Hibakusha de Barboni et Cinna : Amener la poésie face à l’horreur de la bombe atomique
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Hibakusha de Barboni et Cinna :  Amener la poésie face à l’horreur de la bombe atomique

Ils ne s’étaient jamais rencontrés avant. Autour de l’album, mais aussi en son coeur. Hibakusha, c’est l’histoire de Thilde Barboni dont la nouvelle (plutôt ancienne) « Fin de transmission » a trouvé l’univers et les inspirations poétiques et oniriques d’Olivier Cinna. Mais c’est aussi l’histoire, au fil des pages et des rougeoyantes, d’un jeune traducteur employé par la machine nazie envoyé à Hiroshima et qui va y rencontrer une Japonaise. Ils s’aimeront d’un amour court et long à la fois, indivisible surtout. Même si une bombe nucléaire traverse leur ciel. Hibakusha, c’est l’histoire d’un survivant insoupçonné, là où le flash nucléaire à graver des instants de vie et de mort à jamais. Nous avons rencontré Thilde et Olivier autour de cette oeuvre intense.

Bonjour Thilde, bonjour Olivier. Hibakusha, c’est encore une fois et avant tout une histoire de nouvelle publiée, il y a plus de trente ans ! Thilde, après Les Anges Visiteurs, vous en êtes coutumière, non ?

Thilde : Oui, c’est même ma toute première nouvelle. J’étais très jeune et, adolescente, j’avais été frappée par ses corps marqués dans la pierre à Hiroshima par l’intensité du flash atomique. J’ai réalisé que cette ville était une vraie chambre noire avec des murs servant de pellicules. J’ai alors eu l’idée de ressusciter un de ces personnages, d’en faire un Hibakusha, un survivant. Et quelques années plus tard, dans l’envie de collaborer avec Olivier Cinna, il a choisi cette nouvelle pour l’adapter en BD.

Olivier : Il y avait dans cette nouvelle quelque chose de différent, un côté fantastique qui m’évoquait la Quatrième Dimension. La nouvelle était encore plus fantastique que ce que la BD ne l’est, on percevait toute la sensation de cette pierre irradiée.

 

 

 

 

© Barboni/Cinna chez Dupuis

 

Puis, Hiroshima, ça me parlait. J’avais dû faire un travail au collège. J’avais été marqué par cette pierre, ces murs qui ont enregistré, telle des brûlures, les corps humains et les objets qui ont été pris dans l’explosion. Nous voulions être dans la continuité, y amener la poésie face à l’horreur.

Et finalement, quoi de plus normal pour un récit qui parle de l’image, de la trace laissée…

Olivier : Tout en étant très inspiré par la peinture japonaise, les geishas. J’aime l’érotisme, dessiner les corps des femmes. Quand Thilde parlait de la rencontre avec cette femme dans son histoire, je voyais des images. Puis, quand Thilde voyait mes dessins, ils lui inspiraient des scènes. La symbiose était totale.

 

 

 

 

Recherche © Cinna

 

Trente ans sont passés, des choses ont changé dans cette histoire ?

Thilde : On y a ajouté tout ce qui n’y était pas, il y a trente ans. Et, notamment, le côté émotionnel, celui qui vient avec l’expérience d’une vie. Puis, est venue aussi la réflexion autour du personnage, de son métier : la traduction. Et le fait qu’il va réaliser qu’il n’est au font qu’une simple courroie de transmission, qu’il se doit d’être neutre.

Olivier : L’ombre est quand même permanente, comme la trace de l’horreur dont sont capables les humains… même s’ils s’en sont parfois défendus. Comme, lorsqu’après Hiroshima, les Américains ont usé de propagande pour dire que la bombe atomique était inoffensive, qu’on n’en gardait aucune séquelle. Tout comme ce gâteau « bombe atomique » que les Américains, le vice-amiral Blandy de l’U.S. Navy et le contre-amiral Lowry, se partageront plus tard sur une photo célèbre en hommage à la bombe de Bikini.

Thilde : Adapter cette histoire en BD, voir mes mots acquérir une identité visuelle dans l’interprétation qu’en fait Olivier, c’est un travail très excitant. D’ailleurs, dans la BD, il y a un nouveau personnage. La Japonaise n’était pas dans la nouvelle mais Olivier y a mis toute son expérience, lui qui dessine des geishas depuis longtemps déjà.

