère me semblait là aussi nécessaire...

L'histoire a un côté oppressant, on doit donc respirer beaucoup à d'autres moments, c'est le mélange de ces deux tendances qui amène son équilibre.

 

 


 

Vous évoquez l'air, la respiration, je lui trouve moi un côté quasi aérien, alors que le personnage principal est concrètement, matériellement, attaché au sol au début du tome 1...

 

Mais je voulais que l'album emporte le lecteur avec lui ! Et puis j'adore la musique “planante” et j'en écoute beaucoup, ce qui se traduit peut-être de cette manière-là.

 

Maudit Mardi, très symbolique, peut donner lieu à de nombreuses interprétations. Quel est son message, s'il y en a un ?

Je dirais que c'est aller chercher son existence, ne pas rester planté là dans son petit confort et ses certitudes, mais tout en étant conscient de ses propres démons, de ses faiblesses, et en essayant de conserver une dose d'optimisme malgré tout...

 

Vous avez surpris et innové sans vous réclamer d'une tendance BD “branchée” ou “pointue”, mais avec beaucoup de poésie...

On vit dans un monde très dur, et ça je le traite en dessin de presse. Je n'avais vraiment pas envie d'en remettre une couche en BD. Je vais rarement au cinéma, et le dernier film que j'ai été voir, sans doute influencé part certaines critiques, est “Biutiful”d'Alejandro Gonzalez Innaritu. Et bien, à l'arrivée, je trouve vraiment que c'est l'exemple de réalisation qui nous tire vers le bas. Le monde que le film nous décrit est moche, affreux, sans aucune note d'espoir... Moi j'essaye de prendre le contre-pied de ce genre de tendance sans être gnangnan. D'autant que cette tendance portée sur le glauque est souvent le fait d'un petit monde petit-bourgeois. En musique, j'adore U2, je trouve que ce sont des rockers optimistes quand je traduis leurs textes, et c'est assez rare. Décrire une guerre civile de manière sombre est normal. Mais noircir plus encore les choses pour en faire un “genre”, c'est vraiment très facile. Et cette tendance n'existe pas uniquement dans le cinéma, je le précise... Vous évoquiez mes dessins de presse, mais je ne m'y réjouis jamais du mal ou d'un drame. A la limite le dessin de presse peut procurer la distance nécessaire pour aborder l'innomable.

 

Vous parliez de U2, or la musique occupe aussi une grande place sur votre blog...

Oui, et j'ai glissé la liste des musiques écoutées au fur et à mesure de la réalisation des 2 albums dans leurs suppléments “making of” téléchargeables. Personnellement, je rapproche beaucoup la BD de la musique. Elle parle à notre inconscient et je peux en “consommer” beaucoup en travaillant. J'écoute énormément de musique rock et je trouve que sa nécessaire concision dans ses textes et pourtant son fort pouvoir évocateur sont fantastiques. Et puis on peut avoir associé une musique à un endroit, à des odeurs, à un moment ou...à une BD, c'est magique ! Momentanément, je redécouvre Hotel California des Eagles, quelle claque !

 

 

 


 

Et si vous deviez associer un seul disque à Maudit Mardi, qui le résumerait...

“No line on the horizon” de U2 est sorti au moment de l'écriture du scénario, et pour ce second volet... la bande originale du film Milk par Danny Elfman !

 

Entre réaliser un album BD, travail de très longue haleine, plus encore lorsqu'il s'agit un diptyque comme Maudit Mardi, et répondre aux contraintes et échéances du dessin de presse, comment faisiez-vous ?

Ajoutez-y la radio, même si c'est assez récent... Ce n'était pas facile de combiner les trois et de gérer ce que j'appellerais une forme de schizophrénie artistique. A un moment, j'étais vraiment dans un jeu d'alternance une case, un dessin de presse, une case, un dessin de presse, une case etc. J'imagine qu'inconsciemment, un aspect a toujours nourri l'autre, mais ce n'était pas évident !

 

Pensez-vous déjà à d'autres projets en BD ?

J'ai quelques idées, mais pour l'instant j'ai envie de terminer au mieux la promo de Maudit Mardi. Pour démarrer quelque chose de nouveau, je dois en ressentir l'envie, quasi le besoin, et je ne le fais que si je le sens. C'est peut-être ce qui explique mon rythme de parution qui est jusqu'ici d'un album tous les 3 ans. Maudit Mardi, comme diptyque, a un peu modifié ça, mais actuellement je n'ai pas de plan pour l'avenir. On verra...

 

Propos recueillis par Pierre Burssens

 

Images © Sandawe-Vadot 2012

 



Publié le 12/10/2012.


Source : Graphivore

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