Aude Mermilliod, sur une ode de Trenet, au coeur des Reflets Changeants : « Une envie de bonheur et de chocs qui font se rencontrer des inconnus »
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Aude Mermilliod, sur une ode de Trenet, au coeur des Reflets Changeants : « Une envie de bonheur et de chocs qui font se rencontrer des inconnus »

Depuis Trenet, on le sait, « la mer à des reflets changeants ». Que les gens, qu’ils soient côtiers ou pas, lui envient. Même si la course a parfois été suspendue et qu’une affiche de Godard « À bout de souffle » traîne dans les parages, c’est un véritable second souffle, avec tout ce qu’il a de salvateur et d’imprévisible, qu’Aude Mermilliod donne, sans compter, à ses personnages. Ils sont trois, de différents âges, de différents doutes, de différents problèmes… mais tous reprennent du poil de la bête pour composer cette grande histoire chorale intelligente et chatoyante, dure aussi, parfois.

Les reflets changeants, c’est tout ça et bien plus encore. Quelque part entre sa Méditerranée et ma Sambre, cela valait bien une interview (épistolaire) de celle qui a gagné le Prix Raymond Leblanc en 2015 et conquiert désormais notre coeur. Alors, à la une, à la deux, à la trois, plongeons !

 

 

 

 

© Aude Mermilliod chez Le Lombard

 

Bonjour Aude. Même en septembre, il a le bon goût de l’été cet album, non ? C’est en été que les humains, et vos personnages de surcroît, sont les plus aptes à se découvrir ?

Bonjour ! en ce qui me concerne, je ressens un vrai attachement à la Méditerranée, et elle prend toute son ampleur en été. Ce sont des souvenirs sensitifs très vifs, liés à mon enfance… le sel sur la peau, rentrer dans une voiture bouillante de soleil, manger le soir au son des cigales… Après, je pense qu’on peut se rencontrer toute l’année ! Ce choix est plus lié à des souvenirs de vacances.

Vous êtes-vous éveillée au Neuvième Art, très tôt, dès votre enfance ? Avec des lectures favorites ?

J’ai lu pas mal de bandes dessinées quand j’étais petite. Des classiques comme Tintin, Astérix ou les Tuniques Bleues, mais ce sont surtout les bd de mes voisins dont j’ai le plus de souvenirs. Notamment les Philémon ou Tendre Violette, ou encore les Peeters/Schuiten. Je ne comprenais pas grand-chose, mais c’était vraiment des supports d’évasions.

 

 

 

 

 

© Aude Mermilliod chez Le Lombard

 

Aujourd’hui, qui sont vos maîtres ?

Aujourd’hui je lis beaucoup beaucoup beaucoup de bandes dessinées, donc mes maître-sse-s sont de plus en plus multiples. J’aime aussi bien Jilian Tamaki et Craig Thompson que Pascal Rabaté ou Désirée et Alain Frappier. Les styles et les propos sont de plus en plus variés, c’est un vrai bonheur de lectrice !

Qu’est-ce qui vous a appris le métier ?

Mon parcours n’est pas du tout linéaire. Durant mes études de mode (que j’ai totalement échouées), j’étais souvent absente en cours (ceci explique cela) et je filais dans la librairie de ND Expérience, à Lyon, qui jouxtait l’école. Ce sont les libraires qui m’ont mis dans les mains des albums aux couleurs différentes, qui m’ont éveillée à la Bande dessinée.

 

 

 

 

© Aude Mermilliod chez Le Lombard

 

Ensuite, lors de mes deux années de Beaux-Arts à Toulouse (… dont je me suis fait virer), je vivais non loin d’une autre très bonne librairie bd, et je suis tombée amoureuse du libraire, qui était également auteur. C’est donc de le voir dessiner, et de piocher dans sa bibliothèque qui a confirmé mon intérêt pour le 9e art.

J’ai donc fait quelques planches par-ci par-là, mais sans grande conviction. C’est en ouvrant mon blog « La fille voyage » que j’ai commencé à davantage dessiner, grâce à la tablette graphique et à son merveilleux ctrl-Z qui m’a permis de ne plus trop avoir peur du dessin raté.

 

 

 

 

© Aude Mermilliod

 

Après tout ça, j’ai travaillé sur le scénario des Reflets changeants, et j’ai présenté le concours Raymond Leblanc. Et me voila !

