« - Alors, dites-moi, Claire, vous êtes à quel niveau d’études ?
- Bac +5 en fin d’année.
- Bac +5 ! Ah ! Attendez, je dois passer un coup de fil… Allô, Jean-Jacques ? C’est Jean-Luc… Oui, enfin, Bernard, quoi, de la S.D.E.L.P.A… Huum… Rappelle-moi à quel niveau il est ton stagiaire en com’, là ?... Bac +3, non ? Ah, ah, minable ! J’ai une Bac + 5 en ce moment même ! Dans ton cul, Jean-Jacques ! »
Claire, stagiaire, vient d’arriver dans l’entreprise. Elle s’apprête à découvrir le monde merveilleux de l’entreprise. Elle est accueillie par Jean-Luc, que tout le monde appelle Bernard parce que c’était le nom de son prédécesseur. Il passe sa journée à faire semblant d’être débordé. Ça n’arrête pas. Ça-n’a-rrê-te-pas ! Avec lui, Claire va apprendre plein de choses hypra-intéressantes, comme par exemple que le mot-dièse sur la touche 3 s’appelle un hashtag. Claire assistera à des réunions dont personne ne connaît ni le sujet ni l’horaire. Elle apprendra qu’il y a aussi des potages dans la machine à café, qui n’aura plus de secret pour elle, pas plus que le photocopieur.
© De Thuin, Bernstein - Fluide glacial
Jorge Bernstein et David De Thuin analysent finement le monde de l’entreprise de sa découverte à la quête du bien-être infini en passant par les espaces de vie commune et les enjeux et défis de la société. La richesse d’une entreprise, ce sont les hommes qui la composent. C’est pour ça que la Sotipec est une entreprise de pointe. T’as qu’à croire. Les auteurs raillent cet univers si réel qui est devenu une caricature de lui-même. Quiconque travaille dans ce type de boîte se demandera si l’album est fait pour faire rire ou pleurer, et à quel moment la réalité dépasse la fiction.
© De Thuin, Bernstein - Fluide glacial
On se demande parfois si on est dans un pays étranger ou sur une autre planète. Une pause technique ? Arrêtez-vous aux LAIVHS : les lieux d’aisance intime à vocation hygiénique et sanitaire, autrement dit les toilettes. Chaque service accueillant des stagiaires, il y a même des compétitions pour savoir qui a le meilleur. Bernstein et De Thuin ne leur épargnent rien. Faudra même rencontrer Gérard, le boute-en-train du service qui met son derrière sur le photocopieur. C’est drôle, très drôle. L’acidité de Bernstein s’allie à merveille à la rondeur du graphisme de De Thuin. L’humour fluide est en grande forme pour notre plus grand bonheur.
© De Thuin, Bernstein - Fluide glacial
Alors, quelle épreuve sera la plus terrible pour Claire ? Celle des agrafes et agrafeuses ou bien celle des organigrammes ?Heureusement que les instants sophrologie et yoga vont lui permettre de prendre pleine conscience de ce qui lui arrive.
Laurent Lafourcade
One shot : Rapport de stage
Genre : Vie d’entreprise
Scénario : Jorge Bernstein
Dessins & Couleurs : David De Thuin
Éditeur : Fluide glacial
Nombre de pages : 56
Prix : 12,90 €
ISBN : 9791038204003
« - Bonjour, ça va bien ?
- Ouais, tranquille.
- Vous en amenez combien, cette fois ?
- Sept, pas de femme mais un mineur.
- Oh putain, on va le mettre où ? Ça explose ici ! Bon, on sépare. Vous faites descendre le mineur en premier. »
Ben N’kante a dix-sept ans. Il vient d’arriver à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. C’est la plus grande prison d’Europe. 2857 places, mais 4484 détenus dont 97 mineurs. Cherchez l’erreur. Les flics sont venus chercher Ben dans son lycée à Noisy-le-sec. Dès l’entrée de la prison, on lui enlève ses affaires, on prend ses empreintes et on lui demande de se mettre à nu pour être certain qu’il n’introduise rien dans sa cellule. On lui donne un numéro d’écrou; ce sera sa nouvelle identité. Entre les cours le matin et les promenades, on suit le quotidien de Ben en incarcération pendant un an.