 

 

 

 

 

© Olivier Cinna
 

 

Olivier : Disons que dans la peinture chinoise et les estampes japonaises, on a comme l’impression que le trait danse sur le papier, le geste est très important. Comme j’ai fait 16 ans de danse classique dans mon adolescence, ça doit en partie venir de là. Peut-être d’une frustration de ne plus faire de danse. Après, le corps féminin est idéal pour la ligne. Et je ne me lasse pas des geishas.

Avez-vous pour autant été directive, Thilde ?

Thilde : Dès la lecture, Olivier voyait les images lui venir. Entre nous deux, ce fut une grosse collaboration, une écriture en sillages dont Olivier a assuré la mise en scène. Son dessin dégage un tel charme. Puis, il tenait absolument à terminer sur le drapeau japonais. Du coup, on s’est arrangés pour y converger. Notamment, aussi, par le travail des couleurs.

 

 

 

 

© Barboni/Cinna

 

Olivier :  En fait, j’avais déjà cette inspiration japonaise mais pas l’histoire qu’il fallait. Avec la nouvelle de Thilde, je l’avais trouvée. Ce traducteur qui se décoince petit à petit, je me suis plu à le marquer par l’intermédiaire des grosses lunettes qu’ils portent, qui rendent son regard imperceptible au début puis qui glissent pour qu’on les aperçoive petit à petit.

Qu’est-ce qui vous a tellement plu dans cette histoire ?

Thilde : C’est une histoire qui va de l’avant mais qui met en lumière ces événements là où les Japonais sont très pudiques, on l’a vu après Fukushima.

 

 

 

 

© Barboni/Cinna chez Dupuis

 

Olivier, c’était aussi l’occasion de revenir aux couleurs pour vous qui avez souvent publié en noir et blanc.

Olivier : La couleur me manquait car, en règle générale, l’image, je la pense tout de suite en couleurs. De manière narrative autant que symbolique. En filigrane de cet album, il y a la couleur rouge. Comme sur cette robe que porte la femme, qui peut signifier la violence mais aussi le fantasme. Le rouge se déplace ainsi au fil de l’album, dans les petites touches sur le kimono pour symboliser l’amour puis pour arriver au drapeau final.

 

 

 

 

La jaquette de l’édition de luxe

 

Je voulais rester dans une gamme de couleurs restreinte et pouvoir faire ressortir certains éléments. Passer de la grisaille allemande, puis effleurer l’amour. En fait, j’ai essayé d’avoir une bonne idée narrative, graphique, pour chaque séquence.

Et entre celles-ci aussi, entre les cases.

Olivier : Oui, c’est important, il y a de la vie au-delà de la page et de la narration entre les cases, des ellipses tout aussi importantes que ce qui est mis en cases. Will Eisner l’avait bien compris en pensant son récit dans son ensemble. Et, de sa vision globale, il tirait un schéma page par page. À ce niveau, la BD japonaise prend plus le lecteur par la main.

 

 

 

 

Étude de personnage © Cinna

 

 

Thilde, finalement, au fil de vos oeuvres, on vous sent voyageuse, non ?

Thilde : … dans mon bureau. (rires). Je suis très sédentaire, je voyage vraiment dans ma tête en fait. C’est un peu fantasmagorique. La culture japonaise, je ne la connais pas vraiment. Au contraire d’Olivier et des geishas et femmes japonaises qu’il dessinait depuis un certain temps. C’est un hasard heureux que nous nous soyons rencontrés.

Justement, comme cela s’est-il fait ?

Thilde : C’est grâce à un ami commun, l’auteur Gérard Goffaux, qui est très intuitif qui trouvait que nous avions un imaginaire en commun. On ne pouvait pas lui donner tort.

 

 

 

 

© Barboni/Cinna

 

Puis, il y a Aire Libre, la collection qui vous accueille, cette fois encore ?

Thilde : Aire Libre et ses directeurs de collections, Sergio Honorez et José Louis Bocquet. Ce sont des créateurs eux-mêmes, ils nous laissent toute latitude.

Des projets ?

Thilde : Oui, très différent, poétique. Dans d’autres décors. Mais il est bien trop tôt pour en parler.

 

Propos recueuillis par Alexis Seny



Publié le 20/06/2017.


Source : Bd-best

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