2021 au pied du sapin. La sélection de l’année par BD-Best, Première partie.
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2021 au pied du sapin. La sélection de l’année par BD-Best, Première partie.

 

 

            Comment choisir 10 albums sur une année de lecture de plus de 350 titres ? Forcément, le résultat est subjectif, mais il est là. Choisir, c’est renoncer. Voici donc, sans classement, la sélection des dix albums retenus dans la catégorie ONE SHOT (d’accord, il y a un diptyque) pour vous et qu’il est encore temps de déposer au pied du sapin.

 

 

 

 

© Gotlib - Dargaud

 

 

 

 

 

 

 

Une délicatesse.

Le jardin, Paris

 

   

Années 20, dans un cabaret parisien, un jeune homme danse tous les soirs. Il est le seul garçon de l’établissement. Fils de la patronne des lieux, la scène est sa vie. En ce lieu, chaque artiste a un nom de fleur. Celui de cet éphèbe est Rose. Subjugué par les talents du danseur, Aimé, habitué du cabaret, souhaite le rencontrer. L’homme travaille dans l’édition. Il va prendre Rose sous sa coupe et l’ouvrir au monde.

 

Près de deux ans après l’émouvant Les fleurs de grand-frère, Gaëlle Geniller revient avec un récit tout aussi beau, tout aussi fort. On ne saurait dire si ce jardin Paris est une histoire d’amour ou une histoire d’amitié. C’est certainement les deux à la fois. Tout au long de l’histoire l’autrice marche sur un fil, non pas parce qu’elle n’ose pas franchir le mur de l’interdit, mais parce qu’elle se positionne à l’époque du récit, dans des années 20 où les hommes sortaient avec des femmes et il ne pouvait pas en être autrement. Ses personnages sont pour certains d’une sensibilité étonnante, pour d’autres d’une réalité maupassantienne, l’un n’étant pas incompatible avec l’autre.

 

Geniller pose la question du genre au cœur de son histoire avec une finesse, une délicatesse, une discrétion et un respect comme on n’en n’avait jamais lu. Si depuis cent ans, les mentalités ont fortement évolué, la société est encore loin d’une évidence quant à l’acceptation d’amours naturelles entre des êtres, quels qu’ils soient. La force de Geniller est aussi de traiter Le jardin, Paris sans jamais parler de sexe. Alors qu’elle aurait facilement pu tomber dans cette facilité, elle préfère proposer une histoire d’innocence.

 

Graphiquement, la dessinatrice, issue de l’animation, fait danser son trait comme son personnage dans une fresque florale merveilleuse. Quand les raies de lumière traversent le rideau des coulisses jusqu’au devant de la scène, Geniller fait entrer le lecteur sur scène avec l’artiste. Certains passages parviennent à suspendre le temps dans un silence musical magique. On a la sensation d’évoluer avec Rose, d’être concentré sur les gestes gracieux et d’entendre de façon sourde les notes du pianiste réservées aux spectateurs.

 

Avec Le jardin, Paris, les éditions Delcourt frappent un grand coup tant scénaristique que graphique augurant d’une année BD 2021 exceptionnelle. Suspendant le temps pour l’amour de l’art de la danse et du spectacle, le jardin de Gaëlle Geniller est de ceux dans lesquels on souhaiterait rester enfermé.

 

 

One shot : Le jardin, Paris

Genre : Romantique

Scénario, Dessins & Couleurs: Gaëlle Geniller

Éditeur : Delcourt

Collection : Mirages

Nombre de pages : 224 

Prix : 25,50 €

ISBN : 9782413022534

© Geniller - Delcourt

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Noir dedans et...