© Dautresme, Bast - Futuropolis
Isabelle Dautresme est journaliste, entre autres, au Monde. Elle est également formatrice de futurs journalistes aux techniques de l’enquête. Elle est spécialisée dans les questions d’éducation des mineurs prisonniers. Chaque année, trois mille mineurs de 13 à 18 ans sont emprisonnés en France, souvent en attente de leur jugement. A travers l’histoire fictionnelle de Ben qui synthétise la vie de plusieurs d’entre eux, Dautresme montre comment la prison aggrave sa condition. Accusé de viol en réunion, il affirme n’avoir rien fait. Il était là mais prétend ne pas avoir touché la victime. Il n’est pas intervenu non plus pour empêcher l’agression. « On m’aurait pris pour un pédé ! », se plaint-il à la juge. Avec Ben, on va assister à la sombre vie en prison, jour après jour. On assistera à des bagarres entre prisonniers et on tentera de supporter le bruit et les cris venant d’autres cellules. On va compter les jours, jusqu’à l’anniversaire des 18 ans. Mais alors, que se passera-t-il ?
© Dautresme, Bast - Futuropolis
Bast a animé un atelier BD pour mineurs à la maison d’arrêt de Gradignan en Gironde. Il l’a raconté dans « En chienneté », paru en 2013 à La boîte à bulles. Avec 17 piges, il met en image cette chronique d’une année en prison. Il montre comment l’état mental et physique de Ben se dégrade. Bast a travaillé l’album en tons sépias. Il n’y a pas de couleurs. Mais comment pourrait-il y en avoir en taule ? La seule lumière colorée qu’il aurait pu y avoir c’est quand le regard de Ben croise celui de sa mère au Palais de Justice, une scène que Bast retranscrit dans un instant suspendu, comme si les acteurs voulaient que cette seconde ne s’arrête jamais.
© Dautresme, Bast - Futuropolis
Dans un dossier final détaillé et objectif, Isabelle Dautresme montre les dégâts de l’incarcération en quartier pour mineurs ou en établissement pénitentiaire pour mineurs et explique que l’enfermement doit être une solution de dernier recours. Le droit à l’éducation n’est pas toujours respecté dans les établissements. Le taux de récidive des jeunes est élevé. Enfin, la journaliste expose la réforme de la justice des mineurs décrétée en septembre 2021.
On pourrait regretter la fin très abrupte du récit mais les auteurs ont respecté le cahier des charges qu’ils se sont imposés au départ : les 17 piges. On voudrait à présent connaître la suite de la vie de Ben. Si la prison s’est refermée, on a envie qu’une suite s’ouvre.
Laurent Lafourcade
One shot : 17 piges Récit d’une année en prison
Genre : Reportage
Scénario : Isabelle Dautresme
Dessins & Couleurs : Bast
Éditeur : Futuropolis
Nombre de pages : 128
Prix : 20 €
ISBN : 9782754829052
« [La bande dessinée] porte certainement témoignage de son temps, si c’est fait par quelqu’un qui croit à ce qu’il fait, puisqu’elle naît dans un contexte où l’auteur lui-même baigne dans un contexte politique, social, tout ce qu’on veut, qui fait que c’est un témoignage. Et d’autre part, le fait d’avoir fait Tintin pendant plus de quarante ans, et dans des époques très différentes, représente forcément des témoignages successifs d’époques différentes. »
Lors d’un cours à la Sorbonne en 1974, Hergé expliquait à Francis Lacassin et à l’auditoire comment Tintin avait traversé le siècle. L’auteur se documentait. Féru d’actualités, il s’en servait de déclencheurs pour imaginer ses histoires. N’oublions pas que Tintin a démarré dans un quotidien : Le petit vingtième. Au fil des ans, Hergé s’est constitué une base de documentation solide qui le nourrira. De journaux en magazines, d’articles en photos, de témoignages en essais, Hergé conservait tout ce qui pourrait lui servir dans ses fictions. Tintin marcha dans l’Histoire avec un grand H, et ce dès sa première aventure au pays des Soviets, jusqu’aux Picaros évoquant les révolutions en Amérique latine. Paradoxalement, Tintin reste intemporel, Hergé ayant gommé les allusions trop pointues au fil des rééditions. C’est pour cela que Bob Garcia choisit dans son ouvrage de décrypter d’un point de vue historique les versions d’origine des aventures de Tintin.
© Desclée de Brouwer
Bob Garcia commence par recontextualiser le monde à la naissance de Hergé en 1907. Où en sont le cinéma, le scoutisme, la presse, la radio, l’aviation, tout ces thèmes qui l’intéresseront ? Garcia explique ensuite comment Hergé a pris goût à l’actualité et à l’Histoire, puis raconte ses débuts dans la profession. Hergé n’a pas attendu Tintin pour se pencher sur ces thèmes. L’essentiel de l’essai est consacré à l’Histoire et aux actualités au fil des aventures de Tintin. Garcia présente Tintin comme un condensé de célébrités réelles ou fictives de son temps. Il y a du Rouletabille dans Tintin, du Buster Keaton, de l’Albert Londres, pour ne citer que les plus connus. N’oublions pas Milou, également témoin de son temps.
