Xavier Coste au lendemain du monde : Il fallait un héros avec une présence d’acteur, qu’il en dise plus par ses attitudes que par ses paroles
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Xavier Coste au lendemain du monde : Il fallait un héros avec une présence d’acteur, qu’il en dise plus par ses attitudes que par ses paroles

C’est l’une des plus belles promesses de la BD. Après nous avoir emmenés dans un Paris inondé et propice aux braqueurs de banque, Xavier Coste reste au bord de l’eau mais nous emmène dans un tout autre genre, qu’on ne soupçonnait pas chez lui : la science-fiction. Une science-fiction poétique, contemplative où rien du bien et du mal n’a été tranché. Nous sommes dans un futur proche, les bâtiments ont souffert et une épidémie se répand dont pourrait bien être responsables des intelligences artificielles. Un monde étrange, envoûtant par le regard qu’il porte sur notre époque, un voyage à faire les yeux ouverts sur le superbe univers déployés par les mots d’Olivier Cotte et les dessins (ou sont-ce des peintures ?) de Xavier Coste.

 

 

 

 

 

 

 

© Olivier Cotte/Xavier Coste chez Casterman
 

Bonjour Xavier, dans À la dérive, on vous suivait dans une aventure inondée dans le Paris de 1910, cette fois, vous verser dans la science-fiction/anticipation. Comment y êtes-vous venu ?

Xavier Coste : Cela fait des années que j’en rêve. J’ai toujours été attiré par la science-fiction. J’avais envie d’un projet mais ma culture dans ce genre était assez faible. J’en ai parlé à Olivier Cotte, lui ai envoyé des photos, des dessins pour lui montrer ce qui m’inspirait. Et de là, tout a commencé.

 

 

 

 

© Xavier Coste
 
 

Et nous voilà dans un monde pas si éloigné du nôtre finalement, un peu plus post-apocalyptique.

C’est une ambiance à la Blade Runner, une science-fiction assez proche de nous finalement. En témoigne, les bâtiments qui peuplent l’album. Ils sont en apparence neufs et modernes mais salis, meurtris.

Comment s’est passée cette collaboration avec Olivier Cotte ?

On a pris notre temps. Olivier a la fibre littéraire, c’est l’un des rares scénaristes avec qui on oublie qu’on est en train de lire une bd. Il a une façon de parler et de faire parler ces personnages très naturelle. Ainsi, il a conçu un vrai roman graphique, dense avec beaucoup d’éléments.

Il m’importait qu’il y ait un souffle épique, qu’on sente que c’est un voyage. Le défi était de rester lisible et accessible. Je ne sais pas trop si j’y suis arrivé, j’espère !

 

 

 

 

© Olivier Cotte/Xavier Coste chez Casterman

 

Un roman graphique adapté de Joseph Conrad ?

Olivier possède une grosse culture science-fictionnelle, avec beaucoup de références. Nous sommes ainsi partis de plusieurs romans, comme Au coeur des ténèbres, pour s’en émanciper et arriver à une histoire originale.

Justement, quelles sont vos références ?

Les films qui m’ont le plus marqué l’ont fait par leur aspect visuel. Blade Runner, Interstellar. Des films qui, avec peu de choses, parviennent à être grandioses.

J’ai d’ailleurs un projet en développement avec des astronautes.

 

 

 

 

© Xavier Coste

 

Quand on entend « science-fiction », on pense assez vite à des combats spatiaux… Ici, rien de tout ça, c’est une guerre plutôt froide que va mener notre héros principal.

Nous voulions montrer un homme à côté des événements, qui s’en désintéresse même mais qui va se retrouver à jouer un rôle plus important qu’il ne le pense. Pour ça, il va devoir franchir cette importante ligne de démarcation entre la civilisation européenne froide et la jungle plutôt chaude, tropicale.

Parlons-en de ce personnage. Un vétéran désillusionné qui semble être l’ultime moyen de détruire un centre expérimental en Afrique qui serait le responsable des maux de ce monde.

Keran, au départ, il devait plus ressembler au personnage d’Harrison Ford dans Blade Runner. Finalement, il a adopté un look différent. Puis, j’ai eu l’idée de ces lunettes rondes qui vont masquer son regard, le cacher sous les reflets. C’est quelqu’un de taiseux. Il fallait qu’il ait une présence d’acteur, qu’il en dise plus par ses attitudes que par ses paroles.

 

 

 

 

© Xavier Coste

 

Un « acteur ». Ça veut dire que vous vous mettez dans sa peau ?

Je me prends en photo dans des poses à l’aide d’un retardateur. Je me rends compte que je le fais de plus en plus souvent. C’est une manière d’être toujours surpris par la réalité. Sans quoi, j’aurais tendance à toujours retomber sur les mêmes attitudes.

Ce héros, on va le suivre, mais sans jamais être tout à fait en accord avec lui.

Il importait de rester à distance, de le saisir par bribes. Jusqu’au moment où il délire, et où on comprend qu’il avait un rêve et qu’il a oublié ce qu’il était lui-même, ses envies.

 

 

 

 

© Olivier Cotte/Xavier Coste chez Casterman

 

Avec cet album, même si vous ne nous emmenez pas dans un monde inconnu, votre patte graphique nous emmène tout de même ailleurs. Comme dans cette cité sous eau.

