Jeanne Puchol: « À une époque, les libraires tiraient la sonnette d’alarmes parce que… 700 albums paraissaient par an »
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Jeanne Puchol: « À une époque, les libraires tiraient la sonnette d’alarmes parce que… 700 albums paraissaient par an »

1, 2… 1, 2… test… Vous nous entendez ? Bon, c’est vrai, il est plus facile d’émettre aujourd’hui qu’à l’époque de ces bonnes vieilles radios pirates, vectrices d’une libéralisation des ondes, de la parole (et notamment celle des marginalisés) pas forcément vu d’un bon oeil par ceux qui détiennent le pouvoir et… les bazookas pour éradiquer des mouches. On pourrait croire que c’était il y a des siècles mais non, c’était il y a moins de cinquante ans. Et Laurent Galandon et Jeanne nous font entrer dans ces cases de l’histoire avec l’image mais aussi le son. Interview avec Jeanne Puchol, autour de la radio d’hier et d’aujourd’hui, de Tac au Tac mais aussi de la situation actuelle du monde de la BD.

 

 

 

 

 

 

 

Ex-Libris pour BD Fugue © Galandon/Puchol chez Dargaud

 

Bonjour Jeanne,traiter de la radio mais sans le son, n’est-ce pas étrange ?

Mais il y a du son, des notes de musique, des chansons que les gens vont pouvoir fredonner. Le son, en BD, passe aussi par la forme des bulles. Puis, il y a aussi les bip bip, le brouillage de la TDF pour que le monopole ne soit pas entamé par ces radios pirate.

Mais, justement, cela ne revenait-il pas à utiliser un bazooka pour tuer une mouche ?

C’était en tout cas complètement disproportionné. C’étaient des radios bricolées, qu’on avait un mal fou à capter, qui faisaient 0 bénéf’. Alors pourquoi utiliser des camions de brouillage comme on le faisait lors de la Seconde Guerre Mondiale ?

 

 

 

 

© Galandon/Puchol chez Dargaud

 

Qu’est-ce qui leur faisait peur à ce point ?

Laurent et moi, on n’a pas trouvé la réponse. Après, nous ne sommes pas des historiens. Moi, je pensais que c’était dû à la proximité de Mai 68, il y avait cette peur que ça recommence, que le mouvement s’amplifie et devienne une révolution, que la terreur renaisse de ces sens face à une conception gaulliste du pouvoir pour laquelle l’ORTF était la seule voix acceptable. J’ai aussi été très étonné que Giscard soit aussi sourd sur cette problématique alors qu’il a su être à l’écoute de pas mal de besoins de l’époque, des droits des femmes… Alors qu’en plus, à l’époque, la presse écrite avait une certaine liberté de ton, Libération réapparaissait. Je n’arrive pas à comprendre cette méfiance plus que de raison.

 

 

 

 

© Galandon/Puchol chez Dargaud

 

Qui n’allait pas jusqu’à l’arrestation, tout de même, comme pour votre personnage.

Non, il y avait des saisies, la destruction du matériel mais pas d’incarcération.

Et vous, vous avez vécu cette époque des radios pirates ?

Bien sûr, le vent des radios pirates soufflait, je le savais mais je ne m’y suis pas vraiment intéressée? J’étais à un moment de ma vie où j’avais la tête à autre chose. Je passais plus de disque que ce que j’écoutais la radio.

 

 

 

 

© Galandon/Puchol chez Dargaud

 

Mais, ça m’a rattrapée, quelques années plus tard, lors de la sortie de mon premier album. En tant qu’interviewée. Il y avait Radio Libertaire, Radio Fréquence Gaie et Aligre FM, ce sont ces radios libres, héritières des pirates, qui m’ont permis mes premières interviews. Le micro tenait avec du scotch dans cet appart’ aménagé en studio, c’était de l’impro totale. J’avais 25 ans, j’étais pétrifiée. Sur Fréquence Gaie, je me souviens qu’ils profitaient de la coupure musicale pour préparer ce qui allait suivre, j’étais effarée. Mais ce sont des bons souvenirs.

 

 

 

 

© Galandon/Puchol chez Dargaud

 

Comme avec Laurent avec qui vous collaborez pour la deuxième fois.

Oui, on avait commencé avec Vivre à en mourir, il y a quatre ans. On avait envie de retravailler et ce thème collait tout à fait avec mes préoccupations du moment. J’ai connu cette époque, j’ai le même âge que les protagonistes. Je pouvais donc y investir ce mélange de fougue et de naïveté, de qui j’étais. C’était très tentant de replonger.

