Entretien avec Eric Corbeyran
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Entretien avec Eric Corbeyran

Eric Corbeyran, le futur Jean Van Hamme français? En tous les cas, il s'en rapproche petit-à-petit ; voilà un scénariste qui s'est "coltiné" à à peu près tous les genres possibles en BD: le thriller, le fantastique, la BD jeunesse... Il a lancé avec divers dessinateurs bon nombre de séries à succès ("le chant des Stryges", "Imago Mundi", "le Régulateur", "Asphodèle"...), ce qui montre la richesse de son univers scénaristique mais sa capacité aussi à se renouveler dans l'écriture et la syntaxe BD. Rencontre avec un scénariste à l'univers BD fort. Rencontre aussi avec un artisan de la BD, dont il s'agit de connaître les mécanismes d'écriture et de scénario. Rencontre surtout avec un scénariste dit "commercial", peu récompensé dans les festivals BD mais populaire au sens noble du terme. Rencontre en dernier lieu avec un bordelais d'adoption.




La plupart de vos séries traîtent du fantastique, pourquoi ce genre vous plaît tant ?

Eric Corbeyran: J'ai grandi avec des séries TV telles que "au pays des géants", au coeur du temps", "Star trek", "le Neptune", "Cosmos 99", et j'en passe... pour un raconteur d'histoire, le fantastique est un terrain de jeu extraordinaire et sans limite. Il permet de pincer la réalité là où ça fait mal tout en faisant voyager et rêver le lecteur...   

 

 

 

 

 
Choisissez-vous vos dessinateurs pour vos séries ou sont-ce vos éditeurs ?

Ca dépend. Habituellement, une série naît d'une rencontre entre un scénariste et un dessinateur. On mêle nos univers, nos inspirations, nos références et ça donne quelque chose de neuf, d'inédit, d'étrange. il arrive parfois qu'un éditeur me propose une collaboration. mais la concrétisation du tandem passe là encore par une rencontre préalable et un échange sur les envies et les idées de chacun. Si le feeling est bon, l'aventure commence...    
 
Selon Nicolas Sarkozy (sic!), on retient plus de ses échecs que de ses succès, vous-même que retenez-vous comme leçon des échecs commerciaux de certaines de vos séries BD ?

Je ne sais plus qui disait : "réussir, c'est aller d'échec en échec, sans jamais perdre le moral". Je trouve que c'est assez juste. Je suis hanté par mes bides et méfiant vis à vis de mes réussites. entendez par là qu'il ne faut pas davantage tirer gloire d'une série qui marche que se tirer une balle à cause d'un livre qui ne marche pas. si on avait la recette du succès, ça se saurait et... ça serait moins marrant ! Alors on continue à avancer dans le noir et de temps en temps, le public plébiscite un titre. Les raisons d'un succès comme celles d'un échec sont rarement parfaitement identifiables. On en trouve, bien sûr, mais ce sont rarement les bonnes.    
 
J'ai fait un entretien avec Thierry Joor de "Delcourt"et il m'a affirmé quelque chose d'assez étonnant, c'est que vous auriez prévu, dès le début de la série des "Stryges", tous les tomes prévus ?

Pourquoi étonnant ? Je vais même vous dire un truc : les séries parallèles au "chant des stryges" étaient elles aussi prévues dès le départ. L'éditeur a juste préféré différer le lancement (par prudence) car on n'était pas sûr de l'impact. c'est donc le succès rencontré par le "chant des stryges" qui a permis à ces séries parallèles de voir le jour, et non le contraire (les mauvaises langues prétendent en effet que le succès nous a incité à multiplier les spin off). pour en revenir au "chant des stryges", c'est une vaste fresque fantastique dans laquelle Richard Guérineau et moi nous sommes engagés (immergés!) depuis 1996. C'est une gageure. gérer une telle saga est une usine à gaz et cela implique de bien calculer son coup. Aujourd'hui, alors que le tome 16 est bientôt en librairie, je suis en train de rédiger l'ultime volume. en même temps, nous venons de signer pour une adaptation télévisuelle avec une maison de production. "Le chant des stryges" vivra (si tout va bien) une nouvelle vie sur petit écran. ainsi la boucle sera bouclée puisque c'est notre passion commune pour les séries télé qui nous ont poussé Richard et moi à créer cette série fleuve.  
 
Comme Arleston pour "Soleil", vous avez accompagné l'éclosion de "Delcourt" pour le monde de la BD dans les années 1990, que retenez-vous de cette fructueuse collaboration avec les années ?

Signer chez "Delcourt" a été une grande chance pour moi, au milieu des années 90. il en résulte aujourd'hui quelques excellents titres qui se sont plutôt bien vendus, certaines de mes plus belles séries, des one shot dont je n'ai pas à rougir, et surtout, une confiance réciproque et une réelle complicité avec toute l'équipe.J'ai participé activement à étoffer le catalogue et ça a été une expérience irremplaçable. on était dans la création en permanence. C'était une époque jubilatoire et un jaillissement continu d'idée et de projets. aujourd'hui, les choses se sont un peu calmées car la demande est moins forte chez le lecteur, mais nous restons sur une belle dynamique avec les éditions "Delcourt" avec de gros projets ("zodiaque", "14 18").  
 