Blanc autour

 

En 1832, les notables de Canterbury s’opposent à la décision de Prudence Crandall d’accueillir dans son école des jeunes filles de couleur. Mais c’est sans compter sur la détermination de l’institutrice. Au fin fond du Connecticut, Prudence Crandall applique son projet, quitte à perdre des élèves, certaines familles ne souhaitant pas que leur douce progéniture soit mélangée à des noirs ! L’Etat a depuis quelques années déjà aboli l’esclavage, mais l’ombre de Nat Turner plane dans les mémoires. Un an avant, en Virginie, l’esclave noir, instruit, a mené une révolte sanglante. « Il ne faudrait pas que ça arrive chez nous ! »

 

Wilfrid Lupano pose un pavé dans la mare d’une Amérique sortant d’une ère Trump rétrograde. Ce récit situé en 1832, basé sur des faits réels, résonne de façon inquiétante et moderne en 2021. Bien que les mentalités aient évolué, le chemin est encore long avant d’arriver à une harmonie et une tolérance universels. Avec Blanc autour, Lupano montre comment, par la volonté d’une seule personne, Prudence Crandall, ayant réellement existé, un pas de géant à été effectué. Crandall a été la première à proposer une éducation égalitaire et équitable. Et si tous les murs ne pourront pas tomber, la maîtresse d’école va donner de sacrés coup de masse dedans.

 

Stéphane Fert est l’une des révélations graphiques de ces dernières années. D’un esthétisme incroyable à la Cyril Pedrosa, ses planches sont peintes en couleurs directes. Quelques cases très grandes feraient de magnifiques tableaux. Avec émotion et délicatesse, Fert suspend les instants des scènes violentes qu’il assène comme des moments figés. Il en est de même sur la double page où Prudence attend l’arrivée des pensionnaires. Fert a dans son pinceau le pouvoir magique d’agir sur le temps qui passe. C’est une impression assez indescriptible qu’il est nécessaire de lire.

 

A ranger à côté de Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin, dessinée par Emilie Plateau chez le même éditeur il y a deux ans, et à l’instar de celui-ci, Blanc autour est un album incontournable alliant intelligence du scénario et beauté graphique. Noir dedans, blanc autour, pour un rendu non pas gris, mais éclaircissant les esprits. Indispensable.

 

                                                                                                                                                                                         

One shot : Blanc autour 

Genre : Drame historique 

Scénario : Wilfrid Lupano 

Dessins & Couleurs : Stéphane Fert

Éditeur : Dargaud

Nombre de pages : 144 

Prix : 19,99 €

ISBN : 9782505082460

© Lupano, Fert - Dargaud

 

 

 

 

 

 

 

 


La bande originale de la vie de Michel Magne.

Les amants d’Hérouville, une histoire vraie.

 

Juin 1970, en faisant de l’auto-stop sur une route de campagne du Val d’Oise, Marie-Claude ne se doutait que la rencontre qu’elle allait faire allait bouleverser sa vie. L’homme qui l’embarqua ce jour-là n’était autre que Michel Magne, grand compositeur de musiques de film et propriétaire du château d’Hérouville. Quelques jours plus tard, Michel invite Marie-Claude dans sa propriété et lui propose d’habiter sur place et de devenir la baby-sitter de ses enfants. La nouvelle hôte va devenir la témoin privilégiée de soirées de folie, de fêtes somptueuses et démesurées. Magne a fait de son château un studio d’enregistrement. Les plus grandes stars du monde se pressent au portillon pour venir y jouer les notes et y poser les voix de leurs futurs tubes.

 

Avant d’être scénariste de bande dessinée, Yann Le Quellec est scénariste, réalisateur et producteur de cinéma. Il signe ici un biopic de Michel Magne, l’homme aux soixante-treize bandes originales de films. Fantômas, Angélique, Les tontons flingueurs et les premiers films de Jean Yanne figurent entre autres à son catalogue. Au-delà de l’artiste, c’est l’homme qui nous est présenté ici, un mégalomane aux amitiés magnifiques qui dépensait sans compter, qui organisait des orgies musicales incroyables. Pour ne citer que les plus célèbres, on retrouve au générique Johnny Hallyday, David Bowie, Elton John, Eddy Mitchell et Iggy Pop.

 

Le Quellec organise l’histoire de la vie de Michel Magne de manière passionnante. Si l’album commence par la rencontre avec celle qui deviendra sa muse, tout le passé du musicien est raconté dans des chapitres intercalés illustrés et richement iconographiés qui se lisent avec fluidité et qui permettent de comprendre comment un gamin de Lisieux est devenu, bien avant Eddie Barclay, celui chez qui il fallait venir travailler et festoyer, l’un n’allant pas sans l’autre.