 

 

 

 

© Galandon/Puchol chez Dargaud

 

Puis, Laurent, il a cette manière d’aborder la chronique sociale, d’amener une dimension humaine. Puis Interférences, c’est un peu le troisième volet d’une trilogie avec Le contrepied de Foué. C’est aussi une suite indirecte de LIP, qui avait permis à Laurent de découvrir ce monde des radios pirates. Laurent a ainsi appris que les militants enregistraient leurs revendications pour les diffuser ensuite. Ce n’était pas exactement de la radio en tant que telle mais le but était le même. Interférences restant un docu-fiction, une histoire inventée sur un arrière-plan qui restitue toute une époque.

 

 

 

 

Sur le plateau d’une émission de France Inter © Puchol

 

Laurent était projectionniste de cinéma dans une autre vie, ça se sent ?


Oui, rien que dans la représentation de l’émission de nos deux héros. C’est une longue séquence, quatorze planches de huis-clos, de la folie. Je me suis demandé comment j’allais mettre ça en scène.

Une époque qui démarre sur un formidable coup de bluff.

Sur TF1, Brice Lalonde, du parti écologiste, a fait croire qu’une radio, Radio Verte, émettait en dépit des réglementations. En réalité, au-delà de son petit transistor, il avait un complice dans la même salle qui émettait donc à très courte distance. Mais il a fait croire que  c’était possible, c’était extraordinaire. Le PS, plus tard, allait en faire un argument électoral. En la voyant telle qu’elle était, une nécessité, un moyen d’entendre les gens qui d’ordinaire n’avait pas voix au chapitre.

Sur le tard, l’Italie, elle, n’avait pas attendu autant de temps et fournissait les « pirates ».

En 1976, le pays avait connu la libéralisation des ondes, c’était le pays par excellence où l’on pouvait aller chercher du matériel et des conseils.

 

 

 

 

© Galandon/Puchol chez Dargaud

 

Et comment ne pas évoquer Radio Caroline, mise en scène dans le fabuleux Good Morning England, d’ailleurs, pour tout vous dire, j’avais un peu peur que votre album soit redondant. Loin s’en faut.

C’est toute l’habileté du scénario de faire intervenir ce précurseur qui croisait dans les eaux internationales, dans l’illégalité tout en pouvant faire ce qu’ils voulaient. Et si nos deux héros vont croiser deux anglaises en France qui vont leur permettre de toucher à cette culture, ils vont aussi faire la rencontre déterminante de Douglas. Un ancien technicien de Radio Caroline. Après, c’est un hâbleur, dit-il vrai ou pas, la question est posée. C’est lui qui va les pousser à se lancer dans la radio pirate, ça va faire tilt.

 

 

 

 

© Galandon/Puchol chez Dargaud

 

Pablo et Alban sont vos deux personnages principaux, totalement différents, l’un faisant sa crise de bourgeoisie, l’autre venant d’une famille plus prolétaire. Comment crée-t-on graphiquement des personnages pareils ?

En respectant un BA-ba obligé quand on a affaire à deux personnages constamment à l’écran : il faut les faire les plus différents possible. Pablo est espagnol, plus trapu. Alban, lui, est blanc, blond, très clair. Après, comme on cherchait un binôme, Laurent m’a proposé Starsky et Hutch; moi, je pensais plus à Simon and Garfunkel, j’ai fait ma tambouille sur cette base.

 

 

 

 

© Galandon/Puchol chez Dargaud

 

Et maintenant, la radio, vous l’écoutez plus ?

Plus maintenant qu’à 20 ans, c’est un fait. Après, je dois bien concéder que je suis très service public: RFI, FIP, France Culture. Sans compter que j’ai toujours mes bons vieux disques.

Justement, notre culture musicale serait-elle la même s’il n’y avait pas eu ces radios pirates qui ont amené pas mal de groupes anglo-saxons désormais cultes ?

C’est évident, la bande-son est emblématique. Après, à part Satisfaction des Stones, je dois avouer que je n’étais pas très familière des groupes dont on joue quelques morceaux dans l’album. Je suis plus pop et folk, j’ai découvert des chansons grâce à Interférences.

 

 

 

 

© Galandon/Puchol chez Dargaud

 

Mais, pour représenter les chansons, j’ai dessiné les vraies notes, j’ai recherché les partitions. C’est important d’être précis, crédible face aux lecteurs dont certains sont sans doute musiciens. Bon, je n’ai pas mis les portées…

Puis, je trouve ça bien d’avoir mis en fin d’album, la liste des morceaux auxquels on fait référence. Ainsi, on peut écouter la BO pendant la lecture.

Et tant qu’à rester dans le sonore, il y a aussi une pièce radiophonique.

