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Interview: Bande à part, un éditeur BD qui persiste et signe à trouver des pépites

Faire bande à part, ça peut être un inconvénient. Sauf qu’ici, c’est un sérieux avantage. Depuis quelques années, l’éditeur hennuyer David Canion (également auteur de BD) a lancé sa propre maison d’édition. Petit à petit, l’oiseau fait son nid et compte désormais douze publications, tous azimuts. Lors de la dernière Fête de la BD d’Andenne, les Éditions Bande à Part étaient fidèles au rendez-vous, l’occasion de vous les présentez un peu plus.

 

 

 

 

 

 

© David Canion aux Éditions Bande à Part

 

 

© David Canion aux Éditions Bande à Part

 

Bonjour David, a priori, vous êtes dessinateur mais assez loin des planches de BD, non?

En effet, au départ, je suis dessinateur industriel. Des plans de tuyauterie, de gainage. Aussi et surtout pour des industries pharmaceutiques comme Baxter, pour Engie Axima aussi. Au rayon des insolites, j’ai également réalisé des plans pour la base où a été propulsée la fusée Ariane et des grandes banques en Pologne.

Qu’est-ce qui vous a mis sur la trace du Neuvième Art, alors?

Gaston, c’est lui qui m’a donné envie d’en faire quand j’avais 15 ou 16 ans. Par son humour puis par sa distraction. Distrait, je l’étais, certains de ses gags auraient très bien pu m’arriver.

 

 

Hommage à Franquin © David Canion

 

 

Hommage à Franquin © David Canion

 

Puis, je suis tombé un peu plus dans la BD quand mes parents se sont séparés. Je me suis enfermé dans ma chambre et j’ai passé le temps en dessinant et en reproduisant les planches de certains auteurs qui m’inspiraient. Comme Goffaux ou Foerster. Plus tard, j’ai suivi les cours aux Arts et Métiers de Jemappe. Parmi mes profs, un certain Sabri Kasbi, que j’ai retrouvé pour éditer ses albums. Après quoi… je suis resté dix voire quinze ans sans rien faire en BD. Je travaillais à Bruxelles, je n’avais plus le temps. Jusqu’à ce que je revienne à Manage, non loin de chez moi. Un peu plus de temps libre et ça m’a redonné goût à la BD.

Plutôt papier ou palette?

Je vais laisser tomber la palette pour le troisième tome des Poêleurs. Le papier me manque. Après, la palette, c’est nickel, les traits sont nickel.

 

 

© Bruno Catry et David Canion aux Éditions Bande à Part

 

 

© Bruno Catry et David Canion aux Éditions Bande à Part

 

L’idée de créer vos éditions est venue de suite?

Bien sûr, j’ai tenté d’approcher des éditeurs avec mes projets. Notamment avec les poêleurs, ma BD sur les personnes qui font de la détection. J’ai présenté la série partout, sans succès.  Du coup, pourquoi ne pas créer mes propres éditions? Les Éditions Bamboo ont bien commencé en éditant des cartes postales, aujourd’hui, elles rachètent Fluide Glacial. Moi, je suis un grand éditeur… d’1m88 (rires). Mais non, de un, je ne joue pas dans la même cour que les éditeurs de premier plan; de deux, je ne me veux pas être un éditeur au sens où on l’entend. Je veux éditer avec le coeur malgré le coût. Je reçois une centaine de projets par an, du bon, du mauvais. Je fonctionne au coup de coeur tout en essayant de favoriser l’originalité. Je veux que mes auteurs se lâchent, qu’ils fassent leurs albums comme ils le veulent. Il n’y a ni délai, ni pression, si ce n’est celle qu’on se met toujours inévitablement.


Du coup, je me suis lancé en mars 2013, poussé par mon épouse et suscitant un énorme prêt. Les débuts sont durs, mais peu à peu, on commence à en parler. Dans les salons, certains râlent sur le fait que je sois présent, tenir est ma petite fierté. Je n’ai pas de distributeurs mais les gens qui vendent nos albums nous soutiennent bien. Dans le cas des Poêleurs dont Bruno Catry [encore un que j’ai rencontré à Jemappe] imagine les gags, cette BD est un peu devenue la BD officielle des fans de détection, présentes dans les magasins jusqu’à… Marseille! Mais c’est assez comique, j’ai été invité au salon de détection de Paris, j’y étais comme une star. Il y avait une file devant ma table de dédicaces. On m’a même offert un appareil de détection. Je ne suis pas un acharné mais je fais quelques sorties. Puis, c’est quand même assez réglementé.

 

 

© David Canion aux Éditions Bande à Part

 

 

© Bruno Catry et David Canion aux Éditions Bande à Part

 

Autre aventure, celle avec l’humoriste et comédien Renaud Rutten!

Oui! Au plus, j’entendais ses blagues à Radio Contact, plus je me disais que je les verrais bien en BD. Je lui ai lancé un appel et il a accepté qu’on travaille à deux sur une bande dessinée. C’est un gars super, on ne sait jamais quand il est sérieux. Dans cet album, nous avions innové et glissé des codes-barres que le lecteur pouvait scanner pour ainsi entendre la blague telle que racontée par Renaud.

 

 

© Renaud Rutten/ David Canion aux Éditions Bande à Part

 

 

Dans votre « Bande » ici présente à Andenne, on retrouve aussi Sabri Kasbi.

Oui, un auteur complet, il m’a proposé son projet à un moment où je ne pouvais pas le réaliser? Son aventure a mis neuf ans pour être publiée et, au final, elle est parue pile-poil en lien avec l’actualité puisque Le roi de la mer aborde la réalité des migrants et des passeurs. Sabri, c’est un passionné de la Ligne Claire. Il m’a appris la mise en page, la narration, les règles.

Dans ma « Bande », il y aussi le scénariste Derache et Gao, le dessinateur d' »Éternellement Vôtre ». Un super dessin qui n’est pas donné à tous. Je suis un peu jaloux, j’avoue (rires). À côté de ses deux premiers albums, il adore l’héroïc fantasy! Il peut tout dessiner.

 

 

© Derache/Gao aux Éditions Bande à Part

 

 

Puis, il y a Grégory Lange qui dessine Ernest. Je lui avais fait la promesse que je le ferais. Je n’ai pas de limites, en tant que dessinateur, je suis de toute façon dans le même bain qu’eux.

 

 

© Grégory Lange aux Éditions Bande à Part

 

 

Quels sont les projets, du coup?

Les P’tits poêleurs viennent de sortir. C’est une récréation, deux enfants qui arrivent dans le monde de la détection, gags à l’appui. Après avoir vendu 4000 tomes 1 et 2 des Poêleurs, je vais m’attaquer au troisième tome.

 

 

© David Canion aux Éditions Bande à Part

 

 

Puis, il y aura Thomas « Tom » Borgniet et Walter Genius, les aventures d’un savant fou, plus pour les enfants.

 

 

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Faz prépare la suite de Lili et Crok, cette petite fille qui vit avec un monstre… pas comme les autres.

 

 

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Enfin, il y aura aussi une série avec des sorcières, les Chauspailles. Trois soeurs sorcières, une série de gag en continuité. Le tout dessiné par Didot, un gars des Ardennes, un ami de Gao qui en fera les couleur.

Puis, c’est la bonne nouvelle, nous aurons peut-être enfin un diffuseur pour la Belgique, de quoi nous retirer une épine du pied. On verra mais il y a de l’espoir. En tout cas, on avance. Avec douze publications à ce jour, nous sommes plus sérieux que quand nous n’avions que deux albums.

Gageons qu’il y en aura de plus en plus, merci David et longue vie à Bande à Part.

 

Pour tout savoir sur les Éditions Bande à Part, rendez-vous sur: www.editions-bap.com et sur Facebook

 

Propos recueillis par Alexis Seny



Publié le 09/01/2017.


Source : Bd-best


Quatre larmes sur un voile de nylon rouge: Beaudry et Lecorsier raniment l’esprit giallo

On connaissait Quatre mots sur un piano de Fiori et Goldman, voilà qu’Emmanuel Beaudry et Corentin Lecorsier nous plongent dans Quatre larmes sur un voile de nylon rouge. Une ambiance 70’s, des photos à l’ancienne, la lumière et puis l’ombre dans le milieu de la mode et, par-dessus tout, un criminel qui trace sa route… sanglante et horrifique. Réunissant les ingrédients chers à un Dario Argento, les deux auteurs ne peuvent masquer leur attrait et leur expérience cinématographique et en font une force dans ce polar dynamique et fort en ambiance. Nous avons rencontré Emmanuel et Corentin.

Bonjour à tous les deux et merci d’avance pour vos réponses !

Quatre larmes sur un voile de nylon rouge, un titre énigmatique autant que symbolique, non ? Vous nous l’expliquer ?

Corentin : L’idée du titre est venue tardivement, au départ cela devait s’appeler « Fashion victime(s) ». Le dernier titre évoque la part sombre du monde des strass et paillettes, celle qui entache la haute couture.

Emmanuel : Même si cela a pris du temps, je souhaitais depuis le début du projet trouver un titre qui fasse écho à ceux des gialli de l’époque qui étaient très imagés, très énigmatiques et finalement très poétiques. Il a fallu avancer dans l’écriture et dans la réalisation de l’album pour que le titre se dessine petit à petit dans mon esprit. Et je suis arrivé un jour avec ce titre que j’ai soumis à Corentin et il m’a dit « banco ».

 

 

 

Paris © Corentin Lecorsier

 

 

Paris © Corentin Lecorsier

 

C’est la première fois que vous collaborez tous les deux, comment vous êtes-vous rencontré ?

Corentin: Première collaboration et certainement pas la dernière. Nous nous sommes rencontrés via un réseau d’amis et d’auteurs de BD locaux. Ces personnes d’expérience ont créé un collectif de joyeux lurons dans lequel on partage et on échange sur les planches et les travaux de chacun, où les anciens guident les nouveaux autour d’une bière. Ça s’appelle « AJT du crayon », on s’est rencontré là-bas.

 

 

 

Corentin et Emmanuel © Corentin Lecorsier

 

 

Corentin et Emmanuel © Corentin Lecorsier

 

Emmanuel, on vous connait en tant que scénariste depuis quelques années. Vous, Corentin, la bande dessinée, c’est plutôt récent. Quel a été votre parcours à tous les deux ?

Corentin: Je ne pense pas qu’on puisse passer au dessin en un claquement de doigt. En ce qui me concerne, le dessin a toujours fait partie de ma vie, c’est viscéral, ça a toujours été un moyen d’expression pour moi. Mes parents m’ont transmis ce savoir-faire. Architectes d’intérieur-designers et animés par le gout de transmettre, j’ai suivi des cours qu’ils m’ont dispensés. Puis, est venu le temps de me consacrer à des études en arts du spectacle avec une option cinéma jusqu’au master. Avec un détour par le cinéma d’animation car j’aime l’idée de voir un dessin prendre vie. Mais, finalement, ce monde de l’animation m’a un peu lassé et aujourd’hui je m’épanouis davantage dans ce genre de projet où les concepts et les ambiances changent vite.  

 

 

 

Une ambiance futuriste © Corentin Lecorsier

 

 

Une ambiance futuriste © Corentin Lecorsier

 

Emmanuel : Après des études de commerce, j’ai étudié l’audiovisuel notamment la réalisation durant quelques années. J’ai par la suite écrit, pour moi et pour d’autres, et réalisé quelque courts-métrages en parallèle de mon activité dans le milieu associatif et culturel. Mais après quelques années, cette activité m’éloignait de plus en plus de la création et l’envie de raconter des histoires a été la plus forte.

Aux prémisses, qu’est-ce qui vous a donné envie de faire de la BD ? Quels ont été vos inspirateurs ?

Corentin : En fait, la BD est un milieu où l’expression de « l’artiste » reste assez libre et je pense que c’est cette liberté qui m’a attiré. Les auteurs qui nous ont suivi ont été mes inspirateurs, Fraco, Hardoc, Hautière, François, Cuvillier,… Et pour le reste, en matière de style: Guarnido, Lauffray, Zep, Boulet, Loisel…
Sur son Tumblr, il n'est pas rare que Corentin réalise des fan art, comme ce Joker.

 

 

 

Sur son Tumblr, il n'est pas rare que Corentin réalise des fan art, comme ce Joker. © Corentin Lecorsier

 

 


Sur son Tumblr, il n’est pas rare que Corentin réalise des fan art, comme ce Joker. © Corentin Lecorsier

 

Pourtant, c’est vers l’audiovisuel que vous êtes partis tous les deux, non ?

Emmanuel : Oui, au départ, je ne pensais pas du tout écrire pour la bande dessinée. C’est le cinéma qui m’attirait. J’ai d’abord cherché à comprendre comment les films que j’aimais avaient été fait, à découvrir l’envers du décor. Puis, j’ai appris le langage cinématographique et la technique liée aux différents postes de création.

Mais surtout la narration. C’est un élément auquel on ne pense pas assez lorsqu’on débute, on plonge dans le côté visuel, on parle un peu trop de cadre ou de mouvement de caméra. Avec le temps, on se rend compte que le vieil adage qui veut qu’un bon film (ou bd d’ailleurs) soit d’abord une bonne histoire est on ne peut plus vrai.

 

 

 

© Corentin Lecorsier

 

 

© Corentin Lecorsier

 

Corentin : A l’origine je pensais faire carrière dans l’image animée. Aujourd’hui mon intérêt se porte davantage vers la BD car c’est un espace qui me plaît bien. Demain peut-être y aura-t-il un projet plutôt orienté vers le cinéma via le story-board ou le concept design … L’étiquette change mais le travail reste le même, on utilise notre créativité au service du projet.

 

 

 

Un exemple de character design © Corentin Lecorsier

 

 

Un exemple de character design © Corentin Lecorsier

 

Qu’est-ce qui vous a (r)amené à la BD, du coup ?

Corentin: Les conjonctures.

Emmanuel : Je dirais deux choses. Tout d’abord, le souhait de me remettre à raconter des histoires et sortir d’un emploi presque entièrement administratif. Puis, la difficulté de monter de nouveaux projets de films, et surtout de films de genre. Ce qui me démoralisait assez.

Dans un même temps, les locaux de l’association pour laquelle je travaillais se trouvaient dans le voisinage de l’association « On a marché sur la bulle » qui organise les Rendez-vous de la bande dessinée d’Amiens et qui fait un travail remarquable autour de la bande dessinée dans notre région. Je voyais donc passer des auteurs et leurs travaux dans les locaux. Et je me suis alors demandé si je ne pouvais pas changer de média pour raconter mes histoires.

Est-il question des limites du cinéma ? La BD permet-elle beaucoup plus de choses ? L’horreur et le polar s’y manient-ils mieux ?

Emmanuel : Je ne vois pas les choses comme cela. Mais disons que nous allons jouer sur des codes différents en fonction du média. Un exemple : au cinéma, nous pouvons utiliser le « jump scare » en faisant passer furtivement une silhouette au premier plan ou en plaçant une créature derrière le personnage lorsqu’il se retourne. Cela crée un sursaut chez le spectateur qui est impossible à recréer en bande dessinée. Ce qui n’est pas forcément un mal puisqu’on va devoir jouer sur d’autres cordes : sur l’ambiance, le suspense, l’intrigue.

 

 

 

© Emmanuel Beaudry/Corentin Lecorsier chez Y.I.L.

 

 

© Emmanuel Beaudry/Corentin Lecorsier chez Y.I.L.

 

Mais la BD permet effectivement beaucoup plus de choses notamment en termes budgétaires. Surtout lorsque l’on s’attaque à des genres comme l’horreur ou la science-fiction par exemple. Deux genres encore difficiles à produire en France, même s’il existe des cas isolés. Je pense également que la BD pose moins de problèmes en matière de censure. On est beaucoup plus libre de ce côté-là.

Corentin: Le rapport au cadre est différent et le rapport au temps également. Le cadre est variable en BD, il change pour traduire une émotion différente ou pour souligner une action. Le temps n’a plus de valeur définie, il est modulable et le travail du rapport de cadre sert notamment à travailler le rythme pour donner une indication sur le temps qui passe.  D’autre part, il est possible avec la BD de maîtriser chacune des étapes de la création, ce qui n’est pas le cas dans le cinéma. Peut-être cela vous rend-il un peu hyper maniaque…

 

 

 

© Emmanuel Beaudry/ Corentin Lecorsier chez Y.I.L.

 

 

© Emmanuel Beaudry/ Corentin Lecorsier chez Y.I.L.

 

En substance et en apparence, cette première bande dessinée est on ne peut plus cinématographique, non ?

Corentin: Oui car notre culture et nos influences le sont. On est parfois dans la citation et d’autres fois dans des références plus discrètes, à travers la lumière, la couleur, la mise en scène, l’intrigue.

Emmanuel : Complètement. C’est un hommage totalement avoué à un genre cinématographique. Il fallait donc retrouver ce côté 7ème art dans notre album.

 

 

 

© Emmanuel Beaudry/Corentin Lecorsier chez Y.I.L.

 

 

© Emmanuel Beaudry/Corentin Lecorsier chez Y.I.L.

