Jean-C. Denis: « Artistiquement, on ne peut rien faire sans avoir été précédé par d’autres »
Flux RSSFlux RSS

         Toute l'actualité

Jean-C. Denis: « Artistiquement, on ne peut rien faire sans avoir été précédé par d’autres »

Après seize ans d’absence, l’inclassable antihéros de la BD artisanale, Luc Leroi, revient pour se perdre dans le temps de « Plutôt plus tard ». Entre Tahiti et le Paris de Paul Gauguin, Jean-C. Denis s’amuse en surréalisme et en décalage sans oublier de parler du rôle de l’artiste, ce voyageur dans le temps par excellence. Interview.

Bonjour Jean-Claude. Luc Leroi, quelle longue histoire, quand même. Certes, interrompue, puisque pendant 16 ans, il avait été absent de la BD. Comment avez-vous décidé de le faire revenir ?

Luc Leroi, c’est un personnage qui reste toujours présent dans mon esprit. Il y a une partie de moi-même en lui, la partie la plus légère. Et quand j’ai pensé à cette histoire dont le héros était plongé dans un jetlag si profond qu’il l’amenait 120 ans en arrière ; je me suis dit que Luc Leroi pourrait très bien correspondre au rôle. J’ai fait un casting, comme pour les films et Luc Leroi s’est présenté. Il a été pris tout de suite. Je fonctionne souvent comme ça. D’abord, je pense à mon histoire avant d’essayer de voir quel personnage pourrait la porter. En 2005, dans Le Sommeil de Léo, j’avais ainsi fait une version du scénario dans laquelle Luc Leroi jouait le rôle de Léo. Puis, je me suis rendu compte que ça ne fonctionnait pas, la présence de Luc Leroi induisait quelque chose qui ne me branchait pas. Et j’ai donc créé un autre héros, Léo en l’occurrence. En seize ans, j’ai donc organisé des tentatives d’histoires avec Luc Leroi. Mais ça ne s’est pas fait, il n’a pas eu le rôle.

 

 

Jean-C. Denis - dessin phonoteque catalane

 

 

C’est une chouette vision quand on voit que la bande dessinée cadenasse certaines séries pour lesquelles les auteurs sont obligés de sortir un album par an. Vous avez la liberté finalement.

Disons que c’est une liberté que je me suis construite assez naturellement. La lutte ne fut pas bien difficile. Je n’ai jamais été dans ces eaux de bande dessinée industrielle où la production correspond à un produit industriel. Je fais de la bande dessinée artisanale, vendue à un petit nombre d’exemplaires. Personne n’attend Luc Leroi. Personne ne l’a jamais attendu, même. Encore moins, mon éditeur. Ce n’est pas ça qui le fait vendre et vivre, quel qu’il soit, de Casterman à Futuropolis pour parler de ceux chez qui je suis passé. Par contre, Luc Leroi reste un personnage sympathique et intéressant à avoir pour un éditeur, j’imagine. Mais ce n’est pas le moteur.

Du coup, je n’ai jamais eu de pression, et je ne m’en suis jamais mise. Je n’ai jamais eu l’intention de fidéliser le lecteur. L’idée même de la série était démodée, terminée, quand j’ai commencé. Dans les années 70-80, je pensais que l’avenir était à la BD comme de la littérature. Je n’ose même pas lâcher ce mot de « one-shot » qui est ridicule. Quand on parle du dernier roman d’un tel, il ne nous viendrait pas à l’esprit de parler de one shot. Alors pourquoi le faire en BD? Moi, je me situe plus dans cette école de la BD qui fait de la bande dessinée comme on fait du roman. La BD reste un livre.

 

 

Expo - Jean-C. Denis - Futuropolis

 

 

Bien sûr, on peut parler de série avec Luc Leroi, mais elle s’est construite malgré moi. Ce personnage créé au début pour être présent dans le journal « À suivre » s’est présenté à moi comme une solution pour faire vivre une histoire. La comparaison a déjà été faite par d’autres – c’est pour ça que je peux en parler -: Luc Leroi est un peu comme le Antoine Doisnel qui revient dans les films de Truffaut sans être un personnage de série ou de feuilleton. Toute proportion gardée, car ce n’est ni la même époque, ni la même inspiration, ni le même secret. Luc, c’est un personnage qu’on retrouve à chaque fois un peu différent sans l’être totalement.

Si je comprends bien, il est toujours resté juché sur votre épaule. Mais quand on le récupère, 16 ans plus tard, il y a des automatismes à récupérer?

