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Renaud Dillies met en musique un loup amnésique : « Mes récits animaliers sont paradoxaux, je n’y parle finalement que de l’…Homme »

Après avoir fréquenté le bayou avec Alvin et Régis Hautière, Renaud Dillies a suivi les notes et la musique qui l’ont amené à errer et aider une autre âme en peine: Loup. Ou comment un amnésique anonyme va trouver sa voie en posant ses mains et sa voix sur une guitare. Mais le succès fait-il oublié qui l’on est et qui l’on est pas ? Interview avec Renaud Dillies qui met de bien belle façon des dessins sur la musique, avec la complicité de Christophe Bouchard aux couleurs.

 

 

 

 

 

© Cécile Gabriel



Bonjour Renaud, vous nous revenez avec Loup, que vous avez, écrit, dessiné, colorisé et, j’allais dire… « composé » tellement la musique y a encore une place primordiale. Seriez-vous aussi musicien ?

Oui, et guitariste, notamment. C’est vrai que la musique tient une place particulière dans mes albums. J’ai du un peu délaissé ma guitare pour m’investir dans le dessin. Elles sont chronophages, ces choses-là.

 

 

 

 

© Dillies/Bouchard chez Dargaud

 

Cela dit, votre album donne l’impression d’avoir été mis en musique. Vous en écoutez durant votre phase de création ?

Énormément. Je me fais des playlists et, pour chaque album, je pense pouvoir dire ce que j’écoutais comme musique. Pour Loup, c’était une bande-son plutôt jazzy, plus ou moins rock. Il y avait énormément de Charlie Haden, ce grand contrebassiste de jazz, mais aussi du Pink Floyd. Comme quoi… Je cultive et écoute de toutes les musiques. Rien que dans les guitaristes, il y en a plein qui m’inspirent. Comme Pat Metheny, encore plus en acoustique, Django Reinhardt ou Eric Clapton. Je n’en cite que trois, c’est déjà pas mal, mais il y en a tellement pour qui l’amour que je porte à leur égard n’a d’égal que mon admiration. Ils me captivent, ils m’envoient tellement d’images.

Quand j’écoute de la musique, j’ai très vite des images qui me viennent en tête. Je pense même pouvoir dire qu’en général, le personnage s’impose à moi.

Votre héros, c’est ce loup musicien, amnésique, dans une posture dont on n’a pas l’habitude pour ce genre d’animal, fragile et perdu. Pourquoi ?

Prendre ce loup, c’était prendre un contrepoint marquant. Un loup solitaire, sans mémoire, qui ne sait plus où il est ni qui il est. C’était aller au-delà des apparences.

 

 

 

 

© Dillies/Bouchard chez Dargaud

 

Quels sont les loups de fiction qui vous ont marqué ?

Il y a celui de Dancette et Calvo dans la Bête est morte qui est sorti en 1944 et qui relatait de manière animalière et satirique la deuxième guerre mondiale. Ce n’est pas vraiment une BD, plus un livre d’illustration.

 

 

 

 

© Dancette/Calvo chez Gallimard

 

Puis, comment ne pas penser au loup de Tex Avery. Celui-là, je l’ai apprivoisé durant mon enfance et il m’a marqué à vie !


Encore un album de BD avec animaux. Vous êtes devenu un spécialiste dans ce domaine !

Disons que j’aime faire intervenir des animaux, c’est très ludique et ça me permet de faire passer pas mal de choses tout en bénéficiant du recul tel qu’on peut en avoir face à un conte ou une fable. Si dans Loup, j’avais choisi de faire évoluer des hommes dans cette histoire, je pense que celle-ci aurait été plus lourdingue et aurait procuré moins de détachement au lecteur. C’est pourtant paradoxal car, finalement, je ne parle que de l’Homme et mon propos essaie d’être sincère et profond, tout en ayant du recul sur les sentiments humains. C’est une sorte mise en abîme sans ôter les sensations ou les ressentis. Les animaux me permettent d’aller plus loin. Puis, leur grand avantage, c’est que physiquement, il symbolise très vite quelque chose. Un renard futé, par exemple.

 

 

 

 

Recherches pour le personnage de Miss Ti ©Renaud Dillies

 

 

Quelle est la genèse de cette histoire, alors ? Un encrage bien humain ?

Oui, un fait divers, il y a quelques années. Je ne sais plus dans quoi je l’avais lu mais il m’avait marqué. L’histoire d’une personne qu’on avait retrouvée totalement amnésique : Andreas Grassl. Sauf qu’en la mettant devant un piano, cette personne sans mémoire apparente avait commencé à jouer de manière virtuose. Tout en ignorant qu’elle avait appris à en jouer.

Cette histoire véridique, je l’ai laissée trotter dans ma tête pendant longtemps. Il fallait que je la sente. Une fois que ce fut le cas, tout le teste est venu rapidement, de manière évidente. Je mets beaucoup de notes de côté et si, une fois le stade de décantation arrivé, il en reste quelque chose, ça peut faire une histoire. C’est très bête mais juste une impression peut nourrir une réflexion menant à une histoire.

Un personnage amnésique, ça alimente l’imagination, non ?

C’est forcément intéressant à exploiter. Comment peut-on bien voir le monde sans souvenir ? Qu’est-ce que ça fait ? Si chaque jour était le premier jour ? Puis, cela questionne l’art aussi. Comment assisteriez-vous à un vernissage de peinture absurde sans aucun bagage concernant l’histoire de l’art ? Comment réfléchiriez-vous ?

 

 

 

 

© Dillies/Bouchard chez Dargaud

 

Puis, vous mettez en valeur l’importance du masque.

Oui, être amnésique a à voir avec l’anonymat. Et ce masque, quand Loup va devenir célèbre et remplir des salles de concerts, ses fans vont lui faire ce qu’ils pensent être une bonne surprise : accueillir Loup en portant tous un… loup. Ce qui va faire office de choc identitaire à notre héros qui va recevoir en pleine figure cette image de ce qu’il est lui, de ce qui l’isole.

Notre rapport à nos idoles est fascinant. Eux qui sont si connus, on pense qu’ils n’ont aucun secret pour nous, alors qu’en réalité ils sont isolés. On les voit de manière tronquée. C’est valable pour les musiciens mais aussi pour les acteurs et les artistes en tous genres. Ils sont si connus qu’on ne peut plus discuter avec eux normalement, alors qu’au final on ne les connaît pas du tout. Ça part de beaucoup d’amour, mais certains n’ont pas tenu la barre, c’est ainsi qu’on en arrive à des destins très rock’n’roll.

 

 

 

 

© Renaud Dillies

 

 

Il y a rupture, en quelque sorte. Et ça tombe bien, entre des cases épurées et d’autres surchargées (de notes de musique, notamment), Loup fait oeuvre de rupture.

En effet, et si le procédé est très simple, je ne pense pas que ce soit si classique que ça. J’adore m’amuser avec les espaces et entre eux, entre la retenue et la surcharge. Mais toujours en gardant en vue que c’est la sensation, la mienne et celle du lecteur, qui prime plus que le dessin. Et par-dessus tout, je veux garder la pleine capacité de ma liberté d’expression. J’essaie de me détacher, de casser le dessin. Plus par souci d’expression que par velléité artistique.

 

 

 

 

© Dillies/Bouchard chez Dargaud

 

Sans oublier, que le silence est aussi important. Et si j’écoute pas mal de musique en travaillant, elle agit comme un réel moteur et me fait parvenir des images, j’ai de temps à autre besoin de la couper pour me concentrer sur ce que je fais. Mais c’est vrai qu’en faisant de la BD en musique, ça donne des envies d’aller plus loin dans la démarche.

Comme certains artistes qui, comme Romain Renard ou The Hyènes avec Au vent mauvais de Thierry Murat, montent sur scène et transpose l’art graphique en art musical ?

C’est un peu ce que j’ai fait en clôture de la Foire du Livre en compagnie de Michel Castillano. Un concert autour de Loup et son univers graphique. On renouvellera certainement ça, en essayant de jumeler les deux, de créer un objet double, sans reprise mais avec une bande originale propre pour un concept total, hors-format.

Quels sont vos projets ?

J’ai écrit la suite de Saveur Coco, le découpage est fini, il me faut trouver le temps de le dessiner. Sinon, j’ai un scénario sous le coude mais je ne le dessinerai pas car il ne s’agira pas de dessin animalier ! Puis, on va remettre le couvert avec Régis Hautière. On s’est tellement amusés avec Abélard et Alvin, puis les retours nous ont tellement touchés. Mais on ne jouera pas les prolongations de cette histoire : on va faire tout autre chose.

Merci beaucoup Renaud et pourvu que ce beau mariage entre les mots, la musique et le dessin soit long.

 

Propos recueillis par Alexis Seny



Publié le 20/03/2017.


Source : Bd-best


Félix Meynet sur la piste du western avec Sauvage : Une véritable expédition aux limites de ce que je pouvais faire !

C’est vrai, c’est fou, il y a quelques années, on n’aurait jamais pensé que, de ses savoyardes et enneigées hauteurs, le redoutable Félix Meynet avait des envies d’aride et de désert, de ces virilités testostéronés qui font les westerns qui soulèvent la poussière et soufflent l’aventure. Sans pour autant oublier une touche féminine sexy mais toujours tempétueuse. Cette aventure-là, sur les bons mots de Yann (qui, décidément, est de tous les bons coups), c’est Sauvage. Le deuxième tome vient de sortir chez Casterman et, même si la saison est aux skis, nous ne pouvions pas ne pas glisser quelques questions à l’attention du papa de Fanfoué. Interview (illustrée par les magnifiques bonus dont Félix n’est pas avare sur sa page Facebook).

 

 

 

 

 

 

© Félix Meynet

 

© Félix Meynet

 

Bonjour Félix, on vous connaissait perché sur vos montagnes enneigées, ça doit vous changer de goûter au désert, non ? Aviez-vous envie de changer d’horizons ?

Exactement. Il y a toujours une envie de western chez un dessinateur de BD. C’est le mythe absolu qui autorise toutes les libertés. Et c’est un moyen de satisfaire l’enfant qui rêvait à la lecture de Blueberry tout en essayant d’en recopier laborieusement les cases. Ceci dit, lorsque je lisais « l’Homme au poing d’acier », j’avais l’impression tenace que mes montagnes étaient peuplées de guerriers Sioux ! C’était très jouissif à douze ans de vivre dans un décor de BD. Il y avait aussi Buddy Longway de Derib qui renforçait cette sensation. Derib m’a avoué qu’il n’avait jamais mis les pieds dans le Wyoming mais qu’il s’était inspiré des paysages de ses alpages, à deux pas des miens, derrière la frontière suisse. Voilà pourquoi je me sentais chez moi dans le western !   

 

 

 

©Yann/Meynet chez Casterman

 

 

©Yann/Meynet chez Casterman

 

Comment êtes-vous arrivé dans cette aventure mexicaine ?

J’avais envie d’épopée en costumes. Aussi, j’ai proposé à Yann de réaliser une aventure épique sous le premier empire, en Espagne. Le décor, la guérilla, les hommes en uniformes fatigués, la violence, etc. Yann, fin renard, m’a proposé de changer de Napoléon en faisant un bond de 50 ans dans le XIXème siècle. Napoléon III avait envoyé un corps expéditionnaire au Mexique pour tenter de créer un empire catholique qui aurait contrebalancé la puissance montante des Etats-Unis alors en pleine guerre civile.

Pour vous, c’est aussi bien plus qu’un changement de paysage, c’est un changement d’époque et de genre. Vous avez réfléchi avant de vous lancer ?

Oui car il a fallu aussi changer de technique de dessin. La couleur directe impose une discipline stricte et des nerfs solides. Mais cette expédition sous les cieux fréquentés par d’illustres dessinateurs qui maîtrisent cette technique a été une vraie aventure épique ! Avec plein pièges remplis de serpents à sonnettes sournois et de vrais découragements tout au long de la réalisation de ces albums. Une véritable expédition aux limites de ce que je pouvais faire !

 

 

 

 

 

©Yann/Meynet chez Casterman

 

En remerciements de ce deuxième tome, vous parlez « d’une mission difficile », quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées ? Cela a-t-il ralenti votre progression ?

J’ai eu un souci à l’épaule qui m’a empêché de dessiner pendant 18 mois avec toutes les remises en question que ça implique. Le changement de technique ainsi que la station debout lors de l’élaboration des planches m’ont permis de retrouver un geste moins douloureux. Avec parfois des rechutes pénibles. Et puis, il y avait le challenge. Je m’étais mis en tête de proposer quelque chose de différent, plus exigeant. Tout cela additionné a retardé la sortie du T.2. Toutefois, je suis très heureux que les lecteurs aient patienté et soient au rendez-vous après 3 ans d’attente.

Comment se passe une collaboration avec Yann ? Est-il directif ou avez-vous votre mot à dire ?

Yann est un saint. Patient et dévoué jusqu’au sacrifice ! Il m’a soutenu à bout de bras durant ces longs mois d’hésitations et de remise en question. Son propos est toujours au service du dessinateur et il a à cœur de lui donner ce qu’il attend, voire même ce qu’il espère secrètement. Ce qui demande, avouez-le, une bonne dose de générosité et de pertinence !

Sur votre page Facebook, les « followers » auront remarqué votre documentation. Des photos mais aussi des objets. Vous avez besoin de toucher ces objets historiques, de les ressentir, pour les dessiner ? Ne laissez-vous rien au hasard dans la reconstitution ?

Le problème des objets du passé, c’est qu’ils sont difficiles à appréhender graphiquement si on n’a pas la documentation suffisante. De plus, ils engendrent des gestes adaptés qui ne font plus partie de notre quotidien. Il faut réinventer des postures, des attitudes de cette époque. Merci les tableaux et les photos d’antan ! Pour ce qui est des armes, hors de question de recopier dans Blueberry ! J’ai effectivement des pistolets (notamment un Lefaucheux d’ordonnance de l’armée française sous le Second Empire), des sabres, des éléments d’uniforme afin de pouvoir les observer sous tous les angles pour en comprendre les volumes et ainsi les dessiner plus aisément.

J’essaie d’être le plus juste possible mais il est vrai que le Second Empire ne bénéficie pas de l’engouement du Premier et il y a encore pas mal de choses sujettes à interprétation, même après dix visites au musée de l’armée. Après, si je m’aperçois d’une erreur en cours de route, je corrige, bien entendu. Et si un lecteur me fait une remarque sur un képi, un galon ou un calibre en dotation, je fais mon mea culpa et j’essaie de le convaincre d’avoir fait de mon mieux pour éviter les erreurs. À titre d’exemple, pour la première page, il s’agissait de montrer Notre Dame au temps de Napoléon III. En juillet 1863, plus précisément. Je ne parvenais pas à savoir si la flèche de la cathédrale avait été érigée par Viollet-Leduc à cette date. Je l’ai donc dessinée en me disant que je l’ôterai avec photoshop au cas où elle aurait été achevée plus tardivement. Avant de livrer les planches, j’ai finalement eu la confirmation qu’elle était bien présente à cette date. Ouf !

D’autant que c’est une fresque que vous nous offrez là, avec beaucoup de détails, non ?

Le diable est peut-être dans les détails en tout cas, je préfère crédibiliser mon récit avec tous ces éléments même si c’est un enfer. Puisque cela me permet de croire au récit que je dessine, j’ose penser que le lecteur y croira lui aussi.
 

En matière de western, quelles sont vos références, vos œuvres (cinéma, bd…) cultes ?