 

Marie-Claude Magne a participé activement à la réalisation de ce qui, plus qu’un simple album de bande dessinée est le livre d’une vie. Celle de Michel Magne est tellement incroyable qu’il aurait été impossible de l’inventer. Comme dans toute bonne histoire, il y a des joies, il y a des drames. La conclusion en photos dans laquelle Marie-Claude revient sur les lieux est d’une charge émotionnelle inégalable.

 

Romain Ronzeau, dessinateur de la série Espions de famille, met en musique ce biopic. Dans un style à mi-chemin entre Moynot et Vivès, il fait défiler la vie de Michel Magne, intégrant parfois des photos d’époque. Des fastes du château jusqu’à parodier Le repas de noce de Brueghel l’Ancien à la déchéance dramatique d’un homme blessé dans son âme, Ronzeau compose l’album en posant des cases sur une portée comme le faisait Magne avec ses notes.

 

Cerise sur le gâteau, en fin d’album, un flash code amène sur une playlist musicale à écouter en lisant l’album.

 

Les amants d’Hérouville, une histoire vraie, est l’un des albums incontournables de l’année BD 2021.

 

 

One shot : Les amants d’Hérouville, une histoire vraie 

Genre : Biographie 

Scénario : Yann Le Quellec, avec la participation de Thomas Cadène

Dessins & Couleurs : Romain Ronzeau 

Éditeur : Delcourt

Nombre de pages : 264 

Prix : 27,95 €

ISBN : 9782413003472

© Ronzeau, Le Quellec - Delcourt

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

L’amour de nos différences.

Plus près de toi

 

                Addi et Ibrahim ont fait le voyage du Sénégal à la France pour faire la guerre, contraints et forcés. Nous sommes en Mars 1942 et ils sont dans un camp de prisonniers dans un village de Bretagne. Leurs vies, comme celles des habitants et des habitantes du village, sont bouleversées par la tragédie de ce conflit qui a meurtri l’humanité à jamais. Avant de partir au front, Addi était à quelques mois de son ordination en tant que prêtre catholique. Devra-t-il choisir entre l’amour de Dieu et celui d’une femme ? La guerre tire les ficelles et personne n’est maître de son destin.

 

Au cinéma, en littérature, en bande dessinée, on ne compte plus les œuvres impérissables. Dans le septième art, on ne peut pas passer à côté du mythique Le jour le plus long, de la quête Il faut sauver le soldat Ryan, de l’incroyable La vie est belle par Roberto Begnini, et plus récemment de l’atypique Jojo Rabbit. A la télévision, la série Un village français fait figure de référence.

En littérature, il faut avoir lu Pilote de guerre de Saint-Exupéry, Week-end à Zuydcoote de Robert Merle, L’armée des ombres de Kessel et bien évidemment Le journal d’Anne Frank. En bande dessinée, à côté de Maus, Les enfants de la résistance et la série trop peu connue Une génération française, Plus près de toi s’ajoute à la liste des incontournables.

 

Kris écrit une histoire poignante sur un sujet peu exploité de l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale, une histoire de guerre et d’amour, comme de celles qui sont les plus belles. L’époque est un sujet battu et rebattu en fiction, un thème passionnant et effrayant, fascinant et glaçant. La guerre est un des thèmes de prédilection de Kris. Il a abordé la Première avec Notre mère la guerre, la Seconde avec Violette Morris, et bientôt la guerre de Sécession avec Les Tuniques bleues.

Les personnages de Plus près de toi représentent le casting de ce qui aurait pu être une superproduction de Claude Berri comme Uranus. Addi et Ibrahim sont des victimes de la bêtise de l’humanité, mais Armand, de retour de camp de prisonniers, avec ses blessures profondes et son esprit détruit, est aussi un martyr du conflit. Jeanne et Simone démontrent les rôles prépondérants qu’ont joué les femmes, trop souvent considérées comme au Second Plan. A côté de ces personnages principaux, les gens du village, du Maire au Curé en passant par le goémonier, sont les pièces d’un puzzle dont l’assemblage forme l’armature solide d’une résistance qui a permis la victoire des Alliés.