Dès le titre, Les reflets changeants, sa poésie nous emporte. Est-il venu rapidement ?

Non, j’ai fait pas mal de brainstorming. Mais la chanson La mer de Charles Trenet, me revenait sans cesse en tête. J’ai appris par la suite qu’il l’avait écrite dans un train longeant la mer, magnifique non?

 

 

 

 

© Aude Mermilliod chez Le Lombard

 

Cet album, c’est le premier de votre parcours de jeune autrice, ça fait quelque chose, non ?

Ah ça ! On peut le dire ! Depuis le temps que je fantasme sur le moment où j’allais enfin tenir mon premier livre dans mes mains ! C’est un moment de joie pure, vraiment.

Cela dit, ça a déjà dû vous marquer de gagner le Prix Raymond Leblanc, non ? Un gros et vrai coup de pouce ?

Un immense coup de pouce ! Un coup de pouce inespéré ! Débuter dans une maison telle que le Lombard, en étant considérée comme tous les autres auteur-e-s, avec en plus un apport financier qui permet de ne faire que son album sans s’inquiéter, c’est une chance inouïe.

 

 

 

 

© Aude Mermilliod chez Le Lombard

 

Vous remerciez particulièrement Jean-Louis Tripp, il fut d’une grande aide ?

Jean-Louis Tripp est mon conjoint, donc il a été, durant les premiers pas de l’album, mon premier lecteur. Il a pu m’indiquer certaines erreurs de débutante. Ensuite, j’ai finalement très peu fait appel à lui, même s’il était dans la pièce à côté. Parce que je débutais et que je voulais être seule à bord, avec mon éditrice.

Son dernier album, Extases, fait l’unanimité ces dernières semaines. Vous l’avez lu ? Y’a-t-il eu des échanges entre les deux projets sur lesquels vous travailliez, tous deux ?

J’ai lu au fur et à mesure les planches d’Extases. Jean-Louis fait une planche par jour, je la lisais le soir… ou par-dessus son épaule dans la journée. Mais nos projets sont totalement distincts. Cela dit il n’est pas exclu que nous écrivions un jour un scénario ensemble.

 

 

 

 

© Jean-Louis Tripp chez Casterman

 

Autres bonnes fées, Régis Loisel, Max Cabanes et Fabrice Néaud ? Excusez du peu, comme on dit ! Et pourtant, tous ont des univers très différents les uns des autres, non ? En quoi vous ont-ils aidé ?

C’est drôle comme les gens ne se rendent pas compte de l’importance qu’ils ont pu avoir, parfois. Régis Loisel et Max Cabanes ont lu des parties de l’album, à des moments donnés, ils ont pris le temps de me faire des retours, et ça a été pour moi autant de petits moments encourageants et revigorants durant cette longue traversée du désert que peut être la réalisation d’un livre.

Fabrice Neaud, lui, a pris le temps, un soir, de me faire des retours très judicieux sur la couverture, qui serait moins belle sans lui.

 

 

 

 

 

Couverture finale de l’album © Aude Mermilliod

 

Cerise sur le gâteau, la force de la couverture. Elle est, à peu de choses près, la dernière planche de votre album qui elle-même se prolonge sur la quatrième de couverture. Une manière de prolonger la narration ? Ou de la commencer avant même d’avoir ouvert l’objet ?

Comme on le découvre en finissant l’album, la couverture ne correspond pas à un moment réel de l’histoire, en revanche elle représente cet élan vital, cette propension à la joie que j’espère avoir exprimé dans ce livre.

Il était important pour moi que la couverture soit énergique, joyeuse, sans mélancolie. Ce livre parle surtout de ça, d’une envie de bonheur, et de comment on l’atteint.

 

 

 

 

© Aude Mermilliod

 

Mine de rien, quand on arrive en tant que jeune auteur sur ce marché difficile qu’est la BD d’aujourd’hui, c’est un parcours du combattant ? Avec des galères ? Encore plus quand on propose un récit hors-format, un roman graphique de 200 pages ?

J’ai eu la chance de ne pas connaître ces galères, dans la mesure où Les reflets changeants est mon premier projet, et qu’il a été très soutenu par le Lombard. Mais je sais que je suis une exception.

