Dans le rush pré-premier tour, François Durpaire et Farid Boudjellal, ainsi que l’éditeur Laurent Muller qui a mis un peu plus la main à la pâte, concluent leur trilogie présidentielle avec La vague, un titre qui en rappelle un autre mais en prend le contre-pied en proposant enfin un peu d’air mais sans s’ôter la moindre once de réalisme.
© Durpaire/Muller/Boudjellal aux Arènes
Résumé de l’éditeur : L’heure est à la surveillance globale et totale. En échange de cette aide, la Présidente, va accorder des concessions énormes aux géants du net. Nous voilà plongé dans une dictature inédite, régit par des règles algorithmiques… Mais, la situation économique et sociale se détériore de manière très alarmante. Le peuple descend dans la rue, manifestant son opposition au gouvernement. Marine Le Pen est rappelée au pouvoir. Le clan Le Pen s’entête dans leur idéologie nationaliste.
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Cafouillage à l’Élysée. C’est un fait, depuis l’élection de Marine Le Pen à la tête de la France, ses mesures retentissantes et ne faisant pas forcément l’unanimité, la descente aux enfers mettant Marion Maréchal-Le Pen en pole position pour prendre le pouvoir, François Durpaire (à qui l’homme de l’ombre, Laurent Muller, est venu porter main forte dans l’écriture) et Farid Boudjellal n’ont pas ménagé leur système, toujours en prenant soin de l’étoffer d’un réalisme aussi implacable qu’il fait froid dans le dos. Progressivement, là où le premier tome se voulait être une application quasi « dur comme fer » du programme du FN en vue des élections de ce mois d’avril, les auteurs s’en sont affranchis pour passer de l’essai prédictif au récit d’anticipation politique à ficelles scénaristiques plus que crédibles.
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Nous voilà désormais aux portes de 2023, un nouveau tournant se prépare. Car si le pouvoir est resté dans les mains du FN, en dépit des combats de coqs (français, bien sûr) et de la chute de Marine, le vent change encore. Marine n’a pas dit son dernier mot tandis que Marion consolide sa collaboration avec la Russie de Poutine et l’Amérique de Trump (qui, « malheureusement », ne peut se représenter aux élections). L’heure est aux Big Data, et tandis que la liberté d’expression des rues de France est cadenassée et aidée par les drones et autres caméras de surveillance, le Triumvirat et viral (surtout viral) jette les bases de son sinistre et machiavélique plan dans la Silicon Valley, conseillé par Google et ses sbires… du pire. Car si les trois as(s hole) complotent, il en va de leur volonté d’asservir le peuple comme de vulgaires moutons, bêtes à manger du foin.
Au-delà de la convoitise des informations et données du web sur nos pratiques, nos comportements (y compris à risque), le trio infernal parle d’une refonte du système éducatif : finie l’école, remisés les professeurs garant du savoir critique, place à l’enseignement à domicile promettant un salaire pour les mères qui s’en occuperaient via des programmes strictement uniformisés et sans danger pour le pouvoir. Sans oublier ces bibliothèques universelles et virtuelles promettant de rassembler l’intégralité des livres écrits depuis l’invention de la couverture mais ne mettant en vitrine que ceux appuyant (ou, du moins, ne risquant pas d’être nocif) pour la politique en place. Tout comme la hiérarchisation de l’information circulant sur internet via les réseaux sociaux ou les moteurs de recherche. Par exemple, recherchez l’opposante et humaniste Christiane Taubira et vous ne tomberez que sur « des sites apparentés à nos valeurs [frontistes] et ayant la même estime que nous pour Christiane Taubira. » Bref, plus pernicieux, plus insidieux mais bien plus fort que la censure.
© Durpaire/Muller/Boudjellal aux Arènes
Sauf que rien ne se passe jamais comme prévu et si le vent change, il souffle aussi de plus en plus, attire le gouvernement dans l’oeil de cyclone du fait d’une résistance qui a pu s’organiser depuis 2017. Une résistance qui a choisi ses leaders : un binôme fédérateur Taubira-Macron. Tandis que la répression continue, y compris en temps de JO parisiens auxquels des sportifs de premier plan refusent de participer en solidarité à d’autres qui se sont vus refuser leur visa. Le clash est en marche.
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Le clash est en marche et le temps est venu du dénouement (même si on sait que l’Histoire est un éternel recommencement). Si l’on n’est un peu déçu que les dessins (basés fidèlement sur des photos) de Farid Boudjellal ne marquent pas plus le temps qui est passé sur les visages des protagonistes (et 2024 ressemble finalement fort à 2017), difficile de lui en vouloir tant la fresque politique est percutante. Les auteurs n’ont pas ménagé leurs effets, tout est crédible, implacable. Et si certains veulent mettre des freins à la connaissance, ils n’en mettront jamais à l’imagination et à l’esprit de la liberté, de la tolérance, du vivre-ensemble qui tôt ou tard se rallume, se ravive.
© Durpaire/Muller/Boudjellal aux Arènes
Le récit de Durpaire, Muller et Boudjellal va dans ce sens, prenant habilement le contre-pied du film glaçant auquel ce troisième acte a emprunté le nom. La Vague, pas celle qui monte toujours plus haut et nourrit les tsunamis, mais celle qui va calmer les choses dans le clapotis doux des plages, qui ramène d’improbables trésors qu’on ne pensait jamais voir resurgir du coeur noir de la mer, de l’amer. Sonnant ainsi la fin d’un cauchemar en trois tomes et près de 400 pages qui comptera dans les annales de la BD.
Alexis Seny
Série : La présidente
Tome : 3 – La vague
Scénario : François Durpaire (Facebook) et Laurent Muller
Dessin : Farid Boudjellal (Facebook)
Noir et blanc
Genre : Politique-fiction, Anticipation, Thriller politique
Éditeur : Les Arènes
Nbre de pages : 110
Prix : 22,45€
©BD-Best v3.5 / 2024 |