Rencontre avec Louis Theillier pour Johnson m'a tuer
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Rencontre avec Louis Theillier pour Johnson m'a tuer

Johnson m'a tuer n'est pas une fiction, mais un reportage, ou plutôt un témoignage, celui de Louis Theillier qui raconte, de l'intérieur, la lutte des ouvriers et des employés d'une usine qui fabrique des catalyseurs pour les grandes marques de l'automobile. Cette usine, située à Bruxelles, appartient à une multinationale anglaise (Johnson Matthey), emploie des ouvriers belges et a délocalisé en Macédoine. Haute technologie, haute qualification des ouvriers et employés, un groupe bénéficiaire, mais des ouvriers et des employés « trop chers », pour reprendre l'antienne cynique de la direction de Johnson Matthey. D'où la délocalisation et trois cents personnes sur le carreau, certaines travaillant sur le site depuis vingt-cinq ans. C'est l'Europe ultra-libérale dans toute sa « splendeur ». Même s'il est titulaire d'un diplôme d'arts plastiques, Louis n'est pas un professionnel de la bande dessinée. C'est un ouvrier, employé dans l'usine Johnson Matthey depuis cinq ans. Il est donc acteur et témoin. Et son témoignage, en mettant en scène et en dessinant ses camarades avec talent, en racontant les doutes, la rage, le dégoût, mais aussi l'enthousiasme, l'espérance, la fraternité, la lutte, est exceptionnel.

 

Comment es-tu entré dans le monde de la BD?

J'en suis venu à réaliser ma première bande-dessinée par nécessité, dans un contexte de création très particulier.

Le 31 Janvier 2011 exactement, le jour où la multinationale Johnson Matthey (leader mondial de la production de catalyseurs automobiles et autres industries à base de platine) pour laquelle je travaillais depuis cinq ans, à annoncé la fermeture de son site Bruxellois. Pourtant l'entreprise est alors largement bénéficiaire, et profite d'intérêts notionnels, ironiquement destinée à pérenniser l'emploi dans la région... Mais la maison-mère anglaise a décidé de délocaliser sa production dans une toute nouvelle usine, en Macédoine, vers toujours plus de profits à court-terme.

 

 

 

Des négociations s'engagent alors entre les syndicats et les représentants de direction, encadrées par la loi Renault. Les 300 travailleurs attendent que leur sort se scelle, à l'issue de longs mois d'incertitude. Nous vivons dès lors le thriller social de l'intérieur, impuissants face à un cynisme systémique, et nous résignons à rejoindre la cohorte des "victimes de la crise".


Quelle a été la genèse de ce goût particulier pour la bande dessinée?

J'ai choisi la bande-dessinée comme mode d'expression parce que ce médium a l'avantage de fusionner la force du texte et l'efficacité de l'image, ce qui lui confère des potentialités créatives infinies, et une force d'attraction grand-public qui en fait un outil de communication de premier ordre.
Faisant le constat du déficit de représentation de ce genre de situation, et du monde du travail en général, je cherche à développer un moyen original et positif pour rendre visible le conflit. Ayant étudié aux beaux-arts, je décide de mettre en pratique mon expérience au service de mes collègues, et la bande dessinée me semble le médium le plus adapté...

Je cherche alors à développer un moyen original et positif pour rendre visible notre situation particulièrement représentative d'une crise morale globale (révélée par la crise financière de 2008, mais qui ne fait que s'amplifier depuis) et concevoir un objet attractif et grand-public qui puisse permettre aux médias de relayer notre conflit social différemment. Je cherche aussi à créer un média qui puisse nous représenter, donner la parole aux ouvriers, et lutter contre l'invisibilité du monde du travail, pourtant en pleine tourmente. Et la bande dessinée m'apparait naturellement comme étant le meilleur moyen de rendre compte de la situation.

