Polémique: L’héroïne de BD « Tamara » liposuccée par un cinéma manquant scandaleusement d’épaisseur
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Polémique: L’héroïne de BD « Tamara » liposuccée par un cinéma manquant scandaleusement d’épaisseur

Dans la série « tout va bien dans le jo-li(sse) monde du cinéma français », après nous avoir refourgué un faux-nain (même s’il était Dujardin), avoir évacué un comédien black de l’affiche des Sarrazins… oups des Visiteurs et avoir privé Aladdin d’un de ses deux « d », voilà que le merveilleux cinéma français et populaire adapte « Tamara », la très sympathique héroïne rondouillarde de la BD éponyme de Zidrou et Darasse. Sauf que voilà, comme d’habitude, les premières images du film bafouent totalement la BD, son esprit et le public (que ce soit celui de la BD ou du cinéma). Jusque quand le cinéma va-t-il tout sacrifier pour des diktats dépassés?

 


Tamara - tendresse - zidrou - darasse

 

(c) Dupuis – Tamara par Darasse et Zidrou

 

 

Tamara! Tabernak, diraient les québécois! Il y a de quoi tonner, jurer et être complètement… désabusé. Si on nourrissait quelques espoirs à l’annonce du film (bon, pas mal d’inquiétudes aussi, c’est vrai, mais sans qu’elles ne se portent à la hauteur du désastre qui se dévoile), les voilà balayés. Car oui, sous la houlette du réalisateur Alexandre Casagnetti (le génial troubadour de La Chanson du dimanche et récent adaptateur du pas trop mal « Grimoire d’Arkandias ») mais aussi certainement d’une production adepte des strass et des paillettes de l’image parfaite et sans aspérité, voilà que Tamara a fondu. Une trahison pour tous les lecteurs de la bande dessinée qui espéraient enfin voir une héroïne digne de ce nom et de ses bourrelets. Touché, coulé, manqué et surtout, liposuccé!

 

Tamara, c’est quand même un symbole. Celui d’une fille bien dans son époque, dans sa peau et dans sa chair. Un symbole qui évacue les complexes et invite à, nous aussi, être à l’aise avec notre peau, à respirer la liberté de faire ce qu’on veut, qu’on soit fin ou gros, petit, grand ou moyen, peu importe la couleur de peau. Et, au fil du temps, cette série humoristique qui a su séduire avec talent des milliers de lecteurs a évolué vers une dimension multiculturelle, entre une demi-sœur noire ébène et un petit copain, hidalgo d’origine chilienne. On vous le dit, Tamara, c’est une bd en or qui a sa place dans les écoles, si si!

 

 

Tamara - amis - bd - zidrou - darasse

 

(c) Dupuis – Tamara par Darasse et Zidrou

 

 

Ça c’était sur papier. Et si Johnny chantait, à l’égard d’Antoine, « Cheveux longs, idées courtes » dans les années 60, aujourd’hui il suffit de quelques pellicules pour faire tout et surtout n’importe quoi!  Y compris dénaturer une oeuvre originale. Un peu comme si on avait fait jouer les Schtroumpfs par des Minions, si Bill le Cocker avait été joué par Rex Chien Flic, si Fifi Brindacier avait été jouée par Heidi, les Pokémon par les Digimon, comme si Harry Potter avait soudain eu une vue de pilote de chasse et Ron des allures de beau brun. Rien à voir. Comme la Tamara de papier et celle de l’écran.

 

Bon, c’est vrai, l’équipe du film a bien tenté de nous rassurer et de nous conforter dans nos espoirs (fous) avec un croquis « enrobé et basané » des deux acteurs principaux (un joli dessin d’ailleurs de Christian Darasse); depuis la révélation de l’affiche du film, on s’est tous senti roulés et trahis. Non seulement, Yoli paraît bien pâle à côté de la petite fille à la peau si brune de la BD, mais en plus ce bellâtre de Diego n’a plus rien d’un Chilien mais d’un ersatz, tout « miam-mioum » comme dirait Yoli, entre M. Pokora et Kev Adams (oui oui Kev Adams, comme celui qui a joué dans Les Profs, ce succès inimaginable et totalement immérité qui a remis la BD dans l’ère du temps et à la mode du cinéma irrespectueux), Rayane Bensetti.

 

 

Diego

 

(c) Dupuis – Tamara par Darasse et Zidrou

 

Même Wagner, le boutonneux repoussant de service, se trouve, dans la version filmée, être un beau gosse à lunettes (en l’occurrence, le très populaire Jimmy Labeuu). C’est fini le chiqué, merde, ces acteurs en vogue (et que vous voulez sans doute propulser), vous aurez d’autres films pour les utiliser, faites place à des vraies incarnations de ces héros, quoi!! D’ailleurs, on n’a rien contre ces gentils gars qui ont vent en poupe, puisque nous partons de l’idée que tout le monde a sa place et c’est même ce à quoi nous appelons ici. Tout le monde, vraiment tout le monde, même avec des formes et des rondeurs, même petits, même pas beaux. TOUS, encore plus quand un rôle comme celui de Tamara leur tend les bras pour, ensuite, leur… échapper.

