Entretien avec Alain Duchêne et Philippe Cauvin
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Entretien avec Alain Duchêne et Philippe Cauvin

C'est un événement majeur pour le 9ème art : L'Intégrale Uderzo, réalisée avec sa participation, réunit enfin l'ensemble des planches de ce géant de la bande dessinée : une oeuvre immense, extrêmement variée et bien souvent méconnue !
Les années 1941 - 1951 sont celles des débuts : 436 pages de bd qui donnent déjà toute la mesure du génie d'Uderzo.

Cette intégrale réunit tous les dessins, séries et albums d'Uderzo de 1941 à 1951 : un ensemble exceptionnel de planches rares et de dessins époustouflants, pour la plupart totalement introuvables, rassemblés et restaurés avec passion par Alain Duchêne et Philippe Cauvin avec la complicité et le soutien d'Albert Uderzo.
Au fil des dessins s'affirme le "style Uderzo", avec les sens du gag visuel, de l'expression gestuelle, une maîtrise époustouflante de différents styles de dessin, du comique au western en passant par le réalisme. Le secret de son génie ? Le talent, le travail acharné, l'amour du dessin... et la modestie.

A l'occasion de la sortie récente de cette magnifique intégrale, Bruno Gilson est parti à la rencontre des auteurs afin de glaner moult détails sur la genèse et la conception de cet ouvrage.

 

 

Messieurs Duchêne et Cauvin bonjour, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs en quelques mots?

Alain Duchêne : Je suis écrivain, dessinateur, auteur-compositeur, infographiste… J’aime surfer sur toutes ces activités par peur de l’ennui. Parce que je suis dessinateur, j’ai percuté immédiatement (dès mon plus jeune âge) le style et les dessins d’Albert Uderzo. Comme je suis devenu écrivain, j’ai naturellement écrit une biographie sur lui (Le Chêne – 2002). Actuellement, je réalise un documentaire sur sa carrière.

Philippe Cauvin : Je suis indépendant dans le monde de la bande dessinée depuis une quinzaine d’années. Je me suis particulièrement consacré à la photographie dans ce milieu, car j’étais surpris que personne ne se soucie du devoir de mémoire. J’ai eu la chance de rencontrer des auteurs fantastiques, d’assister à des rencontres incroyables, et d’être le seul à mettre en boîte ces petits instants magiques. Ensuite, j’ai réalisé des ouvrages sur les grands auteurs qui ont marqué mon enfance : Tibet, Lambil, Roba… et enfin Albert Uderzo, que j’ai la chance de suivre depuis près de deux décennies. Il fallait juste avoir la patience d’attendre le bon moment et les bonnes rencontres pour attaquer un tel projet.

Comment vous est venu l'idée de réaliser cette intégrale? Quelle a été la genèse de ce projet?

A D : C’est Philippe Cauvin qui a eu l’idée de cette intégrale… mais au commencement, pour lui, le projet était moins ambitieux. Il voulait réaliser et publier une longue interview d’Albert en illustrant ses propos avec un grand nombre d’illustrations. Uderzo lui a alors demandé de me contacter car il ne voulait pas qu’il marche sur mes plates-bandes. Philippe m’a appelé en m’expliquant qu’il voulait réaliser quelque chose de grandiose sur ce dessinateur génial… et pourquoi pas une intégrale ? Bien sûr, j’y pensais depuis quelques années mais ce genre d’ouvrage ne peut se réaliser seul. J’ai expliqué à Philippe Cauvin que son projet était complètement fou… c’est aussi pour cette raison que j’ai dit « Oui » !

P C : C’est vrai qu’à l’origine, je voulais réaliser une longue interview richement illustrée. Et puis, très rapidement, le projet a pris une autre ampleur. L’inconscience, probablement, mais aussi la volonté de faire quelque chose d’hors-norme sur un auteur hors-norme. Le parcours professionnel d’Albert Uderzo est si dense et exceptionnel qu’il me paraissait inconcevable que tout cela reste méconnu. C’était un non-sens. La rencontre avec Alain Duchêne a donc été le déclencheur pour se lancer dans une aventure qui aurait effectivement été impossible de mener seul. Le fait de travailler à deux, quand on s’entend bien comme c’est notre cas, est extrêmement motivant et permet de déplacer des montagnes. Parce que, malgré les apparences, il nous arrive d’avoir des petits coups de moins bien… la charge de travail d’Albert Uderzo a été telle qu’il nous arrive d’être aussi fatigués que lui lorsqu’il dessinait cinq planches par semaine !

 

 

 

 

Comment s'est déroulée votre collaboration, quelle était votre méthode de travail à tout deux?

A D : Tout d’abord, il s’est produit quelque chose d’exceptionnel. Armés de la même passion démesurée pour Uderzo, avec Philippe Cauvin, nous nous sommes entendus immédiatement. Une véritable complicité est née entre nous. Nous pensions les mêmes choses des dessins d’Albert, nous avions le même avis sur la manière de présenter son travail… Au départ, nous pensions que ce projet pharaonique n’intéresserait aucun éditeur. Nous avons donc envisagé de le publier à notre compte… Heureusement, nous avons trouvé un éditeur aussi fou que nous sur notre chemin. Chez Hors Collection, Carola Strang et Isabelle Lerein, car c’est bien d’elles dont il s’agit, se sont passionnées immédiatement pour notre travail. Mieux, elles se sont entièrement investies et ont mis les moyens nécessaires pour que ce projet paraisse sous sa plus belle forme. Nous sommes très fiers, tous ensemble, de rendre hommage, un hommage plus que mérité, aux premiers travaux d’Albert dans un ouvrage de cette extrême qualité.