Le western a été la matrice de l’imaginaire des gamins de ma génération. La science-fiction et le fantastique sont arrivés plus tard, au milieu des années 70. Quand j’étais enfant, il y  avait partout du western : à la télé, dans les pockets bon marché, dans les beaux livres illustrés. Même les petits soldats en plastique étaient des cowboys ou des indiens. Sans parler de la panoplie avec colt à amorces et étoile de shériff qui faisait rêver tous les mômes. Quand j’ai découvert « Il était une fois dans l’Ouest » au cours d’une projection dans mon collège de montagne, ce fut pour moi la révélation d’une dimension visuelle, musicale mais aussi mythologique du genre. On passait à autre chose de plus grand, de l’ampleur d’un opéra qui délivrerait des émotions incandescentes. Et puis Blueberry fournissait sur papier la continuité de cet opéra avec tout le baroque, la flamboyance et la sensualité nés du crayon de Giraud et de l’imagination de Charlier.

Ici, j’ai retrouvé une atmosphère très « Le bon, la brute et le truand », une inspiration ?

J’ai découvert plus tard les autres Leone qui m’intriguaient fortement. Je sentais bien qu’il y avait là une source d’inspiration et de grandes sensations à recevoir. Pour l’album, j’ai revu les classiques Major Dundee ou encore Vera Cruz.

Sauvage, c’est le nom du personnage, mais cela caractérise assez bien la violence de cet album et une cruauté qu’on ne vous connaissait peut-être pas. Vous vouliez expérimenter cette veine ?

C’est vrai que j’ai un dessin que l’on qualifie de « gentil » voire sympathique. J’aime les personnages enjoués et débonnaires comme Fanfoué (François en savoyard) que j’anime chaque semaine dans les journaux de ma région. Même les Éternels qui parfois avaient un propos dur, gardaient ce côté plaisant de par le dessin et les couleurs. Là, j’avais envie d’aller vers plus de réalisme. Ça passe donc par plus d’âpreté sans toutefois chercher à devenir antipathique !

 

 

© Yann/Meynet

 

 

©Yann/Meynet chez Casterman

 

« Il faut que les figurants jouent bien… » lisais-je sur Facebook, cela veut-il dire que vous mettez autant d’énergie et d’attention sur les personnages secondaires que sur les principaux ?

J’aime bien me dire qu’à la relecture, le lecteur puisse s’arrêter sur certaines scènes comme lorsque je pouvais moi-même le faire quand je m’attardais sur des vignettes d’Uderzo ou de Giraud. Si la vie frémit dans les recoins de l’image, c’est une bonne vibration pour le lecteur et pour l’histoire aussi.

Et parmi ces personnages, c’est un univers très masculin auquel vous donnez vie et traits. Marre des femmes ? (rire)

Je suis marié et père de trois filles. Donc un univers entièrement féminin au quotidien dans lequel j’ai l’impression d’apprendre en permanence. J’aime bien les trognes mal rasées, contrairement à mes filles qui râlent quand j’essaie de ressembler moi-même à un ours. Alors j’ai choisi de dessiner ces personnages virils pour pouvoir faire tous ces petits traits qui donnent du volume à un visage. C’est très agréable !

 

 

©Yann/Meynet chez Casterman

 

 

© Yann/Meynet

 

Dans Sauvage, les héroïnes se comptent sur les doigts de la main. Mais elles rivalisent de caractère et de charme. Comme la très sexy Agnès. Vous ne pouvez donc pas vous empêcher de faire tomber le lecteur amoureux le lecteur dès le premier coup, hein ?

Ce personnage, comme de nombreux personnages de Yann, a vraiment existé. Une aventurière yankee qui a épousé un prince européen, mi-espionne, mi-courtisane. Un personnage fort qui s’habillait en homme sans que ça ne choque grand monde à la frontière (cf  Calamity Jane et consœurs) mais qui portait la crinoline comme pas deux à la cour de Maximilien. Après, le côté sexy lorgne plus du côté de Chihuahua Pearl que d’Uma des Eternels. Si le lecteur apprécie, je suis comblé.

D’où vous vient cette passion pour les femmes ? Vous y excellez, mais cela ne vous a-t-il jamais enfermé dans cet univers ?

On en a jamais fini avec son enfance et les filles étaient déjà un grand mystère pour le fils unique que j’étais au temps où les écoles n’étaient pas mixtes. Et en famille, comme je vous l’ai dit, je suis toujours certain d’être surpris au quotidien et j’en profite pour combler mes lacunes sur la gent féminine. En dessiner toute la journée puis les soumettre au verdict familial implacable m’aide à progresser. Sur tous les plans !  

 

 

Un dessin du portfolio From Paris with love ©Meynet chez Bruno Graff

 

 

Un dessin du portfolio From Paris with love ©Meynet chez Bruno Graff


Puis, il y a les couleurs, directes, que vous signez seul. C’est nouveau ça non sur un 46 planches ? Ça vous a plu ?

Enormément ! Même si c’est un véritable stress de mettre en couleurs la planche sur laquelle on a déjà sué avec l’appréhension d’avoir à tout recommencer en cas d’erreur… car impossible de corriger sans faire des pâtés désastreux ! C’est un saut dans le vide et un challenge à chaque page. Ça forge le caractère ! Mais c’est très déprimant et épuisant quand ça foire. Et c’est arrivé, hélas ! Heureusement, quand l’album est terminé, ces sensations disparaissent et on a tendance à oublier ces angoisses. Jusqu’à ce qu’on recommence le suivant !


Le troisième tome sortira donc cette année ? Que nous réserve-t-il ?

Ce sera la conclusion de cette histoire de bague de l’Aiglon, le fils de Napoléon1er, mort jeune à la cour de Vienne. Et aussi la vengeance de Sauvage. Un petit air de Monte Christo, exactement ce que j’avais demandé à Yann. Nous sommes en train de discuter de la suite à envisager à ce triptyque.

À côté de cette trilogie, on vous voit signer beaucoup d’hommages et couvertures de réédition d’albums rares ou oubliés ? Comment expliquez-vous que votre trait soit aussi prisé ?

Aucune idée. On peut maîtriser toutes les techniques du monde, il y a dans le dessin une part qui échappe totalement au dessinateur mais que le lecteur reçoit et qui le séduit ou non. Le désir du lecteur dépend donc de quelque chose qu’on ne maîtrise absolument pas mais qui est propre à la sensibilité de chaque auteur. C’est très frustrant car on ne peut en aucun cas susciter ce désir volontairement, même en multipliant les effets et les prouesses graphiques. Impossible de séduire avec ces artifices. C’est beaucoup plus profond.  Donc, je me contente d’essayer de maîtriser le côté technique en espérant que ce que je ne contrôle pas continue à plaire au lecteur.

À l’heure où beaucoup de séries sont relancées et trouvent repreneurs, un exercice du genre vous plairait ? Avec quels héros ?

Je trouve l’exercice brillant quand l’auteur est un vrai aficionado de la série qu’il reprend. Il essaie d’y injecter tout l’amour et toutes les émotions qu’il a éprouvées en tant que lecteur. Voire même, si cette série a été fondatrice de son désir de dessiner, là, je suppose qu’il doit être dans une transe qui le porte à vouloir remercier, honorer cette série pour toutes ces émotions reçues. Ça devient un sacerdoce, une mission exaltante. Je l’espère de tout coeur. Si ça devient étouffant, pesant, ça peut faire très mal ! En ce qui me concerne, ce que je dois à la bande dessinée m’amène en permanence à essayer de créer en puisant dans mes émotions de lecteur. Pas de reprise en vue, donc. Je crains que cela ne m’écrase et me bloque dans ma créativité.  

Jamais lassé de Fanfoué ? Vous trouvez toujours des gags pour ce vieillard hilarant toujours bien accompagné ?

C’est un exercice que j’apprécie d’autant plus qu’il est immédiat. Le mardi, je dessine le strip qui sera publié le jeudi dans les journaux. L’après-midi même, j’ai des retours des gens alentours qui me font part de leur impression et me parlent de Fanfoué comme d’un personnage réel. Ils se fichent bien de savoir si je fais des albums, ce qui compte, c’est ce personnage qu’ils se sont appropriés et qui fait partie du paysage de ma région. C’est une vraie fierté d’avoir touché ces gens qui ne lisent pas de BD mais sont tout contents d’avoir un personnage local !

 

 

©Meynet

 

 

©Meynet

 

On vous voit aussi beaucoup vous charrier avec Enrico Marini. Un complice ? Un pote ? Pourriez-vous collaborer un jour ensemble ?

On en parle parfois. Ça serait super ! Il est très brillant et c’est vrai que j’ai appris beaucoup avec lui. Il a une perception à la fois élégante et hyper efficace de la narration et de la mise en scène. Moi qui ai démarré la bd à la trentaine passée, j’étais fasciné par la maîtrise de ce jeune qui, à 25 ans était capable de faire un western de la trempe de l’Etoile du Désert en bousculant tous les codes du genre. A la fois iconoclaste, surprenant, riche et posant les bases d’un style flamboyant toujours à l’œuvre, vingt ans après. C’est le Scorpion de la BD : virevoltant, drôle, piquant et plein d’une énergie généreuse. La grâce et le talent, quoi !

 

 

Les Aigles de rome très féminins ©Meynet

 

 

Les Aigles de rome très féminins ©Meynet

 

Quels sont vos prochains projets ? On vous a vu à Little Big Horn, de la suite dans les idées et les westerns ?

J’étais allé en repérages dans le Wyoming, le Montana et aussi les réserves indiennes alentours. J’avais envie de relater des faits qui se sont produits dans ces collines : un détachement US avait été anéanti par les Sioux et les Cheyennes, dix ans avant Little Big Horn en plein hiver. J’ai storyboardé les deux albums. Il me faut juste le temps de les dessiner à présent. Le titre : Absaraka. Let’s see !

 

Propos recueillis par alexis Seny



Publié le 13/03/2017.


Source : Bd-best


Kirby&Me part 2 : Mickaël Géreaume et Alain Delaplace :  Évoquer le Dieu Kirby en compagnie d’artistes qui le vénèrent

Sans peur et sans reproche face à une montagne de boulot qui aurait bien nécessité les bras musclés d’un Hulk ou d’une Chose, Mickaël Géreaume et Alain Delaplace n’ont écouté que leur courage et leur passion pour célébrer comme il se doit le centenaire qu’aurait fêté le géant de la bande dessinée américaine : Jack Kirby. Pas seuls, loin de là, dans l’aventure, les deux compères se sont démenés et ont réuni une large communauté : plus de 150 artistes, commentateurs, éditeurs de tous les bords et de tous les coins du globe. Le titre de ce pavé formidable ? Kirby&Me. Il vous reste quelques heures pour le financer et le mettre dans votre bibliothèque quand l’heure sera venue (l’opération finit le 28 février à minuit), courrez-y. Pour vous donner envie, nous avons interviewé les deux initiateurs de ce projet unique et phénoménal.



Avant toute chose, vous êtes à l’origine de Komics Initiative, kézaco ?

Mickaël : En des temps anciens et reculés, une idée folle apparut, celle de se mobiliser autour d’une passion : la bande dessinée et plus particulièrement les comics pour moi et Alain. Je suis, depuis dix ans maintenant, rédacteur en chef « comics » du site PlanèteBD et depuis presque autant animateur d’une émission spécialisée sur Radio Béton à Tours.  C’est lors d’une interview de Jul (pas l’apprenti rappeur hein !) pour la radio que j’ai croisé Alain et depuis, flashforward, il m’a rejoint sur PlaneteBD.

Komics Initiative est le nom de l’association qui doit nous servir à donner un cadre juridique pour sortir le livre Kirby&Me puis, par la suite, organiser d’autres projets. Mais je ne dirais rien ! Sauf contre 500 précommandes de Kirby&Me !

Alain : Et on est capables d’y arriver, à ces 500 ! Kirby&Me, c’est l’occasion de réunir toute la crème des comics et de la BD pour rendre hommage à Jack Kirby et à son œuvre. On a ainsi pu rassembler plus de 150 participants avec de célèbres créateurs comme Klaus Janson ou Olivier Vatine, des personnes clés moins connues en particulier dans nos contrées comme Diana Schutz, ancienne éditrice chez Dark Horse ou des spécialistes de la culture « geek » comme Jean-Pierre Dionnet ou encore des fans anonymes mais pas moins talentueux…

Tous ont contribué à l’ouvrage par le biais d’illustrations inédites, de textes écrits pour l’occasion rendant hommage à Jack, à son œuvre. Il y a des souvenirs d’enfance, des analyses plus techniques… On a aussi rassemblé des témoignages et illustrations surprenants comme des tatouages, un extrait d’une pièce de théâtre, etc. Tout cela a un point commun : un amour et une admiration indéniables pour le King of Comics. Point non négligeable : l’ensemble des bénéfices sera reversé à Hero Initiative, une association américaine venant en aide aux créateurs de comics en difficulté, mais on va y revenir plus tard.

Quelle est la genèse de ce projet ?

Mickaël : L’origine de Kirby&Me remonte à une session d’interview que l’on avait réalisée à Paris Manga & Sci-fi Show, un salon dans lequel nous avons croisé plusieurs artistes dont la plupart était fan de Jack Kirby, dont un certain Mauricet d’ailleurs ! Sur le chemin du retour, on a échangé des idées et les bases de Kirby&Me étaient nées.

Alain : Mauricet avait réalisé un joli dessin de Jack avec ses fameux « Kirby Crackles » autour des poings. Dans la voiture, j’ai dit que ce serait cool d’avoir une sorte de grande vente d’illustrations de Kirby en tant que sujet, d’hommages… Et les choses ont vite dégénéré !

 

 

La vision de Mauricet de la couverture de Thor #251

 

 

La vision de Mauricet de la couverture de Thor #251

 

Un gros pavé, non ? Vous n’avez pas fait les choses à moitié…

Mickaël : Dès le départ, on voulait que l’ouvrage marque les fans par ses dimensions et le nombre de pages. On voulait que les souscripteurs en prennent plein les yeux et ressortent de la lecture de Kirby&Me ravis, un peu comme s’ils avaient passés un super moment à évoquer leur Dieu en compagnie d’artistes qui le vénèrent également. Et très vite, nous avons eu de nombreux artistes qui nous ont dit oui, certains n’ont finalement pas eu le temps mais globalement plus de 150 ont déjà envoyés leurs contributions. Le dernier d’entre eux ? Paul Pope ! Comme nous avons un contenu varié et qui n’est pas composé que de dessins, 300 pages c’était le minimum.

À quel moment, Jack Kirby est-il entré dans votre vie ? Le virus du comics qui ne s’est jamais démenti chez vous, c’est grâce à lui ?

Mickaël : D’une certaine façon, Jack Kirby a conditionné nos esprits de lecteurs de comics et de BD tout court. Si, plus jeune, j’appréciais les histoires ou les personnages, je n’ai vraiment domestiqué l’approche visuelle du King qu’au fil des ans. Tout ça pour qu’il ne sorte jamais de ma vie depuis !

Alain : À mesure que l’on a reçu les témoignages, je me suis rendu compte que nombre d’entre nous n’ont pas immédiatement été séduits par le style de Jack. Pour la bonne et simple raison que lorsque nous étions enfants ou adolescents, ses comics n’étaient déjà plus en kiosques et le style du moment avait carrément changé. Pour tout dire, je trouvais ça assez moche, quand j’étais petit.

Puis, au fur et à mesure, comme pour tout, d’ailleurs, on s’est fait une culture et on a commencé à trouver des défauts à ce qu’on lisait et de plus en plus de qualités à ce que faisait Jack. Donc non, Jack Kirby ne m’a pas amené à aimer les comics mais c’est plutôt le fait d’aimer les comics qui m’a graduellement amené à admirer Jack Kirby.

Plus précisément, avez-vous le souvenir d’une planche, d’une case qui vous a fait comprendre que Jack était bien le « King » ?