Je n’ai jamais essayé d’ouvrir l’album précédent et de le recopier. J’ai laissé vivre l’image que je me fais moi-même de Luc. Il évolue d’album en album, il change d’apparence, est plus ou moins âgé. Mais, dans mon esprit, il est le même. Il évolue malgré moi. Je ne cherche pas à l’emprisonner, fidèle à ce qu’il est. D’ailleurs, je réintègre la fiancée de Luc Leroi dans le précédent album, on la voyait dans les deux dernières pages de manière très caricaturale car elle avait un rôle très léger. Ici, c’est la première fois que Luc poursuit une relation d’un album à un autre, ce qui explique qu’elle s’est affinée, qu’elle est plus jolie, pour séduire plus le lecteur comme elle séduit le personnage principal. Je l’ai vue très fortement évolué et je l’ai laissé faire.

 

 

Jean-C. Denis - Luc Leroi - Galerie Oblique - moutons

 

 

Luc Leroi n’a-t-il pas gagné en maturité?

C’était un peu le but de cet album-ci. Luc a toujours été le faire-valoir des histoires qu’il intégrait plutôt que d’en être le personnage emblématique. En fait, Luc, il ne fait pas grand-chose, il est plongé dans une histoire dont il n’est pas le moteur et sans aucune emprise sur ce qui lui arrive. Donc, je lui ai donné la mission d’aller à la rencontre d’un peintre célèbre vivant 120 ans plus tôt: Gauguin. La mission était pourtant que Luc ne se mette pas en avant. Ce n’est pas un voyage de Luc, plutôt un voyage dans le temps. C’est un petit morceau de la vie de Gauguin, très court, et un petit morceau de celle de Luc Leroi, lui aussi très court. Luc Leroi n’est pas la vedette, il ne fallait pas un personnage charismatique.

Gauguin, parlons-en. La BD n’a de cesse de s’intéresser aux peintres. Une collection vient d’ailleurs d’être lancée. La peinture est-elle une inspiration pour les auteurs?

Il y a plusieurs choses. Il y a 16 ans, lorsque j’ai fait Toutes les fleurs s’appellent Tiaré, Luc Leroi était déjà sur les traces de Gauguin. Il en était question. Et à l’époque, je lisais déjà les écrits et les lettres de Gauguin. Et, à titre personnel, je m’étais rendu compte que ce genre de peintre du XIXème siècle, avec ses difficultés à vivre de son art, menait dans ses correspondances avec les autres peintres des contacts très similaires à ceux qu’on peut avoir entre auteurs de bande dessinée. Je m’en suis senti très proche dans l’esprit de leur vie quotidienne. On connait souvent ses peintres par le côté sulfureux ou le tragique de leur vie, mais, au-delà de ça, il y a une poursuite commune d’un geste graphique et un goût de la vie. Notamment via la musique que j’aborde dans cet album: ces peintres se réunissaient de manière naturelle et légère autour de la musique. Comme dans la BD, énormément d’auteurs font de la musique et en joue entre eux.

 

 

Jean-C. Denis - Luc Leroi - Galerie Oblique - reve

 

 

Pour en revenir à l’inspiration des auteurs de BD, je pense que la peinture joue un rôle. Comme modèle, on a cette peinture qui nous a précédés et qui nous touche. D’ailleurs, il y a une rubrique dans Casemate qui laisse les auteurs de BD commenter une peinture de leur choix. Et avant de me pencher sur cet album, Plutôt plus tard, j’avais choisi de commenter un tableau de Gauguin.

Dany me disait travailler sur des tableaux pour un galeriste. N’observe-t-on pas un retour à la peinture de certains auteurs de BD?

C’est vrai que beaucoup de galeries proposent des planches mais se retrouvent devant les limites du genre. Mais une planche, c’est fait pour être lu et sur un mur, c’est moins lisible. Du coup, les galeristes poussent un peu à la peinture. Mais la démarche existe depuis bien longtemps chez les auteurs. Et je suis le premier à le faire depuis mes débuts avec des pastels, des aquarelles. Pour sortir du cadre. Car la bande dessinée reste assez contraignante, on a un récit qu’on doit servir au mieux en restant dans un cadre contraignant. Et pourtant, pendant toute la réalisation d’un album, on fait des dessins plus grands qu’on a parfois envie de montrer. Et depuis que j’ai terminé cet album, je continue à faire des images dont certaines ont été exposées dans la Galerie Oblique à Paris. Je continue à en faire, je ne suis pas allé au bout de ce travail. Des choses qui ont été ébauchées pour la BD qui doivent sortir, ça fait partie de moi. Parce que, forcément, on élimine une partie des éléments graphiques de l’histoire au profit du scénario, des dialogues. C’est une manière de rattraper ces parties que de peindre des grandes images.