© Desclée de Brouwer
Pour Tintin au pays des Soviets, Garcia revient sur la Révolution d’Octobre, sur la Tchéka (police politique) et la Guépéou qui lui succèdera. Pour Le Lotus Bleu, l’auteur raconte l’incident de Moukden, attentat ferroviaire en 1931, sur la position géopolitique de Shangaï, ou encore sur le trafic d’opium dont l’emprise domine sur la Chine depuis des siècles. Pour L’étoile mystérieuse, on apprend comment un discours du Roi Albert 1er en 1927a donné l’impulsion à la création du fonds national de recherche scientifique qui permit des expéditions polaires. Pour le diptyque lunaire, Garcia remonte à 1883 (!) et à la première conception de la fusée à étages pour explorer l’espace. L’auteur termine par l’analyse de Tintin et l’Alph’Art avec notamment l’histoire de Fernand Legros, marchand d’art américain d’origine française vendeur de faux tableaux. Tout ça ne sont que quelques exemples dans cet ouvrage indispensable non seulement à tous les tintinophiles, mais aussi aux amateurs d’Histoire au sens large. On ne s’ennuie pas une seconde. C’est fascinant.
© Desclée de Brouwer
Quand on a fini de lire Tintin, on peut recommencer à lire Tintin. On y trouvera toujours quelque chose de nouveau. Grâce à une citation issue d’un entretien avec Henri Roanne rapporté dans Hergé, fils de Tintin, par Benoît Peeters, laissons à Hergé lui-même la conclusion de cette chronique : « Je suis très perméable, très influençable, et à ce titre un excellent médium… Tous mes albums portent la trace du moment où ils ont été dessinés. ».
Laurent Lafourcade
One shot : Tintin & l’Histoire
Genre : Ouvrage d’étude
Auteur : Bob Garcia
Éditeur : Desclée de Brouwer
Nombre de pages : 260
Prix : 19,90 €
ISBN : 9782220097718
« - Qu’est-ce ? L’image en 3D de l’un des stellites de Saturne… ou d’une grosse météorite voire d’un astéroïde ?
- Ni l’un ni l’autre, mais ce qu’il reste d’une comète morte !
- Une comète morte ?
- Dont il ne subsiste que le noyau…
- Quelle en est sa nature ?
- De la glace d’eau renfermant des roches d’oxygène ! Cet « iceberg » de l’espace est devenu micro-satellite tournant à bonne distance de Saturne. »
Khâny présente à Yoko et à Vic un noyau de comète morte contenant de l’oxygène et de l’eau, soit de quoi en extraire la vie et la transposer ailleurs. Onze vaisseaux quittèrent jadis la planète Vinéa. Parallèlement, les éléments d’une future cité spatiale furent lancés, cité à laquelle la comète devait fournir eau et oxygène. Cette comète fut retrouvée, mais jamais la ville. Direction la base vinéenne de Saturne. Un message en provenance de la comète Ryâ laisse supposer qu’il y aurait quelqu’un à sauver : un biologique.
© Leloup - Dupuis
Aventure spatiale pour Yoko et ses compagnons. Tous sont là au rendez-vous : Vic et Pol, mais aussi Rosée du Matin qui retrouvera son amie Poky. Emilia est elle aussi du voyage. L’intelligence semi-artificielle Akina fait maintenant partie de la famille des personnages récurrents.
Si côté acteurs le dessinateur accuse le coup avec quelques attitudes et personnages moins réussis, Roger Leloup reste au top de sa forme pour les décors. Planètes et vaisseaux sont au programme de cette trentième aventure de l’électronicienne. L’auteur soigne le moindre des arrière-plans. Chaque trait est minutieusement posé, avec une application méticuleuse dont il est l’un des derniers chantres. Tout cela prouve que le travail acharné offre une récompense de régularité. Leloup met deux ans pour proposer chaque nouvelle aventure de Yoko Tsuno. Il travaille seul et s’impose une discipline stricte. Le résultat est payant.
© Leloup - Dupuis
Yoko Tsuno est une série qui reste définitivement moderne. Son auteur a toujours été en avance sur son temps, notamment dans les thématiques traitées. Ici, il est question d’intelligence humaine ou artificielle, issue d’un processus biologique ou technique. Et n’y aurait-il pas une autre forme d’intelligence que nous ne pourrions pas encore définir ?