L'idée d'un blog bd s' impose vite comme moyen efficace de diffusion. Il sera alimenté en temps réel par des chroniques qui retracent le quotidien d' une usine à l'agonie. Le lecteur suit l'évolution de l'état d'esprit des travailleurs, à travers une galerie de portraits rendant compte des différents points de vue dans l'entreprise, à la recherche d’une logique dans l'ambiguïté des situations.


Peux-tu nous donner quelques détails au sujet de cet album...

Le titre « Johnson m'a tuer » est une déformation du nom de l'entreprise Johnson Matthey, que les travailleurs ont vite repris comme « Gimmick » autodérision des ouvriers dont l'orthographe est souvent approximative, mais aussi une référence à l'affaire « Omar m'a tuer », une phrase reprise en slogan dans nombre de manifestations « ... m'a tuer ».


Étant donné que toute entrée de matériel extérieur est interdit, le dessin est la seule façon de documenter ce qui se passe derrière les murs de la firme. L' inoffensif Bic fourni par l'employeur devient alors mon nouvel outil de travail.

Le dessin « sur le vif » au stylo bille permet il me semble de ressentir la spontanéité et l'émotion à chaud, tel un electro-cardiogramme. Le Bic, objet pauvre, jetable, et produit à l'infini, devient l'outil d'un amateurisme assumé, d'un travailleur décomplexé face à la peur de l'inconnu.


J'incarne sans vraiment en prendre conscience, la posture particulière du dessinateur, qui plus est celle de l'artiste a l'usine (largement passé de mode depuis 68), j'observe et représente, un pied dans ma bulle et un autre dans le réel.

Je ne suis pas journaliste, ni un professionnel de la narration. J'agis dans l'urgence, improvise et invente, à l'instinct, développant une forme spécifique découlant du contexte. N'ayant jamais fait de BD ou écrit d'histoires, je suis forcé d'aborder différemment l'idée de narration, plongé dans un collectif, dans des instants, dans un tumulte. Je ne suis pas dans la construction d'une fiction classique, car le manque de distanciation me permet d'échapper aux codes et structures pré-établies. Mettre en image permet finalement de mieux projeter le lecteur dans une immédiateté, et donner la sensation d'avoir en main une relique extraite du moment raconté, la trace d'une histoire vécue.

 

 

 

 

Quelles sont tes préférences en matière d'auteurs, de publications?

Je ne suis au départ par un fan de Bande-dessinée, ni un fin connaisseur de son histoire et de ses ramifications.

Les ouvrages qui m'ont particulièrement marqué sont par exemple ceux de Crumb, « Gaza » de Joe Sacco, « American Splendor » d'Harvey Pekar, ou « L'affaire des affaires » (Denis Robert, Laurent Astier, Yan Lindingre), et plus généralement le BD reportage, qui me parait être une démarche créative particulièrement nécessaire aujourd'hui, à mi-chemin entre une pratique de journaliste d'investigation et de photo-reporter, ou de dessinateur de procès, qui engage le dessinateur dans la proximité immédiate face au réel.


Une exposition envisagée dans un avenir proche?

Pas d'expos pour le moment mais des conférences, dédicaces, rencontres, en Belgique et ailleurs, et aussi entre le monde de la BD et celui de l'engagement social...


Peut-on te trouver sur le web ?
 
On peut voir mon blog johnsonmatuer.blogspot.be, ou http://grandpapier.org/louis-theillier/?lang=fr

Quel est ton hobby préféré ?

La guitare, et surtout m'occuper de mes deux jeunes enfants, ce qui prend bcp de temps!

Dans le contexte actuel de la vie, gardes-tu intact ton enthousiasme créatif ?

Beaucoup de projets, le souci etant le temps et l'argent pour pouvoir les realiser!

Ta devise ?

Tant qu'ya d'la vie, y'a d'l'espoir!

 

Interview © BD-Best - Jean Jacques Procureur 2014 

Images © Futuropolis 2014

Photo © J.J. Procureur 2014



Publié le 13/09/2014.


Source : Bd-best

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