 

 

Jean-C. Denis - Luc Leroi - Avant pendant et apres - Galerie Oblique

 

 

Sinon, je constate également un rapprochement entre certains musées et des éditeurs. Pour des bonnes ou des mauvaises raisons, peu importe, cela a favorisé l’éclosion d’albums. Mais l’intérêt des auteurs de BD pour la peinture n’a pas attendu ce rapprochement-là!

Bien sûr. L' »inspiration », c’est d’ailleurs un thème qui vous suit dans votre oeuvre. Dans Bande d’individus, il était question du plagiat d’Oscar Wilde. Maintenant, c’est Paul Gauguin qui lui-même s’est basé sur une toile de Vermeer pour ensuite être copié par un certain Jacques de Guerlasse.

 


Jean-C. Denis - Luc Leroi - Plutot plus tard - Gauguin Vermeer

 

 

Tout à fait. Les plus grands artistes se sont inspirés d’autres et ils ont eu le bon goût de ne pas s’en cacher. Gauguin a carrément recopié des choses et a nourri ses tableaux de chevaux dessinés par Degas, par exemple. Pour le Vermeer, c’est une constatation personnelle en réalisant l’album. C’était un tableau que j’avais sur un petit carnet et qui m’était très familier. Quand on le retournait, il était en fait le décalque de la Jeune fille à la perle. Je n’ai vu nulle part qu’on en parlait alors que c’est pourtant évident: pourquoi Gauguin aurait-il peint une Tahitienne avec un visage comme ça? Il y avait quelque chose d’irréel, comme un travail de recherche. D’ailleurs, il s’est souvent servi de ce visage par après. Mais il avait quelque chose de pas naturel et j’ai trouvé pourquoi en tombant par hasard sur La jeune fille à la perle. Gauguin a sans doute cherché à se servir de ce tableau magnifique pour le transformer en un visage tahitien réutilisable. Les deux sont très superposables.

 

 

101.5 x 77.5 cm; Öl auf Leinwand; Inv. Dep 105

Johannes Vermeer - La Jeune fille a la perle

 

 

À une époque où on crie très vite au plagiat, c’est important d’avoir conscience de ce recyclage qui ne date pas d’hier. Les artistes d’aujourd’hui sont là parce qu’il y a eu ceux d’hier et c’est un perpétuel recommencement, non?

Exactement, je crois qu’on ne peut rien faire si on n’a pas été précédé par d’autres. Et je pense que la culture, c’est ça: baigner dans un bain dont on n’a pas conscience et le ressortir sous différentes formes, multiples et variées. D’ailleurs, j’en ai été le premier surpris mais j’ai souvent déclaré la filiation de Luc Leroi avec le Pirlouit de Peyo mais aussi avec le Félix de Tillieux. Des lectures que j’ai eues plus ou moins jeunes et qui ont resurgi naturellement lorsque j’ai créé Luc Leroi. Il ne sortait pas de nulle part.

 

 

Jean-C. Denis - Hommage Peyo

 

 

Puis, ne nous mentons pas, le grand comparse de Luc Leroi, Gilbert (qui apparaît d’ailleurs que dans un clin d’oeil du nouvel album), ne serait-il pas le Gilbert des Bronzés?

À vrai dire, ce n’était pas voulu. D’ailleurs, c’est d’abord un de mes amis qui s’est reconnu en lui. Il est venu me trouver: « mais c’est moi que tu as dessiné? » Puis, je me suis rendu à l’évidence, il ressemblait aussi comme deux gouttes d’eau au personnage campé par Bruno Moynot dans les Bronzés.

Après, j’ai parfois l’impression d’arriver après le cinéma, inconsciemment. Et notamment avec Woody Allen. Encore cette fois, il a un coup d’avance sur moi: j’utilise un taxi pour faire voyage Luc dans le temps à son retour à Paris, moyen déjà utilisé par Woody Allen, il y a quelques années dans Midnight in Paris. Ce n’est pas la première fois que Woody me précède.

Dans Luc Leroi, il y a finalement de la poésie, du surréalisme, non? 