© Leloup - Dupuis
Dans un entretien accordé à BD-Best en 2015, Roger Leloup déclarait : « Si j’ai gardé, au fil des ans, autant de passion à faire vivre Yoko, c’est parce qu’elle m’offre un éventail imaginaire très varié dans lequel je peux lui offrir action et réflexion dans une ambiance saine.… En bref une existence réelle dans laquelle je veille sur son image physique et morale. Il est une devise qui me guide : Ne pas donner aux enfants des autres ce que je ne voudrais pas que les miens lisent ! »
Monsieur Leloup, les lecteurs ne demandent qu’à lire encore de nouvelles aventures de Yoko.
Laurent Lafourcade
Série : Yoko Tsuno
Tome : 30 - Les gémeaux de Saturne
Genre : Aventure
Scénario & Dessins : Roger Leloup
Couleurs : Leonardo
Éditeur : Dupuis
Nombre de pages : 48
Prix : 10,95 €
ISBN : 9791034754281
« - Bienvenue chez toi, héros.
- De nombreuses personnes pourraient s’offusquer d’un tel usage du mot, dans le monde extérieur.
- Je m’en fiche. Tu es un héros.Tu as sauvé beaucoup de gens, construit un abri pour ceux qui n’en avaient plus, montré que les rêves peuvent se réaliser.
- J’aimerais que ce soit aussi simple.
- Ça l’est. Tu as réalisé tous mes rêves sauf un seul.
- Monica, je pensais qu’on avait déjà… Est-ce que tu entends ça ?
- Frankie, du calme. Tu viens de sauver le Président. Personne ne va venir te chercher... »
Dans un fracas épouvantable, un missile déboule dans le bâtiment. Un grand gaillard bleu, tout recousu, l’attrape à pleins bras et le renvoie à l’expéditeur. Vous croyiez le connaître. Son nom est herméneutique. Il s’est chargé de sens, est devenu un symbole, un conte. Pour certains, son nom est un avertissement. Pour d’autres, il va du blasphème à la plaisanterie. Une lugubre nuit de Novembre, son créateur cousit avec minutie les parties d’un cadavre pourrissant afin de lui donner vie. Ce père lui donna son nom : il s’appelle Frankenstein. L’éclair lui a fait ouvrir les yeux. Le tonnerre lui a donné sa voix. Est-ce un monstre ? Est-ce un messie ? Tout ce que vous avez toujours su sur Frankenstein va changer.
© Wachowski, Wachowski, Skroce - 2022 Huggin & Muninn/Dargaud pour la présente édition
Ce n’est pas l’histoire que l’on connaît tous de Frankenstein que nous racontent Steve Skroce et les sœurs Wachowski. C’est celle d’une abomination de la nature qui a choisit de lutter contre les monstres, surnaturels ou humains. Sa mission est de sauver la Terre de l’Apocalypse. La tâche est d’autant plus complexe qu’il est la cible d’hommes d’Eglise qui voient en lui un suppôt de Satan.
© Wachowski, Wachowski, Skroce - 2022 Huggin & Muninn/Dargaud pour la présente édition
On retrouve dans Doc Frankenstein tout ce qui fait le succès des productions Wachowski, que ce soit Matrix, Sense 8 ou leurs autres réalisations. Plus encore ici, les Wachowski ont mis beaucoup d’elles dans cette histoire. Nul n’ignore que les frères sont devenues des sœurs. Tout comme le fameux Docteur de Mary Shelley a transformé, a opéré pour créer Frankenstein, les garçons ont été opérés pour devenir des filles, chirurgie ô combien complexe et psychologique. Elles se projettent dans le personnage du monstre et en font un sauveur de l’humanité, introduisant dans le récit une dimension théologique revenant sur le parcours de la Vierge Marie et de Jésus-Christ. Au final, leur Frankenstein est plus proche de Hellboy que du personnage originel.
Au dessin, Steve Skroce dynamite le mythe. Le Comics est puissant. Il y a de grandes envolées explosives et lyriques, avec également parfois une dose d’humour, parfois dans des séquences où l’on s’y attend le moins. Jésus sous champignon, ça vaut le détour. N’oublions pas non plus la contribution de Geof Darrow qui a participé à la genèse du concept.
© Wachowski, Wachowski, Skroce - 2022 Huggin & Muninn/Dargaud pour la présente édition
La longue introduction de Lana Wachowski revient sur la création de leur série réunie ici en intégrale, et sur les bouleversements dans sa vie et celle de sa sœur tout au long de ces dernières années, sur leur transsexualité. Elle conclue de la manière la plus belle qui soit : « Nous avons besoin de nouvelles histoires. Nous avons besoin que d’autres « outsiders » partagent leurs expériences et leur point de vue. Les choses changent mais si nous voulons qu’elles changent au mieux, nous devons souvent commencer par changer nous-même. » Ne vous attendez donc pas à lire une simple histoire revisitée de Frankenstein. Le sujet est bien plus profond.
