Entretien avec Michel Weyland
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Entretien avec Michel Weyland

«  Ca doit être extrêmement traumatisant d'écrire le mot « Fin » sans avoir d'idées pour l'histoire suivante »

 

Elle avait fait discrètement mais sûrement son appartition dans le journal Tintin quelques années avant, mais c'est en 1982 qu'Aria eut les honneurs de la publication en album. Née “par hasard” sous le crayon de Michel Weyland, la jolie guerrière a mûri au fil de ses aventures, séduisant une seconde génération de lecteurs, la marque des “classiques”. Le Ventre de la mort, son 34ème album paru chez Dupuis en mai surprend et s'inscrit comme l'un des meilleurs de la série, démontrant si nécessaire que la belle a encore du potentiel et son créateur bien des histoires à raconter, comme il nous l'a confirmé lors d'un intéressant entretien en compagnie de Nadine, son épouse et... coloriste.

 

Bonjour Michel, voici 30 ans que le premier album d'Aria était publié, quel regard portez-vous sur cette période ?

Ma première impression, c'est que 30 ans, c'est vite passé (rires)... Au départ, je n'imaginais même pas Aria comme une série. Ca a commencé avec une première histoire dans Tintin, puis plusieurs courts récits qui ont été rassemblés dans les deux premiers albums qui sont d'ailleurs sortis en même temps... La première histoire, la Fugue d'Aria, avait été publiée au sein d'une sorte de “banc d'essai”, un supplément encarté dans la magazine qui remplaçait, suite à un changement de rédacteur en chef, une rubrique TV... Le papier de ce supplément était de très mauvaise qualité et pochait, si bien que d'une semaine à l'autre, on pouvait croire que le trait (c'était du noir et blanc) changeait énormément. Les lecteurs devaient se prononcer pour ou contre la continuation de l'histoire. Visiblement, ils ont accroché malgré ça. Mais c'est à partir du troisième tome, la Septième porte, qu'Aria gagne véritablement son format 46 pages.

 

Les héroïnes de BD étaient plutôt rares à l'époque...

Oui, c'est vrai. Il y avait bien Colombe Tiredaile, je pense à Natacha...et la Castafiore. On a vite fait le tour.

 

D'une certaine manière, vous avez été un précurseur de la vague “heroïc fantasy” qui a déferlé bien des années plus tard...

Mais c'est arrivé par hasard ! Aria est née de croquis que je réalisais comme ça, sans but précis. Je l'ai munie d'une épée, je l'ai mise à cheval, et voilà, elle est devenue une guerrière... J'ai eu envie de raconter des histoires se déroulant au moyen-âge, mais comme j'adore créer des formes, des maisons, des vêtements, des animaux et que c'est un réel plaisir, il y a une dimension fantastique qui est apparue dans l'univers d'Aria. Mais je ne m'intéressais pas à l'heroïc fantasy, et je n'ai jamais considéré Aria de cette manière. Ses aventures se déroulent dans un passé qui n'est pas précisément défini... Je dispose de bouquins qui m'aident parfois à aller plus loin, mais je ne veux pas être coincé dans un carcan, j'aime conserver un maximum de possibilités et de liberté.

 

 

 

 

 

Dans votre travail, et c'est encore quasi palpable dans le dernier album, on sent une recherche du « bel ouvrage », un peu comme chez certains artisans travaillant de manière très traditionnelle...

C'est dans ma nature ! Je ne peux pas faire les choses à moitié, je suis perfectionniste et j'essaye toujours d'aller le plus loin que je peux. C'est difficile de dessiner quelque chose qui n'existe pas mais de lui donner suffisamment de caractéristiques qui la rendent réaliste... Ici, tout se trouve dans mon crayon, et avant ça j'ai tout dans la tête. J'ai opté pour un style réaliste et je ne pourrais pas dessiner en bâclant, ce ne serait plus la même chose. Aria est d'ailleurs très difficile à dessiner, un peu comme les visages d'enfants. Si quelque chose n'est pas correct dans le dessin d'Aria, ce n'est plus elle, ce n'est plus le même personnage...