 

À tel point que, par un jeu de flou, des onomatopées, des couleurs qui inspirent l’idée de vitesse, l’image semble en mouvement. Comment vous y êtes-vous pris ? Il y a un défi derrière cela ?

Corentin: Les poses fixes, où le personnage se tient droit et déblatère son texte, ont le don de figer une action et de casser le rythme. Ici, il fallait travailler des poses dynamiques, éviter la rupture de rythme. En tout cas, on ne voulait pas. La recherche de la pose la plus parlante pour une action est un exercice obsédant qui poursuit son chemin dans mon travail. Cela doit venir du travail que j’avais effectué en animation. Disons que je fais de mon mieux pour transcrire le bon mouvement. Si ça marche alors je suis content.  

 

 

 

© Emmanuel Beaudry/Corentin Lecorsier chez Y.I.L.

 

 

© Emmanuel Beaudry/Corentin Lecorsier chez Y.I.L.

 

Emmanuel : Un défi je ne pense pas, c’est plus naturel que cela. Je conçois mes scénarios et mes découpages comme quelque chose de cinématographique. J’essaie de parler en termes de mouvement et de profondeur de champ ou de faire confiance aux images plutôt qu’aux longs discours. Corentin connaissant lui aussi parfaitement le langage cinématographique, c’est un avantage indéniable. Il comprend très vite où je veux en venir, il visualise rapidement les images que j’ai en tête. Pendant les séances de travail, il nous arrivait même parfois d’exprimer certaines cases en jouant les onomatopées. De l’extérieur cela devait être assez drôle à voir.

Quelle est votre méthode, Corentin ? Étiez-vous familier des thèmes amenés par Emmanuel ?

Corentin: Familier oui, ayant eu le même parcours d’études nos références ont été les mêmes et ça reste une bonne base pour discuter et avancer vers de nouveaux projets. Manu m’envoie son découpage par planche et je travaille ensuite les storyboards. On discute, on échange « pourquoi ça là ? et qu’en penses-tu si ceci était plutôt comme ça , … »  puis  je commence les planches au crayon et termine par la couleur (à la tablette graphique pour “Quatre larmes”).

 

 

 

© Emmanuel Beaudry/Corentin Lecorsier chez Y.I.L.

 

 

© Emmanuel Beaudry/Corentin Lecorsier chez Y.I.L.

 

D’autant plus que le réalisme est important et qu’il ne faut pas le galvauder ?

Emmanuel : Nous n’avons pas tenté de faire dans le documentaire, à chercher à être absolument précis pour chaque détail du décor, des vêtements ou des accessoires. Il fallait que l’on ressente les années 70, son ambiance mais il ne s’agit que du décorum. Cela ne devait pas empiéter sur l’intrigue et les personnages. Donc du réalisme oui mais pas au détriment de la fiction et de la fantaisie que l’on peut trouver dans ce genre d’histoire.

Corentin : Je pense qu’en se concentrant davantage sur les situations et les ambiances, sans aller jusqu’à contextualiter au jour et au détail près, on a gagné en clarté. D’autant que s’agissant d’une fiction et non d’un biopic, l’intérêt de la BD passe à travers l’intrigue policière. Je me suis donc plus laissé porter par l’émotion et les situations entre les personnages et me suis peu attaché à faire une citation parfaite de l’époque. Pour citer Loisel, je dirais que je suis “un dessinateur de l’a peu près ». L’espace du polar type giallo s’y prête bien.

 

 

 

© Emmanuel Beaudry/Corentin Lecorsier chez Y.I.L.

 

 

© Emmanuel Beaudry/Corentin Lecorsier chez Y.I.L.

 

Dans les remerciements comme dans l’atmosphère qui se dégage de votre album, Dario Argento et Mario Bava ne sont pas bien loin. Qui sont-ils pour vous ? Ils vous ont « nourri » ?

Corentin: Sans leur travail notre histoire n’aurait certainement pas pris cette forme et ils restent des références.

Emmanuel : Ils sont très importants. Ils font partie de mon bagage culturel. Ce sont également les pères fondateurs du giallo avec « Six femmes pour l’assassin » de Mario Bava (qui se déroule d’ailleurs dans le milieu de la mode) ou la « trilogie animale » soit les trois premiers films de Dario Argento. Mario Bava était un très grand directeur de la photographie (en plus d’être réalisateur). Ses films, qu’ils soient en noir et blanc ou en couleur, ont une esthétique léchée et des choix visuels très marqués. On a essayé de suivre cette voie en matière de couleur. Pour ce qui est de Dario Argento c’est lui aussi un artiste très esthétisant mais c’est également un grand manipulateur de l’espace et du temps. C’est ce qui le rapproche d’une autre référence pour moi qui est Brian De Palma. Lui aussi n’est jamais très loin dans l’album.

 

 

 

© Emmanuel Beaudry/Corentin Lecorsier chez Y.I.L.

 

 

© Emmanuel Beaudry/Corentin Lecorsier chez Y.I.L.

 

Vous nous faites le pitch de ce « Quatre larmes sur un voile de nylon rouge ?

Corentin : Dorian photographe, est embauché par le magazine de mode « Style » afin de couvrir les préparatifs du prochain défilé de l’excentrique couturier Nakamura. Mais une série de meurtres atroces frappe soudain la célèbre maison de couture…

Le milieu de la mode, ici mis en lumière (mais aussi en ombre), vous attire-t-il ? Ou, au contraire, vous répugne-t-il ?

Corentin: C’est juste un espace de l’apparat, une scène où se pavanent des gens sous le feu des projecteurs. Comment rêver mieux pour une intrigue policière où tout le monde se met en scène? Comment démêler le vrai du faux dans cette industrie?

 

 

© Emmanuel Beaudry/Corentin Lecorsier chez Y.I.L.

 

 


© Emmanuel Beaudry/Corentin Lecorsier chez Y.I.L.

 

Emmanuel : Je dirais ni l’un ni l’autre en réalité. Mais ce qui rend ce milieu intéressant en termes scénaristiques c’est son contraste très marqué. D’un côté, nous avons le strass et les paillettes où tout n’est que lumière et clinquant. C’est la partie visible de l’iceberg. De l’autre, il y a les coulisses beaucoup moins reluisantes : diktat du poids, drogue, prostitution,… C’est un univers idéal pour développer une intrigue policière, jouer avec les faux-semblants et faire tomber les masques.

Vous revenez quarante ans avant « notre ère », l’époque contemporaine ne vous inspirait pas ? Ou ne convenait-elle tout simplement à cette histoire ?

Emmanuel : Cette histoire pourrait se passer aujourd’hui mais je souhaitais pousser l’hommage jusqu’à placer son déroulement à la grande époque du giallo. Et c’est aussi une époque que j’affectionne d’un point de vue artistique que cela soit au niveau du cinéma ou de la musique par exemple. J’ai tenté de le faire ressentir dans l’album en plaçant des hommages à certains films ou en citant des morceaux de rock progressif. Cela permet également de se plonger davantage dans l’époque et son ambiance.

 

 

Une pin-up qui fait fondre tous les glaçons © Corentin Lecorsier chez Y.I.L.

 

 

Une pin-up qui fait fondre tous les glaçons © Corentin Lecorsier

 

Cette histoire aurait pu être prétexte à de l’érotisme, vous l’avez contenu. Y avez-vous réfléchi ou cela s’est-il fait naturellement ?

Emmanuel : C’est vrai que le giallo est un genre qui flirte régulièrement avec l’érotisme. Et si on y ajoute l’univers fantasmatique du milieu de la mode, nous aurions pu développer davantage cet aspect. Mais nous ne voulions pas que cela parasite l’intrigue. C’est ce qui arrive fréquemment dans ce que j’appellerais les gialli-érotisants. L’espace de quelques scènes, l’intrigue s’arrête et le rythme de l’histoire ralenti. C’est ce que nous voulions éviter. Dans « Quatre larmes » l’érotisme est très léger et présent en filigrane. De manière générale, nous avons cherché à enlever le « gras » des intrigues propres au giallo qui parfois se perdent dans quelques scènes inutiles de comédie ou d’érotisme.

J’imagine que le monde de la BD n’est pas évident pour ceux qui débutent, vous le ressentez ou l’avez ressenti ?

Corentin: Je crois qu’il faut simplement faire son trou et que la conjoncture économique n’est pas évidente.

 

 

© Corentin Lecorsier

 

 

© Corentin Lecorsier

 

Emmanuel : Pour avoir fréquenté d’autres milieux artistiques auparavant, je dirais que le monde de la BD n’est pas moins ou plus évident que les autres. Il faut faire ses preuves et s’accrocher. Mais cela me paraît tout à fait normal et sain finalement. Cela dit, je trouve que le milieu de la BD a un avantage sur les autres : les auteurs ont un esprit ouvert et n’hésitent pas à donner des conseils aux plus jeunes. À nous ensuite d’en tirer parti pour progresser et gagner notre place.

Un petit mot sur Y.I.L, votre éditeur depuis peu (pour Corentin) ou depuis plus longtemps (pour Emmanuel) ?

Emmanuel : Y.I.L est un éditeur indépendant qui fonctionne de façon raisonnée. Chaque album est imprimé et façonné chez Y.I.L. Cela fonctionne par petit tirage, c’est-à-dire que chaque album imprimé est un album vendu et qu’il n’y a pas de rupture de stock. C’est aussi un éditeur qui donne leur chance aux auteurs débutants. Ce qui permet de se faire la main, de découvrir les salons et les séances de dédicaces, de rencontrer d’autres auteurs, etc… C’est un bon tremplin pour débuter sans pression.

Corentin: Je trouve courageux qu’un éditeur comme Y.I.L se batte face aux majors pour que de jeunes auteurs puissent se faire connaitre via sa maison d’édition en passant par des petits tirages. Merci de croire en nous.

 

 

© Emmanuel Beaudry/Corentin Lecorsier

 

 

© Emmanuel Beaudry/Corentin Lecorsier

 

Quels sont vos projets, qu’ils soient en duo ou en solo ?

Corentin: En duo, ça me va bien. Avec Emmanuel on travaille sur un projet sur 14/18 entre réalisme historique et onirisme et un projet jeunesse en construction …

Emmanuel : De mon côté, en plus de deux projets évoqués par Corentin, je travaille sur le troisième tome de la série « Krys Farell », sur un album policier se déroulant dans les années 10 ainsi que sur deux projets horrifiques et fantastiques.

Ça donne envie, merci à tous les deux et bonne route!

 

Propos recueillis par Alexis Seny

 

 

Titre: Quatre larmes sur un voile de nylon rouge

Récit complet

Scénario: Emmanuel Beaudry

Dessin et couleurs: Corentin Lecorsier (sur Facebook)

Genre: Giallo, Thriller

Éditeur: Y.I.L

Nbre de pages: 66

Prix: 17€



 



Publié le 03/01/2017.


Source : Bd-best


Duke par Hermann & Yves H, un nouveau héros et une expo à Angoulême

1866. Mc Caulky fait régner la terreur sur Ogden, une bourgade du Colorado. L’ancien desperado est le bras armé de Mullins, propriétaire d’une mine d’or qui emploie la majeure partie des travailleurs de la région. À Ogden, tout le monde se doit de courber l’échine devant Mullins.
Y compris le marshal Emmett Sharp et son adjoint, Duke. Mais cette fois, Mc Caulky et ses hommes sont allés trop loin en abattant de sang-froid la femme et la fille d’un mineur. Écœurés par tant d’exactions et d’impunité, certains habitants de la ville tentent d’assassiner les mercenaires. Faisant fi des recommandations de son supérieur, Duke cherche quant à lui une solution pour coincer les tueurs et les traîner devant un juge.

Rien ne semble pouvoir effrayer Hermann qui, à 78 ans, se lance dans une nouvelle série au côté de son fils, le scénariste Yves H. Après plusieurs one-shot (Liens de sang, Manhattan Beach 1957, Retour au Congo, Station 16, ou encore Old Pa Anderson), le duo a senti le besoin de créer un personnage récurrent, qui vivra des aventures indépendantes les unes des autres. Le projet est également né d’une envie commune de se replonger dans le western, genre déjà exploré avec succès dans Sans pardon. Héros pragmatique mais non-dénué de compassion, Duke mène le lecteur à travers l’Amérique de la Conquête de l’Ouest, à une époque où la justice peine encore à s’imposer face à la furie des colts. Une belle manière pour Hermann d’entamer une année 2017 qui s’annonce chargée, avec notamment une exposition à Angoulême à l’occasion de son Grand Prix.

 

 

 

 

Désigné Grand prix de la ville d’angoulême 2016 par une majorité d’auteurs, hermann est cette année à l’honneur dans la cité charentaise. stéphane Beaujean, directeur artistique de la manifestation, revient en détails sur les principaux axes explorés par l’exposition qui lui est consacrée.

Quelle forme prendra l’exposition organisée par le festival d’Angoulême à l’occasion du Grand Prix décerné à Hermann?

Stéphane Beaujean : Le Grand Prix a vocation à créer un panthéon d’auteurs qui ont fait œuvre dans la bande dessinée. Hermann a amené une manière quasiment naturaliste de représenter l’Humanité dans une bande dessinée auparavant très idéalisée, des héros ambigus sur le plan moral. Avec lui - et quelques contemporains du journal Tintin dirigé par Michel Greg - est apparu une nouvelle approche du divertissement. La rétrospective que lui consacre le festival se penchera sur certains points forts qui font l’identité de son travail. Elle se tiendra à l’Espace Franquin et comportera environ 150 pièces.

 

 

 

 

 

Quels axes seront explorés?

Le premier portera sur le fait qu’Hermann est clairement un dessinateur de la génération Greg. Ce scénariste est arrivé dans le milieu de la bande dessinée avec une nouvelle approche du divertissement, plus américaine, différente de l’innocence proposée par la génération d’auteurs qui remplissaient alors le journal Tintin. Leurs univers sont plus sexués et violents, moins lisses sur le plan moral.

L’exposition ne manquera certainement pas de se pencher
sur les spécificités du dessin d’Hermann...

Il s’agit du second point que nous avons développé. Hermann est un dessinateur qui a fait bouger son trait toute sa vie. Il a, de manière constante, cherché à réinventer son dessin, ou en tout cas à ne pas s’ennuyer en dessinant. C’est un comportement très rare, voire unique à ce niveau là. En général, les dessinateurs progressent jusqu’à atteindre un stade à partir duquel ils fixent leur «style» définitif. Hermann est différent. Il change d’outil tous les trois ou quatre ans. Ce n’est pas quelque chose de prémédité ; c’est instinctif.

Hermann qui n’est pas seulement un dessinateur, mais également
un auteur complet...

Son avènement en tant qu’auteur complet correspond également à
l’arrivée du silence dans ses récits. Les bandes dessinées qu’ils réalisent avec Greg sont plus bavardes. Quand Hermann prend son autonomie, il recourt au silence pour créer de la tension, du suspense, ou encore de l’émerveillement, parfois sur plusieurs pages. Ce procédé, assez rare à l’époque en BD, lui est inspiré par le cinéma

Diriez-vous qu’Hermann est un touche-à-tout?

Dans son métier, auteur de bande dessinée, cela me semble assez évident. C’est le chantre de la BD de genre. C’est l’un des rares auteurs à avoir exploré pratiquement tous les registres. Pirates, western, polar, science-fiction, post-apocalyptique, aventure exotique, pamphlet politique, burlesque : il a à peu près tout fait, sauf un album très littéraire. Autant de diversité est finalement assez inhabituel.





Publié le 09/12/2016.


Source : Bd-best


Regards croisés de Lambil, Renaud Collin et Denis Bodart sur les Tuniques Bleues

Autre événement de la rentrée, les Tuniques Bleues fêtent leur soixantième album et c’est tout un petit monde de la BD qui a soufflé les bougies avec Raoul Cauvin et Willy Lambil avec un album collectif d’histoires courtes (nous vous en avions montré de large extraits, cet été). La fête de la BD d’Andenne nous a permis de rencontrer les Namurois de l’étape: Willy Lambil, Renaud Collin et Denis Bodart. Regards croisés, en commençant par celui du dessinateur qui, depuis la fin du quatrième tome, a pris avec brio la relève du regretté Salverius.

Willy, un soixantième album (un cinquante-cinquième pour vous), ça fait beaucoup, non? Mais ce « Carte blanche pour un bleu » nous ramène à nos beaux souvenirs. C’était voulu, non?

Et pourtant! Cet album, il n’était pas nécessairement destiné à être le soixantième. J’avais deux scénarios à disposition, j’ai choisi de faire l’autre en premier. J’avance album par album. Je ne pouvais pas m’imaginer que cet album 60 et nos personnages allaient être célébrés. D’ailleurs, je suis plutôt réfractaire à ce genre d’hommage, c’est gênant, ça fait « posthume ».

Nous en parlerons plus tard, mais restons sur ce soixantième album. Êtes-vous toujours surpris par les scénarios de Cauvin?

Je n’ai aucune opinion. Après plus de quarante ans dans cet univers, j’essaie surtout d’en faire quelque chose. À chaque fois que je lis un scénario, je vois les difficultés qui s’amènent, aïe aïe aïe. Ici, il y avait notamment cette grande page avec le train.