Quand on voit le projet que vous avez soumis au concours, il y a deux ans, et l’album final, la métamorphose est irréfutable. Au niveau du graphisme, des couleurs… Qu’est-ce qui a permis, cette métamorphose ?

La grande différence c’est le temps, et le nombre de pages. Le dossier était d’uniquement 3 planches, et je dessinais bien moins. Quand j’ai su que l’album allait exister, j’ai tout mis à un autre niveau, j’ai remis certaines choses en questions, notamment la couleur.


Dans Les reflets changeants, le lecteur est amené à rencontrer trois personnages qui se frôlent mais ne se connaissent pas. Ces trois personnages pourraient-ils être les trois facettes d’une même personne ?

Non, pas d’une même personne, du moins pas de moi. Je peux avoir de l’empathie pour les trois, mais ils ne me ressemblent pas pour autant, et je les ai construits de manière bien distincte. Mais ensuite le lecteur ou la lectrice a le droit d’y voir ce qu’il-elle veut.

Comment sont-ils nés graphiquement ces personnages ? Le reflet extérieur doit-il être accordé au reflet intérieur ?

Je voulais qu’ils ressemblent à des « vrais » gens. À savoir pas parfaits ni physiquement ni dans leurs traits de caractère. Ils ont des défauts, des forces et des impuissances, comme dans la vie.

 

 

 

 

© Aude Mermilliod chez Le Lombard

 

Vous, comment avez-vous fait leur connaissance ? Sont-ils tout droit sortis de votre imagination ou y avez-vous mis un peu de personnes réelles que vous auriez rencontrées ?

Elsa ne me ressemble pas, mais elle vit des choses que j’ai pu vivre, à savoir une fin d’histoire d’amour un peu tendue, et une attirance pour des personnes variées, de tous âges et de tous horizons sociaux.

Jean est inspiré d’un ancien amoureux, mais il a bien pris sa vie en main, il ne lui ressemble sans doute plus tant que ça.

Même chose pour Émile, il est inspiré de mon grand-père mais a également pris son envol vers une personnalité qui lui est propre.

 

 

 

 

© Aude Mermilliod

 

Votre grand-père qui donne plus esprit que corps à Émile, le quasi-octogénaire du trio, qui était en Algérie dans les années 60 et qui ne portait pas les Arabes dans son coeur. Vous revenez sur ce destin (de ce qui est finalement un quatrième personnage « dans le troisième ») grâce à un carnet laissé, perdu, sur un banc. C’est via un carnet que vous avez pu aborder cette facette moins reluisante de sa personnalité ? Jusqu’à quel point cette histoire est inspirée de votre grand-père ? Était-il sourd, lui aussi ?

Oui, mon grand-père était sourd. Il n’a pas à proprement parler « fait l’Algérie », il y est né, et y a vécu jusqu’en 62. La genèse de ce livre est la fin de vie de mon grand-père, et rapidement j’ai voulu en dire plus de sa vie, de ses opinions, et surtout de cette situation commune à bien des gens : avoir une personne de sa famille aimante, mais avec qui on a que des divergences au niveau politique.

Ses journaux intimes ont été des outils précieux pour dire cela. Sans eux, la voix d’Émile aurait été plus creuse, aurait peut-être sonné moins juste.

 

 

 

 

© Aude Mermilliod

 

Représenter ce vacarme dans le silence qu’il subit à chaque seconde uniquement par le dessin qui n’est pas définition pas sonore, c’est un défi ?

J’avais fait des recherches peu concluantes sur le comment représenter les acouphènes. C’est très compliqué, effectivement. J’ai rapidement choisi de me placer uniquement du point de vue d’Émile, et de rendre les lecteurs-ices sourd-e-s elleux aussi.

Il a fallu un peu plus « expliquer » via le texte off des pensées d’Émile, ses ressentis vis-à-vis des acouphènes, je ne voulais pas rendre le dessin trop lourd et saturé comme l’est la réalité des gens qui vivent ça.

 

 

 

 

© Aude Mermilliod chez Le Lombard

 

Dans vos cases, vous mettez aussi un peu de musique, Bashung mais aussi Katy Perry. Si vous deviez prolonger cette BO, que mettriez-vous dans votre playlist pour accompagner la lecture de cet album ?