 

Mais ce n’est rien à côté de Tamara. Car si le personnage du 9ème art a des raisons d’être complexée, « à peine 20 ou 30 kilos en trop », la Tamara du 7ème art n’a rien pour l’être. Ou si, allez, les 100 grammes pris hier soir lors d’un copieux dessert (normal, ce sont les vacances). Sinon, cette Tamara interprétée par la débutante (et on est très contents pour elle, il ne s’agit pas de cracher dessus) Héloïse Martin n’a pas de quoi affoler la balance. Elle tient la ligne sans être un fil de fer non plus, mais tout en se tenant très loin, à des années-lumière, de l’idéal porté en courbes et en rondeurs par l’héroïne de Zidrou et Christian Darasse. La production n’a d’ailleurs rien trouvé de mieux que d’affubler l’actrice d’un pull rose dans lequel elle surnage, histoire de donner l’impression qu’elle est un peu enveloppée. Bon, on a quand même évolué depuis les trucages des années 20, si je puis dire.

 

 

 

Tamara banderole

 

(c) Dupuis – Tamara par Darasse et Zidrou

 

 

Et en faisant fi de cela, en préférant le lisse et le diktat d’une beauté sans aspérité, l’affiche du film (qui ose quand même « La revanche d’une ronde ») fait coup double. D’abord, comme le montre la plupart des commentaires qui ont giclé dès la publication de l’affiche, c’est tout un lectorat qui se sent trompé. Ainsi peut-on lire: « On n’a pas la même définition de ronde« , « Z’ont pas du regarder la même BD que moi !!!!« , « White washing et thin washing« , « Tamara est censé être pratiquement obèse et c’est ce qui me plaisait dans la BD car je pouvais m’identifier à elle. Mais là pour le film elle n’est pas « grosse » du tout … Je pensais voir un film pour ado qui met ENFIN une jeune fille avec des rondeurs en premier plan. Je suis déçue! Société de merde! » et j’en passe. Du coup, vu le peu de ressemblances avec les personnages originaux et l’esprit de la série BD, on commence à comprendre pourquoi sur cette affiche, injustement, il n’est même pas fait mention d’une quelconque info du style « d’après les personnages créés par Zidrou et Christian Darasse ».

 

 

famille Tamara - film

 

Copyright Arnaud Borrel

 

 

Mais la deuxième contre-performance n’est pas mal non plus dans son genre, renouant avec ce que nous dénoncions dans Un homme à la hauteur, quitte à jouer à fond le jeu de la discrimination. Alors que Nike prouve depuis quelques jours qu’il n’a plus peur de faire des pubs avec des mannequins « plus-size » (comme Dove depuis un bon moment et d’autres) et qu’il y a quelques mois sortait Bouboule (qui, outre ses défauts flagrants, avait le mérite de mettre en scène un jeune héros fort costaud), voilà que Tamara fait tomber les signaux positifs pour mieux appuyer là où ça fait mal. Ben oui, outre quelques rares exemples, chers acteurs qui pouvez-vous targuer d’un physique échappant aux conventions ridicules (et surtout dépassées) de la mode et de ce que certains agitent comme une prétendue normalité, le cinéma populaire ne vous veut pas!  Encore moins pour un rôle de premier plan. Faut pas déconner. Pas canon? Disqualifié sans même avoir prouvé ce que vous aviez dans les tripes. Non, ce cinéma-là, mesdames, préfère faire prendre 12 kilos (tout en s’en faisant une gloriole sur Twitter) à une actrice (on salue son dévouement, hein, ce n’est pas ça) pour qu’elle rentre sans convaincre dans le rôle d’une Tamara à qui il manquera quand même 20 kilos, au final. Ça fout les jetons, c’est injuste et révoltant et décidément archaïque à l’heure de tous les défis de la diversité. C’est honteux et ça fait mal au bide.

Allez, pour juger le reste (en espérant de bonnes surprises), on attendra le film. En attendant, comme dirait Yoli (qu’on n’est donc pas sûr d’avoir reconnu sur cette affiche), « Bigzouille » et sans rancune, mais, la prochaine fois, cher cinéma français, essaie d’avoir un peu de bagout, de prendre de l’épaisseur et de nous faire rêver plutôt que cauchemarder! Parce que là, prenez un miroir, non pour voir vos kilos en de trop, mais le reflet pitoyable que vous renvoyez.

Alexis Seny



Publié le 30/07/2016.


Source : Bd-best

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