Entretien avec Valérie Mangin
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Entretien avec Valérie Mangin

L'Histoire mène à tout et surtout à la BD, c'est flagrant pour l'oeuvre et les BD de Valérie Mangin. Monde fantastique ou chroniques historiques parsèment ses albums ; on y côtoie des périodes révolutionnaires comme sur "Petit miracle" ou contemporaines avec "KGB", où les agents soviétiques combattent des démons politiques...parallèlement à ses publications, Valérie Mangin et son mari Denis Bajram fondent un nouveau département éditorial: Quadrant solaire devenu Quadrants chez "Soleil".
Entretien avec un auteur multiforme et polyvalent qui s'est "coltiné" avec à peu près tous les genres BD et qui est en première ligne pour une meilleure reconnaissance des droit d' auteurs BD. Quand l'union d'un couple fait la force...

 

De par votre bibliographie, on peut constater que vous vous êtes intéressé à à peu près tous les genres historiques de la BD? A savoir, le monde romain, moderne, l'Antiquité grecque et ses mythologies, l'histoire révolutionnaire...les périodes historiques sont de bons vecteurs scénaristiques?

Oui, j'ai toujours été passionnée par l'Histoire. Avant d'être scénariste de BD, j'ai fait de longues études dans ce domaine à l'Ecole des Chartes et j'ai même fait une thèse. Aujourd'hui encore, j'aime beaucoup me plonger dans la documentation avant d'écrire un Alix Senator par exemple. L'Antiquité romaine comme toutes les périodes historiques fourmille d'anecdotes incroyables, de décors mystérieux et de personnages qu'on n'oserait pas imaginer de peur qu'on nous dise qu'on est allé trop loin. Ce serait dommage de s'en priver.

Vous mettez combien de temps à réaliser un scénario? Et à finir une BD en moyenne?

J'aurais du mal à dire précisément combien de temps je passe sur un scénario. Parfois, tout coule de source et j'écris très rapidement. D'autres fois, tout me semble compliqué et je bloque plusieurs jours sur une scène. Je passe alors à un autre projet, le temps de prendre du recul sur le premier et de me détendre.
Et puis, il y a parfois des projets très particuliers comme Trois Christs ou Abymes qui sont des performances formelles et qui réclament par leur nature même un travail beaucoup plus long qu'un scénario sans contrainte stylistique.


Choisissez-vous vos dessinateurs? Ou est-ce votre éditeur?

Je les choisis toujours, même quand mon éditeur me les propose. Je ne travaille qu'avec des dessinateurs dont j'aime le travail. Le plus souvent, c'est tout de même moi qui les amène sur mes albums. Pouvoir montrer à un éditeur un projet avec une ou deux pages déjà prêtes, voire une couverture, ça change tout. Il voit immédiatement ce qu'on veut faire et il peut tout de suite imaginer le livre finalisé.

Vous avez fait partie de l'écurie "Soleil". Que retenez-vous de cette aventure? Et de son ancien directeur charismatique?

J'en garde un excellent souvenir. Denis et moi étions proches de Mourad et nous nous entendions très bien avec lui. Il aimait nos albums. Il nous faisait confiance. Ça n'a pas de prix. Nous avions aussi de très bonnes relations avec les autres auteurs. Beaucoup sont toujours des amis.

Quels sont les séries ou albums qui ont le mieux marché ou fonctionné? Et avez-vous toujours le projet de réaliser des BD à portée universelle?

Alix Senator est mon plus gros succès à ce jour. Auparavant c'était le Fléau des dieux, ma première série, racontant l'affrontement d'Attila et de l'empire romain en version space-opera. Deux péplums donc. Je ne sais pas s'ils ont une portée universelle mais ils remportent tous les deux un grand succès à l'étranger. De mémoire, le Fléau a été traduit dans une douzaine de langues. C'est un peu tôt pour le dire pour Alix Senator, mais il battra sans doute ce record.

Avec votre mari Denis Bajram, vous êtes en 1ère ligne sur le combat des auteurs pour de meilleurs droits, une meilleure rémunération et retraîte. Votre combat est-il la conséquence directe de la surproduction BD? De la précarité généralisée du secteur? Etes-vous soutenu dans votre combat par les autres auteurs?