 

 

 

© Cauvin/Lambil chez Dupuis

 

 

© Cauvin/Lambil chez Dupuis

 

À force, vous êtes-vous identifié à un de vos héros?

J’hésite toujours. Mais je dirais Blutch, comme lui j’ai obtenu le rôle de caporal à l’armée. Mes personnages, je connais leurs réactions. Mais, je ne les crée pas moi-même, je les dessine. Celui qui invente leurs réactions verbales et physiques, c’est Cauvin. Moi, je ne me pose pas tellement de questions. Je résous mes problèmes et ce n’est déjà pas mal.  Je ne triche jamais. Je veille à la lisibilité mais je n’évite pas les problèmes. Je reviens à cette satané locomotive, je dois pouvoir la dessiner. Mais il est important pour moi de rester honnête. Envers moi-même, d’abord, pour l’être aussi avec le lecteur.

Dans ce tome 60, il y avait beaucoup d’images, Chesterfield est baladé en chaise-roulante. Il m’a fallu trouver des angles différents. En général je procède planche par planche. Je mets les choses au point, je perfectionne ma documentation, je relis le scénario. Je fais le découpage des 44 planches mais je vous préviens: il n’y a que moi pour m’y retrouver.

 

 

 

© Cauvin/Lambil chez Dupuis

 

 

© Cauvin/Lambil chez Dupuis

 

On se retrouve, ici, à Andenne, j’imagine que des dédicaces, vous en avez fait un paquet?

À Andenne, ça doit être la dixième fois que je viens. Pour ma première participation, je me souviens d’une expo très réussie à l’hôtel de ville, avec pas mal d’amis.

Après, je ne suis pas un fan de dédicaces. C’est stressant et je me sens obligé de tenir compte de l’attente des gens. J’ai l’impression que ça s’énerve dans la file… et je le comprendrais… je m’énerverais aussi (il sourit).

Certains bédéphiles et chasseurs de dédicaces n’ont-ils pas déjà fini à votre porte?

Si, je les ai mis dehors…

 

 

 

lambil-tuniques-bleues

 

 

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© Dupuis

 

Viviane (sa femme) intervient: Non, mais certains sont parfois restés sans rien dire dans ton bureau.

Lambil reprend: Je leur ai expliqué qu’il y avait des moments dédiés aux dédicaces et que, chez moi, il me dérangeait.

D’autres n’ont pas toujours été bienveillants à l’égard de vous et vos héros.

Oh, oui, il y en a eu. Dernièrement, un auteur de premier plan qui m’a dit que j’aurais dû arrêter depuis longtemps. Il y a aussi eu cet Américain à qui j’avais dit que je dessinais une série sur la guerre de Sécession. Il m’a interdit de continuer, il ne pouvait pas concevoir que des européens parle de l’Histoire américaine. À une certaine époque, certaines épouses des pontes de Dupuis sont venues me demander d’arrêter, ça ne leur plaisait pas. Oui, quand je dois évoquer des anecdotes, il y en a beaucoup de négatives. Il ne me viendrait pas à l’idée de déblatérer quelqu’un, il n’y a pas de raison de décourager quelqu’un, d’autant plus quand il y croit, qu’il y met le coeur. Par contre, j’aime bien reconnaître ce que je dois aux autres. Jijé, par exemple, il était surpris que je le lui dise.

Après, grâce aux Tuniques, j’ai serré la main de Chirac mais aussi de Chaban-Delmas. Puis, il y a eu Philippe, avant qu’il ne devienne roi. Je ne répéterai pas ce qu’il a dit aux autorités sambrevilloises, mais il trouvait qu’il fallait montrer que la commune abritait le dessinateur des Tuniques Bleues. C’est ainsi que des panneaux ont été installés.

 

 

 

© Lambil

 

 

© Lambil

 

Puis, j’ai aussi fait de beaux voyages. Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, reste le plus incroyable, j’y avais été reçu avec Loisel, Chéret et Mitton. Bon, les Tuniques Bleues ne sont pas les bienvenues en Amérique, mais elles auront eu le mérite d’avoir été à Nouméa. Puis, d’avoir été traduites en Anglais, en Allemand, en Espagnol, en Scandinavie, en Indien, en Indonésien… En Flamand aussi, la série est fort plébiscitée au nord du pays.

N’avez-vous jamais eu envie de lancer une nouvelle série? De changer d’air?

Je l’ai fait, quand j’étais jeune, avant Les Tuniques Bleues. Quand bien même, oublions mon âge, je serais jeune, je n’arriverais jamais à 60 albums avec une nouvelle série. Deux, trois, tout au plus. Ce n’est plus la mode des longues séries. Les séries en cours aussi longue que Les Tuniques Bleues sont rares. Lorsque nous disparaîtrons, Cauvin et moi, je donne pas un an avant que nos héros soient oubliés.

Façon de parler?

Pas tant que ça. Un bon jour, ça s’arrêtera. Fut un temps, il n’y avait même pas d’album de BD, je trépignais d’impatience à l’idée d’être le jour de parution de Spirou. Pour les nouvelles générations, tout se passe sur internet, sur les tablettes. Je pense que la BD ne les intéressera plus qu’il y aura d’autres formes d’art. Regardez ma petite-fille, à 14 ans, sans tablette, elle est perdue.

Mais, ça ne sert à rien d’avoir des regrets. Nostalgique, oui, je le suis dans ce que je relis. Je continue d’adorer le travail d’un Dodier, par exemple. Mais dans le Spirou, il y a des choses que je n’aime plus.

 

 

 

© Cauvin/Lambil chez Dupuis

 

 

© Cauvin/Lambil chez Dupuis

 

On vous a déjà proposé une intégrale?

Je ne suis pas pour les intégrales. En tout cas, les miennes. J’ai l’impression qu’elles sont réservées aux gens qui sont morts ou qui ne produisent plus. Tant que des albums des Tuniques Bleues sortiront – j’ai attaqué le tome 61 mais je ne peux rien en dire, j’en dirais trop – et que je les signerai, je ne veux pas entendre parler d’intégrale.

Alors cet album de « célébration » regroupant plusieurs auteurs bien connus?

C’est vrai que j’en connais certains, même si je ne les situe pas toujours. Bon, il y a Denis Bodart, Blutch qui ne pouvait qu’être de cet album vu qu’il porte le nom d’un des deux héros… À Bruxelles, lors de la présentation de l’expo, j’ai pas mal parlé avec le groupe. J’étais un peu sceptique à l’idée d’une reprise. Dans mon cas, J’aime reconnaître ce que je dois aux autres. Comme Jijé, il avait été surpris quand je lui avais dit toute mon admiration.

Mais, j’ai feuilleté, regardé les dessins, c’est vraiment pas mal. Il y a beaucoup de difficultés à reprendre des personnages, heureusement, ils ne sont pas tombés dans le mimétisme et l’imitation. Je me demande s’ils se sont tous amusés?

Le mieux est encore de leur poser la question.

 

Renaud Collin et Denis Bodart s’y sont collés!

Ainsi, Renaud Collin, déjà repreneur des Minions en BD (deux petits tomes et puis s’en vont mais pour nous réserver le meilleur, avec un projet personnel et un Spirou à l’époque « Expo 58 » avec Vincent Zabus), s’y est collé pour donner vie à Chesterfield et Blutch dans univers impitoyable.

 

 

 

(c) Dupuis/ Collin

 

 

 

Renaud, les Tuniques Bleues furent-elles des compagnes d’enfance?

Les Tuniques Bleues, ce sont des bons souvenirs de lecture. À l’époque, je jouais avec des Playmobil sudistes et nordistes. Je refaisais la guerre de Sécession. Quand je suis tombé sur la série de Raoul Cauvin et Willy Lambil, j’étais convaincu qu’il s’agissait d’un produit dérivé. Je ne les ai pas tous lus mais j’en ai lu beaucoup!

Qu’est-ce que vous aimiez dans ces albums?

La mise en scène, les batailles, le côté fresque qui se retrouvait dans certaines scènes. Il y avait de l’action, de l’aventure, un duo comique, mais l’ensemble ne manquait pas de profondeur, non plus, et intégrait des faits historiques. C’est je crois la clé du succès auprès de toutes les générations. En lisant, on apprenait.

Du coup, au moment de reprendre ces personnages pour une histoire courte, vous vous êtes attelés à trouver une vraie histoire?

Oui, j’ai été cherché ça, j’ai répété le processus. Mais, il me fallait un fait que Lambil et Cauvin n’avaient pas traité. Puis, je voulais parler des Indiens, et je suis tombé sur la déportation des Navajos. Durant la courte période qu’a duré la guerre de Sécession, la conquête de l’Ouest connaissait un nouvel essor. Et la réserve que j’évoque a été la première expérimentée avec des Navajos. Ce fut un fiasco total, l’endroit était impropre à la vie, la rivière était polluée. Les Indiens sont morts de malnutrition, de maladies…

 

 

 

© Collin chez Dupuis

 

 

© Collin chez Dupuis

 

Ça demande beaucoup de documentation, non?

Oui, mais je n’ai pas hésité. C’était la première fois que je réalisais le scénario moi-même, je devais être à la hauteur. Et j’ai pris presque autant de temps pour la documentation que pour l’histoire. J’ai lu une petite dizaine de livres, retenu beaucoup de choses inutiles pour mon histoire. J’avais beaucoup trop d’infos, j’ai dû faire une sélection, je dirais même tout oublier pour recréer.

Au niveau du graphisme, j’ai repris les albums, tout y est totalement digéré et déjà stylisé. J’ai repris les visuels des uniformes tels que les avais conçus Lambil.

Que percevez-vous dans son art?

C’est un grand dessinateur, un virtuose qui passe inaperçu par rapport à d’autres. Il a un savoir-faire, il reste hyper-clair dans son dessin, dans les expressions, les attitudes de ses personnages. Pas besoin de lire les bulles, on comprend.

 

 

(c) Dupuis/ Collin

 

(c) Dupuis/ Collin

 

On le voit dans cet album, finalement chaque auteur a sa vision du duo Blutch-Chesterfield.

Oui, ici, ils ne sont pas les mêmes que dans la série originelle. Je ne me sens pas capable d’écrire des gags comme Cauvin. Chesterfield apparaît ici comme déçu par l’armée, par l’autorité et ce qu’on lui demande d’exécuter. Blutch, lui, est plus effacé. Tous deux sortent d’une bataille, Chesterfield est couvert de plaies. Le ton est morose, je voulais montrer la dureté.

Le trop rare Denis Bodart (mais qui nous a promis d’énormes et surprenants projets à venir) est aussi de mèche avec ce projet collectif pour proposer, dans un style plus réaliste un prolongement de l’esprit entretenu par Cauvin et Lambil.

 

 

 

(c) Denis Bodart - Une révision de la quatrième de couverture.

 

 

(c) Denis Bodart – Une révision de la quatrième de couverture.

 

Quand on vous a proposé de participer à cet album, quelle a été votre réaction?

Je n’ai pas traîné à m’y mettre. Je lisais ça quand j’étais gamin. Avec le scénario de Thierry Gloris, j’ai essayé de rester proche de ce qui fait le coeur de la série: les champs de bataille, la joute verbale entre les deux héros. Je me suis fait plaisir, je voulais que cette histoire courte soit comme un vrai épisode. Et pour en terminer les huit planches, j’ai pris trois mois et demi.

 

 

 

(c) Denis Bodart

 

 

(c) Denis Bodart

 

Mais encore fallait-il un prétexte, non?

Oui, et Thierry Gloris l’a trouvé en attirant mon attention sur les sharpshooter, ces tireurs d’élite qui apparaissaient dans les premières secondes de Nord et sud, que je n’avais pas vu. Je ne connaissais pas l’existence de ces snipers. Après, il a fallu que j’adapte le scénario à mon dessin, notamment au niveau du nombre des cases. Il faut modérer ses ardeurs, je connais mes limites.

 

 

 

(c) Denis Bodart

 



© Bodart chez Dupuis

 

Qu’est-ce qui fonctionne si bien dans les Tuniques Bleues, pour qu’elles aient tenu sur soixante albums et marqué autant de générations?

Je pense que la complicité de Raoul Cauvin et Willy Lambil y sont pour beaucoup. Sur papier, j’entends. Dans le dessin de Lambil, on ne perd aucune nuance de l’écrit. Toutes les intentions sont là, jamais perdues. Tout est en phase.

 

Propos recueillis par Alexis Seny



Publié le 25/11/2016.


Source : Bd-best


Sylvain Runberg donne suite au Millenium de Stieg Larsson: « Des thématiques plus que jamais d’actualité »

On ne s’attendait sans doute pas à ça! Après avoir adapté avec brio et un succès non-démenti les trois romans de Stieg Larsson, Sylvain Runberg perpétue le mythe « Millenium » en compagnie d’une nouvelle coéquipière, Belén Ortega. Une suite inédite, totalement autre que celle proposée en roman par David Lagercrantz, s’inscrivant au plus près de l’univers développé par Larsson et bien dans l’air du temps. Sylvain Runberg même avec science et rigueur des thèmes très actuels tels que les lanceurs d’alerte, la montée des extrêmes, la haine des migrants… Longue interview avec le scénariste chevronné.

 

 

 

 

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Bonjour Sylvain, à quand remonte votre premier contact avec Millénium ?

A bien longtemps déjà. Partageant mon temps entre la France et la Suède depuis plus de 10 ans, dès la parution du premier roman, des amis suédois m’avaient dit que « Millenium », de par les thèmes abordés, allait certainement me plaire. Dès que les éditions françaises des romans ont été publiées, je les ai lues, et ça m’a effectivement beaucoup plu. J’y retrouvais des thématiques qui m’intéressaient depuis longtemps, le féminisme, l’extrême droite, le fonctionnement des médias…J’ai tout de suite été séduit par les personnages principaux, Mikaël Blomkvist, Erika Berger et évidemment Lisbeth Salander. Et comme les romans se passent des endroits de Stockholm que je connais très bien, j’ai tout de suite eu des idées concernant une adaptation en bande dessinée, ce que j’ai proposé à Dupuis, et qui a fini par se réaliser !

 

 

 

©Runberg/Homs chez Dupuis

 

 

©Runberg/Homs chez Dupuis

 

Quelle surprenante parution en cet automne. Millenium (auquel un « Saga » vient s’ajouter) continue sous votre plume. Comment avez-vous reçu cette nouvelle ?

Et bien ça s’est passé durant l’été 2015, alors que le 6e tome de la bande dessinée « Millénium » allait paraître, les ayant-droits de Stieg Larsson, qui ont visiblement beaucoup apprécié notre travail sur l’adaptation des trois romans, m’ont demandé si je voulais adapter le quatrième roman, écrit par David Lagercrantz, qui n’était pas encore sorti à ce moment-là. Or, entre temps, mon éditeur chez Dupuis leur avait fait part de discussions qu’on avait eu ensemble sur ce que j’avais en tête pour une suite inédite. Lors de la réunion, les ayant-droits m’ont donc demandé de leur dire ce que j’avais imaginé, je l’ai fait, ça leur a beaucoup plu, et ils m’ont dit que si je le voulais, je pouvais en fait écrire mon propre récit. J’ai été évidemment très touché qu’ils me fassent ainsi confiance !

 

 

 

 

©Ortega

 

©Ortega

 

J’imagine qu’après avoir baigné dans six tomes de BD, votre envie était de continuer. Vous pensiez cela réalisable ?

Oui, effectivement, c’est ce qui s’est passé. En adaptant les trois premiers romans et au fur et à mesure de mes avancées, j’ai commencé à imaginer quelle pourrait être la suite de ce troisième roman, sachant que Stieg Larsson avait apparemment envisagé d’en écrire 9 au total. Et même si ça n’était pas du tout dans la discussion initiale avec les éditions Dupuis, j’en ai parlé parfois de manière informelle avec mon éditeur, à l’époque Louis-Antoine Dujardin, mais sans que ça soit vraiment une proposition directe de ma part, mais les idées que j’évoquais lui plaisaient. L’envie était là, mais je pensais honnêtement que jamais ça n’arriverait. Qu’on me laisse faire ma propre suite des trois romans originaux, je n’y croyais franchement pas.

D’autant plus que si Millenium continue en roman (avec la polémique qu’on connaît), c’est votre version et le format BD que les héritiers de Stieg Larsson ont plébiscité. Qu’est-ce qui les a séduits selon vous ?

Pour « Millenium Saga » je me suis focalisé sur les aspects politiques développés par Stieg Larsson, le féminisme, l’extrême-droite, les hackers, le rôle et le fonctionnement des médias, romans ayant pour base ce magazine crée par Mikaël Blomkvist, qui donne son nom à l’univers, « Millenium ». Et évidemment, les questions et les difficultés économiques qui frappent la Presse et les médias en général sont présentes dans « Millenium Saga », sur fond de questionnements éditoriaux, d’indépendance journalistique. J’en ai fait le centre du récit, car ces thématiques sont plus que jamais d’actualité. C’est, je pense, ce qui leur a plu.