 

                Le dessin estampillé jeunesse de Jean-Claude Fournier donne le même effet que celui de David Evrard sur Irena. Incontestablement, cela décuple la force des histoires. La méthode, si tant est que cela en soit une, est d’une efficacité redoutable. A la fois, ça fait « supporter » l’horreur et ça arrache des larmes, ça met en colère et ça émeut, ça décuple les sentiments. Dans des clins d’œil, le dessinateur se représente en prêtre missionnaire et montre son scénariste en résistant.

Après le diptyque Les chevaux du vent, avec Lax, ajoutant une pierre majeure à sa bibliographie allant de Bizu aux Crannibales en passant par la reprise courageuse et réussie de Spirou et Fantasio, Fournier est l’un des plus grands auteurs de bande dessinée, largement « grandprixmable ».

 

                Les balles et les roses, la guerre et la paix, le noir et le blanc, la haine et l’amitié, le musulman et le chrétien, le Sénégal et la France, Plus près de toi est une planche d’équilibre. La seule chose que l’on peut reprocher à l’éditeur et aux auteurs, c’est qu’il aura fallu attendre trois ans et demi entre les deux parties de l’histoire. Il faut absolument relire le début et considérer l’ensemble comme un tout qui aurait dû être édité en intégrale dès le début. Cela n’empêche pas de faire entrer Plus près de toi dans la liste des œuvres indispensables de l’année.

 

 

Série : Plus près de toi 

Titre : 2 – Seconde partie

Genre : Histoire/Seconde guerre mondiale 

Scénario : Kris 

Dessins & Couleurs : Jean-Claude Fournier

Editeur : Dupuis

Nombre de pages : 72

Prix : 17,50 €

ISBN : 9782800173702

 

© Fournier, Kris - Dupuis

 

 

 

 

 

 

 

 


Fait divers.

Crépuscule des pères

 

A Cestas, en 1969, l’hiver promettait d’être plus froid que jamais, non pas à cause d’une météo plus rude que les années précédentes, mais parce qu’un drame allait sourdre. André Fourquet s’apprête à prendre ses enfants en otage pour en obtenir la garde. Il passe à l’épicerie pour faire le stock de nourriture qui lui permettra de tenir un siège. Juste à côté, à Bordeaux, mais en 2016, Thomas Cessac est en pleine procédure de divorce. Aura-t-il la garde de sa fille ? Sans pour autant comparer sa situation à celle de Fourquet, entre deux rendez-vous avec son avocat ou un juge, Thomas découvre les détails du drame qui s’est déroulé quarante-sept ans plus tôt dans la région.

 

Le scénariste Renaud Cojo ne cherche en aucun cas à cautionner les actes désespérés d’André Fourquet, cet homme quitté par sa femme et qui séquestrera deux de ses enfants avec leurs consentements, l’aînée ayant réussi à s’échapper, pour en obtenir la garde. Par le prisme de Thomas, il a cherché à saisir les contours de ce fait divers et de comprendre les mécanismes qui ont conduit à l’inéluctable. Par ricochet, le scénariste aborde le dysfonctionnement du système judiciaire qui néglige le rôle du père dans l’éducation des enfants les privant souvent injustement de leur garde. Cojo réalise un travail méticuleux, respectant au plus près les paroles des protagonistes de l’époque. Christophe Hondelatte, prend garde à toi.

 

Sandrine Revel frappe très fort cette saison. Après l’adaptation des émouvantes Chroniques de San Francisco, Revel revient pour un doublé magistral : Grand silence, sur le sensible sujet des violences sexuelles commises sur les enfants, et Crépuscule des pères, témoignage journalistique d’un drame humain remettant en cause le fonctionnement de toute une société. Avec un trait mouvant, une grisaille sur les planches reproduisant celle qui est dans les âmes, quelques rares touches de rouge qui en disent long, sur le bureau d’un juge ou le plastron d’un gendarme ciblé, Revel s’affirme comme une très grande dessinatrice, avec une bibliographie conséquente qui mérite reconnaissance.