Ça, c’est une des images que j’ai envoyé à Olivier au tout début. J’avais dessiné des personnages qui pourraient nourrir une histoire. Des envies visuelles.

Ce qui me plaît le plus, c’est de dessiner ce décalage entre ce qu’on voit dans la réalité et quelque chose qui n’en est pas loin mais qui est tout autre, par de la poésie qui s’ajuste au dessin réaliste.

 

 

 

 

© Olivier Cotte/Xavier Coste chez Casterman

 

Comment dessinez-vous pour qu’il y ait une telle fusion entre le dessin et leurs couleurs.

Je peins en dessinant. Du coup, je suis toujours obligé de reprendre mes encrages. Chez moi, le trait n’est jamais fermé, sauf pour mes personnages. Les couleurs peuvent ainsi prendre le dessus, livrer leurs ressentis. Quand je commence une planche, je ne sais pas quelle couleur va l’emporter. Sur un même dessin, avec les mêmes traits, avec juste la couleur qui change, la signification peut totalement se métamorphoser.
 

De l’improvisation ?

Totalement ! Quand mes crayonnés sont complets, j’ai besoin de m’amuser, de jouer, sans savoir où je vais. C’est une manière de me stimuler, de me mettre en danger.
 

Je lisais une des premières chroniques parues sur l’album qui faisait référence à Emmanuel Lepage. C’est vrai, ça !

J’ai été très marqué ces albums, et notamment ceux de ses voyages. J’ai donc sauté le pas, osé m’émanciper des planches avec des aquarelles, des pleines pages ou des doubles-pages plus contemplatives, purement décoratives, comme une respiration. Sans savoir si c’était de la BD ou de l’illustration.  Ce que je n’aurais pas osé faire auparavant, de peur de casser la séquence.

 

 

 

 

© Olivier Cotte/Xavier Coste chez Casterman

Et la couverture ?

J’y ai passé du temps. Je voulais y mettre le personnage principal mais il devait rester énigmatique, emmener le lecteur en voyage. Il fallait que ce soit décalé, inattendu. Au début, les couleurs étaient assez réaliste mais, progressivement, quelque chose d’étrange s’y est installé. La graphiste de Casterman a amené cette couverture vers quelque chose d’irréaliste.

Avec des tâches de couleurs sur le visage de Keran.

Oui, ce sont des accidents. Au départ d’un vague croquis, je ne savais pas quelles couleurs j’allais y mettre. J’ai tenté plusieurs choses et, dans le feu de l’action, j’ai trouvé quelque chose de super. Tout en gardant les traces des essais passés. Cela amène une dimension graphique.

 

 

 

 

© Xavier Coste chez Casterman

Dans le camp ennemi, les intelligences artificielles.

Oui, et face à elles, notre héros borné, campé dans le manichéisme va ouvrir les yeux au fil de ses épreuves.

Il y a une grosse ambiguïté, ce n’est pas le bien contre le mal. La fin est d’ailleurs très poétique, pas celle que nous avions convenue à la base. J’ai rajouté deux planches qui insinuent la fin.

Pas celle à laquelle on aurait pu s’attendre.

Ce fut l’objet d’un gros débat, long et dense, avec l’éditeur. La fin, c’est un rebondissement, là où on s’attend à quelque chose de grandiose, à une apothéose. Le super-héros pourrait tout casser. Mais ce n’est pas ça du tout, c’est plus subtil.

 

 

 

 

© Xavier Coste

 

Du coup, ce livre pourrait bien être le plus important pour moi, celui pour lequel j’ai pris le plus de risques en tentant des choses dont je n’étais pas sûr qu’elles fonctionneraient. Le lendemain du monde, c’est un voyage inattendu. C’est un livre de science-fiction mais avec quelque chose de vague, des surprises. Qui correspond vraiment avec le fait que je n’aime pas donner de résumé de mes histoires, de garder quelque chose d’énigmatique.

Et la suite, alors ? Avec encore du Rimbaud dans l’air, non ?

Oui, il y a Les Effarés, un film sur la relation entre Rimbaud et Verlaine, réalisé par Francis Renaud. En fait, j’ai appris qu’il préparait un film sur Rimbaud et je lui ai écrit pour lui envoyer ma bande dessinée. J’avais envie d’échanger avec lui. Nous nous sommes rencontrés et il m’a proposé de faire le storyboard du film. Pour l’instant, je n’ai fait que quelques scènes mais, si le projet se concrétise, j’en ferai certainement le storyboard complet.

J’avais déjà eu l’occasion de faire du storyboard avant, c’est vraiment différent de la bd, dans le storyboard on sur-découpe une action, le rythme n’est pas du tout le même, et surtout il faut penser que le storyboard que l’on créée doit avant tout être efficace pour être tout de suite compris par le réalisateur et l’équipe du film. Le dessin importe peu, ce qui compte c’est les mouvements de caméra et les angles que l’on va choisir pour les scènes. Le dessin doit en quelque sorte se faire oublier.

Une nouvelle BD en préparation, aussi ?

Je commence un album aux éditions Sarbacane, L’enfant et la rivière. C’est l’adaptation d’un roman d’Henri Bosco, un auteur provençal. L’histoire, tout public, est celle d’un enfant qui va suivre une rivière, entre rêve et réalité.

 

Propos recueillis par Alexis Seny



Publié le 28/06/2017.


Source : Bd-best

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