Chlorophylle, un road-movie à travers la forêt, rencontre avec René Hausman
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Chlorophylle, un road-movie à travers la forêt, rencontre avec René Hausman

La souris Particule a disparu. Chlorophylle et Minimum comprennent très vite qu'elle a été enlevée par le terrible monstre du lac. Sans perdre un instant, les deux compères et leurs amis se lancent sur les traces de la créature. Mais la chasse au monstre leur réserve bien des surprises... René Hausman et Jean-Luc Cornette unissent leurs talents pour rendre un éblouissant hommage au héros culte de Raymond Macherot.

Chlorophylle et le monstre des trois sources marque le retour du lérot le plus célèbre de la bande dessinée. Avez-vous enfilé les chaussons de son créateur Raymond Macherot ou bien êtes-vous resté René Hausman ?

C’est un hommage à quelqu’un qui a été un grand ami. Je l’ai connu en 1953 et on ne s’est jamais plus quitté jusqu’à son décès en 2008. Ça a été très émouvant pour moi de reprendre Chlorophylle. Ce n’était pas une idée à moi, mais une idée du Lombard. L’éditeur Gauthier Van Meerbeeck m’a contacté pour ça. Ça m’a beaucoup ému que l’on me propose cette reprise. Je n’y aurais pas pensé moi-même. J’ai accepté en le faisant à ma façon. Je crois donc que je suis resté moi-même. Je n’ai pas voulu imiter le dessin de Raymond. J’ai dessiné à ma façon, de manière plus « naturaliste », avec cette émotion de savoir que Raymond étant mon aîné de douze ans nous partagions le même signe chinois. Ce signe étant celui du rat. C’est formidable. Comme si cela avait été prédestiné. C’est amusant.

Comment s’est faite la rencontre avec le scénariste Jean-Luc Cornette ?

C’est Le Lombard qui nous a mis en relation. Il m’avait d’abord fourni un scénario qui ressemblait plus aux aventures de Chlorophylle à Coquefredouille, voire même à l’univers de Chaminou. Chaminou est peut-être pour moi la plus belle chose que Raymond ait faite.
Dans le premier scénario de Cornette, les animaux étaient habillés, il y avait pas mal de choses contemporaines, ils voyageaient beaucoup. L’histoire nous amenait jusqu’en Extrême-Orient. Ça n’avait rien à voir avec l’univers des débuts de Chlorophylle tel que je l’imaginais, celui des animaux dans la nature. Avec Jean-Luc, nous en avons discuté. Il a refait un scénario totalement en adéquation avec ce que je souhaitais.

Dans cet album, Minimum est amoureux de Particule, une petite souris citadine qui vient s’installer à la campagne.

C’est une des trois sœurs Piquechester que l’on voit dans certains albums de Raymond Macherot. Ça ne lui porte pas bonheur car il lui arrive des aventures. La trame de l’histoire est la recherche de cette petite souris qui disparaît et dont Minimum est fort amoureux. C’est un road-movie à travers la forêt à la recherche de Particule.

Les mystères ont déjà fait partie de l’univers de Chlorophylle. Je pense notamment au bosquet hanté.

Bien sûr. Cette histoire avait d’ailleurs donné lieu à un très beau petit dessin animé.

 

 

 

 

Le monde animal est-il plus cruel que celui des humains ?

Il est « nature ». La nature est d’une cruauté incroyable. Ce n’est pas du tout idyllique. Ça me fait bien rire quand je vois qu’en Belgique on interdit de montrer des fauves dans les cirques, par une espèce de pudibonderie politiquement correcte. La plupart des tigres existants sont pourtant nés en captivité. Ils seraient bien embêtés si on les relâchait dans la jungle. Je pense qu’ils ne sont pas trop malheureux dans les cirques. On les nourrit jour après jour. Ils n’ont pas à chercher leur pitance, ce qui est problématique pour les fauves en général, que ce soit des lions, des tigres ou des panthères. On les faisait travailler et j’ai l’impression qu’ils aimaient bien ça. Je ne pense pas qu’il faille associer la détention de ces animaux-là à de la cruauté. Dans la vie sauvage, ils passent des jours à crever de faim sans arriver à assumer le rôle de chasseur.
La nature est vraiment quelque chose d’épouvantablement cruel. L’homme aussi, vous me direz, mais il a quand même un minimum de raison qui tempère cette cruauté-là.

Retrouve-ton dans cet album des personnages secondaires comme Torpille la loutre ou Bitume le corbeau ?

On voit très peu Torpille, qui est un personnage que j’adore. On voit le corbeau ; on voit le lapin Serpolet. On voit des castors. C’était d’ailleurs un problème car le castor est un animal assez gros par rapport à un lérot ou un mulot. C’est quasi-disproportionné. Il a fallu que je triche un peu. J’ai dû faire des castors avec une taille un peu plus modeste qu’ils n’ont en réalité.