Exact ! Interférences était en cours de réalisation lorsque Laurent a participé à un stage d’adaptation/écriture radiophonique… Et c’est avec Éric Barral, de la radio libre Radio Méga, que Laurent a discuté. Pour créer la BD puis en vue d’en faire une pièce radiophonique, aidé par quelques moyens techniques de Dargaud. Cette pièce, elle est accessible via un QR code dans l’album. Puis, elle est disponible auprès de radio Méga pour toutes les radios libres qui souhaiteraient l’utiliser. Il doit y en avoir 600 locales/associatives, les petites-filles des radios pirates dont nous parlons.

 

 

 

 

© Galandon/Puchol chez Dargaud

 

Puis, on l’a également diffusée dans un cinéma devant 100 personnes qui ont pu l’écouter dans une qualité sonore optimale, avec du relief. Il y avait le son mais plus les images, sauf pour moi !

Et les couleurs en nuances de gris.

Oui, je voulais rester dans l’idée et l’esthétique de LIP même si mon dessin est différent de celui de Damien Vidal. C’était une occasion de me rapprocher de ce que je faisais à mes débuts en diluant de l’encre de chine mais avec, en plus, l’envie de l’outil informatique. Puis, ça me ramenait à mes études de photographie, à la photo argentique en noir et blanc. Tout en me dégageant de ce que j’avais fait sur Malik Oussekine dans un noir et blanc frontal. Les niveaux de gris amènent ici une sorte de tendresse amusée.

Vous parliez de l’improvisation de vos premières interviews. Trente ans après, vous avez refait de l’improvisation dans un autre genre : Tac au tac renaît et vous y avez participé.

Au départ, il y a deux ans, quand j’ai été contactée pour mettre en boîte l’épisode-pilote, j’étais sceptique : j’avais revu les anciennes émissions, historiques, j’ai trouvé ça lent, long. Aujourd’hui, la technique a changé et ça se sent dans nos modes de fonctionnement, après cinq minutes, on zappe. Je ne concevais pas que Tac au tac puisse s’adapter à l’impatience du spectateur actuel.

Ce pilote a servi au réalisateur pour régler la question technique. Finalement, dans un format court avec deux équipes de deux ou trois dessinateurs, le résultat est, je trouve, prodigieux. Un jeu d’une heure est ramené à quinze minutes, on voit à peine les coupes, c’est fluide. En temps réel, cela représente quatre heures de tournage pour trois jeux différents. À l’antenne, je crois qu’on ne s’en rend pas compte. Quant à l’impro, c’est génial, j’étais associée à Davy Mourier et Sylvie Fontaine. C’était un régal tant au niveau du texte que du dessin.

 

 

 

 

© Puchol

 

Vous « fêtez » vos 35 ans de carrière, quel regard jetez-vous dessus ?

Ça dépend des jours. Parfois, c’est de l’incrédulité. 35 ans, c’est quand même un bail. Je suis heureuse, en tout cas. Certes, ce n’est pas toujours simple mais ça ne l’est pour personne. Après, le monde de la BD a pas mal changé, comme le monde en fait. Ainsi, je donne des cours d’illustrations pour adultes. Lors du dernier cours, je reviens en général sur toute la fabrication d’un livre. C’est fou de se plonger là-dedans. Des débuts artisanaux chez Futuropolis, les repros etc., à ce qu’est devenue la chaîne graphique avec l’intrusion des technologies. Aujourd’hui, l’imprimerie est pilotée par ordinateur, c’est propre.

 

 

 

 

© Galandon/Puchol chez Dargaud

 

Après, concernant la production, il y a déjà un certain temps, je me souviens avoir assisté à des conversations durant lesquelles les libraires tiraient la sonnette d’alarmes parce que 700 albums paraissaient par an. On était encore loin de ce qu’on connaît aujourd’hui. Certainement, la production actuelle est inquiétante et pose la question du modèle qui va bien pouvoir intégrer cette nouvelle donne, mais, d’un autre côté, il y a tellement de choses formidables.

C’est sûr, je préfère avoir 60 ans, aujourd’hui, que 30 ans, mais en y réfléchissant, je me suis adaptée. Et je suis convaincue que personne n’est capable d’imaginer ce que sera le monde de sa maturité, à tous les niveaux. Actuellement, le monde de la BD connaît un moment critique, ce n’est pas normal que des auteurs ne vivent pas de leur métier comme il n’est pas normal que des livres doivent être détruits parce qu’ils ne sont pas vendus. Mais je suis confiante, des crises, je dois en avoir vécu deux. Le prochain modèle, on ne peut pas encore l’imaginer mais il arrivera.

La suite pour vous ?

Ce n’est pas encore décidé. Certains mitonnent, on verra.

 

Propos recueillis par Alexis Seny

 

Titre : Interférences

Récit complet

Scénario : Laurent Galandon

Dessin et couleurs (nuances de gris) : Jeanne Puchol

Genre : Drame, Histoire

Éditeur : Dargaud

Nbre de pages : 128

Prix : 17,99€



Publié le 14/03/2018.


Source : Bd-best

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