Alain : Oui, deux à vrai dire. La première, c’était la confrontation entre Thor et Hercule. Comme pour l’autre exemple, c’était grâce aux Strange Spécial Origines des éditions Lug (ça ne nous rajeunit pas !). Les types avaient vraiment l’air d’en baver, on sentait la force qui débordait de chaque case.

 

 

kirbyme-interview-combat-thor-et-hercules-par-jack-kirby

 

 

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L’autre exemple, c’était Iron Man vs Namor. Un combat d’anthologie. Le pauvre Tony en a pris plein la tête, dans celui-là. Namor était alors pour moi une sorte de pauvre type qui passait son temps à essayer d’emballer Sue Storm mais là, avec cette histoire, il avait gagné en galons !

 

 

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Mickaël : Impossible de répondre pour moi car cela dépend du moment où l’on me pose la question. En ce moment, je pourrais te citer du Fantastic Four et demain te redire que Captain Victory c’est génial ! Peut-être le moment où Galactus apparaît pour la première fois… ça me fait toujours autant vibrer.

 

 

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Ainsi, il a participé à la renommée du  comics tel qu’on le connaît actuellement ? Il a imposé des codes ?

Mickaël : Sans lui, plus de 90% des super-héros n’existeraient pas. Donc oui, il a participé à la renommée du comics mainstream mais n’a jamais eu le succès populaire d’un Stan Lee, un parfait communiquant et éditeur visionnaire…  mais pas un pur créatif selon moi.  La narration de Kirby a influencé des générations entières, ses découpages étaient d’une efficacité redoutable. On retrouve son influence chez des artistes majeurs comme Frank Miller, Mike Mignola etc. De nombreux auteurs français de bande dessinée ont grandi en lisant les revues des éditions Lug dont ont bénéficié eux aussi des bienfaits du génie de Kirby.

Alain : Il a su insuffler les codes de la mythologie classique dans les comics. Les super-héros sont devenus des dieux hyper puissants et tourmentés alors qu’ils n’étaient que des justiciers gadgetisés. On est passé de l’ère de Zorro (que j’adore) à celle du surhomme.

Verra-t-on encore un jour l’émergence d’un monstre comme Kirby ? Ou est-il justement arrivé au bon moment, quand tout (ou quasi) restait à faire ? Comment expliquez-vous qu’il soit passé de main en main, de génération en génération ?

Mickaël : Non, il n’y aura probablement jamais de génie comme lui. Déjà, il était capable de tomber 80 pages par mois et l’a fait durant quasiment toute sa carrière. Qui le peut aujourd’hui ? Je pense que la force de Kirby  venait de sa personnalité et de son parcours. Il a grandi dans un quartier difficile, a participé à la seconde guerre mondiale… Il y a forcément une part de chance mais c’était surtout un travailleur acharné et un vrai passionné du dessin en général.  Ses nombreux personnages ont toujours des comics en cours de parution et sont même devenus des héros de films. Cela permet à la jeune génération et au grand public de voir un nom « Jack Kirby » et s’interroger sur qui est ce type…

Alain : Pour ça, il faudra que cette personne invente ou réinvente un genre et se l’approprie entièrement. Est-ce que ce sera possible sur le plan des super-héros ? Je ne sais pas. Une bonne part de l’admiration des fans pour Jack vient du fait qu’il était à la fois auteur et illustrateur de ses histoires. Aujourd’hui, l’industrie est tellement compartimentée qu’un tel exploit paraît difficile. La majeure partie des lecteurs sont très très exigeants sur les deux plans et les rythmes de production sont tels que le prochain Kirby devra certainement être une intelligence artificielle. Brrr…

Quel est votre personnage emblématique créé par Jack Kirby ? Pourquoi ?

Mickaël : En ce moment, je dirais Ben Grimm alias la Chose. C’est celui qui symbolise le plus Jack Kirby et sa propre personnalité. Une apparence rude mais une générosité immense.

 

 

© Laurent Lefeuvre

 

 

© Laurent Lefeuvre

 

Alain : Captain America. Pas de compromis possible avec Cap’. Même des géants comme Brubaker, s’ils ont complexifié le personnage et l’ont inscrit dans la modernité, n’ont pas fondamentalement changé ce qu’il était, ce qui le définissait. C’est quasiment le deuxième drapeau américain.

 

 

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En demandant à des dizaines d’auteurs de s’approprier l’univers de Jack le temps d’un hommage, avez-vous été étonné des choix de certains ? De voir des personnages plus prisés que d’autres ?

Mickaël : Oui, évidemment. Le Silver Surfer et Galactus sont largement plus présents que les X-Men par exemple. Il y a eu de vraies surprises et, la majeure partie du temps, des excellentes !

Alain : J’avoue avoir été surpris par la popularité du Surfer qui ne m’a jamais vraiment branché, comme personnage. Je l’ai toujours vu comme une sorte de chouineur intergalactique avec la poisse collée aux baskets ! Galactus, par contre, rien à dire. Imaginez voir Galactus pointer le bout de son casque à travers les nuages alors que vous regardez par la fenêtre. Wow.

On ne compte plus les noms qui s’ajoutent à ce projet. Comment avez-vous fait pour convaincre tout ce petit monde ? D’autant plus qu’il ne se limite pas à la francophonie, on croise des Sienkiewicz, des Victor Santos et, en dernière minute, Paul Pope… Certains sont venus d’eux-mêmes ?

Mickaël : Nous non plus, on ne sait plus combien il y a d’artistes d’ailleurs ! Il y en a du monde entier, en effet. Pour convaincre, je pense surtout qu’il faut un bon projet et montrer que nous sommes sérieux. Je pense le faire au quotidien sur Planète BD, cela m’a permis de rentrer en contact avec plein d’auteurs. Du coup, j’ai pu rapidement inviter plus d’une centaine d’auteurs à nous rejoindre, pour peu que Kirby leur parlait. D’autres sont venus parce qu’un participant l’avait averti ou grâce à l’aide de personnes bien intentionnées. C’est néanmoins plus d’un an et demi de travail, de relance et de fatigue cumulée, de joie, etc.

Alain : On a procédé graduellement en commençant par les auteurs que l’on connaissait personnellement et ensuite on a remonté la pelote, graduellement. Le fait est qu’on serait presque près à se donner une année supplémentaire pour en décrocher encore plus mais je crois qu’on peut être fiers de ce qu’on a réussi à accomplir. Depuis quelques mois, oui, on a des participants et pas des moindres qui nous ont contactés directement et ça, ça fait sacrément plaisir.

Avec des anecdotes de certains auteurs ayant eu la chance de côtoyé Kirby?

Mickaël : Oui mais là, on va laisser les lecteurs les découvrir dans le livre.

Votre activité de chroniqueurs en toute objectivité n’a pas été un frein auprès d’auteurs peut-être froissés ? (rires)

Mickaël : Franchement, on ne me l’a jamais reproché. En même temps, comme je suis quelqu’un de courageux, j’ai contacté uniquement les artistes que j’aime (rires). À ce jour, je n’ai jamais froissé personne, en tout cas pas volontairement et ce n’est pas le but lorsque l’on écrit une critique. C’est juste un avis indiquant si l’on conseille ou non la lecture, si l’on a trouvé du plaisir à lire l’ouvrage etc.

Alain : J’ai tout fait avec un pseudo. Non, c’est pas vrai ! On n’a jamais eu en tous cas de quelconque remarque vis-à-vis d’une de nos critiques.

Puis, j’imagine que, comme lorsqu’on doit faire un discours de remerciements, on passe toujours à côté de certaines personnes… qu’on regrette, par après, de ne pas avoir contacté ?

Mickaël : Evidemment ! Mais globalement, il faut dire que je n’ai pas fait de mails groupés pour proposer le projet. Je l’ai fait un par un et à chaque fois avec un message personnalisé. Parfois j’ai eu des refus, d’autres ont voulus réfléchir et souvent j’ai eu un « oui ». Et puis, il faut dire la vérité, je n’ai pas les contacts de tout le monde. Tout comme, il y a des baleines blanches, des artistes que l’on a essayé d’avoir mais c’était peine perdue d’avance.

Alain : On a toujours essayé, en tous cas. On a frappé à quasiment toutes les portes mais on n’en n’a jamais voulu à ceux qui nous répondaient non parce que pas intéressés ou par manque de temps. Il faut savoir respecter l’agenda professionnel des gens. D’autant plus que, parmi ceux ayant refusé, la quasi-totalité se démène aussi, le reste du temps, pour Hero Initiative. Mais, clairement, on va faire super attention à n’oublier personne car certains se sont démenés pour Kirby&Me alors qu’on n’avait rien demandé de plus.

Au-delà des contributions de ces auteurs, il y aura aussi du texte, la traduction de la toute dernière interview de Jack et des dessins du maîtres… dont certains rares. Comment deux Frenchies comme vous se les sont-ils procurés ?

Mickaël : Oui il va y avoir des textes. La dernière interview de Jack Kirby n’y figurera pas car elle est déjà disponible ici. Il va y avoir des témoignages des dessinateurs eux-mêmes, des moments de passion racontés, des interviews, une pièce de théâtre reproduite partiellement et oui, il y aura aussi du Kirby dedans. La majeure partie émane de nous et de nos échanges avec auteurs mais pour se procurer certains éléments comme les illustrations de Lord of Light, notre gentillesse et notre sincérité ont suffit. Nous ne sommes pas là pour paraître, on s’en fiche, on veut juste faire un livre que les fans et nous seront fiers d’avoir.

 

 

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Alain : Il n’y a pas que des dessins, en effet. On a en premier lieu les témoignages des artistes qui prennent quelques lignes pour expliquer en quoi Kirby les a marqués et aussi pourquoi et/ou comment ils ont réalisé leur contribution. Mais ce n’est pas tout, des auteurs livrent des témoignages plus longs, on a des analyses de points techniques ou sur des personnages particuliers, des photos, des tableaux… C’est un peu dingue mais hormis ajouter des pop-ups pour les enfants, je ne sais pas ce qu’on aurait pu mettre de plus.

C’est vrai que c’est incroyable mais il y a eu un effet boule de neige. Au fur et à mesure que des gens nous ont fait confiance, plus le reste c’est fait facilement. La bonne approche a été de procéder graduellement et de ne pas tenter immédiatement d’approcher les plus grands auteurs, au risque de passer pour des profiteurs. On s’est construit un socle de relations et on a aussi appris à présenter les choses, ce qui était le plus apprécié.

Vous avez eu des contacts avec la famille de Kirby ?

Mickaël : Oui avec Neal, le fils de Jack. On lui a évoqué notre projet, ce que l’on voulait faire et s’il avait dit que cela ne lui plaisait pas, on aurait arrêté aussitôt.

Alain : À quoi bon rendre un hommage si c’est pour faire grincer des dents ? C’eut été malhonnête, non seulement vis-à-vis de la famille mais aussi des participants au projet. Il fallait que chacun sache exactement dans quel cadre et à quelles fins on allait employer leur travail. Et pour graver ça dans le marbre, oui, on a établi une sorte de contrat moral avec Neal Kirby. Et on n’a pas bougé d’un iota depuis.

Aussi, vous donnez à ce projet, une dimension caritative ?

Mickaël : Dès le départ, nous aurions été malhabile de réclamer gagner de l’argent sur le dos des auteurs et in fine de Jack Kirby lui-même. Nous ne sommes pas une structure mercantile mais à but non lucratif. Notre objectif est de reverser l’ensemble des bénéfices à Hero initiative.

 

 

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Alain : Il faut savoir que, en particulier aux USA, la patrie des comics, la vie d’un créateur n’est pas simple. Payés à la planche, pas ou peu de couverture sociale, etc. Ils sont fréquemment à la merci du moindre accident de la vie : maladie, catastrophe naturelle dévastant leur maison et/ou leur studio… Hero Initiative intervient alors pour aider à payer les soins médicaux ou les réparations.  Que faire quand on est dessinateur et qu’on se met à avoir de l’arthrite dans les mains ? En France, le coût moyen d’une opération pour une appendicite est entièrement pris en charge par la sécurité sociale et, éventuellement, des mutuelles coûtant 50 euros par mois. Aux Etats-Unis, c’est 10 à 60 000$, pas de sécurité sociale et une assurance santé privée (les artistes sont freelance) coûte 250$ par mois.

Ce livre a-t-il un équivalent outre-Atlantique ? Est-il du coup plus ou moins évident de séduire le public étranger ?

Mickaël : Je pense que Kirby&Me n’a pas d’équivalent dans le monde. Dit comme cela, on pourrait croire que l’on a la grosse tête mais, en fait, l’ouvrage est un hybride entre tout ce qui existe. On a mis tellement de choses dedans et trouver le moyen d’y trouver une cohésion que l’on espère l’avoir rendu suffisamment séduisant. Le public étranger est intéressé oui et pas forcément qu’aux USA d’ailleurs.

Alain : Des ouvrages collectifs du même genre, ça existe, mais avec un contenu aussi divers, des profils aussi distingués et une vocation caritative, je n’en n’ai pas vu. Il fallait surtout trouver deux malades capables de mettre autant de temps et d’énergie là-dedans, bénévolement. C’est chose faite.

 

 

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Quel est votre regard sur le monde actuel du comics ? Ne se développe-t-il pas de plus en plus en France avec une volonté d’être sous influence mais aussi, désormais, de faire influence (je pense aux créations originales de Glénat) ?

Mickaël : Je vais commencer par la fin… Des créations originales ont déjà été tentées par d’autres éditeurs par le passé. Delcourt ou Panini s’y sont essayés avec plus ou moins de succès, on espère juste que la qualité soit là avec les titres Glénat Comics, c’est l’essentiel pour un lecteur (et un chroniqueur comme moi) !

Concernant l’univers des comics, il y a malheureusement un effet de loupe et certains personnages ou titres vampirisent l’ensemble de l’attention de la masse des lecteurs et ce, au détriment d’une véritable qualité. Bien sûr, plus il y a de lecteurs, mieux c’est, mais cela signifie aussi une offre plus large de comics en magasin et plus de choix à faire, donc des séries qui, si elles ne se vendent pas assez, ne seront pas publiées jusqu’au bout. C’est le cas chez tous les éditeurs, aucun n’échappe à cette règle. Faites preuve d’ouverture d’esprit et creusez, il y a du bon chez tout le monde !

Alain : Je trouve que le climat est un peu pesant. Tout le monde y va de son avis et souhaite décortiquer ce qu’il lit. C’est bien d’être exigeant mais il faut parfois lâcher prise et, par exemple, apprécier un Batman parce qu’on aime bien Batman et que l’histoire est efficace sans chercher à tout prix à trouver un double-sens métaphysique dedans.

Il y a peut-être une sorte de mouvement hipster qui s’est formé au détriment d’une approche bon enfant qui, elle-même, a été la source de comics plus complexes. Aujourd’hui, j’ai parfois l’impression d’avoir à choisir entre Deadpool qui fait des blagues scatos, Superman qui arrache des bras et de l’indé qui croule sous le poids de ses propres références. Il faut oser les choses aussi bien en tant que créateur que comme lecteur.

Un grand merci à tous les deux et vive Jack Kirby ! Rappelons que Kirby&Me sera un ouvrage exclusivement disponible pour ceux qui le financeront sur Ulule. Plus d’informations sur la page Facebook du projet et sur son site officiel. Preview disponible ici.

Rajoutons aussi que quelques libraires tout aussi passionnés se sont joints au projet. En Belgique, à Andenne même, Atomik Strip promet d’ores et déjà que « Kirby&Me » sera l’un des événements de la prochaine Fête de la BD, les 11 et 12 novembre prochains.

 

Propos recueillis par Alexis Seny



Publié le 03/03/2017.