 

 

 

© Runberg/Ortega/Alex et Mirabelle chez Dupuis

 

 

© Runberg/Ortega/Alex et Mirabelle chez Dupuis

 

Avez-vous lu le quatrième Millénium de Lagerkrantz, qu’en avez-vous pensé ?

Non, car le seul impératif que j’avais pour cette suite inédite était que je ne pouvais pas utiliser d’éléments qui apparaissaient dans le quatrième roman écrit par David Lagercrantz, une règle d’ailleurs valable pour lui vis à vis de la suite inédite que j’écris. C’est donc  pour cette raison que je n’ai toujours pas lu son roman, pour éviter de me faire influencer d’une quelconque manière. Je ne peux donc pas vous répondre, mais on m’a dit que ma suite était très différente de la sienne, à tous points de vue, et que c’est d’ailleurs ce qui en faisait l’intérêt.

Comment prend-t-on la relève d’un auteur comme Stieg Larsson ?

On se concentre sur son récit, en restant fidèle à ce que l’on a perçu comme étant l’essence de l’œuvre originale, et on essaye, comme à chaque fois, de faire le mieux possible, sans se soucier du reste.

 

 

 

© Ortega

 

 

© Ortega

 

J’imagine qu’il y a un droit de regard sur votre travail. Y’a-t-il eu des demandes de rectifications ou avez-vous été assez libre?

 
« Oui, il y a un droit de regard, mais je n’ai pas changé une seule ligne durant l’écriture des six tomes de l’adaptation des romans, et idem avec « Millenium Saga ». Une fois que je leur ai expliqué quelle était la teneur de la suite que j’envisageais, les thèmes abordés, le rôle qu’allaient jouer Mikaël Blomkvist et Lisbeth Salander dans le récit, ils m’ont laissé les mains libres, comme sur l’adaptation des trois romans. Je pense que la création de cette suite est vraiment basée sur une relation de confiance

Quels sont les ingrédients qui font l’ « addictivité » et le phénomène « Millenium » ? Que fallait-il perpétuer et que voulez-vous y apporter ?

À mon sens, le trio de personnages principaux, Lisbeth Salander, Mikaël Blomkvist et Erika Berger y sont pour beaucoup. Des personnages qui sont à la fois très différents mais qui se complètent, dans une relation très particulière, entre amitié et amour parfois, et qui ont une dimension universelle dans les problématiques qu’ils rencontrent.

 

 

 

 

© Runberg/Ortega/Alex et Mirabelle chez Dupuis

 

© Runberg/Ortega/Alex et Mirabelle chez Dupuis

 

Cet aspect-là de la première trilogie, ainsi qu’une représentation réaliste de l’environnement suédois étaient à mon sens ce qu’il fallait absolument garder, et c’est ce que je me suis employé à faire. Ensuite, « Millénium » a toujours été ancré dans le réel, et Stieg Larsson, journaliste de terrain avant d’être romancier,  annonçait déjà, il y a quinze ans, dans ses romans quels étaient les grands dangers qui, potentiellement, pouvaient mettre en danger nos démocraties : l’extrême droite et son discours nationaliste et xénophobe, la collusion de certains médias avec des puissances économiques et idéologiques, la montée des inégalités, de la violence contre les femmes, contre les « minorités », tout était là et malheureusement ses pires prédictions sont en train de se réaliser. En ce sens, c’est de notre réalité actuelle que je suis parti. Tout comme mon approche dans l’adaptation des trois premiers romans, le challenge était à la fois de respecter l’univers d’origine tout en apportant une vision, un angle narratif différent.

Comment expliquez-vous le succès des thrillers dit « nordiques » comme Millenium, Wallander, Erica Falck et Patrik Hedström… ?

À mon avis, un sens du suspense évident, des personnages forts, masculins comme féminins, une dimension sociale et politique souvent très présente. C’est ce qui, à mes yeux, ressort souvent de ces polars nordiques. Et peut-être la curiosité des lecteurs vis à vis des sociétés scandinaves, assez uniques en leur genre, qui rejoint cette dimension sociale évoquée plus haut. Le féminisme, cette passion pour l’égalité entre les individus, la volonté de trouver un modèle économique à la fois novateur, écologique et socialement juste, avec ses réussites, nombreuses, et parfois ses échecs aussi.

 

 

 

© Ortega

 

 

© Ortega

 

 

Et le succès de Millénium? Et celui de la BD ? Dans combien de pays a-t-elle été diffusée ?

J’imagine qu’une bonne histoire, au sens large du terme, est la seule recette valable pour expliquer un succès ? Sinon, les 6 tomes de la Bande Dessinée « Millénium » se sont vendus au total à plus de 150 000 exemplaires en langue française, et la série a été également traduite dans plus de 12 langues, ce qui est assez incroyable je trouve !

N’est-on pas un peu prisonnier de cet univers ? N’est-ce pas dur d’imposer sa trace? Tout en ne dénaturant pas l’œuvre originale ?

Non, c’est ce qui faisait la richesse de ces romans d’ailleurs. On sentait bien que Stieg Larsson posait des jalons pour en écrire d’autres, et cela offrait des possibilités très larges dans le cadre d’une adaptation.

 

 

 

Storyboard de Dominique Bertail

 

 

Storyboard de Dominique Bertail

 

Après avoir « jonglé » avec deux dessinateurs différents sur les six premiers tomes, vous en accueillez une troisième pour ce nouveau départ : Belén Ortega qui nous vient du… manga (ou du moins son premier album paru chez nous en était un). Elle est encore peu connue, vous nous la présentez ? Comment s’est-elle imposée sur Les âmes froides ? Elle en dessinera les trois tomes ?

C’est Louis-Antoine Dujardin qui l’avait repérée en Espagne, où elle est déjà assez connue, en fait. Il nous a mis en contact, elle est venue en Suède faire des repérages avec nous, et ça a tout de suite très bien fonctionné. C’est une dessinatrice incroyablement douée, elle dessinera bien les trois tomes et la concernant, le meilleur reste encore à venir !

 

 

 

© Bélen Ortega

 

 

© Belén Ortega

 

On remarquera que sur cette série, vous avez toujours travaillé avec des Espagnols. Coïncidence ou réelle volonté ? Qu’amènent-ils ?

Coïncidence. Il se trouve qu’il y a énormément de dessinateurs très doués dans ce pays.


D’où vous vient cette passion pour la Suède?

 
Ma compagne (et mes enfants) sont suédois, c’est pour cela que j’y passe plus de la moitié de mon temps, mais de toutes manières, j’apprécie beaucoup le pays et la ville de Stockholm, et sa qualité de vie.

 

 

 

 

©Runberg/Ortega/Alex et Mirabelle

 

©Runberg/Ortega/Alex et Mirabelle

 

Croyez-vous que nos sociétés (française, belge) aient à s’en inspirer, à en prendre exemple (malgré les faces sombres que vous décrivez)? »


Clairement, sur beaucoup de sujets, il y aurait matière à réflexion : démocratie, féminisme, éducation, rapport entre individus dans le monde du travail. L’écologie aussi. Même si la Suède fait aussi face à des difficultés liées à notre époque, c’est à mes yeux une société bien plus progressiste sur de nombreux points que la société française, souvent plus conservatrice. Et pour tordre le cou à un cliché répandu sur la Suède: non, il n’y a jamais eu un taux de suicide élevé dans le pays, mais tout simplement, c’est l’un des premiers pays au monde à avoir officiellement comptabilisé un taux de suicide, quand la plupart préféraient ignorer le phénomène. En Europe de l’Ouest, les pays les plus touchés sont en réalité la Belgique, la France et la Finlande. Donc oui, même si on ne peut pas forcément transposer tel quel un modèle, je pense qu’il a matière à réflexion pour aller vers du mieux, mais il a matière à réflexion dans beaucoup d’autres pays du monde aussi.

 

 

 

©Ortega

 

 

©Ortega

 

Votre passion pour la Suède a-t-elle joué dans votre manière de saisir cet univers et de lui donner vie ? À mieux transmettre son ambiance ?

Je n’aurais jamais pu écrire de cette manière les six tomes de l’adaptation des trois romans et « Millenium Saga » si je ne connaissais pas un minimum le pays et cette société, c’est indispensable. C’est d’ailleurs une règle que je me fixe sur tous mes autres projets dont le récit est contemporain. Je les place toujours dans des villes, des pays, que je connais, par souci de réalisme, c’est une constante dans mon processus d’écriture.  

Ce premier tome des Âmes froides fait appel à quelques thématiques bien actuelles. La haine de l’étranger, la montée des extrémismes, la collecte de données privées, le climat sécuritaire et, par-dessus tout, les hackers et les lanceurs d’alerte. C’était important de reconnecter un peu plus Millenium au monde dans lequel nous vivons ?

C’était indispensable, car c’est l’essence des romans de Stieg Larsson, cette référence à la réalité.

 

 

 

©Ortega

 

 

©Ortega

 

Dans quelle mesure l’actualité vous a-t-elle inspiré ?

Elle constitue la majeure partie de mes sources d’inspirations dans ce récit. « Millénium Saga » se passe en Suède aujourd’hui, un an après le procès de Lisbeth Salander, avec pour fond la montée en puissance dans le pays d’un parti d’extrême droite dirigé par un jeune leader charismatique, la crise des réfugiés, la Suède étant le pays européen qui en proportion de sa population en a accueilli le plus. Le récit aborde aussi ce qui se passe sur le plan des groupes de hackers, des activistes du Net, des différents mouvements concernés, qui ne défendent pas forcément les mêmes idées, il y a aussi des hackers réactionnaires ou d’extrême droite et parfois les repères se troublent entre ces différents groupes basés sur l’anonymat, ainsi que des lanceurs d’alertes, qui sont des sujets qui me passionnent et qui sont présents dès le départ dans l’univers de « Millénium », avec le groupe Hacker Republic auquel appartient Lisbeth Salander.

Lisbeth Salander et Mikaël Blomkvist sont bien entendu au centre de ce récit, qui prend pour base ces thématiques là et qui annonçaient en filigrane ce qui arrive maintenant en Europe mais aussi aux USA, comme l’a démontré l’élection de Donald Trump.

 

 

 

©Runberg/Ortega/Alex et Mirabelle chez Dupuis

 

 

©Runberg/Ortega/Alex et Mirabelle chez Dupuis

 

A ce propos, j’ai une anecdote concernant « Millenium Saga ». En 2015, quand j’ai commencé l’écriture du premier album, parmi les thèmes qui allaient y être abordés se trouvait la nouvelle extrême droite américaine, rebaptisée AltRight, très active sur Internet, défendant « l’identité blanche contre le multiculturalisme » et très très violemment anti-féministe. Je sentais qu’elle montait en puissance, internationalement. C’est un groupe inspiré de cette mouvance, appelé « Sparta », que Lisbeth Salander affronte dans ce récit.

Un groupe qui m’avait été, entre autres, inspiré par le site phare de cette « AltRight », Breibart News et son fondateur Steve Bannon. Un site qui a attiré 37 millions de visiteurs uniques tous les mois et sur lequel on peut lire des choses comme “Préférez-vous que votre enfant attrape le féminisme ou le cancer ?” ou “La contraception rend les femmes laides et cinglées ». Or, Steve Bannon est maintenant le bras droit du Président Donald Trump à la Maison Blanche, une nomination saluée par David Duke, l’ancien dirigeant du Ku Klux Klan. Un changement de paradigme de la situation politique particulièrement effrayante.

 

 

 

©Runberg/Ortega/Alex et Mirabelle chez Dupuis

 

 

©Runberg/Ortega/Alex et Mirabelle chez Dupuis

 

Il est aussi question de « gladiateurs » des temps modernes qui forment le groupe Sparta. Une incarnation du mythe des 300 spartiates ?

C’est une référence à la fascination qu’on certains groupes extrémistes vis à vis de Sparte, avec ce « virilisme » et cette notion de la loi du plus fort, d’ordre soi-disant naturel qu’ils vénèrent comme des vérités révélées. À mon sens, ça révèle surtout leurs propres frustrations en tant qu’individus, notamment sur le plan sexuel. Ça m’a toujours amusé que les homophobes se sentent tellement concernés par une sexualité qui à la base ne les concerne pourtant pas.

Il y a Lisbeth, Mikael, Plague, de quel personnage vous sentez-vous le plus proche ?

Certainement plutôt Lisbeth que Plague, encore que l’aversion de ce dernier pour la violence dans ce récit est plus proche de ma propre morale. Sinon, Mikaël, dans ses centres d’intérêts, ses combats, oui, forcément, je m’y retrouve aussi, même si lui est journaliste de terrain, et moi scénariste. C’est à priori, en ce qui me concerne, moins dangereux.

 

 

 

Storyboard de Dominique Bertail

 

 

Storyboard de Dominique Bertail

 

Comment concevez-vous le rôle des lanceurs d’alerte ? Vous avez des héros dans le genre ?

Les lanceurs d’alerte ont depuis quelques années un rôle essentiel dans nos démocraties, ce sont des gens qui prennent énormément de risques pour dénoncer des injustices, des abus, des crimes, et qu’il faudrait absolument protéger. Je n’ai pas de héros dans le genre, car mettre quelqu’un sur un piédestal est toujours dangereux. Être fan, ça empêche souvent la réflexion et la distance nécessaire qu’il faut avoir sur ces sujets, et certains lanceurs d’alerte, notamment très médiatisés, peuvent aussi avoir des agendas politiques personnels qui sont en opposition avec ce qu’on pourrait attendre d’eux. Ce qui n’empêche pas de vouloir les protéger contre tous types de représailles quand même !

 

 

 

©Runberg/Ortega/Alex et Mirabelle

 

 

©Runberg/Ortega/Alex et Mirabelle

 

À côté de ça, il y a ces menaces qui visent Mikael Blomkvist, la presse qu’on veut museler. On a beaucoup parlé de liberté d’expression et de presse, ces derniers mois, vous en avez senti des conséquences ? Les journalistes comme Blomkvist sont-ils de plus en plus rares ?

Clairement, les journalistes n’ont jamais été aussi importants dans le bon fonctionnement d’une démocratie et jamais ils n’ont eu à faire face à autant de difficultés. Pression financière, précarité, concentration de médias aux mains de groupes industriels qui entendent définir leur orientation idéologique et politique à leur seul profit, la situation est loin d’être facile, mais oui, il existe toujours des journalistes qui font de l’excellent travail, et souvent risque leur vie pour cela.

En se plongeant dans les thématiques comme celles qui mènent ce « premier » tome, ne devenez-vous pas un peu plus parano et méfiant de tout ?

Non. Il y a une marge entre l’esprit critique et le complotisme. C’est même exactement les deux opposés. La réflexion et la recherche de l’information et les vérités révélées que constitue une propagande, d’où qu’elle vienne, ça n’a rien à voir du tout.

 

 

 

©Runberg/Ortega/Alex et Mirabelle

 

 

©Runberg/Ortega/Alex et Mirabelle

 

On a pas mal reparlé de l’adaptation hollywoodienne de la saga, ces derniers jours. Qu’aviez-vous pensé de l’adaptation suédoise ? Et du film de David Fincher ? Que pensez-vous que la Bande dessinée peut amener sur une histoire comme Millenium par rapport au cinéma ? Plus généralement, quelle force à la BD par rapport au cinéma ?

Je trouve que l’adaptation suédoise est très fidèle aux romans d’origine, que la version de Fincher est très intéressante mais en revanche visuellement on n’y reconnait pas vraiment la Suède, ce qui n’est pas forcément un souci en soit. Ce que j’ai voulu faire en Bande Dessinée c’est justement une version fidèle à l’environnement suédois mais qui offre une vision nouvelle de cet univers, en l’actualisant, en abordant des aspects des romans que Stieg Larsson avait commencé à évoquer mais sans les développer, et à ancrer tous ces personnages dans notre réalité, celle de 2016.

La force de la BD par rapport au cinéma, c’est qu’en tant qu’auteur, on maîtrise beaucoup plus l’ensemble du processus créatif, sans avoir à se poser la question du budget. C’est une grande liberté.

 

 

 

©Ortega

 

 

©Ortega

 

Il y a par exemple des endroits où Lisbeth se rend dans la BD et qui ne sont pas ceux du roman, car entre le moment ou Stieg Larsson a écrit sa trilogie et mon adaptation, ces endroits avaient changé et ne correspondaient plus au personnage de Lisbeth Salander. Et il y a aussi des aspects de la ville qui sont plus actuels, et qui influent sur les personnages et le récit, Stockholm étant une ville qui a pas mal changé ces 15 dernières années, tout comme la société suédoise dans son ensemble d’ailleurs. Mon but était que ceux qui avaient lu les romans, vus les films et la série TV puisse lire la BD, retrouver l’univers et les personnages de « Millenium » tout en étant à nouveau étonnés, surpris, par ce qu’ils allaient y trouver.

Parallèlement à cette actu, vous êtes partout et dans tous les genres. La sf avec Warship Jolly Roger, le policier avec Infiltré, l’historique avec Kennedy, l’anticipation avec Drones, l’horreur en comics avec Sonar. Il est important pour vous de ne pas vous enfermer et de vous diversifier ? De belles collaborations, avec ces dessinateurs ?