C’est Maurice Maréchal qui vous a un jour présenté à Raymond Macherot. Qui était Maurice Maréchal ?

C’était un très grand ami avec qui j’avais énormément d’atomes crochus. Dans le secondaire (les humanités en Belgique, le lycée en France), il était mon professeur de français. C’était un très jeune prof et j’étais un vieil élève. Il voyait que j’aimais dessiner et que je m’intéressais à plein de choses, comme n’importe quel adolescent. Je lui ai sans doute plu. Il m’a proposé de rencontrer un professionnel, un grand ami d’enfance à lui, qui était Raymond Macherot. J’en avais entendu parler. Il vivait dans ma ville mais je ne le connaissais pas.
Maréchal cumulait plus tard sa fonction de prof avec celle d’auteur de bande dessinée avec Prudence Petitpas. C’était aussi un très bon peintre. Un monsieur incroyablement cultivé.

 

 

 

 

Espérons qu’un jour un éditeur aura la bonne idée de publier une intégrale de Prudence Petitpas. Maréchal est tombé dans un oubli immérité.

Vraiment. J’aimais beaucoup ce monsieur.

Comment s’est passée la première rencontre avec Raymond Macherot ?

C’était sur le pas de l’athénée (le lycée). Maréchal me dit : « Tiens, voilà Raymond Macherot. ». Il portait un imperméable et un chapeau mou. Il semblait tout droit sorti d’un roman de Simenon. A l’époque, il avait une grosse moustache, un peu à la Staline. On s’est rencontré comme ça en pleine rue. Il m’a donné son adresse et m’a proposé de venir chez lui. J’y suis allé un ou deux jours après. C’était pour moi un émerveillement parce que j’adorais le monde du dessin, des livres illustrés, des bandes dessinées. Je ne connaissais personne et je rencontre ce monsieur qui commençait à réaliser Chlorophylle contre les rats noirs. Il en avait fait quatorze planches et la prépublication commençait dans le journal Tintin à raison d’une planche par semaine.

Vous avez passé quelques après-midi dans l’atelier de la maison de Macherot à Verviers au premier étage.

Ah, oui ! On ne s’est plus quitté. On s’est vu tout le temps.

Macherot disait que vos animaux étaient différents des siens, que les vôtres étaient ceux de la vie réelle.

Jeune, j’étais assez passionné par les sciences naturelles. J’ai même hésité. A moment donné, je serais peut-être devenu zoologue, mais finalement le dessin l’a emporté. C’est vrai que j’aime bien représenter les animaux tels qu’ils sont. Pas de manière hyper-réaliste. J’ai d’excellents confrères qui font ça merveilleusement. Personnellement, il y a toujours une petite adaptation. J’aime bien reproduire les matières, les poils, les écailles, les plumes,… Malheureusement, je ne suis pas doué pour la synthèse, alors que Macherot l’était à fond. C’était un analytique.

Macherot disait être plus attiré par la nature sauvage que par les animaux.

Evidemment, il aimait beaucoup la nature proprement dite. Il n’y a pas de doute.

Mais il était en contact avec eux puisqu’il a même eu un corbeau apprivoisé. Vous l’avez connu ?

Oui. Il m’avait dit de faire attention. Les corbeaux sont très intelligents, mais ils sont attirés par tout ce qui brille. Si on les approche de très près, ils auraient tendance à vous piquer les yeux. Il m’a appris à faire attention à ça.

Macherot définissait l’univers de Chlorophylle comme un peu l’univers de Walt Disney, avec des animaux parlants. Partagez-vous cet avis ?

Tout ça se ressemble. On peut dire aussi qu’il y avait l’univers de Benjamin Rabier, avec Gédéon le canard, ou celui de Calvo, avec La bête est morte. Calvo, c’est mon maître. Dans les animaux parlants, il y a aussi ces merveilleuses illustrations des fables de La Fontaine dans la première moitié du XIXème siècle par Grandville. Il représentait des animaux habillés à la façon humaine, bien avant Gustave Doré. C’était complètement nouveau.

Avez-vous vu Zootopie, le nouveau dessin animé des studios Disney ? Il fait énormément penser à Chaminou.

Je ne l’ai pas encore vu mais je vais y aller.
Le livre de la jungle est, avec La guerre du feu, un de mes livres de chevet. Je n’ai pas du tout aimé la version qu’en a fait Disney. Pour moi, c’est bien autre chose. C’est devenu un film rigolo, que les enfants aiment beaucoup. C’est certainement très bien, avec la danse de l’ours, la musique qui est très chouette,… Mais ce n’est pas mon Livre de la jungle.

 

 

 

 

D’ailleurs, une adaptation live du Livre de la jungle va sortir en avril.

