Interview de François Schuiten à la BRAFA
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Nous revenons sur l'événement qui s'est déroulé à l’occasion de la BRAFA, la Foire International de l’Art et de l’Antiquité de Bruxelles, ou la Galerie CHAMPAKA a dédié son espace à une double expo focalisée d’une part sur l’influence des grands maîtres de la BD US sur la bande dessinée européenne des années ’30 et ’50.

D’autre part, CHAMPAKA proposait aux visiteurs du salon de découvrir « Sept Bâtisseurs d’Univers ». Sept artistes majeurs du Neuvième Art, tous bâtisseurs d’univers et toujours en force de création.

Christian MISSIA a rencontré pour vous cinq de ces sept artistes mis à l’honneur par la galerie CHAMPAKA : Frank Pé, Juanjo Guarnido, André Juillard, Ever Meulen et François Schuiten. Nous terminons donc ce cycle d'interviews par ce dernier.

 

 

 


Bonsoir François Schuiten. Parlez nous de ce tableau que vous aviez réalisé. Un anyota (homme léopard, ndr) dominant le musée de Tervuren.

François Schuiten (FS) : Pour moi, ce n’est pas un musée de l’Afrique mais un musée des colonies. C’est un musée de la Colonisation ! C'est-à-dire, je l’aime beaucoup mais il doit être remis dans son contexte. C’est un musée qui exprime tout le problème colonial belge. Tout le rêve colonial belge avec toutes les complications, les difficultés que cela induit. Il ne s’agit pas de le regarder littéralement mais il faut le remettre en perspective. Je trouve qu’il y a des choses magnifiques dans ce musée mais j’ai très peur de ce qu’il va devenir. Pour moi, il aurait fallu l’appeler : « musée colonial ». Il faut apprendre à décrypter ce musée et il faut prendre du recul face à ce musée qui mettait en valeur Léopold II et toute cette façon dont on a prit possession de tout un pays. On l’a pillé mais on avait aussi un rêve.

Il n’y avait pas que le Congo car le Rwanda et le Burundi étaient aussi des possessions belges…

FS : Oui, tout à fait !

Et donc là dedans j’ai un mélange de malaise et de fascination. Je suis mal à l’aise car je me rends compte qu’il manque des bribes de lecture, des contrepoints ! Mais je suis fasciné en même tant car je sens bien la relation… organique qu’il y avait entre le Congo et la Belgique.

Evidemment, ils ont essayé, il ne faut pas le nier, avec des expositions de contre-points de remettre en perspective ce musée.

Maintenant, ils veulent toujours garder cette idée d’en faire un musée de l’Afrique mais je crois que c’est cause perdue d’un certain côté. Vous comprenez ? Un musée de l’Afrique demanderait d’être réalisé peut être par des Africains eux même, avec un regard. Mais le bâtiment, tout suinte le regard colonial. Donc, d’un certain côté je me dis : « acceptons ça », mais construisons à côté un musée de l’Afrique, vu par les Africains et que l’on est une espèce de contrepoint.

Pour l’instant, ce qui m’inquiète c’est que l’on essaye de le rénover. Je ne sais pas qu’elle est le projet. Ou comment cela va être organisé. Je pense évidemment qu’il y a des méthodes scientifiques. Maintenant on a un recul. De plus, on fête cette année les 50 ans de la disparition de Lumumba (le 17 janvier, ndr). On se doit de regarder le passé de tous côtés et il faut apprendre à regarder comme ça. A regarder ce qui s’est passé. Ce que l’on a fait, parce que maintenant tout le monde sait quand même, sur l’assassinat de Lumumba. On connait notre responsabilité, avec les Américains, etc. Mais enfin, profondément, c’est les Belges qui n’ont pas supporté de voir disparaitre leur manne…

Et donc, j’ai fait ce dessin sur le sang de l’Afrique qui coule sur ce musée.

C’est le premier dessin qui s’est vendu alors que je croyais que ce dessin allait effrayer tout le monde. C’est un dessin « engagé ». Je ne connais pas l’Afrique, mais je sens bien quelque chose, la culpabilité que nous trainons derrière ça. Une culpabilité qu’il va falloir un jour transformer. Vous voyez ce que je veux dire ? Il va falloir faire quelque chose avec ça. Alors, moi je fais des dessins.

 

 


L’apport des artistes est très important dans la culture populaire, dans l’âme des peuples.

FS : Oui c’est vrai, mais… je m’engage beaucoup pour Bruxelles, par exemple. Pour des tas de choses et des tas de causes mais c’est toujours un peu léger et j’en suis conscient. Je pense que c’est le minimum.

A combien s’est vendu ce dessin ?

FS : Je ne sais pas, je n’ai pas demandé (rires) !

J’avais mis quelques dessins de Bruxelles car je m’étais fait mon propre scénario en fait. J’ai mis un dessin qui est un dessin « des Ailes », qui est dessin très pur ou je me suis reposé la question de celui qui l’avait dessiné. Comment ça s’est fait ? Seul un dessin peut faire ça. Ce n’est pas une photo ! J’ai tout redessiné, puis j’ai fait un dessin sur la place Royale (de Bruxelles, ndr). J’aimais bien l’idée de mettre les trois en relation. J’aime bien les petites histoires, comme ça.