Source : Bd-best


Kirby & Me part 1:  Les regards croisés de Pierre Alary et Joe Skull : L’oeuvre de Jack Kirby, elle ne vous lâche jamais

Alors que nous vous parlions, il y a quelques jours, d’une nouvelle étape franchie dans le monde des comics made in France par Glénat Comics, voilà qu’un projet français voit le jour pour rendre hommage comme il se doit (et même plus) au fantastique Jack Kirby. Car si le cinéma a son Big Jim, le monde de la BD a son Big Jack. Raison de plus pour fédérer le monde de la BD, en France, en Espagne, aux États-Unis et par-delà le Monde… dans un livre collectif. Son nom? Kirby&Me. Vous pouvez encore le financer durant quelques heures (l’opération finit le 28 février), courrez-y. Nous, nous prenons le train un peu en marche mais nous ne pouvions pas passer à côté de l’initiative de Mickaël Géreaume  et Alain Delaplace. Nous avons lancé l’invitation à quelques auteurs participant à cet ouvrage qui promet. Premiers regards croisés en compagnie de Joe Skull (Les aventures de Joe Skull) et Pierre Alary (Silas Corey, Sinbad, Belladone). D’autres interviews suivront.

 

 

 

 

La couverture de Kirby&Me par Laurent lefeuvre

 

 


La couverture de Kirby&Me par Laurent lefeuvre

 

Bonjours à tous les deux. Quel est votre rapport à Jack Kirby ?

Joe Skull : Étant donné que je lis les aventures des héros Marvel depuis le début des années 80, j’ai forcément été influencé par Jack Kirby. On peut dire qu’il est à la base de pratiquement tous les plus grands super-héros Marvel et DC et son style révolutionnaire a marqué beaucoup de dessinateurs jusqu’à aujourd’hui. Par contre, son influence n’était pas si évidente pour moi, dans ces années-là, car je n’étais pas à même d’apprécier la force colossale son œuvre. Je ne comprenais pas la brutalité de ses encrages et les formes étranges de ses machines futuristes mais tout cela a germé en moi pendant des années et ce n’est que bien plus tard que j’ai compris son influence capitale pour moi.

Pierre Alary : Disons que Kirby fait partie de la « bande visuelle »  de ma vie , comme des groupes de musique font partie de la « bande-son » de ma vie. J’ai grandi en le lisant. Au début sans savoir ce qu’il représentait , enfant, dans Strange puis, l’artiste a eu un nom , et ce nom a eu un sens pour moi… Comme pas mal d’autres, il est devenu une sorte d’étape imparable, de jalon, dans mon apprentissage de l’art graphique… alors, sans être mon préféré, il reste, je doit l’avouer, une énigme. Quant a son style, sa façon de travailler, son univers… tout en ayant une moyenne de cinq à six pages par jour !

Vous souvenez-vous de la première fois que vous l’avez lu ? Vous rendiez vous compte qu’il pourrait vous suivre tout au long de votre vie ?

Pierre Alary : Je pense que , comme dit plus haut , ce devait être dans un Strange Special origines, sur les Fantastic Four. Puis assez vite, les grands formats Lug avec Captain America et Thor. Que l’on devienne dessinateur ou non plus tard, je pense qu’à partir du jour où vous connaissez le nom et l’oeuvre de Kirby, elle ne vous lâchera plus.

 

 

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jack-kirby-double-planche-fantastic-four

 

Joe Skull : La première fois que j’ai lu une histoire dessinée par Jack Kirby, je pense que c’était dans une aventure des Quatre Fantastiques qui paraissaient régulièrement dans Spidey, édité en France par les éditions LUG. Je ne me rendais compte de rien, j’étais littéralement happé par ces histoires !

Aujourd’hui, je n’ai plus ces BD mais lorsque que je les revois sur internet, la couverture suffit à me replonger dans cet état de transe.

Qu’est-ce qui en fait un indémodable, toujours bien présent dans l’imaginaire populaire et des auteurs de tous les âges, 20 ans après sa mort et alors qu’il aurait eu cent ans ?

Joe Skull : Je pense que c’est la force à nulle autre pareille que Kirby mettait dans son dessin qui nous plongeait immédiatement dans ses univers d’une richesse sans limites. Cette force est comme une montagne indestructible !

Pierre Alary : Déjà, ce style complètement « avant-gardiste » (et pourtant tellement rétro) et, surtout, cette espèce de folie assumée, ce coté complètement foutraque dans ces histoires : quand on y regarde de près, c’est quand même du grand nawak …mais c’est ce qui en fait tout le sel .

Kirby a cette force dans la ligne qui pourrait en faire aujourd’hui un vrai artiste contemporain, je suis sûr que de voir des reproductions immenses de ses dessins sur des façades de musées serait du plus bel effet. Quelque part, Kirby est un peu comme Hergé : sa ligne se prête merveilleusement au coté « arty » et « contemporainement vintage » apprécié aujourd’hui. Regardez son musée a Louvain-la-Neuve, c’est un modèle d’art moderne, une ligne claire, un profil de Tintin sur la façade et c’est superbe.

Quelle est la case qui, pour vous, prouve que c’est un vrai génie, un « King » ?

Joe Skull : Je pense à ses illustrations sur deux pages que l’on retrouve, par exemple dans New Gods pour représenter des batailles mythiques ou l’immensité d’une créature face au héros qui la découvre dans un coin reculé de l’espace…

 

 

Les New Gods par Jack Kirby

 

 

Les New Gods par Jack Kirby

 

Pierre Alary : Il n’y a pas une case en particulier, mais il y a cette idée qu’il est capable de nous éblouir avec une image de dingue, pleine de fureur, de mouvement et en même temps l’ont voit qu’il a pris un plaisir fou à travailler chaque personnage, chaque détail d’armure, avec des idées et des références qui lui viennent de je ne sais où. Et d’un autre coté, il est capable de nous sortir cette sublime double page dans Street code, une scène de rue géniallissime avec le marché, les gamins qui se balancent des légumes etc.

 

 

Jack Kirby dans Street Code

 

 

Jack Kirby dans Street Code

 

Votre héros préféré de Kirby, pourquoi ?

 

Joe Skull : L’un de mes préférés est Flèche Noire ! Chef des Inhumains. Le fait qu’il ne parle pas (ses compagnons s’expriment pour lui) le rend mystérieux mais sa force n’en est pas moins prodigieuse.

Pierre Alary : Alors que je suis très sensible au graphisme pur, je veux dire par là que je marche au dessin avant tout , je crois que c’est quand même Omac que je préfère. Peut-être parce que, à mon goût, son histoire qui se tient le mieux et possède vraiment un fond, une structure, une vraie critique sociale aussi (comme dans Kamandi aussi mais ça part très vite… en sucette) sans pour autant, et loin s’en faut, être la plus jolie graphiquement. Cette histoire donne l’impression que, pour une fois, Kirby s’est vraiment intéressé a son écriture plus qu’à son dessin .

 

 

Omac par Jack Kirby

 

 

Omac par Jack Kirby

 

En quoi, Jack Kirby vous influencerait-il aujourd’hui ?

Joe Skull : Pour moi, le secret de Kirby est dans ses personnages mais plus visible encore dans ses machines. Ce sont elles qui m’influencent le plus dans mon approche de la science-fiction. Il s’agirait pour moi de donner du volume à des formes abstraites et improbables qui pourraient représenter des bâtiments ou des appareils extra-terrestres.

Pierre Alary : Pour toutes les raisons évoquées plus haut.

Une anecdote sur votre rapport à Kirby ?

Pierre Alary : Le jour où j’ai appris à quel rythme il travaillait… je ne m’en remets toujours pas !

Que pensez-vous de l’ouvrage Kirby&Me ? Comment avez-vous intégré ce projet ?

Joe Skull : Je pense que ça peut être un très beau livre et j’espère qu’il se fera. Je suis fier de faire partie de ce projet et félicite ses créateurs pour leur initiative et leur choix d’auteurs très varié. Quand je les ai contactés, ils ont su me transmettre leur enthousiasme et leur passion pour Kirby.

Pierre Alary : J’ai réclamé. Ce sont des potes contactés (eux ! (rires)) qui m’en ont parlé. Je ne voulais pas rater le coche.

Vous nous parlez de votre hommage ? Qu’y avez-vous mis ?

Joe Skull : Mon hommage représente justement une machine qui servirait à Kirby pour fabriquer des super héros. L’idée m’a amusé et j’ai pris du plaisir à la dessiner avec Kirby aux commandes. Par contre, j’ai voulu cette machine réaliste. Une machine d’usine pour aborder les choses sous un angle plus réaliste.

 

 

L'hommage de Joe Skull à Jack Kirby pour Kirby&Me

 

 

L’hommage de Joe Skull à Jack Kirby pour Kirby&Me

 

Pierre Alary : Je reviens à ma fascination du dessin pur. Et, pour cela, le personnage de Black Panther reste l’un de mes favoris . De par son épure et cette quasi-obligation d’en faire un objet purement graphique. J’adore. J’ai rajouté par derrière, ce qui, à mon goût, fait le sel de Kirby, à savoir des myriades (moins ici) de personnages semblant venus d’un million d’époques différentes, dont certaines complètement inconnues des humains.

 

Propos recueuillis par Alexis Seny



Publié le 03/03/2017.


Source : Bd-best


Sentience, la BD de Volpi et Tyef qui se dresse contre la maltraitance animalière : « La cause animale s’inscrit dans une évolution et une élévation de l’Homme »

Billy se transforme en « cat », Dracula en chauve-souris et voilà qu’au tour de Lucas, celui-ci se transforme en… chien. Lucas, c’est le héros de Sentience, une trilogie audacieuse dont les deux premiers tomes sont sortis sous l’égide du jeune premier David Volpi, de Tyef et des Éditions Y.I.L. Une bande dessinée qui sous des allures aventureuses et science-fictionnelle, traite de ce qui est et sera sans nul doute l’une des grandes thématiques de ce siècle : notre rapport aux animaux et à leurs souffrances que ce soit pour les mener dans nos assiettes ou dans d’autres domaines. Nous en avons profité pour rencontrer ces deux auteurs pour une discussion passionnante et raisonnée, pas moralisatrice. Avec, en plus, une exclusivité, en fin d’article : les crayonnés des trois premières planches de l’ultime tome.

 

 

 

 

Tome 1 © Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Tome 1 © Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions
© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Bonjour David, bonjour Tyef, vous vous révélez un peu plus (et votre talent avec) avec Sentience. Quel a été votre chemin jusqu’ici ?

David : Bonjour, pour ma part, ce tome 2 est plus abouti dans le sens où j’ai su tirer parti des « erreurs » du 1er tome. J’ai pris en compte les remarques des lecteurs et j’ai tenté de réaliser un tome plus en adéquation avec l’idée que je souhaite défendre à savoir la cause animale. A vrai dire, le succès du 1er tome a été très motivant et je ne voulais pas décevoir les lecteurs. Les premiers retours sur ce tome 2 sont positifs et me motivent d’autant plus pour l’écriture du 3ème et dernier tome.

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Tyef : Bonjour. Du point de vue purement graphique, le chemin a été celui du juste milieu : cela faisait déjà quelques années que je publiais des bandes dessinées, au dessin humoristique (La recherche d’emploi, Elysez-moi, Les clodos…) ou plus réaliste (Nô, La mémoire des siècles, etc…). Pour Sentience, il a fallu trouver le bon dosage entre ces deux tendances.

 

 

tyef-elysez-moi

 

 

tyef-elysez-moi

 

D’où vient votre passion pour la BD ? Et l’envie d’en faire ?

David : Tout jeune, mes parents avaient l’habitude de me déposer au rayon BD des grandes surfaces, sans doute pour faire leurs courses tranquillement !

Tyef : Moi aussi, encore un point commun qu’on se découvre !

David : C’est comme ça que j’ai pu découvrir les classiques de la BD Franco-Belges avec les aventures de Tintin, Blake et Mortimer, le journal de Mickey, Spirou… Depuis, cette passion ne m’a plus jamais quitté et j’ai élargi mes lectures à d’autres univers comme les mangas, les comics…

Je n’aurai jamais pensé faire de la bande-dessinée jusqu’il y a 2 ans, quand je cherchais un moyen de sensibiliser à la cause animale. Et l’idée de faire ma 1ère BD m’est apparu comme une évidence !

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Tyef : Je suis amoureux de la bande dessinée comme moyen de création. J’en ai toujours lu, et dessiné depuis l’âge de dix ans… Par la suite, j’ai découvert que c’était un très bon moyen d’apprendre des choses, de réfléchir, d’évoluer… à condition de ne pas devenir barbant ! Encore une question de compromis, mais cette fois entre le divertissement et la réflexion, compromis assez bien trouvé dans les scénarii de David…

Des auteurs qui vous ont influencé/suscité votre vocation ?

David : Alors les inspirations sont nombreuses et souvent inconscientes. On retrouve ainsi un univers « comics », un lecteur a même comparé le héros de Sentience, Lucas, à Spiderman ! Après c’est le fruit d’un mélange de plus de 20 ans de lecture !

Mais je suis également passionné de cinéma, j’ai sans aucun doute été largement inspiré par l’univers de Spielberg, Zemeckis, Cameron… En termes de dessin, ma volonté était d’obtenir un trait proche de celui de Bruno Gazzotti, dessinateur de la série à succès Seuls ou encore SODA.

 

 

© Tome/Gazzotti chez Dupuis

 

 

© Tome/Gazzotti chez Dupuis

 

Tyef : Ah, pour le lecteur qui a comparé Lucas à Spiderman, c’est peut-être aussi de ma faute, Spidey est juste mon héros de comics préféré. Vers la fin du tome 2, Lucas est dans une situation qui m’a fait immédiatement penser aux comics, et il en prend un peu les poses, fatalement…

Je pourrais citer des tas d’auteurs (et je ne serais pas bien original), mais restons sur le cas Gazzotti, dont j’admire vraiment le travail, ce fameux compromis réalisme/humour qui sied si bien à Sentience. Je m’en étais déjà inspiré pour « Elysez-moi » (publié par Bac@BD) au point que j’ai dessiné « un Soda » dans une foule (DAvid SOlomon, hein, pas l’autre de la télé…). Ça reste une inspiration, bien entendu, l’ambiance de « Sentience » est au final assez différente de celle de « Seuls »… Et une inspiration parmi d’autres.

Au niveau des couleurs, que nous voulions bien tranchées, nettes et flashy, participant bien à la narration, j’ai pas mal fouillé dans mes vieux « Lucky Luke ». Morris allait vraiment à l’essentiel, et les couleurs y participaient d’une belle manière !

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Avant de collaborer sur cette série, vous connaissiez-vous ?

David : Pas du tout ! J’ai passé une annonce sur un site spécialisé à la recherche d’un dessinateur professionnel et après plusieurs retours, le dessin de Tyef s’est largement démarqué des autres ! Et l’aventure commença…

Tyef : Et au fur et à mesure de notre collaboration, on se trouve plein de points communs !

David, si je ne m’abuse, c’est votre premier scénario. Il vous a fallu apprendre sur le tas ou aviez-vous un background suffisant que pur vous y attaquer ? Le sujet fort et éminemment contemporain soulevé par Sentience ne vous a-t-il pas laissé le choix de vous lancer ?

David : C’est en effet mon 1er scénario. J’ai appris sur le tas mais ma culture du 7eme et 9eme art ont été de véritables atouts. Il fallait que je me lance car je voulais à tout prix m’engager dans cette cause. Beaucoup de personnes cherchent à se sentir « utiles » et faire quelque chose de « bien » dans leur vie. J’ai mis le temps mais, pour moi, la cause animale en vaut largement la peine et s’inscrit dans une évolution et une élévation de l’Homme qui ne peut se faire selon moi qu’avec l’acceptation et la reconnaissance de la condition animale.