Cela reflète simplement mes goûts de lecteur et de spectateur. Je lis, je regarde des œuvres dans tous les genres, dès lors où je rentre dans le récit, c’est tout ce qui compte. Et c’est comme ça que je fonctionne au niveau de mon écriture. Créer une histoire, un récit, que j’ai envie de lire et que je n’ai pas encore lu.

Écrire pour soi-même, et pas pour les autres, c’est, il me semble, la seule manière d’être sincère avec ce que l’on fait. Ensuite, il faut qu’on puisse être compréhensible par autrui, mais là, c’est plus une question de technique que de motivation.

 

 

 

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Storyboard de Dominique Bertail

 

En moins de quinze ans de carrière, vous avez acquis une solide expérience. Comment concevez-vous le monde de la BD ? Fidèle à l’image que vous vous en faisiez ? A-t-il des défis à relever ?

Le monde de la BD permet encore une grande liberté de création, c’est certain. Ensuite, mais ça ne concerne pas que les auteurs de Bande Dessinée, se pose de plus en plus brutalement la question des revenus, de comment peut-on en vivre de manière décente. Il y a de plus en plus d’auteur-e-s de BD pauvres, qui vivent dans la misère, or, c’est une véritable activité professionnelle, sur laquelle repose une industrie et des dizaines de milliers d’emplois au niveau international.

Mais pour moi, la question est à poser plus généralement à l’ensemble de la société, pour tous les individus. Quel rapport entre revenu, travail, accès à des droits fondamentaux, logement, éducation, nourriture, santé, habillement, nourriture, sans lesquels un individu ne peut de toute façon pas prendre part à la vie collective ? Est-il vraiment nécessaire de les conditionner à un emploi à l’heure où le chômage de masse et la précarisation sont en constante augmentation, et ce depuis des décennies maintenant, alors que paradoxalement, de plus en plus de « richesses » sont produites ? Des questions qui devront trouver des réponses si on ne veut pas de lendemains qui déchantent vraiment !

Propos recueillis par Alexis Seny

 

 



Publié le 24/11/2016.


Source : Bd-best


Gontran Toussaint, dessinateur de Reporter: « Faire arriver notre héros cinq minutes avant que l’Histoire se mette en marche »

Dans la frénésie de la rentrée littéraire et bédéphile, on trouve de tout, des vieux de la vieille, des auteurs accomplis mais aussi de jeunes loups qui ont l’audace de la jeunesse et qui entendent bien se faire leur place. À 27 ans, le Namurois vient de publier sa première bande dessinée chez Dargaud, entouré des scénaristes Renaud Garreta (qui vient de nous offrir un bien beau voyage dans la magie du Vendée Globes) et Laurent Granier. Inventant un nouveau « Tintin » en la personne de Yann Penn Koad, un jeune journaliste qui, un lendemain de veille et un jour d’indigestion à la rédaction, se retrouve propulsé dans l’Amérique des années 60, Gontran guette et traque les ombres des grands hommes des cinquante dernières années. À commencer par Malcolm X et Martin Luther King.

 

 

 

©Cécile Gabriel

 

 

©Cécile Gabriel

 

Bonjour Gontran, d’où nous venez-vous?

De Namur, Jambes pour être plus précis. J’ai fait mes études secondaires à Félicien Rops en arts plastiques. S’en sont suivies trois années à étudier la bande dessinée à Saint-Luc. Après quoi, je me suis lancé. Avec un parcours classique, des premiers dossiers refusés. Mais, Dargaud s’était arrêté sur mon dessin. Ils le trouvaient intéressant. Dans l’attente d’un hypothétique projet, ils me recontacteraient en temps voulus.

Je me suis trouvé des petits boulots, tout en refaisant inlassablement des pages, en écrivant de nouveaux projets. Et deux ans après le refus de mes premiers projets, Dargaud m’a contacté, ils avaient une histoire pour moi et ils m’ont mis en contact avec Renaud Garreta et Laurent Granier. Reporter, c’est un projet qui ne se refuse pas, même pas un one-shot mais une série ! Et dans un genre dans lequel je me sens à l’aise, l’Histoire. J’ai fait deux pages d’essai et j’ai embarqué pour l’aventure chez Dargaud, un de mes trois éditeurs de prédilection.

Pour le reste, j’en ai toujours sous le coude, des projets que je scénarise, que je dessine. Notamment un qui prend lieu à l’époque de la prohibition.

 

 

 

©Garreta/Granier/Toussaint

 

 

©Garreta/Granier/Toussaint

 

Quelles sont tes références?

Je suis un grand lecteur de BD. J’adore le réalisme de Giraud, les Blueberry que je lisais à 12-13 ans, c’était du costaud. Mais j’aime aussi Hermann, Vance, Rosinski.

Mais plus jeunes, Les tuniques bleues m’ont marqué et m’ont donné envie de faire de la BD mais aussi de m’intéresser à cette période qu’est la guerre de sécession. J’ai dévoré toute la série et me suis amusé à recopier Lambil. Je réalisais des histoires, comme les pros, de 15-20 pages. Je les reliais de manière tout à fait artisanale. Et je créais une couverture, une quatrième de couverture avec une liste d’albums à paraître. Je dessinais mes propres personnages et inventais mes propres histoires mais j’étais totalement sous influence.

 

 

 

©Toussaint

 

 

©Toussaint

 

Dans un monde parfait, il serait aussi facile que ça de faire de la BD. Pourtant, les temps actuels ne plaident pas forcément en faveur des auteurs?

C’est vrai. Avant, j’avais peur. Je me posais des questions en matière de contrat, de tarifs, j’avais des craintes. Mais que ça prenne un an ou quinze, il fallait que j’y aille, que je vive ma passion. Après, j’ai la chance de pouvoir sortir mon premier album, d’être payé à la planche et de pouvoir me consacrer à plein-temps à la BD. Je n’ai pas assez de recul et j’ai aussi lu que, ces derniers temps, certains auteurs ont tout simplement arrêté. Quelques-uns arrivent à gagner leur vie en faisant de la BD. Au stade auquel je suis, ce qui m’arrive est au-delà de mes espérances.

Venons-en à cette série. Reporter c’est une couverture (signée par Renaud Garreta) qui évoque de grands magazines, et un esprit journalistique.

C’est un concept. Un peu comme Tintin, jeune reporter qui voyage aux quatre coins du monde. Bien sûr, Reporter n’a pas l’aspect de Tintin, mais c’est dans la même veine. Laurent voulait un Tintin des temps modernes, un personnage qui puisse découvrir plein d’événements historiques.

 

 

 

©Garreta/Granier/Toussaint

 

 

©Garreta/Granier/Toussaint

 

Ainsi, on trouve des éléments véridiques comme Malcolm X ou Martin Luther King et bientôt le Che auxquels se mêlent la fiction.

Ce n’est pas plus mal qu’il y ait une part de fiction. Au début, j’avais peur que cette série ne soit juste qu’une exposition des faits, que ce soit purement de la Grande Histoire. Mais non pas que. On peut en effet se demander ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Et si les deux personnages qui font le lien entre les faits sont fictifs, et si l’un d’eux rencontre Malcolm X dans une rue sous la pluie de manière tout à fait inventée, qui dit que cela n’aurait pas pu se produire? Nous avons des témoignages, des récits, nous nous sommes arrangés pour faire arriver notre héros cinq minutes avant ou pendant les événements racontés. Ce qui n’a pas toujours été possible pour les reporters de l’époque. On navigue ainsi entre des faits réels, comme l’assassinat de cette militante blanche. Ce n’est pas le seul qui se soit passé à l’époque.

Nous avions de la documentation, nous n’avons pas triché. Le théâtre où Malcolm X se fait assassiner, je l’ai exactement représenté. Mais si parfois, une voiture ou un costume n’est pas hyper-juste, il m’importait que l’ambiance soit bel et bien présente, fidèle. Comme celle qu’en tant que dessinateur, j’ai pu découvrir.

 

 

 

©Garreta/Granier/Toussaint

 

 

©Garreta/Granier/Toussaint

 

Alors, ce n’est pas une bande dessinée qui se lit en quinze minutes, il y a autant à lire qu’à voir.

C’est vrai, c’est dense même si le format oblige à condenser. Cela dit, sur certaines planches, c’est plus contemplatif, j’ai pu m’exprimer plus avec moins de cases et moins de texte. C’est sur les scènes d’action que j’ai pu m’épanouir le plus.

Votre jeune héros, Yann Penn Koad, est aussi accompagné durant quelques planches d’un photographe un peu raciste sur les bords. Un duo pour simplifier la narration?

Oh, oui, quand j’ai du dessiner la scène où ce photographe, Roberto, doit rentrer en Europe, j’étais triste. J’adore son caractère. Fonctionner avec un duo apporte un rapport de force différent, c’est le cas avec Tintin et Haddock, Chesterfield et Blutch, Astérix et Obélix ou même Laurel et Hardy.

Yann, il est naïf, il n’a pas de recul. Et le départ de Roberto qui le laisse seul en Amérique va l’obliger à évoluer. Pour créer ces personnages, je dois avouer que j’ai fait peu de croquis ou de recherches. Ce n’est pas que ça m’ennuie, mais j’aime dessiner directement sur une planche quitte à affiner celle-ci ensuite.

 

 

 

©Toussaint

 

 

©Toussaint

 

Le visage de Yann, vous le faites évoluer et lui mettez vite une « blessure de guerre ».

J’adore ça. Même dans un film, quand le héros s’appelle Batman et qu’il a des problèmes, on s’y identifie toujours un peu plus et on haït l’ennemi. Je pense qu’on vit un truc en plus, ça apporte un peu de sel.

Comment travaillez-vous?

À l’ancienne, c’est du tout à la main, à l’encre, à la plume et au pinceau. Je suis bluffé par certaines choses réalisées à la palette graphique. Mais qu’en reste-t-il après parution? Où sont les originaux? Ils ont une valeur personnelle et c’est même une source de revenu pour les auteurs. Moi, ce qui m’embête le plus, c’est ce manque de contact. Même si c’est parfois chiant, qu’une goutte d’encre vous oblige à découper une case et à recommencer, c’est un travail d’adaptation et de découverte de son propre outil.

Je travaille fixé dans le même endroit, avec les mêmes réflexes, parfois en mettant la radio.

C’est là qu’on se rend compte que c’est un métier de solitude, non?

La solitude ne me pose pas de problème. Je ne suis pas fait pour le métro-boulot-dodo. Bien sûr, je me lève le matin et je travaille tard le soir mais cette activité me donne une certaine liberté. Je ne suis pas fait pour travailler en atelier.Si je travaille toute la journée, je suis plus du soir, ma production est plus rapide.

 

 

 

©Garreta/Granier/Toussaint

 

 

©Garreta/Granier/Toussaint

 

Cela dit, le bouclage de ce premier album fut périlleux. Il a fallu que je mette tout en place. C’est autre chose que mon TFE et l’année dont j’avais disposé pour remettre un récit de dix planches!

De vous comme de Yann, vous parlez d’un manque de recul.

On met toujours des trucs à soi dans un personnage, dans son caractère, son physique. On se projette. C’est vrai que Yann et moi, nous vivons peut-être la même chose dans des univers différents.

Finalement, les événements que vous racontez, la lutte des afro-américains pour leurs droits et l’égalité, et qui prennent place dans les années 60 évoquent aussi ceux que nous vivons actuellement.

Aux États-Unis, la loi a changé… mais les mentalités, peut-être pas tant que ça quand on entend les discours que peut tenir un Trump. Puis, il y a cette peur de l’autre, les problèmes communautaires…

Bon, ce n’est ni la guerre de sécession, ni la prohibition, comment êtes-vous arrivés dans les années 60?

C’était le plus évident. Nous sommes pile cinquante ans après 1965n qui a vu l’émergence de personnalités dont les noms sont encore frais dans les mémoires. Puis, c’est une date qui permet d’avancer dans l’Histoire.

Et forcément, il y a des moments iconiques. Comme cette marche ralliant Selma à Montgomery. Obama a été le premier Président à la refaire.

Un grand moment de la création de cet album?

À vrai dire, l’événement incroyable, fut d’être contacté par Dargaud. Après, voir mon album en vitrine, dans les étalages, en librairie, ça m’a fait plaisir mais pas plus que ça. Je l’ai tellement vu cet album, je ne peux plus le voir, mes erreurs me sautent aux yeux. (Rires) Mais il y a deux ans, comment aurais-je pu penser que des gens viendraient à moi avec mon album pour une dédicace. D’ailleurs, pour tout dire, je me suis un peu entraîné pour les dédicaces.

Je n’ai donc pas à me plaindre. À part un gros succès, que demander de plus?

 

 

 

©Garreta/Granier/Toussaint

 

 

©Garreta/Granier/Toussaint

 

La suite, vous en serez aux manettes également?

Oui! C’est vrai que beaucoup d’éditeurs font des séries concept où des auteurs différents se relaient album après album. Ici, non, ce fut clair tout de suite qu’on garderait la même équipe. C’est une série chronologique, des personnages qui apparaissent dans ce premier tome reviendront. Avec la possibilité de voyager dans des pays partout dans le monde, et notamment l’Afrique, grande oublié de bien des séries. Il s’agit de bien choisir les thèmes, pour qu’ils ne soient pas trop évidents non plus. L’idée, c’est d’entrer dans l’Histoire par la petit porte. Bon, c’est vrai notre journaliste a beaucoup de chance, mais n’est-ce pas son boulot d’être toujours dans le coup?

 

 

 

La suite de l'histoire est en marche © Toussaint

 

 

La suite de l’histoire est en marche © Toussaint

 

Notre série permettra aussi d’explorer des registres différents. Pourquoi d’ailleurs ne pas évoquer la manière dont notre journaliste fait ses compte-rendus journalistiques ? Nous avons des idées pour cinq tomes et ils pourront se lire indépendamment. Ah oui, Yann et les personnages qui gravitent autour de lui… vieilliront.

Le deuxième tome?

Le scénario est presque fini et j’ai réalisé dix planches. Notre journaliste en herbe va se retrouver en 1967, en avril à Cuba puis en Bolivie. Il y suivra les derniers jours du Che. D’autres personnages historiques apparaîtront. Nous avons pris des contacts avec des journalistes qui étaient sur place au moment des faits. Dans ce tome, il y aura plus de grands espaces, de la nature, on y parlera un peu du Vietnam, des hippies.

 

Propos recueuillis par Alexis Seny



Publié le 23/11/2016.


Source : Bd-best


Mike Crocbart & Galien: « Arsène Lupin, un personnage en avance sur son temps »

N’écoutant que leur courage, c’est dans un Paris très 1900, que Mike Crocbart et Galien ont décidé de suivre à la trace l’ombre d’Arsène Lupin. Mieux que ça, les voilà qui la recompose pour mieux réanimer le personnage de Maurice Leblanc dans un monde où l’illusion à tous les pouvoirs entre rêves éveillés et cauchemars réalistes. Encore plus quand il s’agit de faciliter un vol de grande envergure. Avec le Baron des brumes, Lupin a trouvé un ennemi de taille. Et nous, avec Crocbart et Galien, deux audacieux repreneurs qui cultivent leur propre imaginaire.

Comment vous êtes-vous rencontrés ? Et l’idée de collaborer est vite venue ?

Galien : On s’est rencontrés virtuellement : on suivait chacun nos travaux, et puis suite à un projet avorté de BD, j’avais lancé un appel à scénariste sur mon blog, entre autres. Mike y avait répondu, j’avais bien aimé le premier projet sur lequel on a bossé, mais qui n’a pas abouti. Du coup, il me propose dans la foulée, les 4 premières planches de Lupin que j’avais adorées, alors zou. Je me suis dit « bah ça vaut le coup d’essayer et puis j’ai rien d’autre, hahaha ! ».D’ailleurs on ne s’est rencontrés « en vrai » que 3 ou 4 ans après les premiers essais de notre collaboration. Midnight Clock! C’était un genre de crossover entre Van Helsing et H.G Wells d’un côté et Dracula de l’autre. Une histoire de voyage temporels, et beaucoup d’autre choses plutôt steampunk. J’avoue ne plus vouloir en voir grand-chose, c’est un vieux projet.

 

 

 

© Galien/ Mike Crocbart

 

© Galien/ Mike Crocbart

 

Mike : Tout est dit et bien dit ! ^^

Quel a été votre chemin jusqu’ici ?

Galien : Oulà ! Ma page Facebook indique des études à Miskatonic, mais c’est très incomplet : il s’agissait d’étude en ingénierie en mécanique et automatisme industriels. J’ai pratiqué ce métier quelques années (acheteur, pilote de projets, de l’assurance qualité fournisseur, auditeur, etc…) et puis tant d’autres ensuite : serveur en resto, éboueur, j’ai bossé à plusieurs postes sur les champs de course, j’ai été formateur pédagogique, animateur sportif et linguistique, etc. Bref plein de petits boulots alimentaires.

