Case à part : Yvain et Yvon
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Dans la rubrique du patrimoine BD "Case à Part" Voici le point de vue de la série Yvain & Yvon par le Loup Ysengrin.

 

 

 

 

L’Ardenne…L’Ardenne des roches moussues, des cours d’eau qui viennent d’on ne sait où, l’Ardenne des légendes et du mystère…L’Ardenne des enfants…et des loups.

            Tel est le décor des aventures des jumeaux Yvain et Yvon et des miennes, moi, le loup Ysengrin. Duo ou trio ? Trio ou duo ? Toujours est-il que je vis en Yvon. Parfois, j’apparais à sa place. Notre symbiose va au-delà de la métamorphose. Nos deux corps, nos deux âmes vivent l’une et l’autre en complément. Je ne suis pas Yvon. Yvon n’est pas moi. Mais chacun sait ce que fait l’autre et nous n’existons pas en même temps. Bref, c’est l’un ou l’autre. Parfois, je vous jure, quelle vie ! Plus le temps de savoir qui on est.

 

 

 

 

            Le premier album, qui n’est pas notre première grande aventure, pose les jalons dès les premières cases. C’est l’été, deux enfants, deux jumeaux, se promènent dans la nature en fête. L’un s’appelle Yvain, et l’autre, Yvon, possède l’étrange et merveilleux pouvoir de se métamorphoser en loup, un mystérieux loup aux yeux rouges. Alors, il change de nom et s’appelle Ysengrin. C’est moi. Quand Yvon devient moi, il devient vraiment quelqu’un de différent, avec sa propre vie, son propre passé, comme si deux êtres différents habitaient le même corps. Et quand la promenade se termine, ce sont bien deux jumeaux qui rentrent chez leurs parents. Mais ils sont trop bavards. Ils jurent de garder leur secret pour eux, mais le dévoileront à plus d’un de leurs amis, qui, eux, sauront garder leur langue…heureusement.

 

 

 

 

Yvain est habillé en rouge et a trois tâches de rousseur sur chaque joue. Yvon est vêtu de bleu. Leurs écharpes ont les couleurs inversées. Chaque récit se passe dans un décor différent : le Midi, l’Alsace, les Ardennes forêt, les Ardennes ville.

Avant de parler de nos quatre albums, revenons sur notre genèse. Nous apparaissons dans une Ronde de nuit en février 1985 dans les pages du journal Tintin. Yvain et Yvon sont tous petits et trapus. Je suis fin et élancé avec un regard plus que sévère. Les parents, caricaturaux, sont là ; maman sert le repas à papa qui lit le journal en fumant sa pipe. Plus tard, seule la mère sera régulièrement présente, totalement relookée. Le père ne reviendra que furtivement dans la dernière aventure. Dans cette première apparition, sitôt couchés, je prendrai la place d’Yvon pour amener Yvain dans une balade en ville. Au fil des histoires courtes, les enfants prendront quelques années. Si on peut estimer qu’ils ont plus ou moins 7 ans dans ce premier récit, ils se stabiliseront autour de 10, pour terminer vers 13 ans dans le dernier grand récit. Les auteurs ont-ils voulu les faire grandir avec leur lectorat ? C’est également au fil du temps que je distille mes pouvoirs. Les yeux du sanglier, bien que montrant la cruauté de la nature, dévoile une de mes étonnantes capacités. Dans plusieurs récits, Yvain pourra voler grâce à trois poils arrachés de mon pelage. Au départ, Yvain devait récupérer les habits d’Yvon pour me les remettre lors de la transformation inverse. L’idée sera abandonnée. Plus aucune explication vestimentaire ne sera donnée.

L’enfant de la terre, récit diabolique, est mon premier galop d’essai sur 16 planches. Puis, une histoire de 31 planches en deux parties (Les chercheurs de menhir & Un loup dans la débâcle) préfigure ce que sera la série en albums. On s’y fera un ami scout, Merle Joyeux, que l’on retrouvera quelques années après.

 

 

 

 

Je reviendrai avec les enfants dans les pages du magazine pour quelques gags ou histoires courtes à l’occasion de numéros thématiques (les clowns, les inventions, les iguanodons, le modélisme, les champignons) On voit là la grande force de la presse magazine, aujourd’hui réduite à peau de chagrin, qui permettait aux lecteurs d’attendre notre retour entre deux grandes aventures. C’était par ailleurs un véritable laboratoire d’idées.