Dans une surenchère d’action et de violence, Frankenstein se métamorphose en super-héros dans un comics prêt à être adapté sur le grand écran.
Laurent Lafourcade
One shot : Doc Frankenstein
Genre : Fantastique
Scénario : Lana et Lilly Wachowski
Dessins : Steve Skroce
Couleurs : Jason Keith, Shannon Blanchard, Jeromy Cox & Richard Isanove
Éditeur : Huggin & Muninn
Nombre de pages : 240
Prix : 24,95 €
ISBN : 9782364808379
Publié en 2020 aux Etats-Unis, primé à de nombreuses reprises dont l'Alex Award 2020 pour lecteurs ados et adultes et le Stonewall book award 2020, ce roman graphique autobiographique né d'un travail universtaire (réalisé la liste de ses plus grands secrets !) est pour Maia Kobabe une étape indispensable avant de pouvoir écrire d'autres histoires, des fictions vraies.
Paradoxalement c'est aussi le roman graphique le plus contesté et censuré en 2021 aux Etats-Unis ! Considéré comme amoral, pornographique, ... il a été interdit et banni dans les bibliothèques et les établissements scolaires américains.
L’histoire ?
Qui es-tu ? Qu’es-tu réellement ? Le sais-tu par ta naissance, tes papiers ou par ton âme, ton tréfonds intérieur ?
Pas évident de répondre à ces questions quand on est enfant et qu’en grandissant, on ne se sente pas « bien » dans son corps, qu’une impression « d’erreur » de départ s’est glissée dans notre genre ! Qu’au lycée, on commence à émettre l’hypothèse qu’on est né(e) avec 2 moitiés d’âme : une féminine et une masculine !
Que se passe-t-il lorsque le corps ne s’entend pas avec l’âme et que le chemin pour se réaliser pleinement est long, pénible, semé d’embûches, d’incompréhensions ou de regards moralisateurs et de jugements ?
© Maia Kobabe - Casterman
Voilà ce que raconte le journal de l’Américain.e Maia Kobabe. Son long chemin vers son coming out non binaire et asexuel … depuis le moment où les premières questions sont apparues jusqu’à sa vie d’adulte pleinement assumée en passant par l’annonce à sa famille, ses proches, ses camarades ou plus tard collègues, …
Une quête identitaire pas toujours facile à exprimer puis à faire comprendre à celles et ceux qui ne connaissent pas ces tourments intérieurs.
© Maia Kobabe - Casterman
Avec une sincérité naïve, Maia Kobabe aborde tous les sujets qui ont alimenté ses doutes, ses craintes et ses peurs face aux autres. Qu’ils soient simplement vestimentaires ou plus complexes comme les visites médicales, voire les prémices d’une sexualité floue, ille nous offre son parcours sans censure, ni démagogie.
© Maia Kobabe - Casterman
Un guide à la fois émouvant, touchant qu’il peut être utile et instructif, voire pédagogique pour l’entourage. Récit cathartique d’un cheminement vers une identification reconnue de quelqu’un qui affirme simplement : « Je ne veux pas être une fille. Je ne veux pas non plus être un garçon. Je veux juste être moi-même ».
© Maia Kobabe - Casterman
Avec un dessin fluide, doux et agréable aux yeux, le lecteur se retrouve le témoin discret de ce récit si personnel. Une certaine douceur émane de chaque page et nous transporte dans l’intimité de Maia Kobabe. Cela se lit comme une autobiographie bienveillante, remplie de questionnement et de clés de compréhension.
On en ressort différent, avec un regard nouveau et une tendresse sincère pour ille.
Note finale du récit dédiée par Maia à ses parents : « Même si j’ai eu du mal à être votre fille, je suis très, très reconnaissante d’être votre enfant. »
Thierry Ligot
Titre : Genre Queer
Genre : Roman graphique – homosexualité & bande dessinée
Éditeur : Casterman
Scenario : Maia Kobabe
Dessins : Maia Kobabe
Nombres de pages : 240
Prix : 19,00 €
ISBN : 9782203224322
« - Edward Theodore Gein ! Espèce de stupide gosse ! Qu’est-ce que tu fabriques ?! Tu as failli tomber dans l’escalier et te briser le cou !
- Pardon ! Pardon, Maman !