Vous êtes présent ici sur le stand CHAMPAKA, mais aussi sur le stand des Petits Papiers, qui a organisé une expo sur les liens entre la BD et l’architecture… L’architecture, justement qui prend une grande place dans votre vie professionnelle et privée…

Comment avez-vous accueilli la proposition de la galerie des Petits Papiers de vous associer à leur expo ?

FS : Je suis troublé par le rapport qu’ont pris les expositions, les ventes d’originaux, les ventes publiques dans notre métier. Ca me trouble énormément. Je n’ai pas un rapport très clair avec ça et je vous le dis franchement parce que, mon métier, avant tout, c’est de faire des planches pour faire des livres. C’est fait horizontalement. Ca se regarde horizontalement. C’est publié horizontalement et c’est lu horizontalement.

Et puis un jour, je les retrouve verticalement sur des murs et je suis troublé parce que je ne sais trop quoi penser de ça… Je suis content, je ne vais pas le nier mais mon métier c’est avant tout de faire des livres. De raconter des histoires afin de créer de l’émotion. Evidemment, si l’original, à un moment donné est vendu et empêche de faire des livres. Ce qui arrive souvent. Cela me pause un vrai problème parce que l’original doit être toujours disponible pour faire le meilleur livre possible. Donc, il faut toujours revenir au livre car les techniques de gravure évoluent toujours. Le papier évolue. Et que rien ne peut garantir que l’on préserve un scan numérique. Rien ! Il n’y a aucun éditeur. Il n’y a aucun scanneur ou imprimeur qui peut vous garantir qu’un scan va se rouvrir dans dix ans. Les fichiers numériques peuvent disparaitre d’un coup. Et à ce moment là, on est obligé de re-photograver les livres et on ne peut plus revenir à l’original. Je trouve qu’à ce moment là, c’est le lecteur qui est « handicapé », vous voyez ? Le lecteur perd la qualité de ce qui devrait être la fonction première d’une planche.

 

 

 


Donc en somme, vous remettez en question la présence des auteurs de BD dans une manifestation telle que la BRAFA parce que, finalement, votre œuvre n’a pas la même destination qu’une peinture ou une sculpture.

FS : Je veux seulement mettre en perspective et nuancer. Par exemple, quand je vois les peintures qui m’ont troublé lorsque j’ai traversé les différents stands. Des choses magnifiques qui ont été pensées, désirées. Dont le but était d’être au mur. Alors, mettre les deux (une planche de BD avec une peinture ou une sculpture, ndr) en comparaisons, ça… me perturbe. Je n’ai pas d’avis, vous voyez ? J’essai seulement de transmettre mon trouble. En même temps, j’aime beaucoup les gravures. Mettre au mur une gravure ne me dérange pas. J’ai moi-même des planches américaines de mes maitres parce que ça m’aide à faire de la bande dessinée. Je n’ai pas d’avis tranchée parce que, finalement ça me trouble cette évolution. Cette évolution est incontournable parce que beaucoup d’auteurs n’arrivent pas à vivre de leurs droits d’auteur. Donc on arrive de plus en plus à ce que la vente des originaux participe au financement des livres. Je comprends ça et parfois j’accompagne un peu ça. J’essai de faire en sorte que mes originaux qui constituent la base de mes livres ne se vendent pas. Ca c’est vraiment bloqué en banque ! C’est, en quelque sorte le pacte que je fais avec mes lecteurs qui est de toujours leur donner le plus beau livre qui soit. Et si, d’un certain côté, les exposer et les vendre handicape ça, j’ai un vrai problème, parce que je trouve qu’il n’y a rien de plus beau qu’un livre ! Un livre c’est quelque chose qui est lu par beaucoup de gens. Qui va circuler. Et même si il est un peu écorné, s’il a des taches, il aura une vie personnelle. Et il y a des livres comme ça qui ont un parcours incroyable. Par certains côté ça, je dirais, m’émeut plus que quelqu’un qui possède une planche originale et qui doit de plus en plus la protéger pour éviter qu’on la lui vole (rires).

En même temps, je dois avouer que j’en vends! Je suis un peu contradictoire mais je ne sais pas trop quoi penser de tout ça.

Pour conclure, j’aimerais connaitre vos futurs projets.

FS : Je travaille sur beaucoup de choses mais pour l’instant je travaille sur une histoire tout seul. Benoit (Peeters, ndr) devait faire une biographie d’un philosophe français qui s’appelle Jacques Derrida. Donc, il m’a dit qu’il allait être bloqué pendant un an, voir un an et demi et j’en ai profité pour faire une histoire tout seul, qui tourne autour de l’histoire ferroviaire.

Je suis en train de faire parallèlement à cela le futur musée du train à Bruxelles. Qu’est ce que s’est que le train ? L’histoire des cheminots. Ca me passionne ! De nouveau, on ira du réel à la fiction. Je suis en même temps confronté par une mise en scène et par le scénario du scénario du musée, à me plonger dans un monde. Et ce monde me donne envie d’en faire une fiction. C’est un projet très documenté et je rencontre des tas de gens. J’apprends des tas de choses, ce qui me permet de dessiner une belle histoire.

Cela paraîtra quand ?

FS : Ce sera publié chez Casterman, en 2012

 

 



Publié le 24/03/2011.


Source : Graphivore

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