"Sorcelleries" - Interview de Teresa Valero
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A l'occasion de la sortie du troisième tome de la série "Sorcelleries", nous avons eu la chance de pouvoir interviewer la scénariste Teresa Valero qui est également la scénariste de la série "CuriosityShop"

 

Alexandra Veldeman (A.V.) : Sorcelleries est le premier scénario de bande dessinée que vous avez créé. Comment vous est-il venu l’idée de ce scénario ? 

Teresa Valero (T.V.) : En principe, « Sorcelleries » était un projet de réalisation de série d'animation pour la télévision.  A l'époque où j'ai commencé à donner forme à cet univers magique (il y a à peu près 15 ans), je travaillais pour le studio d'animation « Tridente » avec d'autres collègues, et nous tentions de produire nos propres séries, courts métrages et films.  Après quelques temps, nous n'avions pas réussi à obtenir le financement permettant d'amener le projet à l'écran, et j'ai donc décidé de garder le projet afin de retenter le coup dans le futur.

Quelques temps après, j'ai appris que Juanjo (Guarnido), avec qui j'avais débuté dans le monde de l'animation dans les années 90 et noué de solides liens d'amitié, cherchait une histoire infantile/juvénile afin de l'adapter en comics, une histoire qu'il pourrait offrir à ses propres enfants, parce que « Blacksad » n'est pas une lecture adéquate pour de jeunes enfants.

J'ai donc réécris le projet, lui donnant la forme d'un scénario de bande dessinée, et lui ai envoyé.  Lorsqu'il l'a lu, il m'a laissé un message très enthousiaste sur mon répondeur...  Et ainsi avons-nous commencé à travailler ensemble sur « Sorcelleries ».


 

A.V. : Comment avez-vous trouvé les noms des personnages et d’où vous est venu l’inspiration des caractères de chaque personnage ?

T.V. : « Sorcelleries » comprend énormément de références, de la littérature classique aux personnages contemporains, en passant par la mythologie grecque.

Titania, Puck et Obéron, par exemple, sont les parodies des personnages de l’œuvre de Shakespeare « Songe d'une nuit d'été », et les trois sorcières tiennent leur origine des sorcières de Macbeth. 

Hécate, tient son nom de la déesse grecque, reine des sorcières et des morts.

Brygia, Sortilega et Febris, tiennent leurs noms de leurs fonctions et leurs caractères, comme celui de sa nièce Panacea.

Dans le choix des noms des autres personnages, on rencontre des parodies de personnages de télévision et même des blagues privées que seuls Juanjo et moi pouvons comprendre...  Il est divertissant de créer autant de personnages que nécessite une histoire aussi folle que l'est « Sorcelleries » et leurs chercher des noms étranges.  Nous cherchons toujours à éveiller la curiosité des lecteurs, qu'ils se demandent d'où en vient le nom, qui peut-on parodier à travers tel ou tel personnage...  Les pages dessinées de la bande dessinée sont pleines de blagues et clins d’œil au lecteur ;  Nous pensons qu'il s'agit d'une bande dessinée avec laquelle on peut jouer, passer de bons moments en dehors de la lecture, et découvrir tout ce qui est caché dans ses bulles.

 En ce qui concerne le caractère de ses personnages et son aspect graphique, Juanjo est un facteur déterminant.  Les trois sorcières, par exemple, sont le reflet de ses trois tantes, trois sœurs aux caractères très différents, ce qui donne lieu à de nombreux conflits, mais cependant très unies au niveau affectif, et qui nous ouvre la porte à des épisodes de tendresse.  Le contraste de toutes ces choses dans l’histoire nous plaît beaucoup.

 

 

A.V. : Dans le cadre de cette série, vous êtes en collaboration avec Juanjo Guarnido, il s’agit d’une première collaboration. Comment se passe-t-elle ? Quels sont les apports de chacun dans la série « Sorcelleries » ?

 T.V. : Juanjo et moi avions travaillé beaucoup de temps ensemble sur des projets d'animation à Madrid, avant qu'il ne déménage à Paris.  C'est toujours un plaisir de travailler avec lui et une leçon.  Après avoir travaillé à ses côtés, on en apprend tant que l'on peut se considérer un « meilleur professionnel »...  C'est un réel privilège.