Mike : Oulà bis ! Très chaotique ! Responsable dans la grande distrib’, puis un gros ras le bol de tout ça. Entre temps j’avais toujours cette passion de la BD (dessinateur) et j’ai collaboré tant bien que mal avec Jean-Louis Le Hir (auteur entre autre d’une jeunesse de Sherlock Holmes avec son ami Didier Convard), puis sont venus les Fanzines (CAFZIC), les arnaques et autres projets non validés. Enfin, la rencontre avec le Doc Galien et un long travail sur nos 2 projets : « Midnight Clock ! » et « Les 1000 mystères d’Arsène Lupin »

 

 

 

© Galien

 

 

© Galien

 

D’où vient votre amour de la BD ? Et votre envie d’en faire ?

Galien : D’aussi loin que je m’en souvienne : j’ai toujours voulu faire ça. Petit, je me relevais le soir et me planquais pour regarder les Enfants du rock, et surtout la chronique de Dionnet et Manoeuvre sur la BD. Le lendemain je recopiais des Astérix, mais le premier vrai coup de coeur a été Métal Hurlant et l’Incal : je piquais les revue de mon père quand j’avais 9 ans. Je ne comprenais rien, mais c’était tellement fort… Et puis je ne savais pas que c’était un métier, donc je dessinais pour moi et ai mis ça de côté pendant les études et mon « vrai » métier d’ingénieur. Quand j’ai fait un burn-out, j’ai compris que , quitte à en baver dans la vie, autant que ça se fasse avec le moins de regrets possible, et dans une direction qui me semble en valoir la peine.

Mike : Il vient avant tout de mon père, le véritable déclencheur, puis les lectures successives et variées avec les Mickey, le franco-belge, les collections westerns/guerre/horreur, Zembla, Mister No, Akim, Blek, Le Fantôme, Strange (John Buscema, Jack Kirby (surtout Jack)… ), Pif, Valérian, Tintin, Métal, etc. Un véritable apprentissage de la lecture somme toute, et du média séquentiel. Je recopiais, je « développais »…. Il y a eu aussi cette passion pour le cinéma de genre, l’animation, Ralph Bakshi, René Laloux, la série B, John Carpenter, Joe Dante, Sam Raimi, Otomo, Miazaki, Tsui Hark… Il y a eu des personnalités comme Dionnet et son savoir en folie, des émissions, Temps X, La bande à Bédé, qui vous guident et vous attirent dans la curiosité du trait et l’envie de raconter des histoires variées avec un budget presque illimité.

 

 

 

© Galien/ Mike Crocbart

 

 

© Galien/ Mike Crocbart

 

Facile d’atteindre, ce but ?

Galien : Non. Atroce. De grandes joies, mais tellement de solitude, d’incompréhension de l’entourage, tellement de galère de thune (je vis sous le seuil de pauvreté depuis 12 ans pratiquement sans aide sociale). Et quand on se dit qu’on n’a pas fini, c’est un peu rude. Il faut vraiment que le besoin de dessiner soit fort…

Mike : Pas mieux.

Et votre rencontre avec Arsène Lupin ?

Galien : Je me suis vaguement souvenu de la série avec Descrières, peut-être une nouvelle de Maurice Leblanc quand j’étais gamin. En fait je me suis replongé dedans pour vérifier que l’on ne se trompait pas.

 

 

 

© Galien/ Mike Crocbart

 

 


© Galien/ Mike Crocbart

 

Mike : Effectivement, en premier, c’était la série avec Descrières, puis ensuite la découverte des magnifiques versions avec le grand Robert Lamoureux et bien entendu la version sublimement riche de Miazaki, « le Château de Cagliostro » avec L’Edgar de la cambriole et ses compagnons.

Que représente-t-il pour vous ?

Galien : Un personnage très ambigu. Ce n’est pas un chevalier blanc : il a une part d’ombre au travers ses accès de violence, son ironie, le jeu des masques. Mais il a aussi une part de lumière : généreux, grand cœur, homme d’honneur.  Séducteur surtout, il a beaucoup de respect pour les femmes, surtout celles qui s’émancipent. C’est un personnage extrêmement moderne, largement en avance sur son temps.

 

 

 

© Galien

 

 

© Galien

 

Mike : Une classe naturelle, un personnage virevoltant, pétillant, bienveillant, truculent et véritablement charmeur (ou sincèrement romantique). Une de ces véritables icônes de la culture populaire au sens noble du terme, loin d’être passéiste et ne demandant qu’à affronter les mises en danger, les adversaires hauts en couleurs et apporter des solutions (ou des éclairages) sur les mystères les plus improbables.

 

 

 

© Mike Crocbart

 

 

© Mike Crocbart

 

A priori, quand on parle de héros français, ce n’est peut-être pas le nom d’Arsène Lupin qui vient en premier, si ?

Galien : J’ai beaucoup de difficulté avec le concept de héros, français ou pas. J’ai du mal à définir ça, et donc à citer, comme ça un héros… La question est intéressante et mériterait une conférence à elle seule : est-ce qu’un héros est français par ses créateurs, le lieu de ses aventures ? Le fait qu’il aime Paris ? En fait, je ne sais pas si on parle de héros français dans les médias, la rue, les cours d’école… Je sais pas quoi répondre !

Mike : Plus qu’un « Héros Franco/Français » (un terme à manier avec précaution dans cette époque cynique où l’on va vite pour récupérer des symboles pour de mauvaises raisons), c’est l’un de ces grands personnages de la littérature du polar et de l’aventure au sens Européen.

 

 

 

© Galien

 

 

© Galien

 

S’il a complètement disparu des écrans depuis le film de Jean-Paul Salomé, Arsène Lupin n’a pas pour autant cessé d’exister en bandes dessinées. En témoigne la série « Les Origines » chez Rue de Sèvres mais aussi les mangas. La bande dessinée semble loin d’en avoir fini avec ce personnage ? Arsène se prête bien à ce format ?

Galien : Je n’ai pas lu les autres Bds. J’ai l’impression que c’est un personnage qui se prête à plein de formats. Le perso a été créé plus de vingt ans avant Batman, et pourtant ils se ressemblent tellement… Tout en étant très différents. Si Batman mérite encore d’exister -et c’est un des personnages de comics les plus intéressants, comme ses adversaires, à mon avis-, alors Lupin a tout à fait sa place, en BD, au cinéma (que je n’ai pas aimé.)

Mike : C’est aussi l’idée de base, continuer à développer un univers légitime comme savent si bien faire les anglo-saxons (Moore, Byrne, Robinson, Mignola, Kirby,… ) et comme on l’a peut-être oublié, les frenchies (Stan & Vince, Dorison, Lehman, Lefeuvre, Greg… ) !

 

 

 

© Galien/ Mike Crocbart

 

 

© Galien/ Mike Crocbart

 

Comment vous est venue cette idée de reprendre ce personnage ? Quelle impulsion vouliez-vous lui donner ?

Galien : C’est surtout Mike qui en a eu l’idée, c’est de sa faute !

Mike : Je n’ai pas eu à pousser bien loin ! On en revient à la réponse de la question précédente et aussi à celle de notre amour de la BD et du récit populaire.

Facile d’arriver dans un univers qui a été tellement décliné ? Est-on phagocyté par le poids culturel et populaire du personnage ? Cela empêche-t-il la liberté de le revoir et le corriger, de le mettre à sa sauce ?

Galien : Au départ, je n’ai eu que la volonté de bien illustrer les premières planches de Lupin. J’ai démarré le projet dans ce but unique et finalement assez vierge et donc détaché de tout ce qui avait été fait.

J’ai été assez naïf je pense : Arsène était plutôt pour moi un mythe assez lointain, avec lequel j’ai du refaire connaissance. C’est plutôt lors de la rencontre avec Florence Leblanc, petite-fille de Maurice Leblanc, suite à une prise de contact des Amis d’Arsène Lupin, que j’ai pris conscience que Lupin, ça représentait quand même quelque chose.

Mike : Naïf, spontané, je n’ai pas cherché à suivre ce qui a été fait. Le plaisir était, avant tout, de voir naître une certaine jubilation. Ici, on n’est pas sur une commande ou une reprise tellement verrouillée que ça en devient sujet à de la limitation.

 

 

 

© Galien/ Mike Crocbart

 

 

© Galien/ Mike Crocbart

 

Et au niveau du graphisme ? Comment l’avez-vous conçu ? C’est très pop, non ?

Galien : C’est le but, et en même temps, on ne choisit pas vraiment son style en dessin : essentiellement, c’est lui qui te choisit. J’ai voulu me dépasser et je l’ai fait (mais bon, je pars de loin) Même s’il y a encore énormément de taf à faire pour être pleinement satisfait de mon travail. On voulait donner une teinte moins lumineuse que la série avec Descrières, mais le trait reste -je trouve- très classique : une mise en page et une ligne très européennes, plutôt oldshool. J’aimerais apporter davantage de pep’s sur mon dessin, dans la suite.

Mike : Ce n’est pas une volonté de faire du « à la française », ça existait déjà chez nous, mais quelques-uns l’ont occulté et quand maintenant (ou à l’époque des Mikros/Photonik), on se remet dessus, on vous fait comprendre que l’on cherche bêtement à reproduire les comics USA à la sauce franchouillarde. L’exemple récent de FoxBoy de Lefeuvre démontre qu’avec un peu de bagages dans une certaine culture populaire, on est à même de continuer ce qui a déjà été fait, et bien fait par le passé. On peut parler de tradition. L’aspect « classique » un ingrédient faussement calme.

Dans la première poursuite de ce tome, Arsène apparaît vraiment comme un super-héros, une sorte de Batman. Les comics font partie de vos inspirations ?

Galien : Clairement. Je revendique les Batman de Bruce Timm, des dessins animés pour enfant ET adultes, je suis fan de Mignola, et tant d’autres… Mais il y a plein de bonnes choses aussi en France, et je lis davantage de Bds européennes. Si tu prends Boucq, c’est un Maître : ses dessins sont très typés, très puissants. Il y a beaucoup de « chair » dedans. Moebius aussi (mon dessinateur favori), il se joue littéralement des codes et s’invente en permanence, tout en revenant à la ligne plus « cadrée » sur Blueberry. Tous ces explorateurs sont de grandes sources d’inspiration. Et il y en a tant d’autres, pas que légendaires, dont on peut s’inspirer…

 

 

 

© Galien

 

 

© Galien

 

Mike : Le Super Héros (ou le super justicier) naît surtout en France (il n’y a qu’à lire l’excellent « Super héros – une histoire française » de Xavier Fournier) avec une certaine richesse et on en revient à cette légitimité sincère qui apparaissait entre autre dans les écrits de Maurice Leblanc sur le « Je sais tout ».

À l’heure où l’on voit certains héros se moderniser (Bob Morane, par ici ou Les fous du Volant et Scooby doo outre-Atlantique et entre mille autres), vous nous emmenez dans une atmosphère vintage, « 1900 ». Retrouver le personnage dans son état naturel, c’était important ?

Galien : Un « héros » est intemporel, si tu veux, donc on aurait pu le transposer à notre époque. Il y a de super choses faites en ce sens. Mais… j’aime l’époque de Lupin : il y a eu tant de découvertes à l’époque, tant d’évolutions artistiques, rien n’était figé : on explorait la science, et l’art. Bien sûr il y a eu de grandes erreurs : le narcissisme qui a fait croire que la France, et l’Europe (et dans la foulée les États-Unis) étaient supérieurs à tous les points de vue. Mais tout cela est très propice à beaucoup d’aventures. Et Maurice Leblanc l’avait très bien perçu : il transpose les bases de premières escroqueries d’une partie de l’élite, esquisse les conflits avec l’Allemagne… L’ère atomique approche et aux États-Unis la grande expérience sociale de la Prohibition n’est plus loin…

Et puis, je ne me voyais pas dessiner notre époque actuelle, sauf en dessin de presse, je déteste ça.

Mike : Pourquoi suivre un courant, pourquoi être classique… ? Ce sont les prémisses à un univers où Lupin sera une tête de pont. Une Uchronie-Steampunk évolutive selon les envies du moment. L’aventure n’est pas que sur le papier, elle est dans l’esprit.

 

 

 

© Galien/ Mike Crocbart

 

 

© Galien/ Mike Crocbart

 

Ici convoité, on trouve la Panthère noire, un bijou bien particulier et conférant des pouvoirs à celui qui le détient ? Vous nous en dites plus ?

Galien : Il faudrait appeler Méliès, pour cela. Je ne suis pas assez qualifié…

Mike : On ne peut pas dire que « la Panthère Noire » confère des pouvoirs, elle est un élément essentiel qui participe du fonctionnement d’un appareillage ou d’une machine infernale (mais non létale). Elle augmente la capacité des effets souhaités par le filtre particulier de son prisme. Après il faudra lire le tome 2 et ses nouveaux mystères ! ;)

Ainsi, Arsène Lupin doit faire appel à ses premiers amours, l’illusion et ses mystères, la magie. Mais il se retrouve aux prises avec un nouvel ennemi qui semble (du moins jusqu’à la fin de ce premier tome) bien plus fort que lui : le Baron des Brumes. Que doit-on savoir de ce personnage énigmatique ?

Galien : Le Baron s’amuse, joue avec Lupin, mais au final, on voit qu’il n’est que prestataire de service… Et Lupin décide de passer à l’offensive. Mais il ne suffit pas au personnage de vouloir contre-attaquer, pour gagner la partie : il doit être plus malin, plus fort, plus préparé, plus rapide au bon moment…

 

 

 

© Galien/ Mike Crocbart

 

 

© Galien/ Mike Crocbart

 

Mike : Le Baron vient d’une envie de créer un « vilain » en contre point de Lupin à la manière des comics US et du travail d’un Stan Lee. C’est aussi une version de Fantômas, avec, cependant, pas l’envie de cruauté. Il déstabilise Lupin et, par ce fait, devient un ennemi plus qu’à la hauteur. Ce n’est pas un simple contre poids, c’est un technicien, un illusionniste et un fin stratège dont on ne sait pas véritablement ce qui le motive (pour l’instant), mis à part de se donner les moyens à travers de surprenants spectacles (et non pas de SE donner en spectacle) semant le doute dans les esprits.

Personnalité bien réelle qui se retrouve héros de fiction : Georges Méliès. Un péché mignon pour vous ?

Galien : Carrément. J’en ai eu la larme aux yeux en voyant ce que j’avais à dessiner. Méliès est un génie poétique, un Explorateur, un inventeur de mondes. Quelqu’un de généreux qui avait le sens de la narration, de la couleur, de la composition… Le temps ne fait pas de cadeaux aux vieux films, mais ceux de Méliès sont restés des chefs d’oeuvres : très largement en avance sur leur temps, pour les thèmes abordés et la façon de filmer.

 

 

 

© Galien

 

 

© Galien

 

Mike : Inclure Mélies dans une aventure à la frontière de l’illusion et donc du spectacle à effets, semblait plus qu’évident en tant que fan d’effets spéciaux visuels. Sa rencontre avec Lupin et ses compagnons devient ainsi une belle conclusion par rapport à sa triste réalité.

Quelles sont vos références à ce propos, que ce soit dans le cinéma, la BD… ?

Galien : Innombrables ! En plus de ce que j’ai dit plus haut, je pourrais ajouter en résumé et en vrac des tas de références que tout le monde partage en dessin, alors pour ceux moins connus ou qu’on cite moins souvent : Lovecraft, Caza, Fritz Lang, , Laurent Lefeuvre, Laurent Astier, Michel Gondry, Joe Skull… Il y en a tant… et puis la musique : The Doors, Jimi Hendrix, John Lee Hooker, Buddy Guy, Nirvana, Archive, Noir Désir, Philippe Katerine, et tant d’autres là encore. Je ne dessine pas sans musique. Je rêve de faire un bouquin lié  à la musique.

 

 

 

© Galien

 

 

© Galien

Mike : Vous avez du temps ? ^^ On reste toujours dans ce qui a été dit précédemment, le cinoche de genre, la série B, les sérials, des auteurs de bd franco-belge, de comics anglo-saxon, de fumetti, de mangas, et d’autres que je connais pas encore : Goscinny, Greg, Alexis, Trondheim, Lehman, Druillet, Moebius, Tillieux, Macherot, Kirby, Ditko, Hergé, etc. Le rock indé (Aloof, broacast…), l’électro (The Knife, Gus gus, le matos, Prodigy… ) les bandes sons (Ennio Morricone, Jerry Goldsmith, Carpenter, Hermann…)… Ah ! Je n’ai plus de confiture ! ;)

 

 

 

© Mike Crocbart

 

 

© Mike Crocbart

 

Autre personnage, cette justicière dont on sait peu de chose encore. Qui est-elle ?

Galien : Le Rajah doit avoir quelques clés, les guerriers sikhs, également mais ils ne sont pas très loquaces…

Mike : Il nous fallait une « héroïne », une aventurière et une justicière entraînée. Un brin de romance, mais juste ce qu’il faut, de l’exotisme romanesque avec un soupçon de réalité. C’est une figure mystérieuse, une légende urbaine de son pays.