P C : Pas mieux, tout ce que vient de dire Alain est juste ! Je profite de ce questions-réponses pour dire qu’il est la seule personne de mon entourage à me comprendre ! Nous nous appelons régulièrement pour avancer sur nos travaux ou juste pour s’esbaudir devant un dessin d’Albert que l’un de nous vient de découvrir. J’espère juste que nous ne sommes pas sur écoute car sinon, c’est Saint-Anne direct !

Un tel recueil doit demander une grande documentation, quelle a été votre moment le plus difficile dans cette démarche ?

A D :  Par chance et curieusement, l’ensemble de nos archives respectives se complétaient en grande partie. Nous avions chacun accumulé des documents sur des périodes différentes. Nous avons alors fait le point sur ce qu’il nous manquait pour ce premier tome et je suis parti à la recherche de ces documents perdus et oubliés. Là encore, avec Philippe, nous sommes très complémentaires ; en effet, souvent, il retrouve un document dont l’origine est mystérieuse. Il me le montre et j’en retrouve la source. Dans notre tandem, il est Watson et je suis Holmes ! Nous nous en amusons beaucoup. Ensuite, tous les deux, nous scannons, agrandissons et nettoyons chaque parution retrouvée. C’est un travail minutieux et de longue haleine !

Y a t-il des éléments de documentation auxquels vous avez du faire l'impasse ou que vous auriez aimé ajouter après coup ?

A D : Non… si impasse il y a, c’est que nous ne connaissons pas l’existence des documents en question. Albert a tellement produit qu’il y en a qui sont certainement passés au travers des mailles de notre filet... Mais si nous retrouvons ces documents, et nous les retrouverons s’ils existent, ils seront publiés dans les prochains tomes, histoire d’être complètement exhaustif.

Avez-vous une anecdote particulière à nous raconter à propos de votre travail sur ce bel écrin?

A D : Oui, Albert Uderzo nous appelle désormais, de manière très affectueuse, ses « fans fous ». C’est un immense honneur pour nous et nous ne le remercierons jamais assez de toute sa bienveillance à notre égard. De plus, depuis la sortie du livre, la presse reconnaît enfin son génie. C’est nouveau pour lui car Albert a curieusement été très souvent maltraité dans les média. Notre objectif, avec Philippe, était de faire reconnaître ce génie au plus grand nombre. Nous ne pensions pas que cela arriverait aussi vite. L’équipe de Hors collection y est pour beaucoup ; Mona Fatouhi, l’attachée de presse, a fait des merveilles… et surtout, il ne faut pas perdre de vue que nous avons dans notre pays le plus grand dessinateur du monde ! Ceux qui ont voulu nous démontrer le contraire ne peuvent plus témoigner aujourd’hui (rires) !

P C :  Seul Albert Uderzo est autorisé à nous traiter de « fans fous » ! J’en connais qui ont eu la malencontreuse idée d’essayer, il leur est arrivé des bricoles !

Dans quel état d'esprit se retrouve t-on lorsqu'on est aux commande de la réalisation d'un tel livre?

A D : Honnêtement, me concernant, il n’y a que plaisir et jubilation. Je sais évidemment que Philippe ressent la même chose… le stress en plus ! C’est une question de tempérament…  Objectivement, il s’agit moins ici de l’ampleur de notre travail que de celle de l’œuvre d’Albert Uderzo.

P C : C’est un plaisir incommensurable. Nous sommes d’ailleurs très surpris tous les deux que ce travail n’ait pas déjà été réalisé depuis longtemps. Pour ce qui est du tempérament, il est vrai que je suis le stressé du tandem. Je me mets la pression tout seul comme un grand. Il faut dire à ma décharge que nous n’avons pas le même mode de vie. La dernière fois qu’Alain m’a appelé sur mon portable, j’étais en double file pour déposer des cadres et une pervenche me menaçait de faire enlever ma voiture. A ce moment-là, j’entends au bout du fil Alain qui s’arrête dans la conversation pour me dire sa surprise de voir une pie dans son jardin ! (rire)

 

 

 

 

 

Avez vous des éléments à nous dévoiler pour la prochaine intégrale ?

A D : Le tome 2 sera passionnant car il dévoilera le début de la collaboration d’Albert avec Jean-Michel Charlier et… René Goscinny. En 1951, Uderzo est déjà au sommet de son art. Il domine le dessin réaliste et excelle dans l’humour ! La période couverte par ce deuxième ouvrage va de 1951 à 1953. La production de ce dessinateur hors norme est affolante ! Mais quel régal ! Au passage, nous remercions les éditions Albert René pour leurs autorisations. Une chose encore, comme nous sommes vraiment passionnés et que nous avons déjà engrangé énormément de matériel, nous avons pris un peu d’avance sur les tomes à venir !

P C : Le deuxième volume présentera également l’épisode de bande dessinée qu’il a réalisé sur Marco Polo…

 

 

 

 

Quels sont vos autres projets ?

AD : En octobre, Philippe et moi avons monté une exposition à la Galerie Oblique, à Paris, pour le lancement de ce premier tome de l’intégrale. C’est pour nous un galop d’essai car la finalité est un musée dédié à l’ensemble de l’œuvre d’Albert Uderzo. Il s’agit d’un projet encore plus ambitieux… mais, encore une fois, comme nous sommes complètement fous, rien ne nous arrête !

P C : Tenir le coup ! Cela dit :

Avis à tous les lecteurs ! Si vous pensez avoir en votre possession des documents rares (originaux, publications...) relatifs à la carrière d’Albert Uderzo, merci de nous en informer à cette adresse: integrale.uderzo@voila.fr

 

Propos recueillis par Bruno Gilson

Images © Hors collection 2012

Interview © Graphivore 2012



Publié le 30/10/2012.


Source : Graphivore

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