Entretien avec Valérie Mangin (Abymes)
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Entretien avec Valérie Mangin (Abymes)

« Abymes parle avant tout des rapports des créateurs avec leur création »

La mise en abyme est « un procédé qui consiste à placer à l’intérieur du récit principal un récit qui reprend - de façon plus ou moins fidèle - des actions ou des thèmes de ce récit. »  Un procédé placé par Valérie Mangin au centre de sa trilogiee intitulée « Abymes » et dont le second volet vient de paraître dans la collection Aire Libre (Dupuis). Trois albums publiés en trois mois (le dernier sortira en mars), mis en images par trois dessinateurs différents (Griffo, Malnati et Bajram) et articulés autour de trois personnages : Balzac, Henri-Georges Clouzot et...Valérie Mangin. Une démarche hors du commun tant sur la forme que sur le fond qui risque non seulement de se tailler une place toute particulière au sein de la prestigieuse collection, qui fête cette année ses 25 ans, mais également parmi les incontournables de ce premier trimestre. Après avoir livré une image audacieuse de Jeanne d'Arc et fait vieillir Alix, Valérie Mangin continue à oser. Ses Abymes sont parfois vertigineux, c'est pourquoi nous avons choisi de les explorer en sa compagnie.



-Depuis "Trois Christs" on sent chez vous une recherche sur la construction même du scénario, et sans doute une remise en question de "règles" relativement établies, ou du moins de façons de faire...Pourquoi ?

Pour moi, c’est un excellent moyen d’explorer l’Art de la Bande dessinée, de montrer ces différentes facettes et de tester ses limites. Je ne me sentirais pas vraiment auteur si je ne le faisais pas. Et puis, je dois dire que cela m’amuse beaucoup. Respecter les règles établies est sans doute rassurant mais c’est très ennuyeux aussi. A quoi bon refaire ce qui a déjà été fait, même si on sait que cela marche ?

 

-Cela se limite-t-il à votre travail ou est-ce aussi un trait de votre personnalité ?

Je donne un aperçu de ma personnalité dans le tome 3 d’Abymes. À vous de juger.

 

-Que tentez-vous de démontrer à travers ce triptyque ? A-t-il un "message" ?

Abymes parle avant tout des rapports des créateurs avec leur création, comment elle influence leur vie pour le meilleur ou pour le pire, comment elle « est » leur vie en fin de compte, au moins autant que ce qu’ils vivent dans la réalité. C’est pourquoi, elle peut les rendre fous, les tuer ou bien les rendre immortels.


-3 albums publiés en 3 mois, avec 3 dessinateurs différents et ce principe de mise en Abyme(s), c'est vraiment exceptionnel...

Nous avons tout fait pour que cela le soit en tout cas. Mais ces albums ont été réalisés sur plusieurs années en fonction des plannings bien chargés des dessinateurs. Les publier en trois mois a été un choix éditorial. La mise en abymes implique que chaque œuvre soit emboitée dans la suivante. Ce jeu ne prend donc son sens que si on a les trois albums en main. Il fallait donc les publier à des dates les plus rapprochées possible pour que le lecteur ait toutes les cartes en main en même temps.

 

 

 

 


 

-C'est aussi votre retour chez Dupuis après le "malentendu Jeanne d'Arc"...

En fait, Abymes a été signé avant Jeanne d’Arc… C’est un hasard si le triptyque paraît après le récit illustré par mon amie Jeanne Puchol. Quant au « malentendu », il y a eu beaucoup de rumeurs au moment où Dupuis a décidé de ne pas publier la fin de l’histoire de notre sorcière, mais cela ne reste que des rumeurs. Je sais que j’ai toujours eu le soutien de l’excellent José-Louis Bocquet, mon éditeur, et seul cela compte.

 

-Qu'est-ce qui a déterminé le choix de Balzac et Clouzot pour les deux premiers tomes ?

Ce sont des auteurs dont j’apprécie tout particulièrement les œuvres. En plus, leurs fortes personnalités se prêtaient bien aux récits que je voulais faire. La truculence de Balzac comme le caractère tyrannique de Clouzot en font des personnages dignes de leurs propres œuvres.

 

-Et celui des dessinateurs, Griffo et Loïc Malnati ?

Après Petit Miracle, Griffo m’a tout de suite demandé de lui écrire une autre histoire se déroulant au XIXème siècle, qu’il pourrait réaliser dans le même style semi-réaliste qui avait beaucoup plu… Il m’en aurait beaucoup voulu si j’avais proposé Balzac à quelqu’un d’autre. Pour Clouzot, en revanche, je n’avais pas de dessinateur évident. Je cherchais un style plus nouvelle BD, plus sobre, mais aussi plus sombre, en rapport avec le coté noir de mon récit et celui de son époque (1946). Comme je finissais un polar déjanté avec Loïc (Du plomb pour les garces), je lui ai demandé s’il n’aimerait pas relever ce nouveau défi, plus littéraire et intellectuel, avec moi et il a accepté.