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Comment en avez-vous pris connaissance ? Quel fut le déclic ? Et vous, Tyef ?

David : J’ai toujours été révolté par ce que l’Homme peut infliger aux animaux comme le braconnage par exemple, mais je n’avais jamais pris conscience que cela me concernait directement le morceau de viande dans mon assiette. Je n’avais jamais vraiment fait le lien entre l’animal vivant et mon steak. Disons que les campagnes de communication et de marketing ont eu raison de moi pendant toutes ces années.

Le déclic fut une vidéo diffusée sur la toile qui m’a poussé à me renseigner sur mon alimentation à et m’informer sur la « fabrication » …

Tyef : Ma mère végétarienne m’a appris à respecter les animaux, directement quand on les voit et indirectement quand on mange… Ma grand-mère beaucoup plus traditionnelle dans sa cuisine m’a appris qu’on ne changeait pas aussi facilement les habitudes de millions de consommateurs…

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Cette révélation a-t-elle changé votre quotidien ? Quel était votre rapport aux animaux, avant ? Et après ?

David : J’ai totalement changé mon mode de consommation. Je contrôle tout dans la mesure du possible, je vérifie les étiquettes, j’essaie de privilégier les produits français, sans produit animaux, non-testés sur des animaux et qui respectent une certaine forme d’éthique. Vous l’avez compris, mon rapport aux animaux a totalement changé.

Tyef : J’ai toujours été coincé entre les deux tendances. Plutôt que de me fâcher avec tout le monde, je suis devenu assez tolérant. Mais, de mon côté, je ne cuisine plus de viande depuis belle lurette… Et je trouve très intéressant de montrer par la bande dessinée les dérives de notre mode d’alimentation trop carné… Merci David!

 

© Volpi/Tyef

 

 

© Volpi/Tyef

 

Récemment, les vidéos de L214 ont bénéficié d’une « nouvelle notoriété », Aymeric Caron a sorti son «Antispéciste », Gilles Lartigot son « Eat », Pamela Anderson continue son combat, Rémi Gaillard a également réalisé un gros coup en sensibilisant à la cause des chiens des refuges. On avance ? Le sujet a-t-il été tabou pendant un long moment ? Quels sont vos « héros » dans ce combat ?

David : Je dois vous avouer que le sens de la répartie d’Aymeric Caron m’impressionne à chaque débat. J’aimerais en avoir autant ! À proprement parler, toute personne, association, blogueur… engagé dans cette cause est un héro du quotidien. Le travail des associations comme L214 est extrêmement important et donne une visibilité médiatique à cette cause qui touche d’office un plus grand nombre d’individus. Il arrivera un moment où l’excuse « je ne savais pas » ne sera plus recevable…

J’ai le sentiment qu’on avance, doucement certes, mais depuis plus de deux ans où je me suis engagé, il n’y a pas une semaine où le sujet n’est pas mentionné dans les médias (documentaire, JT, magazine…).

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Tyef : Moi aussi, j’ai l’impression d’être moins seul ces derniers temps. La technologie y est peut-être pour beaucoup. Si le fait que les abattoirs soient transférés dans des lieux confinés (cachés) a pu participer d’une plus grande consommation de viande, des caméras de plus en plus discrètes et des plateformes d’échange de vidéos montrent à nouveau au grand nombre ce qu’il en coûte de se nourrir d’animaux. Restent ceux qui, engoncés dans leurs traditions, ne veulent pas voir…

Avec le revers de la médaille, la cause animale n’est-elle parfois pas devenue un moyen de com’ ? (Je lisais cet article)

David : C’est sûr que les politiques s’empareraient de n’importe quoi pour gagner en notoriété. Mais globalement, je trouve cela positif, cela signifie que c’est un sujet prit en considération, qui revient sur le devant de la scène de manière récurrente et donne de la visibilité et de la légitimité à cette cause.

Tyef : Comme beaucoup de sujets en politique, il y a la com’ et les actes (les lois votées, appliquées, etc…). Pour faire la différence entre les deux, pas d’autre choix que s’en remettre (là encore) à l’intelligence des citoyens…

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Des lectures, des films à conseiller ?

David : La liste est trèèès longue ! Mais je vais vous conseiller mes coups de coeur.

En romans, il y a Dogsland de Tim Willock; Jonathan Livingston, le goéland de Richard Bach; Le sang des dauphins noirs d’Elena Sender et Abysses de Frank Schatzing.

En BD, Shangri-La de Matthieu Bablet; Sweet Tooth de Jeff Lemire; Des animaux et des bêtes de Bebb et Tatanka de Joël Callède, Gaël Séjourné et Jean Verney.

 

© Mathieu Bablet chez Ankama

 

 

© Mathieu Bablet chez Ankama

 

Enfin, au cinéma, Powder de Victor Salva, White God de Kornél Mundruczó, White Dog de Samuel Fuller et The Plague dogs de Martin Rosen

Peut-on dire que ce sujet vous a « bouffé », que vous n’avez pas arrêté de vouloir en savoir plus ?

David : On peut le dire oui ! J’en ai passé des nuits blanches…parfois cauchemardesques suite au visionnage de certaines vidéos, parfois de réflexion quant au scénario…

Tyef : Je me souviens d’un cauchemar dans lequel on me demandait d’égorger des bébés chats pour les manger… Brrr !

D’ailleurs, ces deux tomes, sans faire trop sérieux, sont bien informés, non ? Tout est vérifié ? Aussi, vous n’hésitez pas à renvoyer vers certains sites et blogs, y compris au cœur de l’album. Avec notamment, ce moteur de recherche, Ecosia, que votre héros utilise et qui n’est pas anodin ?

David : En effet, je m’inspire de faits réels. C’est la base du récit à savoir l’expérimentation animale, le trafic d’animaux, l’élevage intensif… je me suis informé et sans vouloir être trop moralisateur, j’ai inséré des éléments de réflexion dans ces albums. L’idée étant de faire vivre une incroyable aventure au lecteur tout en l’informant et en amenant une réflexion. À la fin de chaque album, une note « en savoir plus » vient confirmer et compléter les thèmes abordés dans la BD avec mes sources et les liens vers des sites spécialisés.

 

ecosia

 

 

ecosia

 

L’idée du moteur de recherche est de Tyef et je dois dire qu’il a eu une très bonne idée qui s’inscrit dans l’esprit de notre projet.

Tyef : Lucas est déjà un gamin qui chemine à vélo, a des posters écolos dans sa chambre, et respecte les animaux… Montrer qu’il utilise un moteur de recherche qui plante des arbres n’était qu’une manière de plus d’affirmer le personnage. Un personnage qui veut aller au-delà des habitudes de tout le monde (utiliser un des GAFA, « Google, Apple, Facebook, Amazon » sans y penser), qui sait que chacun de ses gestes implique des conséquences… Et puis c’est l’occasion de faire de la pub pour d’autres moteurs de recherche !

Vous envisagez chaque tome comme porteur d’un sujet ? Le premier, l’enlèvement de chiens ? Le deuxième, la condition des cochons ? Que nous réserve la suite ?

David : Exactement ! Et à chaque tome son association. Je reverse pour chacun 50% de mes droits d’auteur. L’Association Pro Anima pour le 1er, L214 pour le second et l’association végétarienne de France pour le dernier. Je viens d’ailleurs de reverser 500€ à Pro Anima 1 an après la sortie du 1er tome et je suis très fier d’aller au bout de mon engagement. J’espère en faire autant pour les prochains. Chaque asso est définie en fonction du thème abordé. Je précise que ce sont des thèmes de « fond » dans lequel se joue l’histoire principale. L’histoire se déroule en 3 tomes qui ne peuvent se lire indépendamment.

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Pour ce 3eme tome, j’ai peaufiné le scénario pendant pas mal de temps et il vous réserve de belles surprises et surtout toutes les réponses à vos questions : Qui est Doc ? Comment connait-il le père de Lucas ? D’où vient ce virus qui empêche toute reproduction chez les bovins ? Pourquoi Doc a-t-il incendié l’entreprise Sentience ? Qu’est-ce que l’Animal Project ? …

Tyef : J’ai l’impression que le troisième tome, en plus de donner une conclusion aux aventures des personnages, prend de la hauteur et montre des futurs possibles qui se décident aujourd’hui… Entre dérives de l’agro-alimentaire et questionnements animaux…

Au-delà des citations présentes en début d’albums, vous ne cachez ni ne gâchez les références. Une rue Moreau qui évoque Wells et l’ïle de son docteur, un tandem qui lorgne vers Marty McFly et le « Doc », n’est-ce pas ?

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

David : Je ne peux rien vous cacher ! J’aime bien placer quelques petites références et je rends également hommages au cinéma des années 80 consciemment (comme avec Doc) ou inconsciemment. Je m’en rends compte après coups avec le héros qui se déplace à vélo, les vilains au lycée… on retrouve pas mal de codes spécifiques au cinéma de Spielberg et Zemeckis qui se sont inconsciemment glissés dans  l’univers de Sentience.

Après, c’est aussi une histoire de super-héros ? Avec, comme dans toute bonne histoire fantastique, un vacillement qui va métamorphoser le héros. Sauf qu’ici, les effets ne sont pas permanents… Un pied de nez aux comics ?

David : Les effets ne sont pas permanents car la formule est bien dosée…peut-être qu’ils pourraient l’être… À suivre dans le T3…

Aussi, la série s’apparente plus à de la science-fiction qu’à du fantastique. Et oui comme dis plus haut, les comics m’ont aussi largement inspiré.

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Tyef, ce n’est d’ailleurs pas la première fois que vous mettez en scène un « super-héros », avant Lucas, il y avait Hyper-Man et, plus récemment, Nô ? Vous êtes naturellement attiré par les comics et leurs héros ? Vous ne pouviez pas refuser l’histoire de David ?

Tyef : Mes premières BD montraient en effet des super héros. Je ne qualifierais pas « Nô » de super héros, il est une sorte de fusion entre l’esprit comics et l’esprit franco-belge, il a un pouvoir spécial, mais pour le reste se trouve assez démuni, incomplet, et au coeur d’une enquête policière qui met en scène un personnage féminin bien plus fort…

 

Nô © Nicolas Lebra/Tyef chez Atypiques Éditions

 

 

Nô © Nicolas Lebra/Tyef chez Atypiques Éditions

 

Pour Lucas, c’est aussi une histoire de mélange des genres… J’ai bien l’impression que je  suis, mine de rien, en train de participer à une sorte de volonté de crédibilisation accrue des super héros en les incluant dans un monde plus crédible, plus réaliste…

Ils m’attirent, c’est évident : qui n’a jamais rêvé de super-pouvoirs ? Ils posent aussi malgré eux beaucoup de questions philosophiques sur notre monde (pour qui veut y réfléchir). Non seulement je ne pouvais pas refuser l’histoire de David, mais j’ai lutté pour participer à  cette aventure !

Y’a-t-il eu des défis graphiques sur cet album ? Les animaux par exemple ? Et ce tigre féroce ?

Tyef : Effectivement, je dessine rarement des animaux de moi-même. Mais le plus difficile, je pense, c’est de faire le lien entre l’homme et l’animal. Dans le premier tome, Lucas vit plusieurs pages sous l’apparence d’un chien, le but était de montrer d’une manière crédible que Lucas est à la fois le garçon et le chien. Quand le chien marche, court, est surpris, paniqué, etc. le lecteur devait voir Lucas dans le chien, se souvenir qu’il s’agit du même garçon aperçu quinze pages plus tôt…

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

À propos du tigre, dans le deuxième tome, ce fut plus facile, car il n’y avait plus de surprise. Le lecteur a été préparé à la transformation plusieurs pages en amont, et grâce au tome 1 a accepté le phénomène. J’ai donc pu « lâcher mon dessin » et aller davantage vers le tigre, pour accentuer « l’effet féroce ». C’est l’avantage de travailler sur une série !

Aussi, vous suggérez souvent l’idée de vitesse. Une envie de ne pas considérer le dessin comme immobile ?

Tyef : … comme figé, même. Je me trouve souvent trop descriptif, trop appliqué. Je veux être lisible, certes, pour que le lecteur comprenne bien ce qu’il se passe, mais pas au détriment de l’émotion, qui peut parfois exiger de ne pas tout comprendre. Suggérer plutôt que montrer.

Au-delà de son engagement, cette BD a, dans ses prémisses, fait le pari de réunir une communauté. Ne fut-ce que dans son financement. Comment cela s’est-il passé ?

David : La partie la plus compliquée ! Réunir des fonds pour la financer. Je ne vous cache pas que « réclamer » de l’argent n’est pas chose aisée. C’est toujours délicat et il faut bien évidemment justifier et légitimer ce besoin.

Bien qu’éditée chez YIL EDITION, l’impression et la diffusion sont pris en charge par l’éditeur mais ce dernier ne propose pas encore d’avance sur droits. Autrement dit, les auteurs ne sont pas rémunérés pendant le processus de création. J’ai fait l’impasse sur ma propre rémunération mais il fallait bien rémunérer Tyef dont c’est le métier. Rappelons que la BD représente une année de travail…

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

J’ai donc puisé dans mes économies personnelles et lancé une campagne de financement participatif via la plateforme Ulule. Pendant plusieurs mois, il a fallu communiquer sur les réseaux, démarcher des associations…

J’ai procédé de même pour le 2ème tome et je vais retenter l’aventure, dès ce mois de février, avec le dernier …

Tyef : La démarche du « financement participatif » est bien différente de « l’édition traditionnelle ». Plutôt que se balader dans un rayon BD et voir ce que le monde de l’édition a préparé pour lui, le lecteur fait l’effort d’acheter un album un an avant de l’avoir entre les mains. En contrepartie, le choix des albums est beaucoup plus large, et des cadeaux spéciaux sont disponibles (dédicaces spéciales, cartes et tableaux, personnages secondaires inspirés de photos des contributeurs, etc…).

C’est une démarche différente pour le dessinateur aussi dans le sens où l’éditeur n’est pas le seul à attendre que les 46 pages soient dessinées. Savoir que des dizaines de lecteurs ont déjà acheté l’album et attendent impatiemment de le lire rajoute beaucoup de pression, mine de rien…

Une bonne solution le financement participatif ? Mais n’y en a-t-il pas de trop, actuellement ?

David : Je ne peux pas vous dire s’il y en a trop mais le principe du crowdfunding ouvre la porte à tous les porteurs de projets. Dès lors qu’un projet est bien développé, bien défendu et s’adresse aux « bonnes personnes », il a toutes les chances de se voir aboutir. Je trouve ça génial, une communauté qui se mobilise autour d’un projet auquel elle croit.

Pour Sentience, le crowdfunding s’inscrit dans l’esprit de notre projet. En effet, c’est un projet qui défend des valeurs fortes avec une dimension collaborative ET associative.

Tyef : « Un Blake et Mortimer acheté est un Tintin que je ne vendrai pas ! » Hergé.

Dès le début de la BD il y a eu cette impression qu’il ne fallait pas trop produire. Le nombre d’albums publiés chaque année a énormément augmenté depuis, et beaucoup d’auteurs parlent de surproduction (mais sont-ils prêts à ne pas publier eux-mêmes ?). Là-dessus, se rajoutent les BD gratuites sur internet (blog, publications numériques gratuites) et le financement participatif…

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Évidemment, plus y a de projets, moins chaque projet a individuellement de chances d’être financé (les budgets des lecteurs n’étant pas extensible à l’infini). Du coup, certains porteurs de projets, comme ces auteurs de BD, comme Hergé au départ, voudraient limiter l’offre…

Ça se passe dans d’autres professions (les chauffeurs de taxi avec les licences (avant Uber), les médecins avec le numerus clausus, etc…). C’est frustrant pour ceux qui voudraient faire ces métiers et restent en dehors, mais ça donne une sécurité à ceux qui l’exercent… C’est un choix de société qui en plus fait intervenir un élément de taille : la précarité des auteurs. Vaste sujet.

