Case à part : Bidouille & Violette
Flux RSSFlux RSS

         Toute l'actualité

Dans la rubrique Case à Part, cette fois il s'agit de Bidouille et Violette vu par le père de Bidouille.

 

 

Ce n’est pas facile d’élever un gosse quand on est tout seul et qu’on tient une baraque à frites pour joindre les deux bouts. C’est même très difficile quand c’est un adolescent un peu replet et pas forcément très bien dans sa peau. Mon prénom n’est jamais cité. Peut-être parce que je suis un Monsieur Tout-le-monde.

                C’était du temps où Yslaire s’appelait Hislaire, c’était dans le Nord, à Mayon. Mon fils venait d’intégrer le lycée Machain où tous les garçons n’avaient d’yeux que pour une fille : la belle, fluette et délicate Violette, la fille du fleuriste, en cours à l’institut Saint-Tutty. Bidouille a voulu lui aussi tenter sa chance. Mais comment faire quand on est trop gros, trop timide et trop tout pour être son Roméo, à Violette ?

Samedi Sam, vendeur à la sauvette de l’édition spéciale, est un poète philosophe, le Jiminy Cricket de la série. Il va aider Bidouille à gravir des montagnes, lui faire prendre conscience qu’aucune ascension n’est impossible. Et si Juliette ne s’appelait pas tout simplement Violette ? A dater de ce jour, Bidouille va prendre son destin en mains. Un cornet de frites va faire rougir Violette bien plus que klaxons et vrombissements des mobylettes en chasse des loulous du quartier.

                Puis viendra le temps du premier rendez-vous, en pleine période d’examens, sur un banc public si cher à Georges Brassens. Mais Bidouille est encore loin de la chanson. C’est encore le temps des silences éloquents. A la maison, ce ne sont pas les silences, mais les premiers reproches. Mon fils est amoureux mais ne travaille plus. Ça ne me plaît pas. Je vais essayer de le faire rentrer dans le droit chemin, avec la maladresse d’un père esseulé qui veut tout faire mais qui ne peut rien. Ni mon fils, ni moi, ne savions que pendant ce temps Violette rédigeait son journal intime où elle décrivait tous ses sentiments pour lui. Les vacances arrivent allaient-elles les aider à dépasser leur timidité respective ?

 

 

 

 

 

 

                Violette est embarquée par sa copine Noisette, aux beaux yeux de la même couleur, en vacances à Deauville, la ville du romantisme lelouchien, la plage d’Un homme et une femme. Max, loubard lui aussi amoureux, amène Bidouille retrouver sa belle, alors que je signale sa disparition à la gendarmerie. On a beau comprendre son fils, un père reste un père. Dans la boîte de nuit de la station balnéaire, Hislaire commence à laisser exploser son talent. Textes et notes des chansons du dancing deviennent des éléments clefs de l’histoire. L’auteur continue à jouer avec la taille des lettres des mots quand mon fils crie tout doucement son amour à sa belle. Les gendarmes me ramèneront mon fils. Mais je suis si maladroit face à cette idylle naissante. Ce n’est pas facile d’être père. Ce qui me rassure, c’est que les parents de Violette, dans un autre style, sont tout aussi maladroits que moi. Mon fils prétextera des problèmes de maths à résoudre chez un copain les samedis après-midis pour rejoindre sa chérie en cachette.

                Les saisons défilent, des premiers mots jusqu’aux jours sombres. La chronique mélancomique de ce premier amour s’écrit au fil du temps.

 

L’histoire de Bidouille et Violette, c’est aussi un romantisme épistolaire désuet. Ce n’était pourtant pas il y a si longtemps que ça. Les lettres raturées, faites et refaites, relues et déchirées. Autant de petits bonheurs que les e-mails d’aujourd’hui ne permettent plus. Mon timide de fils est un des derniers poètes des temps modernes.

Puis, comme dans toute histoire d’amour, vint le temps des malentendus, les quiproquos des rendez-vous manqués, les scènes équivoques volées par la fenêtre et qui laisseraient penser des sentiments qui ne sont pas. Bidouille est jaloux mais exprime gauchement son désarroi. Mais Samedi Sam aidera les amoureux dans leur cheminement. Moi, à mon âge, je ne comprends plus. Violette essaiera de me le faire entendre : « Si à notre âge vous avez commis les mêmes crimes, dites-moi pourquoi est-on coupable d’aimer à seize ans ? » Les questions que l’on crie n’ayant jamais de réponses, je mettrai Violette à la porte car l’avenir d’un fils est le plus grand souci d’un père.

Je le sais, moi, qu’un amour tout jeune reste parfois trop jeune. Je me recueillerai auprès de la photo de Madeleine, ma femme décédée, pour qu’elle me conseille. C’est vrai, je ne suis qu’un vieux schnock. De son côté, Samedi Sam console mon fils. « Il y a des jours comme ça où tout va mal, où tout se goupille mal et ne finit pas bien… Mais quand s’accumulent les jours sombres, il faut que les nuages crèvent en orage… (…) Demain…d’autres couleurs !... »

 

La Reine des Glaces est peut être le chef-d’œuvre d’Hislaire, le récit où les sentiments prennent corps. Le père de Violette a toujours voulu lui faire aimer les fleurs. Il en vend, c’est sa vie, les roses. Mais sa fille, sur les toits de Mayon, sait que la vie ne l’est pas, rose. C’est sa sœur Zeff qui la comprend le mieux. Son cousin Lazone sert parfois d’intermédiaire avec ses parents, mais la différence de mentalités est là. De mon côté, je tente la méthode inverse. J’invite mon fils au cinéma, qui, bouche bée, préfère retourner s’enfermer dans sa chambre. Le cœur de cette Reine des Glaces est un rêve que fait Violette et qu’elle raconte à Tom, son journal intime, après la lecture de la Reine des Neiges, le conte de fées d’Andersen. L’ophtalmologiste rencontré l’après-midi se transforme en diable manipulateur, marionnettiste tirant les ficelles des destins. Ce rêve permet à la jeune fille de revoir Bidouille, Samedi Sam, la glace, la ville en couleurs et le rose en hiver. Un des récits les plus poétiques de l’histoire de la bande dessinée.

La Ville de Tous les Jours semble commencer aujourd’hui. Alors que je me rase dans ma salle de bains, le poste annonce que c’est la crise. En amour aussi, c’est la crise. Je refuse toujours que mon fils voit sa promise. Ça l’empêche d’étudier. Qu’il aille à l’école ! Au lieu de ça, je le retrouve à la télévision. Il escalade les immeubles de la ville avec Violette. Les pompiers viennent à leur secours. Même à son âge, je n’ai jamais fait de bêtises pareilles ! Puis, chez la jeune fille, comme à la maison, c’est un véritable conflit de générations. Avec mon fils, nous en viendront aux mains. Jusqu’à sa fugue dans une scène poignante.

Une fin ouverte. Le succès de Sambre et d’Yslaire a laissé  Violette en voiture en partance pour le ski et Bidouille en bien mauvaise posture sur le bord d’une route pluvieuse. Nous ne mordrons pas au travers ; la suite est sûrement chez la reine des Glaces qui doit être la seule à la connaître…

D’aucuns diront que Sambre est le chef-d’œuvre de l’auteur. Pourtant, si l’on y regarde en profondeur, Bidouille & Violette est tout autant poignant. Ce n’est pas facile d’élever un gosse…

 

Laurent Lafourcade.



Publié le 16/12/2013.


Source : Bd-best

        Toute l'actualité

©BD-Best v3.5 / 2024