- Seule une mère serait capable de t’aimer, espèce de petit crétin ! »
Edward Theodore Gein naquit le 27 août 1906. Dès le premier jour, il eut des rapports particuliers avec sa mère. Celle-ci vécut comme un châtiment divin d’avoir enfanté d’un bébé dont elle déteste le père, pourtant son époux. Qui plus est, l’enfant est un garçon, avec ce sale machin entre les jambes. Alors, elle se promet qu’il ne finira pas comme les autres hommes. Les parents Gein tiennent une épicerie à La Crosse, dans le Wisconsin. Ed a un grand frère, Henry. Augusta, la mère, prétend être la seule capable de s’occuper de son fils. George, le père, est alcoolique et violent. Lorsqu’il décède en 1940, Ed vivra la période la plus heureuse de sa vie. Mais lorsque ce fut au tour de sa mère, en 1945, ce fut un choc énorme. Ed deviendra tueur et nécrophile, déterrant et découpant des cadavres. L’histoire éclatera dans la presse en 1957.
© Schechter, Powell - Delcourt
Lorsque sort sur les écrans le film d’Alfred Hitchcock Psychose en 1960, le réalisateur prétend ne pas prendre de position morale dans son long métrage. Le film traite de gens dérangés à qui on ne peut appliquer de notion de moralité. Le roman qui a inspiré le film était basé sur un fait réel, l’histoire d’un homme qui avait gardé le corps de sa mère dans sa maison. C’était l’histoire d’Ed Gein. Dans son flegme légendaire, le grand réalisateur ne pouvait que supposer qu’il avait bu un verre de lait avant de commettre ses crimes.
© Schechter, Powell - Delcourt
Harold Schechter est un journaliste et écrivain américain spécialisé dans les serial killers. Il a enquêté minutieusement sur la vie d’Ed Gein. On se croirait dans la série True Detective. C’est glauque et malsain. L’éditeur a mis un avertissement aux lecteurs en quatrième de couverture. Certaines scènes semblent être issues de films de David Fincher. Ed était un chuchoteur de Walking Dead avant l’heure, découpant les visages de cadavres pour se les mettre sur la face. Au co-scénario et au dessin, Eric Powell reste dans des niveaux de gris verdâtres. Une mise en couleurs classique aurait rendu certaines scènes insupportables. Powell représente un Ed Gein au regard terrifiant. Les scènes d’interrogatoires et de procès en fin d’album sont assurées dans un découpage en gaufrier diaboliquement efficace.
© Schechter, Powell - Delcourt
Massacre à la tronçonneuse et Le silence des agneaux doivent beaucoup à Ed Gein. Faites entrer l’accusé ! Ed Gein, autopsie d’un tueur en série est un one shot glaçant qui démontre que la réalité peut parfois dépasser la fiction.
Laurent Lafourcade
One shot : Ed Gein, autopsie d’un tueur en série
Genre : Drame biographique
Scénario : Harold Schechter & Eric Powell
Dessins & Niveaux de gris : Eric Powell
Traduction : Lucille Calame
Éditeur : Delcourt
Nombre de pages : 288
Prix : 24,95 €
ISBN : 9782413046424
« - Simone, viens vite voir ! Ils parlent de la gestapo de Lyon sur la 2. tu es toute pâle, qu’est-ce qui t’arrive ?
- Tu vois, ce type… Il serait plus jeune… Il serait en couleur… On dirait celui qui m’a torturée. »
2 février 1972, à La Tronche, en Isère, Simone Lagrange aperçoit à la télévision le visage d’un homme qu’elle semble reconnaître. Cet individu, le « boucher de Lyon », serait le nazi qui l’aurait torturé vingt-huit ans plus tôt, 33 place Bellecour, à Lyon. Elle a des doutes. Est-ce bien lui ? Il faudrait qu’elle le voit bouger pour en être certaine. Et qui est cette ombre qui se penche sur l’épaule de Simone et la pousse à ne pas se replonger dans cette histoire qui ferait mal à tout le monde? Simone va revivre son enfance depuis 1939 et se remémorer les années de guerre, l’occupation, les bombardements et ranimer ses souvenirs douloureux d’enfant juive dans la période la plus noire de l’histoire de l’humanité.
© Evrard, Morvan, Walter - Glénat
Après la vie d’Irena Sendlerowa, David Evrard et Jean-David Morvan se penchent sur celle de Simone Lagrange, et par ricochet sur les exactions de Klaus Barbie. Au-delà du drame de la déportation, les dégâts qu’a fait la guerre au sein même des familles est mis en exergue au travers du personnage de Jeanne. Orpheline recueillie à bras ouverts par la famille de Simone, elle passera du rôle de victime à celui de bourreau en devenant l’éminence grise des responsables de la gestapo. Simone Lagrange est née Simy Kadosche. Elle deviendra l’un des témoins clés du procès Barbie, mais ça, l’histoire le racontera certainement plus tard. Engagée très jeune dans la Résistance, elle sera la face opposée de Jeanne, des Caïn et Abel de la Seconde Guerre mondiale.