Un mot sur YIL ?

David : Plusieurs même ! YIL est la maison d’édition idéale pour notre projet dont le   fonctionnement et la philosophie sont en parfaite adéquation avec notre concept. Elle représente une forme de BD libre et a permis à notre projet d’exister. C’est une maison d’édition « à compte d’éditeur » fédératif. Elle assure l’édition, l’impression et la distribution des livres papier et numérique. La diffusion étant partagée avec le réseau d’auteurs édités, c’est le pourquoi du mot fédératif et ce qui fait la particularité de YIL.

Elle a été créée pour contourner les difficultés que peut rencontrer aujourd’hui un projet professionnel, semi professionnel, ou amateur à exister sous la forme d’un livre papier ou numérique. La principale difficulté que rencontre un éditeur est la prise de risque financier lorsqu’il veut éditer un projet. Les quantités imprimées donc les coûts d’impressions dictés par des nécessités de diffusion/distributions classiques sont assez importants et la moindre erreur (surtout au début) ne pardonne pas…

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

C’est pourquoi YIL a choisi d’internaliser l’outil d’impression. Imprimer ses albums soi-même est en partie une solution à ce problème : les livres peuvent être produits en toute petites séries et, donc, permettre à un projet d’exister en livre quel que soit sa notoriété présumée et sans risque financier majeur. La contrepartie de ce beau procédé est bien sûr une rentabilité à court terme beaucoup moins bonne que dans l’industrie. Mais YIL croit plus en la vertu, et la rentabilité n’est pas forcement ce qui est le plus important dans un monde en plein crash économique.

Tyef : D’un point de vue graphique, c’est la première fois que je considère mes albums comme devant être imprimés en numérique… ça change un peu de l’impression BD traditionnelle (encore que j’ai l’impression que le lecteur moyen soit assez insensible à ces différences).

À moyen terme, les petits tirages répétés en cas de succès (ce qui nous arrive avec Sentience) pourraient poser la question de faire évoluer les albums entre chaque tirage. Un peu comme Hergé (encore lui) qui nous a offert différentes versions de chaque album de Tintin. Ce qui était réservé au maître du 9ème art est désormais accessible au plus modeste des auteurs, c’est un peu vertigineux…

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Sentience est prévu comme une trilogie. Dans un premier temps ? Ou un deuxième cycle est-il possible ?

David : Ce sera une trilogie ! L’imagination des lecteurs fera le reste.

Quelle a été la réaction du public ? Quel est-il ? Des lecteurs de BD, des défenseurs de la cause animale, un public tout horizon ? Des réfractaires, aussi ?

David : La campagne de crowdfunding nous a permis dans un premier temps de « prendre la température » du projet. Suite à son succès, nous avons vite compris le réel engouement suscité et l’attente du public pour ce projet.

Pour le 1er tome, les réactions ont été très bonnes, la principale critique étant le format trop court de l’album… Toutefois, Tyef et moi avons redoublé d’effort pour le 2eme opus pour répondre aux exigences des lecteurs. Un dessin plus travaillé, un scénario plus abouti…ce 2ème tome suscite encore plus d’enthousiasme.  Je dois avouer que cela me procure beaucoup de fierté mais également énormément de pression pour le dernier tome…

 

Recherches de personnages pour le tome 3 © Tyef

 

 

Recherches de personnages pour le tome 3 © Tyef

 

Concernant le public, je ne vous cache pas que les défenseurs de la cause animale représentent la majorité de nos lecteurs. Toutefois, des amateurs de BDs rencontrés lors de salons/festivals, par exemple, se laissent volontiers emporter par l’histoire, et par la cause qu’elle défend. Aucun réfractaire pour le moment ne s’est manifesté !

Tyef : C’est l’album le plus « grand public » que j’ai dessiné ! Des jeunes attirés par l’histoire et le dessin accessible, les ambiances colorées et l’histoire attrayante… C’est aussi un album que les parents achètent avec plaisir pour eux ou pour l’offrir à leurs enfants, ou faire un acte militant ! Mon plaisir personnel, c’est voir ceux qui m’avouaient « ne pas être trop  BD » le lire avec plaisir.

Au-delà de Sentience, quelle est la suite pour vous ? D’autres projets ?

David : Maintenant que j’ai mis un pied dans le milieu de la bande-dessinée, difficile d’en sortir ! J’ai un autre projet en effet autour de la corrida cette fois-ci et toujours dans l’esprit associatif. Tyef s’est montré très enthousiaste au vu des prémices du scénario …

Tyef : J’aurai toujours trop de projets pour les réaliser en une seule vie ! Donc je retourne bosser !

 

Propos recueuillis par Alexis Seny



Publié le 17/02/2017.


Source : Bd-best


Interview flash de Thierry Bouüaert et François De Smet, Les droits de l’homme aux édition du Lombard

En 1948, dans la foulée de la guerre et de la découverte de la Shoah, un comité de rédaction exceptionnel dirigé par Eleanor Roosevelt et René Cassin tentait de rédiger la toute première déclaration des droits de l'homme à vocation universelle. Cet évènement s'avérera être une confrontation constante entre plusieurs visions du monde : Orientaux et Occidentaux, Américains et Européens, Nord et Sud... Cette bande dessinée revient sur l'histoire de cette équipe qui a couché sur papier un rêve commun : un monde dans lequel l'homme ne serait plus une proie pour l'homme.

 


Qui a eu l’idée de la création de ce livre ?

 
C’est David Vandermeulen, le directeur de la collection qui définit avec Nathalie Van Campenhoudt, l’éditrice, la stratégie de la collection. C’est lui qui a songé à traiter ce thème. Très vite, le nom de François De Smet a été proposé par un autre auteur de la collection. David et Nathalie sachant que j’essayais de développer péniblement et sans succès un sujet traitant de la notion individuelle de la démocratie ont pensé à moi pour illustrer le texte de François sur l’histoire des droits de l’homme.

 

 

 

 

 


Qu’avez-vous appris lors de l’élaboration de ce livre ? 

 
C’est une excellente question que l’on m’a déjà posée mais j’avoue que je ne sais pas vraiment répondre car j’ai travaillé pendant dix-sept mois dans les textes et la recherche de documentation et j’admets que je ne sais plus très bien ce que je savais avant de débuter le livre par rapport à maintenant. Par contre ce que je sais, c’est qu’il y a eu des moments lumineux comme des moments extrêmement émouvants lorsqu’il s’est agi de glaner de l’information sur la période Hitlérienne et sur le génocide. C’était vraiment éprouvant pour moi de coopter les photos et de choisir laquelle dessiner, émotionnellement il faut digérer cela quand on dessine un amas de lunettes, un amas de cheveux voire des centaines de touffes de cheveux, c’est extrêmement éprouvant pour quelqu’un de sensible comme moi. Disons que l’un dans l’autre, je suis très fier d’avoir pu faire ce livre. Cela m’a permis de rafraichir ma mémoire personnelle sur la façon et les contextes dans lesquels les droits de l’homme ont été pensés et écrits, le contexte dans lequel cette charte a été négociée entre les différents pays car il y a quand même des notions différentes entre les notions occidentales et orientales. Par exemple, la place de la religion n’est pas du tout la même en Occident qu’en Orient, ce qui est très bien signalé dans le livre. C’est un vrai travail de diplomate et de philosophe que de travailler sur un aménagement pertinent de toutes ces données et de rassembler quelque chose de clairement fondateur de manière universelle afin de créer un texte qui puisse couvrir l’ensemble du monde pour qu’il soit une recommandation applicable partout dans le monde, c’est quand même une véritable avancée.

 

 

 

 

Photographie d'une planche à l'exposition (photo par Alain Haubruge).

 


Comment peut-on aborder ce livre ?

 
Je pense que cette bande dessinée est une piqure de rappel pour tout le monde. Un de nos objectifs est de trouver un moyen de fonctionner avec les écoles. Moi j’ai très envie d’aller parler de ce livre et je pense que François De Smet également. C’est important d’entretenir la conscience et l’exercice au quotidien des droits de l’homme, que les gens se rendent compte de ce que cela implique et veut dire l’exercice de la compréhension des droits, de leur respect pour chacun d’entre nous. Lorsque certains politiques aux vues étroites et simplistes cherchant surtout à gagner de l’électorat plutôt que de veiller au bien-être du plus grand nombre, la tentation est souvent très grande de raconter n’importe quoi sur l’immigration et sur ses dangers alors qu’en fait, nous ne sommes pas dans une période en Occident où l’immigration est la plus forte si on compare avec les années quatre-vingt-dix lors de l’immigration due au conflit en ex Yougoslavie ou elle était beaucoup plus importante. Cela n’a posé de problèmes à personne et je pense que l’on raconte souvent n’importe quoi par rapport à l’immigration dans des buts électoralistes discutables et il est bon que l’on rappelle avec les moyens mis à notre disposition quels sont les droits, pourquoi cela a été créé, à quoi cela sert. Finalement, c’est une notion vivante qui est un exercice permanent. Le socle est peut être gravé dans la pierre et le marbre mais à partir de celui-ci, on peut faire évoluer et développer ce texte de génération en génération. C’est un texte que l’on peut développer afin d’en faire quelque chose de plus complet pour permettre de faire face aux problèmes de notre temps. En 1948, on ne parlait pas tellement du droit des homosexuels ni d’autres grands thèmes de notre époque. Justement dans cette dynamique, je ne serais pas surpris de voir plusieurs livres sur ce thème apparaitre dans les prochaines années car c’est un besoin réel.

 

 

 

Thierry Bouüaert et François De Smet

 

 


Quelles sont vos attentes concernant cet ouvrage?

 
Mon plus grand souhait est que toute personne intéressée par ce thème puisse s’approprier ce livre.


Propos recueillis par Haubruge Alain.


« Les Droits de l’Homme » de Thierry Bouüaert et François De Smet.
Exposition au Musée de la BD à Bruxelles espace Gallery jusqu’au 05 mars 2017.

 

 

 

 



Publié le 03/02/2017.


Source : Bd-best


Yann et Olivier Schwartz mettent Spirou sur la trace de Tintin et du Congo : « Les repreneurs de série? Du pain béni pour les psys »

Le monde de la BD se divise en deux catégories. Il y a les surprises et les albums qu’on attend de longue date. Avec Le maître des hosties noires (deuxième et dernière partie de La Femme-léopard et troisième « Spirou vu par… » des deux auteurs), Yann et Schwartz réussissent pourtant les deux. Ce Spirou sur les traces de Tintin et du Congo cumule ainsi le sens de l’Aventure avec un grand A et vintage, un humour décapant et sans temps mort et une abondante et pertinente documentation souvent tournée en dérision. La « reprise » dans sa plus grande originalité. Nous avons rencontré les auteurs.

 

 

 

 

 

 

© Yann/Schwartz

 

© Yann/Schwartz

 

Bonjour Olivier, bonjour Yann, vous avez tout donné sur cet album, non ?

Yann : C’est exact ! À présent, je peux mourir ! Le Maître des Hosties Noire m’accueillera au milieu de ses fétiches à clous !

Olivier : Tout donné, c’est le mot. Après, je crois que ce n’est pas sérieux. Je ne suis pas assez léger avec Spirou. Je devrais être plus relâché, plus spontané, consacré moins de temps à la documentation. C’est Spirou, pas un manuel d’histoire, quoi !
Couverture alternative © Yann/Schwartz
Couverture alternative © Yann/Schwartz

Mais est-ce plus un album de Spirou ou de Tintin ? 😀 Auriez-vous aimé, à la façon des cross-over américains, voir ces deux personnages se croiser et vivre des aventures ensemble ?

 

 

Couverture alternative © Yann/Schwartz

 

 

Couverture de l'édition délicieusement "brusseleir" de ce nouvel opus © Yann/Schwartz/Croix chez Dupuis


 

Yann : Déjà fait, refait et surfait ! C’est la première idée qui vient quand on pense à un Congo humoristique ; « Tintin », c’est encore aujourd’hui à Kinshasa le surnom donné à un gringalet belge !

Olivier : C’est définitivement un Spirou. Tintin, c’est la perfection absolue. Chez Spirou, il y a des approximations, et j’en suis plus là. À part Franquin, pas mal de dessinateurs y faisaient des fautes… de dessin, de goût, de scènes…

 

 

Couverture de l'édition délicieusement "brusseleir" de ce nouvel opus © Yann/Schwartz/Croix chez Dupuis

 

 

© Schwartz

 

Mais je ne vous cache pas que mon Spirou est un peu mâtiné de Tintin, mon Spip de Milou et Fantasio serait un mix de Haddock et du Professeur Tournesol. Mais je ne suis pas un addict les cross-over. Il aurait fallu que cette dimension intervienne plus tôt dans l’une ou l’autre série.

D’un côté, un Spirou qui n’en finit plus d’être repris (avec brio, le plus souvent, la preuve avec votre album) et, de l’autre, un Tintin figé depuis des décennies (et ce malgré les colorisations etc.). Des forces et des inconvénients de ces deux postures ? Tintin et son image s’affaiblissent-ils alors que Spirou ne cesse de revivre au fil des aventures proposées par différents auteurs ?

Olivier : Les deux options sont valables. Le risque d’oubli vaut de toute façon pour chacune des séries. Mais, en ce qui concerne le héros d’Hergé, l’autorisation a été donnée à des éditeurs, des cinéastes pour faire perdurer le mythe Tintin. Puis, Hergé, c’est un créateur. Du niveau de ceux qu’on n’oublie jamais, comme Bach, Cézanne, De Vinci… Un véritable monstre.

Yann : Bah ! Il faudra bien un jour que Nick et Fanny autorisent une série « Tintin vu par »… ne fut-ce que pour conserver les droits sur le personnage crée en 1929… il leur reste auparavant à coloriser l’Alphart l’an prochain !

Olivier : Pour Spirou, c’est particulier vu que ce personnage appartient à la maison Dupuis depuis que Rob-Vel l’a vendu. C’est un orphelin à la fois dans la fiction et dans la réalité. Du coup, il a des pères à foison. Puis, il est toujours porté par un magazine, et c’est aussi sa force.

 

 

© Yann/Schwartz

 

 

© Yann/Schwartz

 

Quelles sont, pour vous, les reprises les plus réussies ? Pour Spirou et de manière plus générale ? Pourquoi ?

Yann : Toute reprise a un intérêt intrinsèque, puisqu’elle permet de dévoiler la personnalité profonde du créatif qui tente l’expérience ; c’est du pain béni pour un psy !

Olivier : Aucune hésitation, pour Spirou, la meilleure reprise, c’est celle de… Franquin. On oublie d’ailleurs que c’en est une ! Viennent ensuite celle de Chaland, de Bravo. J’ai aussi un gros faible pour ce que fait Alec Séverin.

 

 

lucky-luke-spirou-al-severin

 

 

lucky-luke - spirou par al-severin

 

Sinon, la reprise de Lucky Luke par Bonhomme est très réussie. J’aime aussi le travail d’André Juillard sur Blake et Mortimer. Et Aubin est très proche du dessin de Jacobs. Les Tuniques bleues de Lambil constitue également une reprise géniale.

Si on remonte un peu le temps, aux USA, quand Romita reprend des mains de Ditko Amazing Spiderman, il arrive à bonifier d’avantage le titre.

Chez Glénat, c’est Mickey qui trouve une seconde jeunesse avec des repreneurs de tous horizons. Vous vous y êtes intéressés ?