La précarité existe depuis longtemps en BD. Ce qu'on appelle la surproduction l'aggrave chaque année un peu plus. Il y a de plus en plus d'albums qui sortent et d'auteurs qui se partagent un gâteau qui ne grossit pas beaucoup, donc la part de chacun est en chute libre. D'autant plus que la part d'auteurs installés comme nous ne baisse pas vraiment. C'est donc les plus fragiles de nos confrères, la majorité, qui est en train de voir s'effondrer ses revenus. La précarité, la plupart des auteurs savent qu'elle existe quand ils débutent leur carrière. Ils l'acceptent comme le prix de leur passion. Mais la précarisation de la précarité… Lorsque nous avons participé à la création du syndicat SNAC BD en 2008, il y avait pour nous deux aussi l'espoir de pouvoir peser contre cette précarisation galopante…
La nouveauté, cette année, c'est que l'augmentation des cotisations de retraite complémentaire, énorme et unilatérale, remet en cause le déjà fragile équilibre dans lequel se trouvent la plupart des auteurs. Beaucoup gagnent moins de 1000 € par mois et ne peuvent tout simplement pas payer cette augmentation. Comment la caisse de retraite du RAAP ose-t-elle exiger des auteurs qui ne gagnent même pas un SMIC de se priver du jour au lendemain d'un mois de revenus par an, même si c'est pour leur bien à long terme ? Si cette augmentation, ni négociée, ni concertée, n'est pas retirée ou aménagée dans la durée, tous ces auteurs vont devoir changer de métier ou, au mieux, prendre une activité parallèle et ne plus faire de la BD que le week-end en lui sacrifiant leur vie de famille. Cette violence sociale n'est pas acceptable. D'autant plus que le président du RAAP a bien confirmé qu'il n'en avait pas grand chose à faire lors du premier rendez-vous que lui avait demandé notre syndicat. Un mépris pour les auteurs, et surtout les plus pauvres d'entre eux, proprement écœurant.

Suite à cela, plus de mille auteurs ont signé la lettre ouverte du SNAC-BD à la ministre de la culture pour protester contre cette mesure meurtrière. C'est la première fois que je vois une telle mobilisation des auteurs. J'espère qu'elle portera ses fruits et qu'elle les encouragera à mener d'autres actions collectives. Il y a beaucoup de chantiers à ouvrir pour améliorer globalement la situation de la BD et de ses auteurs.



Intermittents du spectacle/ Auteurs BD: mêmes combats? A savoir sauver une certaine forme de culture française...
Bien sûr, c'est la question de la place de la culture dans notre pays qui est en jeu. Les intermittents comme les auteurs de BD en sont des acteurs majeurs. Les appauvrir au point de rendre impossible l'exercice de leur activité, c'est appauvrir la culture et la vie intellectuelle française, lui faire perdre une grande partie de son intérêt. Il faut savoir ce que l'on veut. Et puis, c'est oublier que le rayonnement de la France à l'étranger est largement dû à cette vie culturelle qui fascine beaucoup à l'extérieur. De là découlent des flux économiques importants. Car, au-delà de la culture, il ne faut pas oublier que la vie artistique participe aussi de l'économie. En cette période de crise, appauvrir la culture, c'est appauvrir le pays. On se plaint de la hausse du taux de chômage et de la baisse des exportations mais la culture crée des emplois et s'exporte bien. Sauver la culture, c'est aussi lutter contre la crise et pas l'inverse.

Comme les couples BD Cestac/Robial ou Christin/ Goetzinger, on associe Valérie Mangin avec son mari dans les médias, n'est-ce pas trop pesant? Ou est-ce une force?

Ça peut être pesant quand je rencontre quelqu'un qui me considère uniquement comme la femme de mon mari et pas comme un auteur à part entière. Mais cela arrive de moins en moins. Sinon, au quotidien, c'est une grande force. Pouvoir parler avec quelqu'un qui comprend exactement vos problèmes pour les avoir vécu lui-même, il n'y a rien de mieux.

Avez-vous l'impression d'avoir progressé dans la narration BD? Et sur le plan scénaristique par tous les genres BD dont vous vous êtes coltinés...je pense à "Abymes" notamment.

J'espère avoir progressé mais ce n'est pas à moi de le dire. En tout cas, réaliser des scénarios avec des contraintes fortes comme Abymes (chaque album du triptyque est la mise en abyme du précédent) ou Trois Christs (raconter trois histoires avec les mêmes cases et les mêmes dialogues mis dans un ordre différent), réaliser ces scénarios m'oblige à me poser des questions sur la bande dessinée, à voir ce que je peux faire ou pas avec elle, quelles sont mes forces et mes limites. Forcément, ça a un impact sur ce que je fais ensuite.

Quels sont vos prochains projets? Une BD à la thématique "girly", c'est pour bientôt? (ce serait drôle non?)

A la rentrée, vont sortir les suites d'Alix Senator et d'Expérience mort. Sidar 2 est aussi déjà programmé pour l'an prochain. Sinon, je reviens au XIXè siècle anglais avec Le Club, un dyptique gothique illustré de manière semi-réaliste par Steven Dupré. Pas de projet girly donc ! Je préfère l'humour noir à l'humour rose.  

Valérie Mangin et Denis Bajram

Interview © Dominique Vergnes 
Images © Dupuis - Casterman


Publié le 01/07/2014.


Source : Bd-best

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