 

Le mardi 18 février 1969, le quotidien Sud-Ouest titrait « La France bouleversée par la tragédie de Cestas ». Eté 2021, Cojo et Revel bouleversent à leur tour les lecteurs en la retranscrivant en bande dessinée.

 

 

One shot : Crépuscule des pères 

Genre : Drame

Scénario : Renaud Cojo 

Dessins & Couleurs : Sandrine Revel

Éditeur : Les arènes BD

Nombre de pages : 168 

Prix : 20 €

ISBN : 9791037502209

© Cojo, Revel - Les arènes BD

 

 

 

 

 

 


 

Contemplations dans la forêt bleue.

Les grands cerfs

 

Pamina et Nils ont décidé de vivre au cœur de la montagne des Vosges, dans une ancienne métairie en pleine forêt. Ce qu’ils ne savent pas, c’est qu’ils vont devoir apprendre à cohabiter avec un clan de cerfs. Initiée par Léo, photographe animalier de son état, Pamina va apprendre à les observer, les découvrir, les voir évoluer. Mais d’autres prédateurs hantent la forêt, d’une part les chasseurs, d’autre part les membres de l’ONF, l’office national des forêts. Les plus sauvages ne sont pas forcément ceux que l’on croit.

 

Gaétan Nocq adapte le roman éponyme de Claudie Hunzinger. Après avoir entendu l’autrice dans l’émission de Laure Adler L’heure bleue sur France Inter, Nocq se procure le livre et c’est le coup de cœur. Il contacte Hunzinger, va à sa rencontre dans sa vallée. Avec une vue panoramique sur le vallon aux cerfs, Nocq s’immerge dans l’ambiance. Il se promène au milieu des arbres, il entend et voit le ruisseau couler. Il a troqué son manteau de citadin contre celui du campagnard.

 

On apprend que le clan des cerfs compte huit à vingt-deux mâles menés par un grand chef. Les biches sont plus haut. Le clan vit en harmonie jusqu’à la saison des amours où ils doivent s’affronter pour conquérir des femelles. Pour les observer, il faut se mettre à l’affût muni d’une arme spéciale : un téléobjectif. On comprend comment l’hiver les cerfs survivent à la famine, pouvant ravager des cultures. On est sensibilisé à la surpopulation du gibier et comment chasseurs et ONF ont des partis pris opposés.

 

La forêt de Nocq est bleue. Jamais on n’en est choqué. Ça semble si naturel, comme si toutes les forêts avaient toujours été de cette couleur. L’auteur se justifie par les différences d’incidence de la lumière sur les choses. Ce bleu laissera sa place à un magenta s’imposant avec la dramaturgie du récit. Les nuits quant à elles sont sensationnelles. La scène du comptage nocturne des animaux est incroyablement réalisée.

 

Quand Claudie Hunzinger s’est entretenue avec Laure Adler, elle lui a dit être venue avec les arbres de sa forêt, les cerfs, les salamandres, les papillons. Elle a dit être venue avec eux pour éviter qu’ils ne disparaissent avec ce monde qui change à grande vitesse. Grâce à son roman, elle leur a donné des mots pour prouver et préserver leur présence. Grâce à son album, Gaétan Nocq leur donne des images sublimes.

 

 

One shot : Les grands cerfs 

Genre : Emotion

Scénario, Dessins & Couleurs : Gaétan Nocq

D’après : Claudie Hunzinger

Éditeur : Daniel Maghen

Nombre de pages : 256 

Prix : 29 €

ISBN : 9782356741035

© Nocq – Daniel Maghen

 

 

 

 

 

 

 


 

Rendez-vous en terre inconnue.

Tananarive

 

Amédée est un notaire retraité. Il vient de perdre son ami et voisin Joseph, un aventurier dans l’âme qui passait ses soirées à lui raconter sa vie trépidante. Joseph est mort à présent. Il paraît qu’il aurait eu un enfant. Avec qui ? Aujourd’hui adulte, où se trouverait-il ? C’est la mission que va se donner Amédée, moins pour que la maison lui soit attribué, mais plus pour lui léguer la collection des albums de Pinpin de son père.