Ce que j’aime bien avec ce personnage, c’est qu’il sortait de la bande dessinée de ma jeunesse tout en vivant dans un monde beaucoup plus réel et actuel. Dès les années 80, je le mettais dans un univers très contemporain. Peu de BD le faisaient à l’époque. Quand on établissait la proportion de gens à traiter le contemporain dans « À Suivre », il y en avait peut-être 15 ou 20%, pas plus. Le reste, c’était du genre, du polar, du passé récent ou plus anciens. Mais ce mix de héros à l’ancienne implanté dans le présent m’a permis de jouer sur un décalage que je recherchais. Du coup, Luc Leroi réapparaît quand je veux utiliser ce décalage.

 

 

Jean-C. Denis - Luc Leroi - Musique

 

 

C’est contemporain mais en même temps il n’y a pas tout ce bruit de la modernité dans votre récit: peu de portable, pas d’internet… Ça reste une bulle d’air.

Il a un portable mais il n’a plus de batterie. Et dans le précédent album, il avait réussi à en emprunter un à quelqu’un mais il ne parvenait pas à s’en servir. Donc, effectivement, il est dans un monde à part. Je n’ai pas envie de le faire plonger dans la technologie. Il ne sera pas geek, demain. Entre deux coups de téléphone, il y a des moments de calme possibles. La technologie perce et envahit l’espace de Luc Leroi mais ce bond dans le passé le met un peu à l’abri.

Cette idée du voyage dans le temps correspondant à la ligne du changement d’heure, vous en avez fait l’expérience?

La première fois qu’on va à Tahiti, il y a plusieurs choses à la fois violentes et poétiques. Le passage de la ligne du changement de date notamment. Quand on est dans l’avion depuis 22h de vol et qu’on se rend compte qu’on a changé de jour, ça fait beaucoup. Pour tracer cette ligne, il a fallu se mettre d’accord: elle n’est pas droite et se découpe entre les îles. Et à un moment on vous annonce, le changement de date. Objectivement, d’une seconde à l’autre, on change de jour. Et ça, ça donne déjà une sensation de voyage dans le temps. D’autant plus qu’en partant vers Tahiti, le soleil tarde beaucoup à se coucher. Ce qui fait que si vous partez de jour, la journée vous semble interminable, avec plusieurs heures en plus. Et dans l’autre sens, la journée semble très courte.

 

 

Jean-C. Denis - Luc Leroi - Plutot plus tard - changement de dates

 

 

Ajoutez à cela les douze heures de décalage par rapport à Paris, la moitié d’une journée. Donc l’envers total de midi-minuit. Et tous ces petits détails donnent une sensation de décalage dont on ne se remet pas tout de suite. Et je suis parti de là pour faire glisser Luc Leroi dans le temps. Mais il n’y a pas que ça. Il y a d’autres éléments, plus on vieillit, plus on se rend compte que le temps est une valeur relative qui ne tient qu’au souvenir qu’on en a, qu’on peut faire des bonds extrêmement rapides dans le passé alors que des moments récents nous échappent. En vieillissant, on a la sensation d’avoir des perspectives différentes sur le passé, et certains de ces moments vous paraissent très proches. De même, la vie est longue et des moments de sa vie de jeune coïncident avec ceux de sa vie d’adulte ou de plus âgé.

Tahiti, vous y êtes allé plusieurs fois?

Non, jamais qu’une seule fois, à la réalisation de Toutes les fleurs s’appellent Tiaré. Je savais ce que je voulais raconter au départ – Luc Leroi partait sur les traces d’un personnage ainsi que de Gauguin – et, au moment de dessiner Luc Leroi prenant l’avion à Roissy, je me suis dit que c’était trop bête et que je ne pouvais pas dessiner ce qui lui arrivait sans m’en rendre compte moi-même. Et je suis parti, laissant les planches faites jusqu’au départ en avion. J’ai dessiné l’aéroport et ce qui arrivait à Luc Leroi à Tahiti en me basant sur ma propre expérience. J’ai laissé vivre cet album en fonction de mon expérience personnelle sur place, j’ai laissé le scénario de base évoluer. D’où le fait que le séjour de Luc Leroi – et c’est un peu le ressort comique – fait ce voyage parmi les plus longs qu’on puisse faire sur Terre pour, finalement, repartir au bout de trois jours, en catastrophe. Ce qui le place dans un décalage, un jetlag, assez grave. J’ai récupéré ça dans le nouvel album.

 

 

Jean-C. Denis - Luc Leroi - Galerie Oblique - musique chez gauguin

 

 

Vous vous servez donc de Gauguin. Mais tout ce que vous lui faites dire est véridique, alors?