 Il y a quelque chose de fascinant chez Juanjo, et c'est ce qu'il apporte dans chaque œuvre dans laquelle il s'implique, que celle-ci soit plus ou moins ambitieuse, dirigée à un public adulte ou cet autre public si difficile que sont les jeunes et les enfants.  Il enrichit énormément les scénarios qu'il reçoit, se donne des défis constamment qu'il arrive toujours à surmonter avec brio, essaie de faire ce qu'il n'a jamais fait avant, et réussit toujours, selon moi, et dans chaque album, à réaliser un travail unique et irrépétible qui mérite que l'on s'en approche avec du temps et du calme...  Car sinon, on court le risque de perdre beaucoup de choses dans ces pages.

 

  

A.V. : Est-ce que le tome 4 sortira très prochainement ?  Pouvez-vous donner à nos lecteurs un avant-goût du prochain tome « sorcellerie » ? L’équipe Guarnido et Valero sera-t-elle maintenue ?

 T.V. : Pour l'instant, nous avons clôturé le premier cycle avec ce troisième album, et Juanjo a beaucoup de travail en attente, principalement le tome 5 de « Blacksad », auquel suivront d'autres projets intéressants.  Ce serait génial si nous trouvons un moment adéquat pour introduire dans cet agenda serré un nouveau cycle de « Sorcelleries », parce qu'il s'agit d'une expérience gratifiante, car nous nous sommes énormément amusés en développant cette histoire...

 

A.V. : Vous êtes l’une des co-fondatrices  du « studio tridente animation ». Comment vivez-vous la transition entre les séries TV, les longs métrages et la bande dessinée ?

 T.V. : L'animation et la bande dessinée ont quelques points en commun, on peut raconter son histoire à sa manière et ne pas devoir organiser de grandes équipes humaines pour qu'elles fonctionnent aussi efficacement que dans l'animation.  Mais c'est aussi un travail très solitaire...

 Tous ces projets m'enchantent et m'ont donné beaucoup de satisfaction dans la vie, mais je crois que la bande dessinée peut combler d'une meilleure façon les aspirations d'un artiste, son anxiété à raconter des histoires et les offrir au public d'une manière plus directe et assumée par une seule personne (ou une équipe de deux ou trois artistes), sans besoin de grandes opérations de financement pour arriver à mener le projet de l'avant.

 

 

A.V. : Pensez-vous qu’un jour la bande dessinée « sorcelleries » prendra un jour la forme d’une série tv ?

 T.V. : Cela me plairait beaucoup.  Je crois que « Sorcelleries » compte beaucoup d'influences du dessin animé et qu'il pourrait fonctionner à merveille dans un projet tel que la série animée.  Elle a après tout, été conçue dans ce sens !

 

A.V. : Quel est votre personnage préféré ?

 T.V. : Il m'est fort difficile d'en choisir un seul, car chaque personnage a un quelque chose qui me plaît beaucoup et m'a énormément diverti lorsque que je l'écrivais et surtout quand je recevais les dessins de Juanjo, qui sont ce qui réellement donnent vie aux personnages.

Un des thèmes fondamentaux de « Sorcelleries » est l'ennui, un thème que je considère comme la maladie de notre époque, surtout parmi les enfants.  Presque tout ce que font les personnages de « Sorcelleries » ont pour origine leur profond ennui : Hazel fuit parce qu'il s’ennuie, Titania la cherche parce qu'elle s'ennuie, Hécate la poursuit parce qu'elle s'ennuie, Brygia l'adopte parce que sa vie est un vide total...  C'est ce qui amorce, fait exploser toutes ces situations délirantes.

 Pour ne citer que Hazel, j'adore le contraste en elle de bonté / malveillance, cette façon qu'elle a de faire le mal comme s’il s'agissait d'un jeu, quelquefois seulement pour essayer qu'il se passe quelque chose.  Toute personne ayant eu un enfant en bas âge auprès de lui peut directement reconnaître cette attitude.