A part ça, quatre albums ont jalonné notre carrière aux éditions du Lombard.

Dans La piste du Baphomet, fable sur la méchanceté des hommes, Yvain et Yvon, en vacances dans le Midi, partent à la recherche du trésor des templiers. Ils rencontreront un monstre jadis adoré par les templiers et qui aurait ressuscité pour terroriser la région. Cette bête s’avèrera beaucoup moins dangereuse que certaines personnes mal intentionnées. Cadot et Bom définissent clairement leurs personnages et posent les jalons de la série trop vite arrêtée. Le professeur meurt-il sous les éboulis ou les auteurs s’apprêtaient-ils à le faire revenir dans une future aventure ?

Le roi des loups est un joli conte animalier. Dans une forêt d’Alsace, des loups venus d’Europe entière se retrouvent pour élire un nouveau roi, successeur du vieux loup blanc Tétramund. Mais un baron sanguinaire, à la tête de chasseurs snobs, organise une chasse meurtrière.

Le cheval des étoiles, sur fond de la légende des quatre fils Aymon, est un récit classique sur un promoteur qui veut détruire une forêt, où l’on retrouvera Merle Joyeux. Histoire pouvant paraître simplette pour un lecteur avisé, c’est là qu’on voit que les auteurs ont bien ciblé leur lectorat. Yvain et Yvon est une série à découvrir à huit ans, à réfléchir à douze ans, à savourer comme une madeleine tout le reste de la vie.

L’enfant de la nuit conclue la série dans une injuste indifférence. En effet, le journal Tintin ayant disparu, la sortie discrète de l’album sonne le glas de la saga. J’y ai un rôle tout aussi décisif que symbolique. « Sans famille » moderne, cette histoire raconte les difficultés que rencontre Gilles, un orphelin incompris, dans l’impasse, sans solution aucune, avec qui correspondent les jumeaux. Cette histoire pose la question du passage à l’âge adulte. Déjà, graphiquement, Yvain et Yvon ont grandi. Le seul adulte fréquentable de l’orphelinat s’appelle Monsieur Manset. Quoi de mieux comme nom que celui de ce voyageur en solitaire que rien n’oblige à se taire. J’interviens au moment crucial du récit, sauvant l’enfant pour qui il n’y a plus d’issue dans l’enfance, en usant d’un pouvoir magique épatant.

 

 

 

 

Personne ne connaîtra le contenu du Trésor du Grand Romain, cinquième album avorté de la série. J’ai disparu avec les jumeaux prématurément, victimes collatérales de la cessation du titre du journal Tintin aux éditions du Lombard, conjuguée à de trop faibles ventes des albums parus. Nos auteurs en avaient pourtant encore beaucoup à raconter, notamment sur mes origines. Nos anciens lecteurs sont aujourd’hui tous adultes. « Et quand on est adulte, il y a des choses auxquelles on ne croît pas, tout simplement parce qu’on se dit qu’elles sont impossibles, juste bonnes à raconter aux enfants. Mais certains adultes, sous la rude carapace du travail et des responsabilités, ont conservé un cœur d’enfant et, à ceux-là, il arrive parfois des choses extraordinaires. » Gardez votre âme d’enfant. Cela vous permettra de continuer de rêver avec nous le plus longtemps possible.

Cette série des années 80 figure parmi les plus attachantes et regrettées. Elle fleure bon l’innocence candide. Un jour, j’expliquais à Yvain, en arrivant en ville, qu’il ne faisait pas beau par là, dans la banlieue. Ce dernier me demanda ce qu’était la banlieue. Un dialogue qui veut tout dire sur les intentions des auteurs. Mêlant aventure et mythologie fantastique, les histoires sont tout autant instructives que constructives. Ces histoires font partie de la « nostalgie heureuse » pour le reste de la vie.

Comme l’écrivent les auteurs en conclusion du Roi des loups : « Ce jour-là, Yvain apprit que lorsqu’un ami vous quitte, il faut se taire et penser très fort à lui. Alors, il sera toujours là ! » C’est pour cela qu’Yvain & Yvon resteront toujours dans nos cœurs.

 

Laurent Lafourcade.

 

 



Publié le 30/10/2013.


Source : Bd-best

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