 

 

 

 

© Aude Mermilliod chez Le Lombard

 

Hummm dure question… Ce qui me vient en premier serait sans doute l’excellent dernier album de Leonard Cohen, saupoudré d’un peu d’Ibrahim Maalouf, de Nick Cave, et terminer dans la joie avec Mika et Cindy Lauper !
 

Il est aussi question de cinéma. Godard n’est pas loin à faveur de la beauté d’une affiche, celle d’À bout de souffle. Son premier film et qui a aussi eu un prix emblématique. Un réalisateur que vous affectionnez ?

Oui, j’aime beaucoup Godard. Mais le choix de cette affiche était un peu une légère et tendre moquerie me concernant à l’âge d’Elsa, où il était de bon ton d’aimer Godard. Tout le monde aimait Godard en école d’art, c’était la suite de la tenture exotique sur le mur, on avait ensuite l’affiche de Pierrot le fou.

 

 

 

 

© Aude Mermilliod chez Le Lombard

 

Puis, il y a des lieux réels, comme la maison d’… Edmond Baudoin ! Un autre grand qui vous a accompagnée un peu ?

Edmond est un ami, et sa maison un lieu parfait pour représenter une nette rupture avec la ville. Elle est tout proche de Nice, ça m’est donc venu assez naturellement. Edmond ne m’a pas accompagnée dans la réalisation de cet album, en revanche ses livres ont fait partie de ma bibliothèque de jeune lectrice de bd, ils ont donc eu une vraie importance pour moi, au même titre que ceux de Manu Larcenet ou Frédérik Peeters.

Ce livre, il a la couleur de l’été mais aussi celle du sud, des environs de Cannes, des bords de mer. Pourtant, une partie a été créée à Montréal ! Dépaysement total, non ? Parfois, mieux vaut se fier à ses souvenirs et impressions qu’au paysage saisi sur le vif ?

Quand j’ai su que j’allais réaliser cet album, je suis repartie seule à Nice pour me réimprégner de cette ambiance. L’album vient donc en grande partie de souvenirs mais aussi de ce que j’ai pu glaner durant ce trip en solo. Y retourner seule avait de l’importance, j’aime tout particulièrement la disponibilité qu’on a lors de voyages solitaires.

 

 

 

 

© Aude Mermilliod chez Le Lombard

 

C’est une œuvre chorale, comment vous êtes-vous arrangée pour équilibrer le « temps » de présence de ces trois personnages ? Sur le mode choral, y’a-t-il des œuvres qui  vous ont marquée (cinéma, littérature…) ?

Les trois personnages sont principaux. Elsa n’est pas plus l’héroïne que les autres. J’ai voulu bien marquer cela, même si on a encore tendance à lui donner plus d’importance qu’aux deux autres, peut-être parce qu’elle appartient au même genre que le mien. Je voulais démarrer avec un vrai temps pour chacun, qu’on apprenne à les connaitre. Ensuite, il a fallu trouver des chocs, des lieux de croisement… Le chien y a été d’une grande aide.

 

 

 

 

© Aude Mermilliod chez Le Lombard

 

Le livre qui me vient tout de suite à l’esprit pour son aspect choral est le prodigieux David, les femmes et la mort de Judith Vanistendael, qui aborde le cancer d’un homme vu par les femmes de sa vie. Ma-gni-fique !

Une dynamique chorale, c’est la meilleure façon de traverser une œuvre avec des multiples thèmes  comme (pèle-mêle parmi ceux que vous évoquez) la rupture, la séparation, la solitude, l’envie d’en finir… ?

Ce qui était primordial pour moi était que ce livre soit intergénérationnel, qu’il soit une fenêtre ouverte vers les problématiques de différents âges de la vie. À cette fin, effectivement la forme chorale a été un vrai outil.

 

 

 

 

© Judith Vanistendael chez Le Lombard

 

Quelle est la suite pour vous ? Des projets en perspectives ? Des voyages aussi comme vous êtes blogueuse globe-trotteuse ?

Peu de voyages malheureusement car le métier d’autrice prend vraiment beaucoup de temps. Par contre je suis en train de réaliser mon second livre, chez Casterman, qui a pour sujet l’IVG, de façon autobiographique.

 

Propos recueillis par Alexis Seny



Publié le 26/09/2017.


Source : Bd-best

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