 J'aime également beaucoup les relations établies entre les trois sorcières, leurs constants affrontements, la façon dont elles s’excèdent les unes des autres et voir pourtant à quel point elles peuvent s'aimer...

 Mais il est fort possible que mes préférés entre tous soient Malkin et Paddock, ce chat et ce crapaud d'un grand flegme, qui forment un ensemble ressemblant à un vieux couple...  Nous avons beaucoup ri de leurs petites phrases philosophiques.

 

 

A.V. :  Vous avez enseigné à l’université de Madrid, qu’avez-vous ressentit ?

 T.V. : Enseigner est une fabuleuse expérience, qui je crois, enrichit toujours paradoxalement plus celui qui enseigne que celui qui apprend.  En ce qui concerne le fait de conter des histoires, j'en ai plus appris en enseignant qu'en recevant des cours.  Les continuelles questions des étudiants et l'obligation d'une analyse permanente te forcent à être en continuelle évolution.

 

 A.V. : Vous êtes aussi la scénariste de la série Curiosity Shop, ressentez-vous une difficulté pour le scénario de passer de l’une à l’autre série ?

T.V. : « Curiosity Shop » est une série historique très réaliste, qui se déroule dans l'Europe de la première guerre mondiale, qui n'a bien sûr rien à voir avec « Sorcelleries », mais c'est précisément ce qui me plaît dans ce travail.  On peut vivre tout ce que l'on désire simplement en l'écrivant !

On m'a demandé plusieurs fois ce qui me plaît dans cette autre série « Curiosity Shop », qui est l'histoire d'une adolescente rebelle ayant beaucoup de caractère qui vit des aventures dramatiques dans un monde convulsé et en guerre...  Et bien, c'est cela qui me plaît justement.  Vivre une adolescence dramatique depuis la sécurité de ma maison.  Voyager, tomber amoureuse, souffrir, triompher et échouer, et ce tant que cela me permet de construire une histoire.

Mon père nous disait toujours que « lorsque il n'y a pas d'argent pour voyager, on peut toujours lire », et c'est vrai.  Il n'y a pas de meilleure façon de vivre qu'en lisant.  En lisant, on peut vivre infiniment plus de vies que la nôtre...  Écrire, c'est faire un pas de plus dans cette direction.

 

 

 

A.V. : Quelle serait pour vous la plus grande récompense pour saluer votre travail ?

 T.V. : La meilleure récompense est ces commentaires que l'on reçoit, et dans lesquels on se rend compte que l'on a réussi à établir une connexion avec le lecteur.  Évidemment, cela n'arrive pas avec tous les lecteurs.  A certains, l’œuvre n'apporte rien.  D'autres vont l'apprécier, mais sans vouloir aller plus loin.

 

Cependant, et c'est là que l'on « touche le ciel », on réussit à intéresser complètement d'autres lecteurs, qui comprennent ce que tu as voulu transmettre,  exprimer, qui plongent entièrement dans les jeux que tu as préparé, et les apprécient tout autant, et de plus viennent en faire part.  C'est ce qui est fantastique et fait, pour ceux qui dédient leur carrière à la bande dessinée, qu'ils se sentent des êtres privilégiés.

 

 

A.V. : êtes-vous sur d’autres projets ? Pouvez-vous nous en parler ?

 T.V. : Oui, en ce moment je travaille sur mon premier projet en tant que dessinatrice de bandes dessinées, pour une série humoristique quotidienne écrite par Marie Pavlenko (Le livre de Saskia) qui sortira l'année prochaine dans les éditions Delcourt.

 Je prépare également les scénarios d'une autre série de type historique, mais je ne peux malheureusement pas encore en parler pour le moment.

 

Propos recueillis par Alexandra Veldeman & Jonathan Feito Cigarria

Photo © Glénat bd 2012

Images © Dargaud 2012

Interview © Graphivore - Alexandra Veldeman & Jonathan Feito Cigarria 2012

Traduction de l'espagnol au français © Jonathan Feito Cigarria



Publié le 11/10/2012.


Source : Graphivore

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