 

En enquêtant sur le passé de son ami, Amédée s’inscrit dans une quête initiatique où il va se chercher lui-même. Le fantôme de Joseph l’accompagne comme un ange gardien. Amédée a voyagé au travers des récits de Joseph. Ce dernier a fait ce que lui n’aurait jamais osé accomplir. Une vie pépère, marié, sans enfant,… Amédée a besoin de donner un sens à sa vie et c’est pour ça qu’il va se lancer dans ce « Perdu de vue ». Tananarive est la capitale de Madagascar. Le voyage d’Amédé l’amènera-t-il jusque-là ?

 

Dès qu’il est question de vieux dans une BD, on pense inévitablement aux Vieux Fourneaux. Il y a maintenant tellement d’albums mettant en scène le troisième âge qu’il est temps d’arrêter de faire des comparaisons. Si on devait parler de Lanfeust dès qu’il est question d’Heroïc Fantasy, on ne serait pas couchés. Bref, offrons à chaque album de vieux son autonomie. Et s’il en est un qui le mérite, c’est bien Tananarive.

 

En deux albums aussi différents l’un que l’autre, Mark Eacersall, scénariste de télévision, fait une entrée fracassante dans le monde de la BD. Après Gost 111, polar pur et dur dessiné par Marion Mousse paru en 2020, il joue la carte de l’émotion et de l’humour avec Tananarive. Le scénariste prouve que les plus beaux voyages se font dans les livres. Les titres des ouvrages qui composent la bibliothèque de Joseph parlent d’eux-mêmes : Monfreid, Kessel, Conrad, London, et une série de BD dont les titres sont inspirés d’albums mythiques. Hommage à Spirou, à Blake et Mortimer, et surtout à Tintin, Tananarive est l’histoire d’un homme qui a parcouru le monde dans sa tête sans bouger de chez lui. On croit que Joseph est le pivot de l’aventure. C’est faux. C’est bel est bien en Amédée que réside tout l’intérêt de l’intrigue.

 

Sylvain Vallée est l’un des meilleurs dessinateurs de sa génération. Après deux séries indispensables, Il était une fois en France et Katanga, il revient pour un one shot qui s’inscrit dans la short list des meilleurs albums de l’année.

 

Rarement un album parvient à balayer un tel panel de sentiments et d’émotions. Digne des meilleures comédies dramatiques dans lesquelles on prend autant de plaisir à rire qu’à pleurer, Tananarive nous cueille au plus profond du cœur.

 

 

One Shot : Tananarive

Genre : Emotion 

Scénario : Mark Eacersall 

Dessins : Sylvain Vallée

Couleurs : Delf

Éditeur : Glénat

Collection : 1001 feuilles 

Nombre de pages : 88

Prix : 19,50 €

ISBN : 9782344038390

© Vallée, Eacersall, Delf - Glénat

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Le peintre mène la danse.

Degas, la danse de la solitude

 

                Samedi 29 septembre 1917, cimetière de Montmartre. Mary Cassatt se recueille sur la tombe d’Edgar Degas. Machiste, antidreyfusard, antisémite, le solitaire intransigeant a passé sa vie à peindre des danseuses, des blanchisseuses et des prostituées. Il ne s’est jamais marié. On ne lui a jamais connu d’aventure. Il était arrogant, insolent et désagréable. Pourtant, Mary Cassatt, peintre américaine, a, non pas partagé sa vie, mais l’a côtoyé de très près. Elle retrace sa carrière avec objectivité et émotion. Comme le lui a conseillé Ingres, Degas s’est consacré corps et âme à la peinture. Il a vécu pour sa peinture, en a fait sa maîtresse, sa fiancée, son épouse.

 

                Par le truchement de la peintre Mary Cassatt, Rubio raconte la vie d’Edgar Degas. On le découvre lycéen et on suit toute sa carrière, son accession à la gloire, ses derniers jours. Le scénariste a effectué un pointilleux travail d’historien pour coller au plus près à la réalité. Sans concession, sans flagornerie, il présente l’homme qu’il était, aigri, capable d’aimer mais pas d’être amant ni aimant. En postface, Salva Rubio revient sur la façon dont il a construit sa biographie, comment il a mené son enquête.