 

-Par rapport à la réalité historique, comment définissez-vous votre "marge de manœuvre" pour ce type d'exercice ?

Mes récits sont clairement des fictions. Et présentés comme tels. Rien de ce je raconte n’est vraiment arrivé. Après, tout l’arrière-plan est historique, les personnalités des personnages, leurs mentalités sont aussi proches que possible de ce qu’elles ont été.

 

 

 

 


 

-Alors qu'à certains moments, le tome 1 peut encore faire sourire (peut-être est-ce dû au style de dessin plus proche du semi-réalisme...), j'ai eu l'impression que le traitement du tome 2 était plus dur, plus sombre... S'agit-il seulement d'une impression ou est-ce une volonté de votre part et de celle de Loïc Malnati ?

C’est volontaire : l’œuvre de Clouzot à laquelle notre album rend hommage est beaucoup plus dure que celle de Balzac. Nous devions être à la hauteur, au moins essayer.

 

-En abordant Clouzot, plus contemporain, de cette manière, ne craignez-vous pas de choquer ?

Je ne le souhaite pas mais je ne le crains pas non plus. Autant je suis contre le fait de présenter une fiction comme un ensemble de faits avérés autant je pense qu’on peut raconter n’importe quoi à partir du moment où on présente son récit comme imaginaire. Et si cela dérange le lecteur, tant mieux : cela le fera sans doute réfléchir aussi.

-J'ignorais que José-Louis Bocquet était le filleul d'Henri-Georges Clouzot. Comment a-t-il accueilli le projet et quel a été son apport à cet album ?

Le choix définitif de Clouzot s’est décidé pendant une discussion avec lui. J’hésitais encore entre plusieurs cinéastes quand il a commencé à me raconter des anecdotes sur son parrain. Comment y résister ? Il m’a alors offert la biographie qu’il lui avait consacrée et j’ai commencé à développer mon synopsis. Par la suite, je me suis demandée comment il prendrait l’image… particulière que je donne de Clouzot. Mais il m’a confirmé son caractère très exigeant, dur avec ses proches et son engagement total dans son œuvre. Bref, il m’a encouragée sur la voie que j’avais choisie. Il a été d’un grand soutien tout au long de la réalisation du projet.

 

-Dans le tome 3, vous vous mettez en scène, ainsi que Denis. Ne craignez-vous pas de donner aux lecteurs une fausse image de vous et qu'ils confondent celle-ci avec la réalité ?

Le livre s’adresse à des lecteurs adultes. J’espère bien qu’ils font la différence entre fiction et réalité. Si ce n’est pas le cas, tant pis. Je ne me laisserai jamais arrêter par ce genre de considérations en tout cas. Sous-estimer son lecteur, voire le prendre pour un con, est un travers digne des pires chaînes commerciales…

 

-D'une certaine manière, vous vous mettez en danger, vous vous dévoilez ...

Oui, bien sûr. C’est un défi personnel. Je n’ai pas l’habitude de m’ « exhiber » de cette manière. Mais faire de moi le personnage principal du tome 3 était nécessaire : en tant qu’auteur d’Abymes, je devais forcément être moi-même prise par la mise en abymes, sinon elle n’aurait pas été complète.

 

-Pour un(e) auteur(e) de BD, devenir héroïne de papier, c'est le trip absolu ?

C’est surtout très étrange, avec un coté schizophrénique… En fait, comme ce tome 3 a été co-scénarisé et dessiné par mon mari, Denis Bajram, je le vois surtout comme une déclaration d’amour que nous nous sommes mutuellement adressée. Et ça, c’est le trip absolu.

 

Pensez-vous que l'on puisse aller plus loin avec cette forme de construction scénaristique, ou une autre, et avez-vous des projets en ce sens ?

 

Je pense que tout est encore à découvrir en matière de construction scénaristique. La Bande Dessinée est un art jeune. J’ai plusieurs projets qui reposeront sur des concepts formels mais ils ne sont pas encore assez avancés pour en parler aujourd’hui. Avoir des squelettes théoriques bien articulés, c’est une chose, mais réussir à les revêtir de chairs vivantes en est une autre.

 

 

Propos recueillis par Pierre Burssens

 

Photo :  Jean-Jacques Procureur

Images © Dupuis 2013

 



Publié le 22/02/2013.


Source : Graphivore

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