© Evrard, Morvan, Walter - Glénat
David Evrard montre une Simone déterminée et n’ayant pas froid aux yeux. C’est une réelle enfant de la résistance. Jeanne est satanique et porte en elle l’injustice qu’elle a vécu d’avoir perdu ses parents. Quant à Klaus Barbie, il porte en lui la fourberie des dirigeants nazis. Comment pourrait-on se méfier d’un brave homme qui caresse un chat ? Mais quand le regard de haine prend le dessus, le requin laisse apparaître ses dents acérées. Evrard a le pouvoir rare de rendre glacial un dessin ligne claire que l’on classerait tous publics.
© Evrard, Morvan, Walter - Glénat
Quand on parle de personnages aux pouvoirs exceptionnels, on pense à tort aux héros de fiction. Simone Lagrange rejoint Irena Sendlerowa et Madeleine Riffaud dans la série des super-héroïnes de la vraie vie dont jean-David Morvan a entrepris de raconter le destin.
Laurent Lafourcade
Série : Simone
Tome : 1 - Obéir c’est trahir, désobéir c’est servir.
Genre : Drame historique
Scénario : Jean-David Morvan
Dessins : David Evrard
Couleurs : Walter
Éditeur : Glénat
Nombre de pages : 72
Prix : 15,50 €
ISBN : 9782344043158
« Je me souviens… Je me souviens de mes premières figurines BD. C’était à l’époque où je fréquentais l’école communale... »
A la manière de Georges Pérec qui racontait des bribes de souvenirs dans « Je me souviens » en 1978, Turf, auteur de La nef des fous, préface cette encyclopédie des figurines de collection franco-belge en résine orchestrée par Christian Mallet. Turf se rappelle des Tintin monochromes Steenval dans des petits sachets achetés en maisons de la presse. Il n’a pas oublié non plus les Schtroumpfs Bully et les cadeaux des stations Esso. Il se souvient que, plus tard, étudiant aux Beaux-Arts, il est rentré de Paris avec une poupée Tintin et une fusée Aroutcheff. Le virus de la collectionnite de produits dérivés était en route. Impossible de faire marche arrière. Les recueils CAC3D étaient donc la meilleure chose qui pouvaient arriver pour assouvir sa passion.
© Mallet - Côte-à-cas éditions
Il y a des albums CAC3D consacrés à Hergé, à Spirou, à Uderzo ou à d’autres auteurs ou séries. Celui-ci est d’une part plus général car il traite de tous types de BD, réalistes ou humoristiques, mais resserre sa cible sur les figurines franco-belge en résine. Pas moins de trente-quatre fabricants sont recensés dans cette édition, des plus connus (Attakus, Fariboles, Leblon Delienne, Pixi,…) à d’autres moins exposés (Crognote Production, Grieco Collection,…).
© Mallet - Côte-à-cas éditions
Si l’on retrouve de grands classiques représentés comme un buste de Pélisse, un Espadon, des Schtroumpfs ou des motards du Joe Bar Team, on découvre des merveilles comme un Soda enfilant sa veste, Bizu, Schnockbul et Mukès marchant dans la neige, ou encore Jérôme Moucherot sur le museau d’un crocodile. La bande dessinée italienne est mise à l’honneur par Infinite Statue, avec Corto évidemment, mais aussi Zorry Kid de Jacovitti, Martin Mystère, Tex ou Dylan Dog entre autres. On trouve même dans ce livre un Kid Lucky sculptant un totem produit par CAC éditions et Christian Mallet himself en 2016 : 45 exemplaires réalisés sur les 70 prévus, estimés à 480 €.
© Mallet - Côte-à-cas éditions
Parmi les curiosités, on notera une splendide scène issue du Pays maudit dans laquelle Johan et Pirlouit se penchent sur un groupe de Schtroumpfs, parue chez Fariboles. La scène complète est à 1800 €, alors que les éléments séparés (Johan + Pirlouit + socle Schtroumpfs) font un total de 1760 €. On retrouve la même différence avec le Cosmoschtroumpf et sa fusée. Autre curiosité, rigolote, il y a cette Colombe Tiredaile en trois modèles : agenouillée, légèrement dévêtue, puis vêtue de légèreté, une jolie litote pour dire toute nue.
On pourrait disserter des heures sur ce recueil. Il vaut mieux que vous le consultiez. Vous le lirez avec plus de plaisir que ne le fait le père de Boule avec son journal troué par Bill chez Leblon Delienne.