 

Ricard Efa transcende le scénario de Salva Rubio en fondant son graphisme dans le style de Degas, si bien que l’on ne sait pas parfois s’il s’agit de cases dessinées par l’auteur ou de fragments de toiles. Le dessinateur espagnol invite au voyage dans des décors lumineux, des coulisses de l’opéra à l’atelier du peintre, en passant par les expositions de refusés et les salons où cause le Tout Paris de l’époque. Tout en couleurs directes, chaque case est soignée dans les moindres détails. Les personnages respirent par leurs regards. Il n’y a qu’à voir la scène dans laquelle Degas se rend dans un lieu interlope masqué pour s’en rendre compte.

 

                Pour prolonger l’aventure, mêlant danse et dessin, un court-métrage réalisé en 2019 par Arnaud des Pallières, avec Michaël Lonsdale et Bastien Vivès (!) lève le voile sur la part d’ombre de l’artiste. On peut le voir en intégralité sur le net.

 

 

One Shot : Degas, la danse de la solitude

Genre : Biographie 

Scénario : Salva Rubio 

Dessins & Couleurs : Ricard Efa

Éditeur : Le Lombard

Collection : Contrechamp 

Nombre de pages : 88

Prix : 17,50 €

ISBN : 9791034731244

© Efa, Rubio – Le Lombard

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Le jour le plus noir de l’histoire judiciaire de la Corée.

Un matin de ce printemps-là

 

Ce matin de 1974, en partant au travail, Woo Hong-Seon ne se doutait pas qu’il ne rentrerait jamais chez lui. Comme sept autres coréens du Sud, il sera exécuté le 9 avril 1975 au terme de plusieurs mois d’emprisonnement et de tortures et après un procès mascarade. Les huit hommes étaient accusés d’espionnage au profit de la Corée du Nord. Ils ne se connaissaient pas. Tous étaient innocents. Le coup était monté par les services secrets afin de détourner l’opinion publique de la crise que traversait le régime politique de Park Chung-hee.

 

L’histoire des huit victimes impliquées dans l’incident du PRP, le parti révolutionnaire populaire, est racontée dans « Un matin de ce printemps là ». Dix chapitres. L’introduction est poignante. Un uppercut. C’est l’exécution. Le Capitaine Park, officier chargé des services religieux dans la prison est appelé pour accompagner les derniers instants des condamnés. Il ne pourra leur adresser le moindre mot. Il priera en silence. La prime de 300 000 wons qu’il recevra pour service particulier lui donnera un sentiment de culpabilité.

 

Le cœur du manhwa est consacré au parcours de chacune des huit victimes. L’auteur, Park Kun-Woong a recueilli les témoignages des témoins de l’époque et essentiellement les familles des victimes. Ils étaient professeur, journaliste, étudiant, petit chef d’entreprise,…  Pourquoi la sanction est-elle tombée sur ces hommes irréprochables ? Le gouvernement de Park Chung-Hee n’a pas d’autre but que de montrer son autorité au peuple.

 

L’auteur coréen Park Kun-Woong écrit une œuvre majeure de sa carrière. Alors qu’en Occident, on ne connaît qu’Hitler, Mussolini, Staline et quelques autres, le chef d’Etat de Corée du Sud des années 70 ne vaut pas mieux que ces Vlad Tepes. Entouré d’un gouvernement complice, Chung-hee s’est imposé comme un dictateur impitoyable.

C’est vraiment sur la vie intime de chacune des victimes et de leurs familles que se concentre le livre. Le lecteur vit et vibre aux travers des femmes et des enfants qui se battent et espèrent le retour de leurs maris et de leurs pères. Kun-Woong reste dans une sobriété graphique poignante. Les personnages n’ont pas de visage, sauf le Président Chung-hee, comme si l’auteur disait : ces victimes, c’est eux, c’est vous, c’est moi, c’est n’importe qui, mais lui, le coupable, c’est lui, regardez-le, rappelez-vous en pour que l’Histoire ne se répète pas.

Chaque fin de chapitre est d’une poésie indescriptible. Il ne faut pas avoir de cœur pour ne pas avoir de larmes. Il y a des livres qui racontent, il y a des livres qui expliquent, il y a aussi des livres qui font tout ça en étant en même temps des œuvres d’art.