J’ai vu une photo de Mowgli en face d’un gros orang-outang. C’est aussi produit par Disney.
Je me rappelle d’un film de 1942, sorti quelques années plus tard chez nous, de Zoltan Korda, réalisateur britannique, produit par son frère Alexander Korda, avec un acteur qui s’appelait Sabu. Cet acteur, devenu grand, a fait une carrière de dresseur d’éléphants dans des cirques. J’ai adoré ce film à l’époque. Je l’ai vu en 1947 et l’ai revu il y a une dizaine d’années. Il est injustement oublié.

Revenons à Macherot. Dans l’introduction au Chant du pirate, monographie parue dans la collection A propos en 2005, vous racontez en préface que Macherot recommençait inlassablement son travail, qu’il n’en était jamais content.

Absolument. C’était un bourreau de travail. Il jetait des choses au panier et je ne comprenais pas car je trouvais ça parfait. Il était vraiment très très exigeant, tatillon sur le choix de ses plumes et de ses traces. C’était un homme pour qui le premier geste était déterminant, un peu à la manière des calligraphes qu’il adorait, les auteurs d’estampes japonaises. Quand il n’était pas content du premier geste, il jetait le dessin et recommençait inlassablement. C’était un perfectionniste extraordinaire.

C’est lui qui vous a présenté à Yvan Delporte, rédacteur en chef du journal Spirou ?

Non, ce n’est pas lui. C’est Roger Forthomme, un monsieur qui s’occupait de publicité dans mon coin, dans l’Est de la Belgique. Plus tard, il a travaillé pour des agences de publicité à Bruxelles et qui connaissait Delporte. Finalement, c’est moi qui ai fait se rencontrer Macherot et Delporte.

C’est donc par le biais de ce Monsieur Forthomme que vous avez été présenté chez Dupuis et non pas au Lombard où travaillait Macherot ?

Oui, c’est par son intermédiaire. Il m’avait conclu des rendez-vous à la fois pour Spirou et pour Tintin. Par hasard, c’est à Spirou que je suis allé d’abord. C’est par politesse que je suis allé à mon rendez-vous chez Tintin, en disant que Spirou s’intéressait à moi. Ils m’avaient proposé de travailler pour eux alors même que je quittais mon service militaire, en 1957.
    
Dans Spirou, vous avez commencé avec Saki, mais très vite Delporte vous a orienté vers la création de bestiaires ?

Oui, à partir d’un numéro spécial de printemps qu’il avait concocté et dans lequel il m’avait demandé de réaliser des images documentaires, avec la grande maladresse qui était la mienne. J’espère avoir un peu évolué. A l’époque, c’était avec une inconscience rare que j’osais livrer mes dessins. Je l’ai fait, j’étais sincère.
Delporte avait vu que j’aimais dessiner les animaux, que je m’y connaissais un peu, les ayant un peu étudiés et approchés aussi.

Quelques années plus tard vous avez participé à la belle aventure du Trombone illustré, supplément décalé du journal de Spirou.

Oui, absolument.

Macherot, lui, n’était pas de l’aventure. Est-ce parce ce qu’il avait été échaudé quelques années plus tôt par l’accueil partagé du Khrompire, au ton peut être subversif pour certains à l’époque ?

Je pense. Charles Dupuis était un homme charmant mais timide, craintif. Il faisait partie d’un quadriumvirat avec son frère Paul (qui a inspiré le personnage des histoires de l’Oncle Paul) et leurs deux beaux-frères. Tout ça était régit par une rigueur catholique. Macherot était arrivé avec ce qu’il faisait de mieux. Il savait manier l’ironie, le cynisme, la critique, l’observation méticuleuse et sans pitié de la société. Il est venu avec Chaminou qui est peut-être pour moi son chef-d’œuvre. Ça a fait très peur à ces messieurs Dupuis. Presque textuellement, ils lui ont dit : « Monsieur Macherot, vous dessinez des petites souris si gentilles qui peuvent plaire aux petits enfants, si vous faisiez ça plutôt. ». C’est ainsi qu’est née Sibylline.

En 1991, Charleroi organisait une exposition commune Hausman/Macherot. Comment était-elle conçue et construite ?

En effet. J’avais réalisé l’affiche. Il y avait d’une part Chlorophylle dessinée par Macherot et de l’autre un lérot que j’avais dessiné. C’est un peu celui que j’ai repris dans la BD qui paraît.

Du 3 au 17 mars, la galerie Brüsel organise une exposition de vos travaux sur Chlorophylle.

Oui. On pourra y voir une partie des planches originales.

 

 



Quels sont vos projets ?

J’en ai deux : une bande dessinée pour Aire Libre dont mon épouse Nathalie Troquette a réalisé le scénario, qui sera dans la même atmosphère rurale, paysanne et fantastique que le Camp volant paru en 2007, et un deuxième Elféméride avec Pierre Dubois pour les éditions Hoëbeke.



Merci, Monsieur Hausman.

 

Propos recueillis par Laurent Lafourcade

Images © Lombard 2016

 

Retrouvez une autre interview de René Hausman ICI



Publié le 16/03/2016.


Source : Bd-best

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