 

 

 

© Galien/ Mike Crocbart

 

 

© Galien/ Mike Crocbart

 

Le mystère vous l’entretenez autant dans l’histoire que dans la manière dont vous la mettez en scène. À plusieurs moments, des actions sont sous-entendues (entre autres, ce coup de fil au « domaine de l’aiguille ») sans en dévoiler les tenants et aboutissants. Quel est l’effet recherché ? Avez-vous peur de trop en dire ?

Galien : Au départ, il devait y avoir davantage de pages. Il a fallu contracter quelques séquences. Et c’est important de voir que Lupin n’est pas totalement largué, même si le Baron réussit à avoir quelques coups d’avance… Pour le moment…

Mike : J’aime quand tout n’est pas dit, on sous-entend et on garde cette caractéristique du mystère et de l’aventure

 

 

 

© Mike Crocbart

 

 

© Mike Crocbart

 

Il est annoncé que le tome 2 conclura cette histoire. Étant donné que la série s’intitule Les 1000 mystères d’Arsène Lupin, vous avez d’autres histoires sous le pied ? Que nous réservez-vous ?

Galien : Nous avons bien sûr envie de continuer. Et il y a beaucoup d’idées. Mais ça dépend essentiellement de la manière dont marche l’album : c’est notre premier album chez un petit éditeur. Il faut qu’il marche suffisamment pour poursuivre, et à côté des mastodontes, ce n’est pas une chose facile que d’exister.

Mike : Il y a du matériel et des titres.

Vous nous parlez de cette petite maison d’édition « Cerises et coquelicots » ?

Galien : C’est une maison qui fait de bien jolies choses et qui mérite davantage de visibilité. Patrice Pierrat nous a fait confiance et c’est très appréciable. Le Monde de l’édition est très dur, parfois très méprisant pour les auteurs qui cherchent leur première publication, et je pèse mes mots. Bien sûr ce sont les moyens d’une petite maison d’édition, mais il y a la volonté d’avancer.

Mike : On souhaite une belle aventure, avec cette structure plus « familial ».

Quels sont vos projets ?

Galien : L’objectif est de faire le tome 2 et de conclure l’histoire. Pour cela, il faut que le tome 1 fonctionne suffisamment, on le répète. Nous sommes donc sur plusieurs fronts : défendre notre album, travailler sur le second. Pour ma part, je veux continuer le dessin de presse, et j’aimerai beaucoup donner une suite à mes recherches sur les cauchemars, sur la musique, j’adorerais illustrer des bouquins plutôt sociologiques à la manière de Joe Sacco, le type d’illustration que je fais pour Fakir, en fin de compte.

 

 

 

© Galien/ Biancarelli

 

 

© Galien/ Biancarelli

 

Mike : Continuer si possible Lupin, amorcer l’autre partie de cet univers (projet déjà développé) avec Midnight Clock !, ne pas s’interdire le plaisir de narrer par d’autres supports. To be continued folks !

Un tout grand merci d’avance ! Belle continuation!

 

Propos recueillis par ALexis Seny

 

Série: Les 1000 mystères d’Arsène Lupin

Tome: 1 – L’illusion de la panthère noire

Scénario et storyboard: Mike Crocbart (et Facebook)

Dessin: Galien

Couleurs: Mike Crocbart

Genre: Policier Suspense, Steampunk

Éditeur: Cerises et coquelicots (Facebook)

Nbre de pages: 64

Prix: 15€



Publié le 22/11/2016.


Source : Bd-best


Enrico Marini: « Les Aigles de Rome, c’est un western en pays latin et où les Indiens germains gagneraient du terrain »

« Ça va chier », en annonçant en ces termes corsés la sortie du Livre V des Aigles de Rome, Enrico Marini ne pensait pas si bien dire. Après quatre albums rythmés par une tension croissante, pas mal de tractations mais aussi quelques mots plus hauts que les autres et quelques coups de glaives, place désormais au champ de bataille grandeur nature. Le grand Arminius, chérusque devenu parfait romain, a une nouvelle fois retourné sa veste et entend bien faire un sort, funeste, aux trois légions emmenées par le grassouillet général Varus. Et il n’y a apparemment que Marcus pour arrêter le massacre. Enrico, lui, s’en donne à coeur joie en donnant les couleurs de la défaite à ce cinquième opus (tant qu’à parler Latin) spectaculaire et qui finit de nous convaincre. Interview d’Enrico Marini.

Bonjour Enrico, ça fait quelques jours que votre album est sorti. Comment sentez-vous le public?

Jusqu’à présent, c’est très bien, je suis vraiment content, d’autant plus que c’est un album important, crucial dans la série. Et même pour moi, ce fut intense de le réaliser, j’ai passé plus de temps que d’habitude, notamment parce qu’il y avait beaucoup de personnages à mettre en scène.

Normal, c’est dans une grande bataille que vous nous emmenez!

Oui, la bataille de Teutoburg. J’y consacre un album entier et ça, ce n’était pas prévu au départ. Je voulais prendre le temps de la raconter, tout en sachant que consacrer un album à toute une bataille pouvait devenir ennuyeux. Mais je voulais qu’il se passe un peu plus de choses que le combat. Il n’y a pas que de l’action, j’ai passé beaucoup de temps à mettre en danger les personnages principaux.

Des personnages principaux qui sont, en première ligne, Marcus et Arminius, des frères ennemis. Leur trajectoire est étonnante d’autant plus que, peut-être, en cours de route, le chouchou du public a changé. Arminius, à qui on s’était attaché dans le premier tome, a retourné sa veste et Marcus, qui passait pour quelqu’un de prétentieux est, sans doute, celui avec qui le public « tient », non?

D’une manière, oui. Disons qu’il y a toujours des lecteurs qui choisissent leur camp. Peut-être, certains s’étaient-ils attachés à Marcus dès le départ? Mais comme Arminius a été pris en otage par les Romains, on s’y attache forcément. Mais il a une fierté, une force de caractère et beaucoup d’ambition, il ne pouvait pas rester une victime. Non seulement, il ne se laissait pas dominer, mais en plus, il avait un plan! On lui avait prédit que le jour viendrait où il libérerait son peuple. La raison pour laquelle il n’a peur de rien, il se croit choisi par les dieux germains.

 

 

 

© Marini

 

 

© Marini

 

Arminius a certainement d’autres ambitions que Marcus qui, lui, a rencontré l’amour en cours de route et ça l’a fait dévier, il a perdu de vue ses ambitions, son plan de carrière et son cursus honorum. C’est d’ailleurs le reproche que son ami, Arminius, lui a fait. Cette fille est aussi venue bouleverser leur amitié.

 

 

 

© Marini

 

 

© Marini

 

Que les rôles se soient inversés, je ne sais pas, mais c’est clair qu’Arminius est maître du jeu et n’est pas en danger dans cet album. C’est le grand stratège de cette histoire, qui mène cette rébellion, qui anéantit les légions. Marcus, qui en sait plus sur le plan d’Arminius, essaie de sauver ce qui peut l’être, d’informer et de convaincre ses supérieurs de changer de route. C’est une course-contre-la-montre. Et forcément, ce cinquième tome permet de s’attacher plus à Marcus et à son rôle désespéré. Sa famille est en danger. Après, si on va sur Google, on sait très bien la fin de la semaine.

C’est vrai, j’avais oublié que cette série était inspirée d’une histoire vraie et historique. Où la réalité s’arrête-t-elle et où la fiction commence-t-elle?

Malheureusement, et heureusement pour moi, on ne connaît que des bribes de ce qu’il s’est passé. Je me tiens aux textes des Latins, aux récits des historiens. Mais cet épisode fut un des plus grands désastres de l’Empire romain et ils ne l’ont pas crié sur tous les toits, c’était un déshonneur, un scandale,… une défaite. C’était plus un massacre en règle qu’un Viêt-Nam, finalement, cette histoire. La topographie n’était pas évidente pour se battre contre des ennemis qui connaissaient très bien le terrain. Ces trois légions se sont retrouvées dans la grande forêt germanique face à des Germains qui ont tiré avantage de ce lieu. C’était plus une guérilla qu’une grande bataille comme on en voit dans les films de péplum, où deux armées s’affrontent sur terrain plat. Si ça avait été le cas, je pense que les Romains, au vu de leur discipline de fer et leur expérience, se seraient imposés et auraient été invincibles.

 

 

 

© Marini chez Dargaud

 

 

© Marini chez Dargaud

 

J’essaie donc de tenir compte de ce que j’ai lu, de ce que les experts et historiens ont comme indices, et je les inclus quand je peux. J’échange aussi beaucoup avec des amateurs de reconstitutions historiques, des légionnaires, des artisans, je peux ainsi prendre des photos et parler avec des gens qui connaissent la matière. Je me nourris de ce que je peux. Il est certain que je suis plus documenté sur Les aigles de Rome que sur une série comme Le Scorpion où le ton est nettement plus romanesque et théâtral, presque. Ici, le plaisir est autre. Mais il y a pas mal de trous historiques que j’essaie de remplir. Même le personnage d’Arminius est obscur, on n’en sait pas grand-chose. C’est de la fiction avec un background réaliste. J’ai trouvé un moyen d’être créatif tout en ne perdant pas de vue le réalisme. Mais, c’est très motivant, je reçois des réactions d’historiens très positives. Ils me disent: « Vas-y mon fils.«

 

 

 

© Marini chez Dargaud

 

 

© Marini chez Dargaud

 

C’est donc mieux qu’un « Tu quoque mi fili » assassin, c’est sûr. Si on revient au tout début de cette série, quel est l’élément qui vous a mis sur la piste des « Aigles de Rome »? Une passion pour cette époque?

Pas spécialement, j’aimais bien certains films qui m’ont marqué, mais sans plus. Je suis plus attiré par le western ou le polar. D’une certaine manière, d’ailleurs, je vois plus Les aigles de Rome comme un western transféré dans une autre époque. Les Indiens pourraient être les Germains et les cowboys, les Romains. Il y a des parallèles, sauf que dans ce cas-ci, les Indiens/Germains ont gagné!

Mais, au départ, je voulais surtout parler d’une amitié qui se brise, ne manquait que le background, je cherchais une zone de conflit, une guerre assez importante. Je l’ai trouvé avec ce désastre de Varus à Teutoburg, mais j’aurais très bien pu transposer ça pendant les guerres napoléoniennes ou la Deuxième Guerre Mondiale. Ce qui a joué, c’est ma découverte du personnage d’Arminius, fascinant.

 

 

 

© Marini

 

 

© Marini

 

Mais, je pourrais aussi parler du film Gladiator, comme élément déclencheur. Du moins, les dix premières minutes. Après, j’ai été très déçu qu’on quitte les forêts germaines au profit des arènes de gladiateurs. Ces Germains, bien présents au début, ils disparaissaient dans le film. Je m’étais dit: dommage, j’aimerais bien envoyer un personnage sur ces terres. Et Marcus est arrivé, officier romain confronté à ces barbares. Mais l’histoire n’est pas la même.

Vous parliez du Scorpion. Quand on regarde votre bibliographie, vous avez la particularité d’alterner les séries. Une fois, c’est un album du Scorpion, l’autre fois, ce sont Les aigles de Rome. Mais quand je vois l’ambiance de ce cinquième tome, je me dis qu’il ne faut pas se louper pour prolonger l’ambiance du quatrième tome. Comment faites-vous pour vous y remettre?

Une chose est sûre, je ne pourrais pas commencer le sixième tome des Aigles de Rome, demain. J’éprouve trop le besoin de décanter, de réfléchir. Comment les survivants vont-ils se remettre? Ils doivent se recomposer? Certains personnages-clé ont disparu, il faudra que j’intègre ça. Je sais très bien où je vais et ce qu’il va se passer à la fin de l’histoire mais je préfère prendre du temps. Je vais donc prendre des notes, faire des recherches et peaufiner et soigner au maximum le scénario. Je le ferai en même temps que je bosse sur un nouvel album qui ne sera pas… Le Scorpion, mais un projet plus thriller, polar. Ça me laissera le temps de me changer les idées. Mais, je n’ai aucun problème pour passer successivement d’un univers à l’autre, je ne peux juste pas les mener de front, en même temps.

 

 

 

© Marini

 

 

© Marini

 

J’ai besoin d’alterner, sinon je perdrais l’envie de continuer. Mais, c’est sans doute plus facile avec Les Aigles, dont ce cinquième tome vient boucler un chapitre. Il est plus que probable que les personnages survivants reviendront vieillis, on ne les retrouvera pas au lendemain de la bataille. Plus rien ne sera comme avant, ils auront changé. Même Arminius… On va voir si je peux trouver des solutions pour réconcilier Marcus et Arminius. Ça me paraît compliqué voire impossible, mais qui sait? Mais ne spoilons pas! En tout cas, sur Google, vous pourrez découvrir comment Arminius va finir… mais je m’émanciperai peut-être de la version historique (rire). Finalement, on ne sait pas clairement ce qui lui est arrivé et je m’en servirai pour aller jusqu’au bout de ce que je veux raconter.

La Rome Antique, et peut-être encore plus depuis Gladiator, continue d’inspirer énormément de récit dans les séries, au cinéma ou en BD, non?

Oui, je me souviens de la série Rome que j’ai regardée à l’époque. Ça correspondait à ce que j’avais envie de faire, à mon état d’esprit: montrer une société où la morale judéo-chrétienne n’était pas encore apparue. Puis, c’était super bien écrit, ça m’avait beaucoup plu… plus que Gladiator (rires). Je trouve ça chouette qu’on retrouve des histoires antiques, romaines ou grecques, sous le feu des projecteurs. Après Alix, il y a eu d’autres séries qui renouvellent le thème de l’Antiquité. Murena a ouvert un peu la voie.

 

 

 

© Marini

 

 

© Marini

 

Après, ce n’est pas la période de l’histoire qui me hante de manière obsessionnelle. Des sujets de notre époque me tentent bien aussi.

Beaucoup moins antiques, les réseaux sociaux (Facebook, Instagram…), vous les utilisez beaucoup, non?

J’y ai débarqué assez tardivement, c’est pour ça que je suis assez hyperactif en ce moment, comme un gamin dans un magasin de jouets. Facebook et les autres me permettent de lier de nouveaux contacts avec des gens que j’estime, des auteurs de BD, des écrivains… que je n’ai peut-être pas l’habitude de voir. Après, ça sert aussi à la promotion, soyons honnêtes.

Oui mais avec des bonus superbes, des work in progress… de quoi attiser l’impatience des lecteurs!

Peut-être que je poste de trop. C’est gratuit, pas besoin d’acheter l’album. En y réfléchissant, ce n’est d’ailleurs peut-être pas très malin de ma part (rires). C’est du teasing mais ça a aussi un côté didactique. J’y montre ma méthode de travail, ce qui répond aux questions qu’on me pose fréquemment: matériel, manière… Si ça peut inspirer d’autres dessinateurs ou dessinatrices, c’est chouette. J’aime aussi regarder ce que font les autres.

 

 

 

© Marini

 

 

© Marini

 

Justement, votre manière de travailler, c’est du traditionnel. À l’heure de la palette graphique, vous tenez bon!

Je procède de manière assez artisanale, je dessine au crayon, j’encre et utilise des couleurs directes. A priori, il y a toujours un original, à la fin. C’est une méthode que beaucoup n’emploient plus, mais c’est comme ça que je travaille depuis plus de vingt ans et j’y suis à l’aise. Je préfère sentir la matière, le pinceau.

Et la mise en couleur numérique n’est pas faite pour moi ni idéale pour mes projets. Puis, je ne pense pas que je gagnerais du temps sur un ordinateur. Je ne suis pas très fort là-dedans. Puis, je pense qu’un Blacksad ou le travail d’un Hermann, m’attireraient moins avec des couleurs digitales.

 

 

 

Mise en couleur © Marini

 

 

Mise en couleur © Marini

 

Les Aigles de Rome, c’était aussi la première fois que vous vous retrouviez seul du début à la fin, au scénario, au dessin et aux couleurs.

Oui, mais j’ai toujours mis mon nez dans les scénarios de Desberg ou des autres, j’amenais mes idées et je modifiais certaines choses pour les faire correspondre à mon dessin. Puis, la mise en scène. Le pas à faire pour devenir auteur complet n’était pas énorme.

Mais, c’est vrai que pour le moment, j’ai envie d’écrire, j’ai mes projets personnels à concrétiser et je vais pas mal travailler en solo, ces prochains mois.

Le prochain album sera donc un… thriller?

Oui et c’est quasiment tout ce que je peux en dire, restons mystérieux. Je dévoilerai ça en temps et en heure. A priori, ce sera un diptyque, pas plus.

 

Propos recueillis par Alexis Seny



Publié le 18/11/2016.


Source : Bd-best


Stédo et les fondus de la bière

La bière, on en boit depuis au moins 10 000 ans. Il faut dire que ce délicieux breuvage a pas mal de vertus si on le consomme avec modération. La bière nourrit, réchauffe, désaltère, fait chanter, et ce n’est pas l’amertume qu’apporte le houblon qui y changera quoi que ce soit. Surtout chez les membres de l’association des Fondus, qui sont bien décidés à en explorer toutes les
subtilités, bulle par bulle. Car ce qui fait le charme de la bière, c’est aussi son côté féminin. N’est-elle pas tantôt brune, tantôt blonde ou tantôt rousse ?