On a cette chance avec Gauguin d’avoir une correspondance assez riche, comme d’autres, mais aussi des livres. Il en a écrit beaucoup. Et en lisant ces livres, on découvre un personnage beaucoup plus complexe que ce qu’on en connaît, extrêmement moderne dans sa façon d’écrire et de peindre. C’est d’ailleurs ce qui l’a rendu célèbre, il a dynamité le paysage des impressionnistes dont il disait qu’ils seraient les classiques du lendemain alors qu’ils venaient de révolutionner la peinture. Ce qui remet les choses au point en matière d’avant-garde, c’est quelque chose qui sera soit un nouveau classicisme ou qui sera relégué au niveau de la voie sans issue.

Donc Gauguin a beaucoup écrit, ce qui aide à savoir ce qu’il pense des choses mais aussi, pourquoi pas, à le faire parler dans une BD. Parce que j’ai pu mélanger des paroles que je lui prête à des paroles qu’il a pu tenir par écrit de manière très simple. Il écrivait comme on parle.

 

 

Jean-C. Denis - Luc Leroi - Galerie Oblique - chez Gauguin

 

 

Comment êtes-vous entré en contact avec Gauguin?

J’étais un peu son voisin. J’ai habité pendant 35 ans ce quartier de Montparnasse où les peintres de la fin du XIXème siècle vivaient et travaillaient. Je continuais de me ravitailler dans des boutiques d’articles de dessin et de peinture qui étaient là à l’époque de Gauguin. À force de passer devant la crèmerie ou ces petits cafés où ces peintres venaient manger et boire pour pas cher ou en échange d’une ou l’autre toile, j’avais l’impression d’être leur voisin. Je ne les croisais pas physiquement, mais ils étaient là. Et Gauguin était fort présent par l’intermédiaire des livres et sa présence dans le quartier, même si c’était 100 ans plus tôt. Il a vécu à plusieurs endroits qui me sont familiers. Il y a quelques temps, Franck Margerin m’a confirmé que l’endroit que je décris dans l’album et où Gauguin vit quand Luc lui rend visite, est devenu un Hôtel Méridien né dans les années 70. Et dans les années 70, Franck Margerin avait été faire une manifestation pour la sauvegarde d’une cité d’artistes qui se trouvait à cet endroit là. Cette cité était l’endroit où se situait l’atelier de Gauguin. Détruit 80 ans plus tard.

Finalement, Luc Leroi est un homme de rencontres, souvent propulsé dans des aventures par l’un ou l’autre personnage. Vous êtes aussi un homme de rencontres?

Moins que Luc. Déjà, un auteur de BD fait partie de ces personnes qui passent énormément de temps seules, assises à une table à dessin. Cette proportion de la vie active et éveillée est énorme par rapport à la vie sociale que nous pouvons avoir par ailleurs. Et il est vrai que le personnage de BD permet de vivre une partie de cette vie sociale fantasmée. J’ai une vie beaucoup moins développée socialement que Luc Leroi.

 

 

Jean -C. Denis - autoPortrait - Nouvelles du monde invisible

 

 

Gauguin dit à un moment dans votre album: « À l’époque où le talent se multiplie, le génie se fait rare« . N’est-ce pas applicable à la BD actuelle?

Tout à fait. Les choses se discutent bien sûr sur le talent et le génie. Mais pour Gauguin, cette phrase avait réellement un sens et il l’a véritablement écrite. Il y a quelque chose d’incroyable chez lui: il était capable de prédire en 1895 tous les peintres méprisés qui auraient du succès par la suite. Ainsi que de prédire les grands peintres reconnus à l’époque qui disparaîtraient et seraient oubliés. Il en a fait des listes et il s’est avéré qu’il avait raison. Il était très clairvoyant.

Enfin, quels sont vos projets?

Je n’ai pas de projet dans l’immédiat. Pendant un an et demi, j’ai dessiné cette histoire. La période qui a précédé visait la recherche du scénario. Donc, pendant deux ans, j’ai vécu dans un univers duquel je ne suis pas encore sorti. Parfois, on entend les comédiens dire qu’ils sont encore habités par le rôle qu’ils ont tenu quelques semaines durant. Alors je vous laisse imaginer, j’ai tenu plusieurs rôles et un univers que j’ai joué pendant deux ans et 90% du temps. On ne s’en sort pas facilement et j’y reste avec plaisir. Surtout en cette période, je suis bien avec un pied dans le passé et un autre à Tahiti.

On vous comprend, bonne suite de voyage alors!

 

Propos recueullis par Alexis Seny



Publié le 21/04/2016.


Source : Bd-best

        Toute l'actualité

©BD-Best v3.5 / 2024