Avez-vous l'impression d'avoir fait des progrès dans la narration BD avec toutes vos séries publiées ?

Je suppose. Ce n'est pas vraiment à moi de répondre. j'apprends en permanence. je me nourris de tout. je regarde notamment comment font les scénaristes américains sur les séries TV et j'essaie de comprendre les mécanismes qui sont à l'oeuvre. du coup, quand je regarde une série télé toute la nuit, je peux claironner ensuite que j'ai bien travaillé ! (rires)
 
Connaissez-vous les combats du SNAC-BD ?

Je reçois les courriers. Je les lis. je participe quand on me demande. mais je ne suis pas un grand communiquant.Je préfère laisser faire ceux qui savent faire. Il faut du courage et du talent pour prendre les causes à bras le corps. J'ai tendance à faire l'autruche.
 
Quelles sont les dernières BD qui vous ont marqué ?

J'adore "hellboy", "walking dead", "le tueur". Ces séries-là sont bien ficelées, elles me transportent.  
 
Vous êtes considéré comme un auteur BD commercial ; en ce sens, pensez-vous que vous ne serez jamais récompensé à de grands festivals BD (Angoulême, Saint-Malo, Bruxelles...)? Ce que je ne vous souhaite pas évidemment...

Bien sur que je suis sur de ne jamais etre récompensé à Angoulême, ni ailleurs. Et ça ne m'émeut pas plus que ça. J'ai failli avoir le prix du meilleur album en 2000 à Angoulême pour 'lie de vin', que j'avais écrit pour Berlion. mais c'était le tour de Rabaté. L'intelligentsia récompense l'intelligentsia, cela va de soi. depuis, je ne pose plus la question, je reste en dehors du coup, mais je suis toujours là. Je m'éclate dans mon boulot. Je fais ce qui me plaît. Je n'en demande pas plus à ce métier.  
 
A quand une adaptation de vos séries (surtout pour "les Stryges") à la télévision ou au cinéma ?

Oups. je crois que j'ai répondu à cette question prématurément...

 

 

 

 

 
Ne pensez-vous pas que s'il y a tant d'adaptation BD au cinéma ou à la TV ("Boule et Bill, Largo Winch, Quai d'Orsay,Silex and the city..."), c'est dû au manque d'originalité des scénarios de fiction actuellement? En gros, on préfère accorder sa confiance à des valeurs sûres en Bd...  
 
C'est normal.L'industrie du cinéma ne prend jamais de risque. ou rarement. Ils se fient aux chiffres, rarement au contenu (à part récemment pour "le bleu est une couleur chaude") d'ailleurs, ces adaptations ne m'intéressent pas du tout, en tant que spectateur. "Blueberry", "Michel Vaillant", tout ça me fait bailler d'ennui, ce n'est pas ce cinéma que je regarde. Je préfère tourner mon regard vers les USA car c'est là que sont les vrais talents d'acteurs, de scénaristes et de réalisateurs.
 
Que pensez-vous de la surproduction BD actuelle? N'est-elle pas compensée par la qualité et la diversité des histoires BD ?

Je ne peux pas raisonnablement dire du mal de la surproduction (rires) j'en ai été l'un des premiers artisans. ça va peut être vous paraître paradoxal, mais je crois qu'un médium qui surproduit est un médium qui va bien. Ca fait des années que je répète qu'il y en a pour tous les goûts et que la bd aborde des rivages qu'elle n'osait même pas apercevoir il y a 25 ans. Bien sûr, il y aura toujours des râleurs pour dire qu'il y a trop de choix, mais ces mêmes râleurs disaient autrefois qu'il n'y en avait pas assez. les auteurs ont des idées, des envies, du talent, alors ils l'expriment. Qu'est-ce qui pourrait les empêcher de le faire ? Un auteur qui crée trouvera toujours un éditeur pour l'éditer mais c'est la même chose dans le monde de la musique ou du roman. Il y a pléthore de sorties pour le plus grand plaisir du public qui peut choisir selon ses goûts avec davantage d'acuité. Le seul problème, c'est l'éphémère. Une oeuvre ne reste pas longtemps sur la table du libraire. Elledisparaît très vite mais c'est le prix à payer pour cette liberté dont nous bénéficions.   
 
Tel le fan de base (caché et aux aguets!), j'ai eu l'occasion de vous voir au festival BD de Saint-Malo, vous avez un look travaillé (blouson noir, boucles d'oreille...), est-ce voulu et pourquoi ?

Tous les looks sont dans la nature. j'imagine que je me sens a l'aise comme ça.

Vous êtes associé, en tant qu'artiste BD, à la belle ville de Bordeaux ? Est-ce lourd à porter ?

Je me suis installé à Bordeaux en 87 mais je n'ai acquis une reconnaissance dans cette ville que récemment, depuis que j'écris "Chateaux Bordeaux", c'est a dire en 2011. La traversée fut longue (rires) mais il y a encore du chemin à parcourir. D'ailleurs, mes albums ont une audience nationale, je ne me sens pas du tout dans la peau de l'auteur régionaliste.  

 

Propos recueillis par Dominique Vergnes


Images © Delcourt & Glénat

 

 



Publié le 25/09/2014.


Source : Bd-best

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