Rencontre avec Stedo qui nous parle de cet album sous le questionnement convivial de Laurent Lafourcade.

 

Bonjour, Stédo. Quel effet ça fait de rentrer dans la grande famille des fondus ?    

Il était temps. Il y a eu pas mal d'album qui ont été édités. En plus, c'est une idée que j'ai eu de mon côté donc je suis très content.

La collection comprend deux types de dessinateurs : la famille Bamboo (Bloz, Di Martino, Larbier, Jytéry, Péral, Berquin) et des grandes pointures (Maltaite, Seron, Widenlocher, Carrère). Où vous situez-vous dans cette liste ?

En fait, Carrère, Widenlocher et les autres font partie de l'équipe Bamboo… C’est la même équipe.

Est-ce une contrainte ou un défi d’utiliser des personnages créés graphiquement par d’autres ?

Au début, c'était une petite contrainte car il faut les faire à sa main. L'avantage est que c'est Olivier Saive qui a créé au départ ces personnages. Ils sont assez caractéristiques et caricaturaux. C'est assez facile à reprendre. Ces personnages forts simples au début permettent à chaque dessinateur de les mettre à sa patte.
 
Vous a-t-on proposé plusieurs sujets ou bien est-ce le premier que l’on vous a soumis ?

C'est une idée que j'avais notée sur un petit bout de papier que celui de la bière parce que ça me plaisait. C'est un produit typiquement belge. J'avais envie de parler de ça. Olivier Sulpice m'en a parlé aussi. On a eu la même idée tous les deux, donc c'est plutôt bien.

On sait tous que le mot "bière" sera le dernier souvenir de notre vie. Quel est votre plus ancien souvenir avec la bière ?

Le problème, c'est qu'en Belgique on commence tôt. Avant, dans les écoles catholiques, à la cantine, sur les tables, il y avait une bouteille de bière, mais une bière quasiment sans alcool, 0,05° je crois, une bière de table. Donc, la première fois que j'ai gouté de la bière, c'était à l'école. Depuis, ça a été interdit, même si il y a très peu d'alcool.

 

 

 

 

 

La série « Du côté de chez Poje » par Cauvin et Carpentier a beaucoup exploité le thème de la bière. Comment les fondus s’en sont-ils différenciés ?

En fait, chez Poje, le principe était vraiment de parler du bar et du barman. « Les fondus » est une série aussi un petit peu didactique On voulait donc parler de la bière, mais pas du côté pochetron. Sur l'album, il y a un ou deux gags qui traitent de ça, mais dans le reste, on parle de la bière, du produit, comment ça se fabrique, comment le déguster, comment le cuisiner, plein de choses comme ça.
On n’a pas du tout le même axe que "Du côté de chez Poje" qui est une BD que j'adore, mais on n’a pas voulu traiter le thème de la même façon.

Et par rapport aux « Maîtres de l’orge », de Vallès et Van Hamme ?

C’est une série plus réaliste déjà. Ce n'est pas du tout le même type de BD, c'est vraiment un récit complet. Nous, on fait du gag en une planche.

Perso, êtes-vous plutôt Brune ou Blonde ?


Rousse ! Ha, ha ! Les deux, car en fait il y a plein de bières différentes et j'aime bien goûter à tout. Dans chaque catégorie, il y a une bière qui me plaît bien. Donc pas de jalouse, blonde, brune, rousse, je prends tout.

 

 

 

 

 

Et les Allemandes bien charpentées ?

Dans tous les pays, il y a de bonnes bières. Même en France, vous commencez à faire de très bonnes bières. Il faut goûter de tout. On trouve toujours son bonheur quelque part.

Avez-vous été tenté de rentrer dans les ordres pour devenir Trappiste ?

Non, mais on a fait un gag la dessus dans l'album. Déjà, j'ai quatre enfants, donc je ne peux pas. C'est trop tard sinon je l'aurais fait.

Avez-vous révisé vos leçons d’histoire pour savoir ce qu’il s’était passé en 1664 ?

Une colle, pas de réponse...

Question cœur, pas trop de Corona dans vos coronaires ?

Je suis en bonne santé. Tout va bien. Mes Gamma GT sont un peu élevés mais le reste, ça va.

Plutôt justicier ou Desperado ?

Je n'aime pas trop la Desperado, donc plutôt justicier.

Est-il vrai que vous allez faire une parodie de la série de Roba intitulé Poule et Pils ?

Ce serait bien ça. Mais je ne pense pas qu'on aurait les droits, donc juridiquement ça va être compliqué.

Votre éditeur vous a-t-il offert une tireuse de chacune des bières dont il est question dans l’album afin d’être mieux au cœur du sujet ?

Non, ce n'est pas dans le contrat. Mais le problème, c'est que mon éditeur est en Bourgogne. Au niveau bière, il n'est pas au top. Je me débrouille pour m’approvisionner moi-même.

 

 

 

 

 

Prêt pour un tome 2 ?

Il n'y en aura qu'un, a priori. Mais on verra les ventes. C'est toujours un peu comme cela que ça se passe. Si l'éditeur nous dit "ça marche bien, on fait un tome deux", ce sera avec plaisir qu’on se replongera dans la bière. Il faudra attendre quelques mois avant de le savoir.


Récemment, est paru également le seizième album des pompiers. Pas lassé après tant d’années ?

Non, non. L'avantage que j’ai, c'est que je n'en suis pas scénariste. C’est Christophe Cazenove. Depuis seize tomes, je n'ai jamais signé deux fois le même gag. C'est un exploit, donc je ne suis pas lassé du tout. Je suis impatient de commencer le prochain album. Tant qu’on s'amuse, que les pompiers et les gens qui nous lisent nous demandent de continuer, on continue avec plaisir. Tout va bien.
 
Avec Lapuss, vous réalisez une série de gags sur Napoléon. Chaque planche est issue d’une anecdote réelle je crois ?

Oui. C'est le principe que l'on a pris au début de l'album. On voulait faire un album rigolo mais aussi faire un album didactique, dans le même genre que les "Fondus", qui apprenne aux gamins, et aux plus vieux aussi, quelques trucs sur Napoléon. Je ne connaissais pas tant que ça le personnage. En fouillant un peu avec Lapuss, on a trouvé plein d'anecdotes rigolotes sur lui. Le but principal était de faire une BD d’humour pédagogique.

 

 

 

 

 

Au bout d’un moment, il risque d’en manquer ?

Pour le tome deux, on a déjà tous les gags. J’ai commencé il y a quelques semaines. Pour la suite, cela dépendra de l'accueil du public. On a encore tout plein d'anecdotes. On a aussi le soutien de David Chanteranne,  rédacteur en chef de la revue Napoléon 1er, quelqu'un de super calé sur Napoléon et cette époque-là. Je pense que, grâce à lui, on ne va pas manquer de matière.

Bamboo vient de racheter Fluide Glacial pour lequel vous aviez un peu travaillé jadis. Une nouvelle porte s’entrouvre pour retourner y faire un tour…

C'est une super nouvelle pour Bamboo. Cela lui permet d'avoir un panel complet pour tous les styles de BD. Il avait déjà la BD d'humour pour les plus jeunes, le réalisme avec Grand Angle, le manga avec Doki Doki. Là, il a l'humour adulte. C’est une super nouvelle pour Bamboo.
J'ai trois albums sur le feu. Je risque de manquer de temps mais j'adorerais refaire un truc dans Fluide. C'est le type de BD qui m'a poussé à faire de la bande dessinée. Gotlib est mon dieu. Si un jour je trouve une idée rigolote qui peut convenir à Fluide pourquoi pas ? Mais dans l'immédiat ce n'est pas prévu.
 
Votre graphisme est tout droit issu de l’école de Marcinelle. Vous avez d’ailleurs débuté dans Spirou avec « Le feuilleton des gens bons », puis la reprise du « Garage Isidore ». Pourquoi n’y êtes-vous pas resté ?

Parce que j'avais trop de boulot sur les Pompiers. C'était un peu le souci. J'étais moins rapide, j'étais encore débutant. Je faisais le garage Isidore et les Pompiers en parallèle. Comme les Pompiers commençaient et marchaient bien, Bamboo m'a demandé de faire deux ou trois albums par an au début. Il était compliqué de gérer les deux donc j'ai dû faire un choix. On ne sait jamais, j’aurai peut-être un jour un truc pour eux. On s’est quitté en bons termes.

Etes-vous tenté de faire un jour vos propres scénarii ?

Oui, bien sûr, mais là j'ai plein de boulot. J'ai plein d'idées que j'ai notées, mais le gros souci en BD, c'est que ça prend du temps à faire. Il ne suffit pas d'avoir une idée. Il faut le temps de la développer. Je dois trouver le bon moment pour que cela soit faisable. Ça fait partie de mes envies.
 
Et vous lancer dans un 44 planches ?

Si je fais mon scénario, dans mes envies, c'est un récit long, pas forcément humoristique.
 
Merci, Stédo ! Une interview, ça donne soif. Allons nous jeter une bonne bière !

 




Publié le 17/11/2016.


Source : Bd-best


Nicolas Otero: « Mes derniers albums sont sortis de mes tripes, sans compromission, ni volonté de séduire »

Une morsure de chat et c’est toute une vie qui se trouve changée, métamorphosée entre la violence, un mal qui ronge un peu plus chaque jour et tentative de retrouver la quiétude. Sur base de sa propre expérience, Nicolas Otero livre une fiction fantastique, horrifique, entre les griffes de l’humainement inacceptable. Après le Fox-Boy de Laurent Lefeuvre, ce « Cat-Boy » dont le mal-être s’exprime par giclée de sang est un récit dont on ne ressort pas indemne. Interview de Nicolas Otero.  

Avant toute chose, qu’est-ce que c’est que cette histoire de chat qui vous est réellement arrivé ?

J’ai en effet été attaqué par un chat enragé à l’âge de quatre ans, au Maroc. Et sans la bonne réaction de mes parents qui étaient au fait de cas de rage avérés et qui ont fait pratiquer la première injection du traitement antirabique, je ne serais clairement plus là pour répondre à ces questions.

 

 

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© Otero chez Glénat

 

Quels souvenirs gardez-vous de ce drame ? Cela a changé votre vie (ou du moins votre enfance) ?

Étrangement, des souvenirs très précis, racontés dans le livre de la façon exacte dont je m’en rappelais. Quant aux changements, j’ai évité d’approcher le moindre félidé pendant de nombreuses années!!! Après, j’ai toujours été quelqu’un de sanguin, aussi loin que je me souvienne alors je ne sais pas si le fait d’avoir été infecté par ce virus a pu changer quoi que ce soit.

Ça veut dire que vous partez de cet expérience cauchemardesque mais néanmoins personnelle pour nous embarquer dans un récit de fiction et d’anti-super-héros (ou de super-anti-héros) ?

Oui, la part autobiographique étant déjà très forte, j’ai pris le parti de développer un récit plus fantastique et initiatique, tout en injectant beaucoup d’anecdotes personnelles.

 

 

 

© Otero chez Glénat

 


© Otero chez Glénat

 

À partir de quel moment, la fiction commence-t-elle du coup ?

La fiction commence après les cauchemars, et se développe lors des « transformations » du jeune personnage.

Cela faisait longtemps que vous vouliez réaliser cette histoire ?

Oui, je portais ce récit en moi depuis très longtemps, mais je ne savais pas quel axe choisir et je n’avais pas vraiment envie de dévoiler cette part autobiographique. Le temps et l’expérience ont débloqué tous les verrous…

Dès l’écriture du scénario, tout est apparu comme une évidence. Traiter de la différence, de la construction d’un être en souffrance, inadapté aux autres et pourtant plein d’amour, parler d’universalité de la souffrance…

 

 

© Otero chez Glénat

 

 

 

© Otero chez Glénat

 

Mais tout en ce faisant, vous apportez aussi une sérieuse crédibilité à votre récit en faisant intervenir, à chaque « mort » du personnage principal, un docteur émérite ? Pourquoi ? Cela vous a demandé de la documentation, j’imagine ?

Le personnage du scientifique amène une respiration dans le récit ainsi qu’une crédibilité au propos, la rage restant finalement une maladie assez mal connue. Il soulève la question de la folie potentielle de Liam, également.

Si l’on prend cette magnifique couverture, on a la surprise de découvrir votre seul nom au-dessus du titre. Après l’adaptation du Roman de Boddah, vous êtes passé auteur complet, cela vous tenait à cœur ? Le moment était venu de franchir le pas ?

J’avais déjà franchi le pas avec le livre sur Kurt Cobain, celui-ci en est le prolongement naturel. Et tout ceci correspond à une envie que j’avais depuis longtemps, j’étais enfin prêt!!!

 

 

 

 

© Otero chez Glénat

 

 

Le roman de Boddah © Otero chez Glénat

 

Est-ce aussi venu d’un désir d’ailleurs que les scénaristes avec lesquels vous travailliez ne pouvaient vous offrir ?

Peut-être, j’avais aussi besoin de renouveler mon trait et mon désir, et je voulais le faire seul, grandir par l’écriture et me faire plaisir en mettant en scène mes propres histoires, sans autre contrainte que mon exigence.

Autre stupéfaction, depuis deux albums (je pense au Roman de Boddah), on est bien loin du style auquel vous nous aviez habitués dans Amerikkka, par exemple. C’est littéralement du comics, non ?

Ça rejoint ce que je disais plus haut, ces deux albums me représentent entièrement, sans compromission, sans volonté de séduire, ils sont entiers, et sortis de mes tripes. Quant au comics, je n’ai pas analysé le truc, j’ai juste laissé glisser la plume!!!
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© Otero chez Glénat

 

Un virage pris grâce à la collection 1000 feuilles ?

Certainement, Franck Marguin, créateur et éditeur de cette collection me pousse depuis des années pour une affirmation de mon style et le fait de raconter mes histoires, je lui dois beaucoup, il a su me donner confiance.

À ce niveau, plutôt franco-belge ou comics ? Quels ont été vos premiers émois ? Et que lisez-vous aujourd’hui ?

Je lisais de tout étant plus jeune, absolument de tout, ce qui rend peut-être mon style singulier puisqu’il est le condensé de tout ça, aujourd’hui il est vrai que j’ai moins de temps pour lire de la bd et peut-être aussi un regard trop analytique pour en profiter pleinement, je dévore donc des romans, essais, nouvelles en ce moment.

Quels ont été les défis sur cet album ? Le définiriez-vous comme un tournant ?

Il n ‘y a pas vraiment eu de défi si ce n’est de se replonger dans ces douloureux souvenirs d’enfance, pour le reste j’ai vraiment pris du plaisir à faire ce livre, me rappelant sans cesse que finalement, on me payait pour faire ma thérapie alors que d’habitude c’est l’inverse!! Cette simple pensée suffisait à me donner le sourire sur mes pages.

 

 

 

© Otero chez Glénat

 

 

© Otero chez Glénat

 

Puis il y a le travail des couleurs, vous travaillez en étroite collaboration avec quelqu’un qui vous est cher si j’ai bien compris ?

Tout à fait, mon épouse que je vénère pour ce travail incroyable effectué, tant sur la couverture dont je suis littéralement dingue que pour le contenu coloré du livre qui vient appuyer et sublimer mon dessin de façon remarquable. Le kiff total!!

Elle a signé la couverture. Vu son talent en peinture et en couleurs, je savais qu’elle arriverait à faire passer en une seule image toute la puissance et l’ambiguïté du récit. Regardez les yeux du chat, tout est là.

En lisant Confessions d’un enragé, on a l’impression que votre marge de progression après plus de dix ans de BD est encore énorme. Où comptez-vous vous arrêter ?

Je ne compte pas m’arrêter!! La vie est un mouvement perpétuel, je m’accroche aux branches et je profite du voyage, le sent sur le visage!! Il y’a tant de belles et puissantes histoires à raconter encore!

Et quel est votre background, comment avez-vous fait votre chemin vers le Neuvième Art ?

Beaucoup de tâtons et de conneries avant de décider de me consacrer pleinement au dessin, mais je ne développerai pas ici, vous trouverez tout dans le livre…

 

 

 

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© Otero

 

Des coups de cœur récemment en BD ?

Tellement de belles choses avec des dessinateurs incroyables sortent chaque semaine, c’est compliqué… J’ai beaucoup aimé le Lucky Lucke de Matthieu Bonhomme ou les deux tomes de Rio de Cotentin Rouge, Fabcaro m’a fait marrer comme un fou…etc. etc.

Quels sont vos projets ?

Je travaille actuellement sur un autre roman graphique de 120 pages environ, la libre adaptation à la sauce Otero du bouquin de Stefan Zweig, 24 heures de la vie d’une femme et je prends un pied d’enfer!! Une histoire de passion destructrice, amour, jeu, violence des sentiments, tout pour me plaire.

Êtes-vous toujours un enragé ? Pourquoi ?

Oui, je le serais toujours, parce que la rage est un moteur quand on sait la dompter. C’est ce que j’ai appris à faire avec le temps, je suis apaisé mais toujours virulent!

 

Propos recueillis par Alexis Seny

 



Publié le 04/11/2016.


Source : Bd-best


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