 

C'est également un personnage qui a mûri au fil des années...

Ca n'est plus la guerrière des débuts. Petit à petit on a découvert son passé, son côté féminin, maternel, alors qu'au début c'était un garçon manqué. Et je continue à la découvrir d'année en année...

 

Il n'y a donc pas de plan à la série ?

Pas du tout. Ca fonctionne d'album en album, selon mes idées et mes envies, mais je n'ai jamais envisagé, à long terme, vers quoi Aria allait, où son destin allait aboutir.

 

Dans un contexte différent, le Ventre de la mort aurait pu être qualifié de thriller ou de polar. Il s'agit d'une histoire au départ très noire que vous situez sur un fond enneigé. Un contraste volontaire ?

Involontaire ! Un lecteur m'avait fait la remarque, lors d'une séance de dédicaces, qu'aucune histoire d'Aria ne s'était jamais déroulée en hiver. Or, en plus de 30 albums, il est logique que bien des saisons se soient succédées. Peut-être pourrait-on situer les autres albums au printemps ou en été, vu qu'on y voit Aria habillée plutôt légèrement, mais ici on est en plein hiver et c'est, par la force des choses, inhabituel...

 

 


 

Pour vous, Nadine, qui assurez les couleurs, était-ce un « challenge », justement, d'aborder cette saison ?

Je n'ai pas trouvé ça particulièrement difficile. Nous habitons la campagne, nous aimons beaucoup nous y promener, on a vu et photographié cette campagne sous la neige, il restait à m'en inspirer. Le tout était d'apporter, à travers mes couleurs, des reflets plus « chauds » à la neige, si je peux m'exprimer ainsi... Je ne voulais pas quelque chose de « cru », donc j'ai fait tâtonné un peu. Et puis, le fait que les flocons soient dessinés apporte quelque chose de très différent, donne un rythme à la couleur. C'était très agréable, j'ai eu vraiment beaucoup de plaisir à travailler sur cet album hivernal.

 

Nadine, la coloriste, Michel le dessinateur et scénariste... Il vous arrive de ne pas penser à Aria ?

(Rires) Oui, bien sûr, et heureusement... En dehors du boulot on ne parle pas de BD, et comme généralement, au sein du travail, on se trouve en accord complet entre le dessin et les couleurs, ça facilite les choses. Et puis on travaille dans des pièces différentes, séparément, ça aide aussi.

 

Michel, une histoire terminée, vous passez directement à la suivante ?

Absolument. Il faut battre le fer tant qu'il est chaud, et j'évite les cassures d'un album à l'autre. Si on arrête de travailler 2 ou 3 semaines, dans ce métier ça peut vite devenir 6 mois, et alors c'est comparable à un musicien qui doit retravailler pour retrouver sa virtuosité, c'est très difficile de redémarrer. La mise en image, la mise en scène, est avant tout un travail intérieur, une gymnastique de l'esprit. Je pense que ça doit être extrêmement traumatisant d'écrire le mot « Fin » sans avoir d'idées pour l'histoire suivante. Pour moi ce serait terrible, mais je vous rassure, le 35ème album est en cours !

 

 


 

Peut-on considérer Aria comme un « classique » ?

Ce n'est pas à moi de le dire, voyez du côté des lecteurs, des libraires. Lors de séances de dédicaces, je rencontre des jeunes qui n'étaient pas nés quand la série a débuté et qui l'ont découverte en lisant les albums de leurs parents et continuent à la lire. Mais la série n'existe quand même que depuis 30 ans !

 

Les aventures d'Aria sont prépubliées dans Spirou, c'est important ?

En tous cas, c'est une présence positive. Mais ça ne m'influence pas dans la conception ou le découpage de l'histoire. Et puis, d'une certaine manière, ça me ramène toujours un peu à mes débuts, 30 ans en arrière. Je ne sais pas si ça me rajeunit mais c'est très agréable et je m'entends très très bien avec l'équipe. Donc ce n'est que du bon !

 

 

Texte et photos Pierre Burssens

Images © Dupuis 2012



Publié le 03/07/2012.


Source : Graphivore

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