Entretien avec Roger Leloup (suite)
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Entretien avec Roger Leloup (suite)

Elle prend sa liberté…

 

Elle est libre.

Vous savez, quand vous dessinez, quand vous quittez votre dessin, c’est comme un pianiste, la même chose qu’un coureur. Quand il va courir, il faut s’échauffer avant. Un pianiste, il va faire des gammes tout le temps, c’est pareil. Quand parfois, je ne m’occupe pas de Yoko, quand je la reprends, il m’arrive de me demander comment je faisais ça. Est-ce que je ne m’éloigne pas trop ? J’ai d’ailleurs un truc avec Yoko. J’ai les meilleurs Yoko que j’ai faites -enfin je crois, car j’évolue quand même- en copie sur une feuille. Toutes les cinq six pages quand je vois que je n’évolue pas dans le bon sens, je reprends une Yoko qui existe pour la mettre dans l’agrandisseur. Je la recalque et je reprends le visage que j’avais fait. Je change l’attitude mais pour rester sur une base, exactement la même quoi. Hergé faisait ça avec Tintin aussi.

 

Le site www.yokotsuno.com est très bien conçu. Amateur de technologies modernes, suivez-vous sa conception de près ?

 

C’est le site officiel de Dupuis. Mais il y a des liens dont s’occupent des fans et d’autres dont je m’occupe moi-même. Dans la rubrique « Les billets de Yoko », en cliquant sur l’image, vous arrivez sur l’album en préparation. La rubrique « Bavardages et petits secrets » est alimenté par des anecdotes que je mets en ligne. Je me charge de toute cette partie « Les billets de Yoko ».

 

En 2011, une fresque Yoko Tsuno a été inaugurée à Bruxelles. Avoir une fresque à Bruxelles, c’est un peu comme rentrer au Panthéon pour un auteur de BD. Comment avez-vous ressenti cet hommage ?

 

C’est gentil. J’en ai une autre plus grande ici dans ma ville à Wavre, sur un mur de dix-huit mètres de long. Elle se dégrade, mais ils vont la rénover. Monsieur Michel, le bourgmestre de la ville, devenu Premier Ministre, m’a donné son numéro de téléphone pour lui téléphoner dès qu’une chose ne va pas. Je n’imagine pas le déranger. A Bruxelles, il y a un contrat d’entretien. Ils font tout un parcours. On est nombreux. La fresque est sur un mur bien protégé. A 81 ans, je n’en ai plus pour très longtemps. Quand je ne serai plus là, je ne sais pas ce que ça deviendra.

Je suis plus frappé quand, quelqu’un que je ne connais pas, une petite fille de Tahiti, m’écrit pour savoir quand le nouveau Yoko va paraître, en s’excusant de me déranger dans mon travail. Ça ne me dérange pas et ça m’envoie comme un rayon de soleil. Ça fait chaud au cœur.

 

Les séries dérivées fleurissent. Seriez-vous d’accord pour qu’il y ait des aventures de Yoko vues par d’autres auteurs ?

 

Non, mais je n’interdis rien. Il n’y a pas beaucoup de séries comme Yoko. C’est un personnage comme Tintin, qui est très typé. Il y a des moments où on peut s’en approcher, mais… Prenons le cas de Boule et Bill. Verron l’a très bien repris, d’après Roba. Juillard qui reprend Jacobs, ça donne bien.

Ce sont mes enfants, plus tard, qui décideront.

 

Duquel des albums de Yoko êtes-vous le plus fier et pourquoi ?

 

Ce sont les albums où j’ai le plus de souvenirs personnels, comme La frontière de la vie, parce que j’ai été sur place, L’orgue du diable, en Allemagne, ou encore L’astrologue de Bruges. Ceux avec les vinéens aussi. Mais, c’est curieux, car je n’ai pas l’impression d’avoir fait un travail fantastique sur les vinéens. Je vois les choses comme ça depuis longtemps.

Je sais une chose en tout cas, c’est que l’album dont on parle, Le secret de Khâny, est une histoire montrant ma félicité chez Dupuis. Ils n’en reviennent pas qu’à 81 ans je puisse encore dessiner comme ça. Je racontais aux responsables éditoriaux ne pas avoir changé. Mon dessin les impressionne par rapport aux nombreuses productions qui paraissent en ce moment. Certains pourraient trouver que je suis vieux jeu. Le dernier Astérix est très bien fait, mais il est clair qu’ils vont dépoussiérer et changer un jour le système.

Si tu n’es pas le lundi matin à ton travail, et que tu ne le quittes pas à minuit, hormis pour manger, et que tu ne fais pas soixante-dix heures par semaine, tu peux courir comme tu veux, tu n’y arriveras pas. Yoko est une série qui coûte très cher à fabriquer. Sans les droits d’auteur, si je regarde ce que me paye Dupuis (qui est le rare éditeur à payer les pages qui passent en pré-parution dans Spirou) en fonction du temps que j’y passe, j’arrive à sept euros de l’heure. Je ne sais pas qui travaillerait pour ce tarif. Mais heureusement, il y a les droits d’auteur, et les éditions étrangères. Outre l’album en français en format classique et en grand format, j’ai des éditions en 9 langues dont une édition en finnois, très belle. En Français, le tirage classique est à 100000 exemplaires, le grand format entre 3 et 4000. Le problème est que les libraires n’ont plus de place pour exposer toute la production actuelle. Le nombre de nouveautés par an est aberrant. J’ai la chance d’être dans la cinquantaine de plus gros vendeurs, au-dessus des 50000 exemplaires. Ma série est réimprimée régulièrement. Je ne vais pas me plaindre. Comme Tillieux m’a dit un jour : « Tu as un album, moi j’en ai dix. Quand tu en auras dix, tu auras dix ans de plus. ». J’ai fait vingt-sept albums de Yoko et j’en ai quarante-cinq de plus. Je ne me plains pas. J’ai eu la chance d’être dans le giron d’Hergé et de gens qui avaient de la classe.

 

Merci, Monsieur Leloup.

 

Propos recueillis pas Laurent Lafourcade

Photo par Jean Jacques Procureur

 

 

 



Publié le 03/08/2015.


Source : Bd-best

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