On passera sur le titre, sublime lui aussi. La maquette, magnifique. Un matin de ce printemps-là va sans nul doute faire parler de lui fin janvier lors d’un certain festival.

 

Le 9 avril 1975, à l’aube, dix-huit heures après avoir été condamnés à mort, huit hommes innocents sont exécutés dans la prison centrale de Séoul. L’art est un rempart à la dictature. A l’instar de Maus, Un matin de ce printemps-là est de ces œuvres mémorielles indispensables à la marche du monde.

 

 

One shot : Un matin de ce printemps-là 

Genre : Témoignage historique

Scénario & Dessins : Park Kun-Woong

Éditeur : Rue de l’échiquier

Nombre de pages : 390 

Prix : 29,90 €

ISBN : 9782374252957

© Park Kun-Woong - Rue de l’échiquier

 

 

 

 

 

 

 


 

Sous La guerre des mondes.

A fake story

 

30 octobre 1938, en pleine nuit, une voiture freine brusquement alors qu’un jeune homme ensanglanté, avec un masque à gaz sur le visage et armé d’un pistolet, s’écroule au beau milieu d’une route de campagne. Son sauveur le mène à l’hôpital. Son père se serait suicidé après avoir tué sa mère et lui avoir tiré dessus. A priori, ce serait pour leur éviter d’être massacrés par les Martiens qui débarquent sur Terre. C’est tout du moins ce qu’a annoncé Orson Welles sur les ondes de la CBS. Qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est faux dans tout cela ? La lecture de La guerre des mondes d’H.G. Wells à la radio a provoqué une panique générale, c’est certain. Les circonstances de la tuerie familiale, ça, c’est moins évident à définir.

 

Laurent Galandon adapte le roman de Douglas Burroughs. La célèbre émission de radio d’Orson Welles n’est que l’élément déclencheur de dommages collatéraux qui sont au cœur du récit. Evidemment, les causes de la mort de Joan et Robert Oates sont plus complexes qu’en apparence. Ornella Yates, la jeune amie de Ted, le fils Oates, est-elle impliquée de près ou de loin dans la tuerie. Dans une mise en abime, le romancier Burroughs mène l’enquête sur la voix d’Ella Fitzgerald. A fake story pourrait être racontée dans une saison de True Detective.

 

Après Mentawaï, Jean-Denis Pendanx quitte la jungle amazonienne pour celle plus urbaine des alentours de Grovers Mill. Et quand certains appelait les indigènes de la jungle des sauvages, ils auraient mieux fait de regarder leurs congénères car l’adjectif leur convenait mieux. Pendanx est un dessinateur d’ambiances. Ses couleurs directes très années 30 dépeignent parfaitement les ambiances glauques liées aux Oates et les recherches diurnes de Burroughs.

 

Dans tout ça, qu’est-ce qui est l’histoire fausse ? Celle racontée par Welles ? Celle racontée par Ted pour protéger quelqu’un ? Celle qui racontait la panique déclenchée par Welles et qui n’aurait au final pas été si importante que cela ? A fake story montre en tout cas que la presse, la radio, puis plus tard la télévision et internet, sont d’une puissance dangereuse et que toute information est à prendre avec sa part de subjectivité.

 

A fake story raconte une histoire de l’Amérique profonde, un épisode de racisme ordinaire, comme il y en a eu tant, comme il y en a encore trop. A fake story, c’est aussi l’histoire de la montée en puissance du quatrième pouvoir, celui des medias, toujours prêts à s’emparer des real ou des fake news pour en faire des stories.

 

 

One shot : A fake story 

Genre : Polar 

Dessins & Couleurs : Jean-Denis Pendanx 

Scénario : Laurent Galandon 

D’après : Douglas Burroughs 

Éditeur : Futuropolis

Nombre de pages : 96 

Prix : 17 €

ISBN : 9782754828833

© Pendanx, Galandon – Futuropolis

 

 

 

 

 

Laurent Lafourcade

 

 

 

© Franquin - Dupuis



Publié le 15/12/2021.


Source : Bd-best

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