Olivier : J’ai adoré le Mickey de Cosey.

Yann : Donald, j’en rêve ! Celui de Carl Barks a bercé mon enfance ; il était inimitable, à cent coudées au-dessus du pâle palmipède dessiné par d’autres tâcherons dans le Journal de Mickey…

Si l’on revient aux prémisses, rafraîchissez-nous la mémoire, comment êtes-vous arrivé dans la collection « Le Spirou de… » ? Vous avez hésité ?

Yann : Jamais ! Spirou, c’est mon troisième petit frère !

Olivier : Pas le moins du monde. On avait déjà essuyé deux refus pour reprendre des séries; Freddy Lombard et Gil Jourdan. On était clairement dans cette dynamique. Et suite à une succession de désillusions chez Dupuis, ils ont dû se dire : « On va leur donner un os à ronger« . C’était Spirou.

 

 

© Yann/Schwartz

 

 

© Yann/Schwartz

 

Vous aviez tous les deux la même vision de Spirou ? Quelle est-elle ? Quel est le « contrat » à remplir tout en trouvant le terrain pour s’amuser ?

Olivier : On est complètement en phase pour Spirou. Je voyais bien un Spirou contre les Nazis, comme le Captain America des années 40. Et Yann a opportunément ressorti son vieux scénario du Groom Vert-de-Gris composé avec et pour Yves Chaland. Il l’a réécrit de fond en comble.

Yann : Olivier et moi sommes branchés sur la même fréquence radio « Prousto-madeléno-zygomatique » !

 

 

© Yann/Schwartz

 

 

© Yann/Schwartz

 

En tout cas, c’est peut-être plus une aventure de Fantasio que de Spirou, non ? Vous lui avez donné de l’importance?

Olivier : Confidence : Yann se prend pour Fantasio. Alors, il m’a assigné le rôle de Spirou… mais il tire toute la couverture à lui dans ce troisième album.

L’idée de ce tome et de son scénario était-elle déjà bien présente au moment d’aborder le premier tome de La Femme-léopard ?

Yann : Erreur, l’intrigue est le fruit de discussions avec Olivier sur le sujet ; je fais du sur-mesure : le but est de donner du rêve et de l’enthousiasme à un malheureux enchaîné à sa table à dessin, qui va « sukkeler » comme on dit à Bruxelles, pendant un an ou deux sur 62 pages. D’où le petit jeu entre nous : Olivier connaît l’intrigue générale, mais pas le détail. Je m’efforce de le surprendre et de l’amuser à chaque fois que je lui envoie une séquence de découpage, afin de le stimuler !

 

 

© Yann/Schwartz

 

 

© Yann/Schwartz

 

Olivier : L’idée de les faire partir en Afrique, je l’ai imposée à Yann qui en a profité pour demander deux tomes à Dupuis. Mais on avait bossé en amont et certaines scènes du tome 2 ont été brossées sur un coin de table au fond d’un estaminet d’Ixelles. Avant de commencer La Femme-léopard.

Le fantôme d’Yves Chaland flotterait-il un peu sur cet album ?

Olivier : Le fantôme ? Bof, ce qu’il a fait le rend tellement vivant.

Yann : J’ai conservé le nom de la contrée imaginaire du Congo où sont censées vivre les femmes-léopard ; c’est un petit clin d’œil entre lui (sur son nuage) et moi …

Cette arrivée dans ce Congo belge, comment l’avez-vous préparée ? Comment vous documentez-vous ? D’autant que vous faites dans le détail, y compris les affiches et les dialogues et les chansons en dialectes souvent croustillants.

Yann : Ma technique de travail est simple. Je lis tout ce que je peux trouver sur un sujet, en épluchant les notes en bas de page et la bibliographie, je digère, je noircis du papier, j’en rêve la nuit… et sur cet album, j’ai beaucoup surfé sur les forums de discussion congolais (très ouverts ! Pas besoin de montrer patte blanche pour y participer!) entre les « noix de coco » (mâles)  et les « chouques de Bruxelles » (femelles), c’est-à-dire les congolais nés en Belgique, avec les vrais congolais de Kinshasa ; en effet, certaines habitudes, expressions et traditions sont mystérieuses pour les uns et les autres…

 

 

© Yann/Schwartz

 

 

© Yann/Schwartz

 

Olivier : Je fais feu de tout bois. Titres achetés, bibliothèque, internet, j’ai même eu l’autorisation de pénétrer dans le Palmarium, un jardin de plantes à Nantes, pour faire des croquis sur le vif.


Vous en perpétuez finalement intelligemment les clichés répandus dans la BD ?

Yann : La parodie se nourrit en partie de clichés ; tout l’Art des auteurs consiste à essayer de leur trouver un traitement original et surprenant.

Une période faste pour les grandes aventures ?

Yann : Vu l’époque un peu glauque et désabusée, la perte des illusions et des grandes valeurs, la fiction, le rêve et la comédie musicale sont les bienvenues pour apporter un peu de réconfort nécessaire…

Olivier : C’est le retour des années 80 avec la grande aventure.

Dans ce dépaysement, Olivier, il n’y a pas que les femmes qui sont léopards, et c’est sans doute votre album le plus animalier, non ? Un défi de dessiner certaines bêtes ?

Olivier : « Dessinons des animaux« , c’est un bouquin pour enfants d’Anne Davidow qui date des années 60 et c’est un des premiers livres que j’ai possédé, enfant.

Ceci explique sans doute cela. Puis, il y a l’amour s’immisce en fin d’album. Amoureux, Spirou ?

Yann : Bien sûr ! Si Charles Dupuis avait lâché la bride à Franquin, il est évident qu’il aurait développé les rapports entre la jeune et jolie Seccotine, astucieuse et malicieuse, l’alter égo féminin de Spirou…

Olivier : Ce n’est pas Les Nombrils ou Tamara, non plus. L’amour est savamment dosé, homéopathiquement.

Malgré le bouillonnement et la frénésie de cet album, je trouve que vous dosez brillamment les choses. Vous avez évité d’en faire de trop ?

Yann : C’est à vous de me le dire. J’ai en tout cas essayé d’être généreux avec le lecteur. En 1966, j’ai été envoyé en pension en Bretagne et je n’ai eu le droit que d’emporter un album de BD: j’ai emporté « QRN sur Bretzelbourg », qui venait de paraître.  J’ai dû le relire des dizaines de fois cette année-là… il était tellement riche que je découvrais des petits détails à chaque relecture ! Depuis, je déteste les albums lus en un quart d’heure !

 

 

© Yann/Schwartz/Croix chez Dupuis

 

 

© Yann/Schwartz/Croix chez Dupuis

 

Vous sortez d’une admirable trilogie qui aura duré près de dix ans. Spirou, c’est fini pour vous ? Quels sont vos projets ?

Yann : Je travaille déjà sur un nouveau sujet pour Spirou, totalement différent !

Olivier : Nous avons aussi le projet d’une série à nous, Yann et moi. Enfin !

Aimeriez-vous partir vers une autre reprise ? De quel héros ?

Olivier : C’est tentant. Un peu comme de passer devant une vitrine de pâtissier.

Yann : Gil Jourdan, bien entendu ! Aaaah … la petite « Queue de Cerise » … et le vieux Croûton !


La suite de Gringos Locos a-t-elle toujours un maigre espoir de voir le jour ?

Yann : Il y a toujours de l’espoir ! Mon synopsis est prêt !

Olivier : … mais c’est au point mort.

 

 

© Yann/Schwartz

 

 

© Yann/Schwartz

 

Croisons les doigts ! Un immense merci à tous les deux et à très vite. Et bonne année!

 

Propos recueillis par Alexis Seny



Publié le 27/01/2017.


Source : Bd-best


Entre Jorn Riel et Hunther S. Thompson, Hervé Tanquerelle fait son Groenland Vertigo

Et si on allait prendre l’air ? Celui pur et vivifiant d’un Groenland fantasmé. Il y a cinq ans, dans un mois d’août qui ne voit pas la nuit, Hervé Tanquerelle embarquait pour une expédition artistico-scientifique au coeur du Parc National du Groenland. Il a fallu du temps pour que l’auteur trouve comment raconter le mieux cette histoire. Dans un style hérité de Hergé (mais pas trop) et dans de magnifiques paysages, c’est un voyage qui vaut la peine d’être lu/vécu, entre fiction et réalité, entre Jorn Riel et Hunther S. Thompson. Nous avons rencontré ce Breton « heureux qui, comme Ulysse ». Interview et carnet de voyage en fin d’article.


 

 

© Hervé Tanquerelle

 

 

© Hervé Tanquerelle

 

Bonjour Hervé, Groenland Vertigo, c’est avant tout l’histoire d’un voyage fait il y a pas mal de temps ? Pourquoi avoir mis cinq ans ?

C’est vrai que ça a pris un peu de temps. Pour plein de raisons, notez. Et plein d’autres choses en parallèle. Pourtant, cette expédition, j’y ai pris part avec une véritable envie d’en faire un bouquin. Pourtant, à la fin de ce voyage, j’ai dû me rendre à l’évidence, je n’avais pas assez de matière que pour être pertinent et réaliste. La raison est simple: le langage. Sur ce bateau où certains parlaient allemand et d’autres norvégien, nous n’avons pas su assez communiqué.

Vu cette absence de conversation de fond, j’ai dû mettre ce projet d’album entre parenthèse, le temps de trouver la manière qui me permettrait de parler de cette expérience. Elle est venue quand Brüno et Gwen de Bonneval m’ont relancé en amenant l’idée de… fiction !

 

 

© Hervé Tanquerelle

 

 

© Hervé Tanquerelle

Et petit à petit, j’ai glissé vers les Racontars, ces récits mêlant fiction et réalité, tels que Jorn Riel en avait écrit et que nous avions adapté, Gwen et moi, il y a quelques années. Un racontar, selon Jorn Riel, c’est une histoire vraie qui pourrait passer pour un mensonge à moins que ce ne soit l’inverse. Tout est dit.

Mais qu’est-ce qui est vrai, alors ?

Il ne faut pas que je le dise (rires). On comprend très vite ce qui est plausible. Mais, en même temps, Jorn Riel dit aussi que, dans ces Racontars, il n’a pas écrit certaines anecdotes véridiques parce que les lecteurs ne les auraient pas crues une seule seconde. Alors que…

Alors que la bande dessinée s’est mise à l’heure du reportage et du documentaire, vous aussi avec La communauté, vous revendiquez ici le droit au mensonge.

Oui, c’est raccord avec le propos de Jorn Riel, puis ça faisait sens dès lors que je ne savais pas tirer de ce voyage un documentaire. Mais je suis aussi un grand admirateur de Hunter S. Thompson, de sa manière de déformer la réalité, de faire de l’autofiction tout en écrivant de manière journalistique. À un moment, j’ai d’ailleurs pensé appeler cet album Groenland Parano. Mais finalement, ce que je racontais était assez éloigné des péripéties du gonzo journaliste. Ce n’était pas si rock’n’roll que ça et il n’y avait pas de drogue… si ce n’est le whisky.

 

 

© Hervé Tanquerelle/ Isabelle Merlet chez Casterman

 

 

© Hervé Tanquerelle/ Isabelle Merlet chez Casterman


Du coup, je me suis rabattu sur « Vertigo », un mot utilisé par Jorn Riel pour caractériser la folie des trappeurs pris dans la solitude.

Niveau dessin, on est d’ailleurs loin du carnet de voyage ou du reportage, vous vous raccrochez plus que jamais à Hergé !

Oui, et si l’idée de la fiction est arrivée tardivement, celle de mettre ce voyage à la sauce Ligne Claire est arrivée très rapidement. Scénaristiquement et graphiquement, j’entends. Bon, je savais le faire, je m’en étais rapproché dans La communauté ou Faux visages. Mon vocabulaire d’auteur de BD y est lié et je n’en étais pas si loin que ça. Mais, c’est vrai qu’ici, j’ai fait un pas en plus, j’ai poussé les curseurs à fond. Pour les personnages, en tout cas ! Car les paysages devaient garder leur aspect réaliste, avec du lavis et l’encre de Chine…

Mais, au niveau des personnages qui faisaient partie des participants à cette aventure, il y avait aussi cette ressemblance avec des personnages d’Hergé. Jorn Freuchen pas si loin d’Haddock, un Carreidas, des Dupondt, un Tournesol. Je voulais leur insuffler une certaine patine, avec l’ombre d’Hergé qui planerait. Un certain hommage à l’Étoile Mystérieuse, mais pas seulement. Cela dit, il n’était pas question de verser dans le plagiat ou le pastiche qui auraient empêché, étranglé ma narration personnelle.

 

 

© Hervé Tanquerelle/ Isabelle Merlet chez Casterman

 

 

© Hervé Tanquerelle/ Isabelle Merlet chez Casterman

 

Il y a aussi votre héros qui porte un triple-prénom, George-Benoît-Jean. Ce qui fait penser à George-Rémi, non ?

Je m’en suis rendu compte plus tard. Mais il s’agit en fait de mes trois vrais prénoms, ceux qui suivent Hervé. Ça sonnait bien, donc je les ai gardés. Ce personnage, c’est mon avatar, j’y ai mis beaucoup de moi, forcément. Sans doute, est-il un peu plus maladroit et angoissé.

Qu’est-ce qui vous a marqué en arrivant au Groenland ?

Tout m’a marqué. Mais, quand j’y repense, j’ai eu une certaine difficulté à comprendre les distances. Était-ce loin ? Était-ce proche ? On m’a expliqué que c’était lié à la pureté de l’air. Parfois, quelque chose était très visible et pourtant très éloigné, à des kms et des kms.

 

 

© Hervé Tanquerelle

 

 

© Hervé Tanquerelle
Extrait du carnet de voyage © Hervé Tanquerelle

 

Puis, le Groenland, c’est un fameux décalage. Nous étions en août, et sous ce soleil qui brillait 24/24h, omniprésent, j’étais paumé. D’autant plus que le paysage semblait immuable.

Vous parliez de cette frustration à ne pas avoir su parler plus, mais au final, cette incompréhension est une des forces motrices de cet album, non ?

Peut-être suis-je passé à côté de quelque chose mais j’ai réussi à m’en amuser. D’un défaut, j’ai réussi à tirer quelque chose. Comme quoi, la difficulté d’un Français à parler une autre langue peut servir.

Bon, je n’ai pas chipoté pour représenter chaque langue partout, tout le temps. Ça aurait été trop casse-tête et illisible. Du coup, la majorité de l’album est en Français. Par contre, certains passages bien choisis sont en danois ou en allemand. Pour comprendre mon malaise pris entre ces langues que je ne maîtrisais pas. Et pour couronner le tout, j’ai repris une fausse-typo Tintin que Casterman m’a laissé utiliser.

 

 

© Hervé Tanquerelle/ Isabelle Merlet chez Casterman

 

 

© Hervé Tanquerelle/ Isabelle Merlet chez Casterman

 

Il y a cette mer. En tant que Breton, vous avez eu facile à l’apprivoiser pour la dessiner ?

Oui, Breton, et ma maman est Vendéenne, donc je suis bien ancré dans la culture maritime. Mais, c’était quasiment la première fois que je mettais les pieds sur un bateau ! Cela dit, je li beaucoup là-dessus. Mon dernier coup de coeur ? Le grand marin de Catherine Poulain.


Les couleurs sont très réussies, en tout cas.

Elles sont d’Isabelle Merlet avec qui j’ai déjà pas mal travaillé. Elle est douée et talentueuse. J’espérais qu’elle bosserait de cette manière. Elle s’est basée sur des photos faites sur place, auxquelles j’ajoutais parfois des indications météo. J’avais une idée précise de ce que je voulais. Il était important de retrouver le moment précis.