Laurent Lafourcade
Série : CAC 3D - Encyclopédie des produits dérivés
Tome : Encyclopédie des figurines de collection Franco-Belge résine
Genre : Argus
Auteur : Christian Mallet
Éditeur : Côte-à-cas éditions
Nombre de pages : 240
Prix : 39 €
ISBN : 9782491066031
« - J’allais pour rentrer les poubelles quand je l’ai vue… Sur le coup, je l’ai pas reconnue… Mais sa tête était intacte… C’est comme ça que j’ai su que c’était elle !
- Pauvre petite Zara !
- C’est horrible !
- Je ne pouvais pas la laisser comme ça… Alors j’ai pris un grand sac plastique, puis j’ai ramassé les morceaux… Y en avait partout !
- Je vous remercie de vous en être aussi bien occupée !
- Ah ! Vous voilà ! Figurez-vous que Zara… la chatte de votre voisine… est morte cette nuit ! »
Ben débarque en pleine conversation de voisines dans le hall de son immeuble. Zara, la chatte de sa voisine a été retrouvée morte. Elle aurait pu tomber en sautant sur son balcon pour aller chez sa maîtresse. Elle est bien venue chez lui et est restée un moment sur le canapé. Puis elle est repartie… Enfin, ça, c’est que dit Ben. Il faut dire que ce con de chat l’a griffé. Ben l’a attrapé par le cou et l’a jeté dans la rue, depuis l’étage. Ainsi démarra la croisade de Ben à l’assaut des cons, un engrenage infernal qu’il n’arrivera pas à stopper, se débarrassant de tous types de cons, animaux, puis humains, qui croiseront sa route.
© Corbeyran, Saint-Georges - Jungle
D’après le dictionnaire, un con est quelqu’un d’idiot, un imbécile, une personne stupide. Ben fait une allergie aux cons. Après avoir tué le chat de sa voisine, il s’en prend à tous ces cons d’animaux promenés en laisse par leurs propriétaires. Il tranche les laisses, kidnappe les bêtes et les trucide. Sa carrière d’assassin animalier s’arrêtera le jour où il tuera sa conne de concierge. Ce ne sera que la première victime d’une longue série, s’écrivant dans une surenchère morbide.
© Corbeyran, Saint-Georges - Jungle
Corbeyran adapte le roman de Carl Aderhold et s’attaque au vaste sujet de la connerie. Jusqu’à quel point peut-on laisser un con nous marcher sur les pieds ? Qui sont-ils pour se permettre de nous ennuyer ? Déjà, Georges Brassens dissertait sur le sujet. Il y a les jeunes blancs-bec qui prennent les vieux mecs pour des cons. A contrario, les vieux fourneaux prennent les jeunots pour des cons. Bref, le temps ne fait rien à l’affaire : quand on est con, on est con ! Ben a écouté Brassens et en a tiré ses conclusions. Il n’y a pas de remède à la connerie. Il faut donc rayer de la carte les malheureux incurables qui en sont victimes. Les victimes entourant de plus en plus le jeune homme, la police, et en particulier le Commissaire Marie, ne va pas tarder à s’intéresser de très près à lui. Suivront quelques scènes, quelques joutes verbales, dignes des meilleurs épisodes de Columbo dans lesquels le lieutenant tente de confondre le suspect.
Lauréat d’un prix Jeunes Talents au festival d’Angoulême en 2018, Alexis Saint-George signe son premier album. L’ensemble est fort honorable, même si certaines expressions exacerbées sont encore un peu vertes. Les plans d’ensemble sont maîtrisés, la couverture est efficacement redoutable. Le dessinateur a un potentiel de progression certain.
© Corbeyran, Saint-Georges - Jungle
Il paraît qu’on est tous le con de quelqu’un. Tant qu’on n’est pas celui de Ben, pas d’inquiétude. Cynique et drôle, avec une conclusion arrivant comme une sentence, Mort aux cons montre ce que certains pourraient parfois avoir envie de faire quand certains cons les poussent à bout. Mais faut pas ! Non, faut pas ! Ben le fait pour vous ! « Mort aux cons ! » est le nom de Baptême de la première jeep qui rentra dans Paris à la Libération. « Vaste programme ! » commenta le Général de Gaulle.
Laurent Lafourcade
One shot : Mort aux cons
Genre : Polar
Scénario : Corbeyran
D’après : Carl Aderhold
Dessins & Couleurs : Alexis Saint-Georges
Éditeur : Jungle
Collection : RamDam
Nombre de pages : 136
Prix : 18,95 €
ISBN : 9782822230476
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