 

 

© Hervé Tanquerelle/ Isabelle Merlet chez Casterman

 

 

© Hervé Tanquerelle/ Isabelle Merlet chez Casterman

 

Pendant longtemps, cet album devait faire 96 pages. Au final, il en fait 98.

Oui, j’ai rajouté deux pages. « Je trouvais que j’allais trop vite alors je me suis ajouté 2 pages de plus« , explique-je sur mon blog. Mais j’ai rajouté une scène, un grand moment de bravoure, dans laquelle George-Benoît-Jean et Jorn Freuchen chasse le lagopède à coup de jets de pierre. Une anecdote drôle, surprenante qui expliquait certaines choses, y compris sur la relation de ces deux personnages.

 

 

© Hervé Tanquerelle/ Isabelle Merlet chez Casterman

 

 

© Hervé Tanquerelle/ Isabelle Merlet chez Casterman

 

L’un des moments les plus « Haddock-esque » de l’album. Mais aussi une certaine idée du western.

C’est marrant que vous disiez ça parce que j’ai un temps imaginé que cette histoire pourrait être un récit d’anticipation. Le Groenland serait devenu une sorte de nouveau far-west connaissant une guerre de l’or noir. Je ne dis pas que je n’y reviendrai pas dans un prochain album. Surtout que pendant mon voyage retour, j’ai croisé un Français travaillant pour une grosse compagnie pétrolière qui venait de passer quinze jours à prospecter les côtes du Groenland en compagnie de gens du même monde… Ça fait un peu froid dans le dos.

 

 

© Hervé Tanquerelle

 

 

© Hervé Tanquerelle

 

Vous avez rencontré des Inuits ?

Oui, j’ai rejoint le village le plus à l’est du pays. J’étais seul, en immersion. Mais là encore, cela n’a pas été simple de rentrer en contact avec eux. C’est seulement après que quelqu’un m’a dit qu’il ne fallait pas hésiter à rentrer chez eux, qu’ils n’attendaient que ça. Mais ce n’est pas vraiment dans nos mentalités. J’adorerais approfondir cette expérience.

Malheureusement, leur situation est délicate depuis longtemps. Sous perfusion danoise, ils sont autonomes mais pas indépendant. Puis, comme tout le monde, ils ont besoin d’argent et leur revenu principal vient de la pèche, de plus en plus difficile à exercer.

À cela s’ajoute aussi une culture ancestrale qui se transmet de moins en moins. Ils sont pieds et poings liés aux lobbies du pétrole et du charbon pour qui le Groenland fait figure de mine d’or… Après, je ne suis pas un expert, mais c’est ce que j’en ai compris. Le sort des Inuits est comparable aux Indiens d’Amérique.

Revenons à des choses plus réjouissantes pour conclure. Groenland Vertigo aura droit à un tirage de luxe. Une première pour vous.

Ah oui, quand l’éditeur me l’a demandé, j’ai trouvé ça super chouette. Cela prouvait qu’il y avait de l’intérêt pour mon livre. Mais, sans ça, j’étais déjà sur un petit nuage, de par l’enthousiasme des premiers lecteurs.


Propos recueuillis par Alexis Seny

 

Titre : Groenland Vertigo

Récit complet

Scénario et dessin : Hervé Tanquerelle

Couleurs : Isabelle Merlet

Genre : Autofiction, Voyage

Éditeur : Casterman

Nbre de pages : 104

Prix : 19€



Publié le 24/01/2017.


Source : Bd-best


Le premier Nestor Burma de Moynot reprend des couleurs: « J’étais là pour servir le roman, pas pour me faire plaisir à ses dépens »

Je ne sais pas vous, mais moi, ça m’a toujours énervé de remarquer sur les sites de certains éditeurs et même sur les couvertures et les pages-titre de certains albums, que les coloristes étaient souvent « oubliés », comme si leur travail avait été mineur par rapport à celui d’un scénariste ou d’un dessinateur. Pourtant, si le scénario et le dessin font office de colonne vertébrale d’un récit, tout se joue parfois sur la couleur qui rendra pétillant, sexy, voyageur, noir, etc. un récit. Et à l’heure où il n’y en a eu, ces dernières semaines, que pour Tintin et ses Soviets colorisés, Emmanuel Moynot a passé quelques mois à réviser les couleurs de son premier Nestor Burma en compagnie de Chantal Quillec. Un travail d’orfèvre sur un Saint-Germain-des-Prés qui sort de la fadeur pour gagner en atmosphère et gagne donc à être relu et redécouvert. Interview du tac au tac avec Emmanuel Moynot.

Résumé de l’éditeur: Paris, été 1957. Nestor Burma enquête pour le compte d’un client dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés. Manière pour le détective de nouer quelques connaissances parmi les cercles artistiques et intellectuels qui semblent avoir élu domicile dans ce secteur de Paris : écrivains, critiques, musiciens. C’est sur les traces de l’un deux, justement, que Burma est lancé : Charlie Mac Gee, batteur de jazz talentueux, et sans doute aux prises, aussi, avec les milieux de la drogue et de la délinquance qui gravitent autour de ce genre d’artiste. Avec le concours de Marcelle, compagne de circonstance, Burma parvient finalement à loger son client, dans un hôtel de la rive gauche. Il n’y a qu’un seul ennui :il est mort…

 

 

© Emmanuel Moynot

 

 

© Emmanuel Moynot

 

Bonjour Emmanuel, votre dernier album n’en est pas un ! Vous vous êtes replongé dans votre première aventure de Nestor Burma, onze ans après sa parution. Comment cela s’est-il fait ?

C’était mon souhait depuis longtemps. Je n’aimais plus l’ancienne mise en couleur et je souhaitais harmoniser le traitement avec les tomes suivants. J’ai sauté sur l’occasion quand on m’a dit que le titre était épuisé et qu’il allait être réimprimé.

Cela veut-il dire que vous étiez mécontent de votre travail ?

Je n’ai pas, ou pratiquement pas touché au dessin, hormis pour la couverture. C’est les couleurs qui me posaient problème.


À l’époque vous preniez la relève de Tardi. Même si vous étiez loin d’être un jeune premier, ça vous a mis la pression ? Cela a-t-il été facile de vous émanciper de la marque qu’il avait posée sur Burma ? En avez-vous discuté avec Jacques ?

Je me suis souvent exprimé là-dessus. La grande difficulté était de contenter tout le monde : Tardi lui-même, en premier lieu, bien sûr. Lui et moi souhaitions que la reprise soit bien marquée, qu’il n’y ait pas d’ambiguïté. Mais il fallait satisfaire aussi l’équipe Casterman de l’époque, qui n’était pas tout à fait au même diapason. Ça a généré pas mal de pression qui a sans doute rejailli sur mon travail de l’époque et explique que je me sois retiré de la série pendant quelques années.

Que vous évoquait le personnage de Nestor Burma, à l’époque ? Un héros dont vous vous sentiez proche ?

C’était un personnage familier, parce que j’avais lu tous les romans de Malet dans les années 80, après l’avoir connu par l’adaptation de Brouillard au pont de Tolbiac. Au long des trois premières adaptations que j’ai réalisées, c’est resté un personnage de papier. Mais dans le dernier tome sorti, Nestor Burma contre C.Q.F.D., je crois avoir réussi à lui insuffler un peu de chair, et de vie.

 

 

Nestor Burma contre CQFD © Moynot

 

 

Nestor Burma contre CQFD © Moynot

 

Nestor, c’était aussi une manière de redécouvrir Paris, la ville où vous êtes né, non ? Le Paris de Nestor était-il proche du vôtre ?

Paris sera toujours Paris ? Non, mon Paris est assez différent. Il suffit sans doute de se référer aux nombreux récits que j’y ai situé pour s’en rendre compte : Bonne fête, Maman !, Pendant que tu dors, mon amour…

À lire aussi| Emmanuel Moynot: « L’Original, c’est le constat de la fin du monde »

Et Saint-Germain-des-Prés vous en étiez familier, vous le musicien ? Le fait que Nestor soit focalisé sur son enquête ne permettait pas pour autant à votre crayon d’y flâner, une frustration ?

J’étais là pour servir le roman, pas pour me faire plaisir à ses dépens. Rien ne m’empêche de faire de la musique ou de musarder où bon me semble en dehors de cela.

 

 

 

 

Gris de la planche 2 © Moynot

 

Venons-en au travail qui vous a occupé de longs mois. Cet album, vous avez dû vous le réapproprier ? Êtes-vous perfectionniste ?

Non, pas perfectionniste. Mais j’ai une idée assez définie de ce à quoi mon travail doit ressembler. C’est même sans doute ce qui me différencie du reste du monde : je fais du Moynot bien mieux que qui que ce soit, comme Tardi est le seul à pouvoir faire du Tardi.

La couleur a été refaite avec l’aide d’une coloriste, Chantal Quillec.

Chantal a réalisé seule les couleurs de C.Q.F.D. Elle m’a ici donné un gros coup de main.

 

 

 

 

Version 2017 de la planche 3 © Moynot/Quillec chez Casterman

 

En parlant de couleurs, autre album revu et corrigé qui a défrayé la chronique : Tintin au pays des Soviets. Qu’en pensez-vous?

Je ne l’ai pas relu depuis des années. Mon souvenir est que le fond est un tissu de clichés de l’époque, sans véritable trame narrative. La mise en couleur a selon moi l’intérêt de faire ressortir les authentiques qualité du dessin, souvent décrié. Le dessin est excellent, très maîtrisé, très bien composé. On peut préférer la version noir et blanc, ou trouver cette édition superfétatoire. Personnellement, j’y suis tout à fait indifférent. Je ne suis ni un intégriste, ni un nostalgique.

Combien de temps cette révision vous a-t-elle pris ? Autant de temps que la conception d’un album original?

Non, puisque je n’ai refait que les couleurs. Trois mois, pour autant qu’il me semble.

Il y a eu Tardi, Moynot mais aussi Barral, que pensez-vous de son Nestor Burma ?

Il fait ce qu’il faut qu’il fasse: du Barral. J’ai hâte de voir ce qu’il fera la prochaine fois.

 

 

Micmac moche au Boul'Mich © Barral chez Casterman

 


Micmac moche au Boul’Mich © Barral chez Casterman

 

Nestor Burma est finalement multi-supports et multi-médias, en livre, en bd, sur les écrans (petits ou grands), ce n’est pas le cas de toutes les fictions. Comment expliquez-vous cela ? Et qu’apporte la BD par rapport aux films ? Quelle est la richesse de la BD par rapport aux autres arts?

Grave question. Dans le cas de Burma, la bande dessinée a l’avantage de respecter l’époque à laquelle les romans sont situés. Et de ne pas inventer à Nestor des centres d’intérêt qui n’ont jamais été les siens. Nous sommes plus libres, en somme.

En pleine période d’Angoulême, que pensez-vous de ce festival ?

Comme tout le monde. Que c’est un grand bazar. Qu’en penser d’autre ?

Quels sont vos projets ? Un autre Burma, notamment ?

Oui. L’homme au sang bleu, qui se déroule à Cannes en 1946.

Et le Petit Monsieur ?

Un jour, sans doute. Mais j’ai déjà quelques autres casseroles sur le feu.

Propos recueillis par Alexis Seny

 

Série: Nestor Burma

Tome: 6 – La nuit à Saint-Germain-des-Prés

D’après le roman de Léo Malet

Scénario et dessin: Emmanuel Moynot (Facebook)

Couleurs: Chantal Quillec et Emmanuel Moynot

Genre: Polar

Éditeur: Casterman

Nbre de pages: 72

Prix: 16 €



Publié le 23/01/2017.


Source : Bd-best


Grégory Lange présente Ernest, un savant fou en herbe: « Je cherche l’accident et un maximum d’explosions »

Grégory Lange accompagné de son feutre et de son papier, de quelques originaux aussi. Le trentenaire originaire d’Ath a de la bouteille et un dessin protéiforme qui, malgré sa force, est resté longtemps dans les cartons. Après un sketchbook remarqué, Grégory se révèle un peu plus et donne vie à Ernest, un inventeur en herbe à l’allure « gastonienne » toujours suivi par Bucky, dont on se demande s’il ne serait pas le cousin caché de Vertignasse. Un prélude à une aventure qu’on a bien envie de suivre. Et de près.

 

 

 

 

D.R.

 

Grégory Lange

 

Bonjour Grégory, d’où vous vient cet intérêt pour la BD?

La bande dessinée, c’est une passion de gosse. Les animés japonais comme ceux d’Akira, encore plus. Pendant longtemps, je n’ai jamais ouvert un Astérix ou un Boule et Bill. Puis, j’ai découvert Loisel, la science-fiction. Mes envies de dessin sont venues vers l’âge de six ans. Maman m’a encouragé. Je me souviens avoir dessiné un Musclor, tout bonnement affreux. Mais elle m’a inscrit à l’Académie. Bien sûr, on ne pensait pas à l’avenir et, après mes humanités, j’ai ouvert un magasin de manga à Bruxelles, Otakus BD.

 

 

© Grégory Lange

 

 

© Grégory Lange

 

Quelques années plus tard, après avoir déposé le bilan, je me suis inscrit à l’École des Arts d’Ixelles et j’y ai rejoint le collectif Jacadit. Nous réalisions des recueils sur des thèmes bien précis: 14-18, le fantastique, cabinet de curiosités, la cuisine (avec en invité de luxe, Alexandre Dionisiot de Top Chef).

 

 

© Grégory Lange

 

© Grégory Lange

 

C’est à cette époque d’est né Ernest, alors?

Ce n’est pas mon premier projet. Avant ça, il y en a eu plusieurs autres qui ont été refusés ou qui n’ont pas vu le jour malgré qu’ils étaient bien partis. Notamment avec Stéphane Louis et Véra Daviet mais aussi avec Bosse.

Il faut dire qu’avant, j’étais plus dans un style réaliste. Et lors d’un coup de blues, j’ai commencé à griffonner des zombies, des monstres. J’ai publié un sketchbook concentré sur un hommage à Franquin. Je suis un amoureux de son dessin mais aussi de sa façon de penser.

 

 

La première planche de Bayou, une série qui n'a pas abouti ©Louis/Lange/Daviet

 



Et Ernest?

C’est un p’tit gars, un inventeur qui teste des véhicules improbables. L’idée m’est venue après un Inktober Challenge. À force de proposer chaque jour un dessin, je me suis dit que je me lancerais bien dans une série avec des véhicules improbables.

 

© Grégory Lange

 

 

© Grégory Lange

 

Avec Ernest, je cherche l’accident et un maximum d’explosions. Chaque gag réside en 2 ou 4 planches, et le format de ce premier album est à l’italienne. En fait, c’est le n°0, je le vois comme un prologue, la suite devrait être plus longue, dans la veine des aventures des Goonies. Pourquoi ne pas s’intéresser à la cryptozoologie, aussi?

 

 

© Grégory Lange

 

 

© Grégory Lange

 

Et les éditions Bande à Part?

Dans un milieu trop individualiste, qu’il est bon de retrouver une dimension participative. Naturellement, ce n’est pas simple, mais ça ne l’est personne et je suis heureux où je suis.

 

 

© Grégory Lange

 

 

© Grégory Lange

 

Et ça tombe bien, on adopte très vite ce petit bonhomme d’Ernest qui n’a rien à envier à ses prédécesseurs. Tour à tour as de la bévue, tonitruant entre Kid Paddle et Gaston Lagaffe, fidèle en amitié et généreux, Ernest fait des étincelles et semble n’en être qu’à ses premiers pas. La suite risque de valoir son pesant de drôlerie.

 

Propos recueuillis par Alexis Seny



Publié le 10/01/2017.


Source : Bd-best


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