Alcante et Xavier Besse sur Laowai : Nous nous sommes imposé de rester réalistes, notre héros ne devait pas inverser le cours de la guerre de l’opium
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Alcante et Xavier Besse sur Laowai :  Nous nous sommes imposé de rester réalistes, notre héros ne devait pas inverser le cours de la guerre de l’opium

Une épopée dans une page de l’Histoire et des relations internationales très méconnue. C’est ce que nous propose le fantastique trio que forment Laurent-Frédéric Bollée, Alcante (qui ne s’arrête pas entre Dark Museum et Starfuckers) et Xavier Besse avec Laowai. Ou comment un soldat français va se retrouver en pleine guerre de l’opium entre trois empires qui s’affrontent. Cela valait bien une interview avec Alcante et Xavier Besse sur les terres pacifiques de la Foire du Livre de Bruxelles mais toujours sous l’oeil du dragon.

 

 

 

 

 

 

 

© Bollée/Alcante/Besse chez Glénat

 

Bonjour à tous les deux. Xavier, vous êtes un jeune auteur de BD, finalement. Amour de jeunesse, ça ne fait pas si longtemps que vous y êtes revenu?

Xavier : C’est vrai, il n’y a pas si longtemps, je travaillais au Musée des arts asiatiques Guimet, j’étais spécialiste de la porcelaine et de la céramique. Ce qui est assez troublant, c’est que certaines pièces venaient directement du Palais d’été de Pékin, l’un des hauts-lieux de la guerre de l’Opium. Esthétiquement, j’ai donc retrouvé ce monde tout en renouant avec le Neuvième art dont j’avais pris mes distances, à mon grand regret. En fait, on peut dire que je suis un jeune auteur, j’ai commencé la BD en 2010, à 39 ans. Il faut dire qu’à 25 ans, j’avais l’impression que l’aboutissement de ma vie serait de faire un livre sur la céramique et que je devrais me battra pendant très longtemps pour ce faire. Résultat, à 33 ans, je publiais ce livre. Plus tôt que prévu. Je n’avais plus de but et je trouvais que j’avais fait le tour. Et la bande dessinée m’est revenue en pleine poire alors que je n’avais plus fait ça depuis dix ans. C’est Jean-David Morvan qui m’a remis sur les rails. Il m’a coaché en quelque sorte, il trouvait mon travail nul au début, il me faisait recommencer.  Et, au final, ça a payé.

 

 

 

 

Une des premières recherches d’ambiance © Xavier Besse

 

Lao Wai me permettait de pas mal combler mes envies graphiques : des paysages, la ville mais aussi ces pontons en bois dans tous les sens, en pouvant garder une certaine liberté par rapport au scénario de Didier qui était complet et détaillé mais où rien n’était fixe. Si ça marche, tant mieux.

Quelle est la genèse de cet album, alors?

Alcante : Je nourrissais cette envie de Chine, depuis quelques années, déjà. L’étincelle était venue lors d’un voyage en Chine en 2011, à Pékin, Hong Kong… Si j’étais naturellement attiré par cette culture, c’était la première fois que je m’y rendais, invité avec ma femme par une de ses amies. Une fois qu’on y met les pieds, on sent assez vite son Histoire, la force d’un empire millénaire qui redevient une force économique ultra-moderne et n’a plus vraiment besoin d’aides au développement.

 

 

 

 

© Bollée/Alcante/Besse chez Glénat

 

Mon intérêt pour l’histoire m’a amené dans pas mal de musées qui réservaient souvent une section à la guerre de l’opium. Une guerre que je ne connaissais pas tant elle est restée en travers de la gorge des Européens : les Anglais mais aussi les Français. Ceux-là qui bombarderont Pékin et iront jusqu’à dégrader ce que l’on peut appeler le Versailles chinois. Dans ce récit, il y avait de la tension, de la passion, des guerres totalement méconnues de par les raisons peu glorieuses qui les ont menées. Les Anglais se sont comportés comme des véritables narcotrafiquants.

Une fois de retour, j’en ai parlé à Laurent-Frédéric Bollée qui est incollable sur pas mal de sujet. Même lui n’avait jamais entendu parler de cette période de l’histoire pas si lointaine, dans les années 1860, et prenant pourtant place dans un décor phénoménal. Nous sommes allés vers Glénat, l’éditeur historique par excellence et ils ont commencé à chercher un dessinateur d’origine chinoise.

 

 

 

 

© Xavier Besse

 

Pas vraiment le type de Xavier !

Alcante : C’est vrai, Glénat avait dans l’idée qu’un dessinateur originaire de Chine manierait plus facilement les ambiances et les idéogrammes. Je n’étais pas très chaud parce que cela signifierait qu’il faudrait communiquer via un traducteur et un malentendu est si vite arrivé. Alors, j’ai imposé une condition, que le dessinateur parle un minimum d’anglais…

Xavier : … ce que je fais pas trop mal. (rires). On ne se connaissait pas. Bien sûr j’avais lu le XIII Mistery de Didier et le Deadline de Laurent-Frédéric, mais ça s’arrêtait là. Et c’est Jean-David Morvan, encore lui !, qui a suggéré mon nom. J’ai soumis quelques dessins à l’éditeur et à Didier et l’aventure a pu commencer : j’ai reçu une réponse de Didier dans l’heure, il était dithyrambique. C’était un moment un peu magique. Et dès que j’ai lu le scénario, j’ai eu plein d’images en tête.

 

 

 

 

© Bollée/Alcante/Besse chez Glénat

 

Comment avez-vous travaillé ensemble ?

Xavier : J’ai repris le découpage sur certains points, Didier et Laurent-Frédéric n’étaient pas contre du tout. Je pense que j’ai bien réussi le personnage du sergent Marais, sinon… Je l’avais déjà dessiné quelques fois quand j’ai trouvé le visage qu’il lui fallait. Dans une case, je lui fais faire une grimace, et c’est ce visage que je voulais…


Alcante : Du coup, j’ai envie qu’il apparaisse dans plus de scènes, ce sergent ! De mon côté, je ne m’estime pas être un très bon dialoguiste mais je lui ai mitonné un de ces dialogues. Xavier est très fort et il progresse encore.

Xavier : Les intérieurs, je ne sais pas trop les faire.

Alcante (qui n’en revient pas) : Arrête, tu les fais super bien. Le volet. La scène où le vieux se suicide.

Xavier : C’est le tapis qui donne cet effet.

Alcante : Puis, il y a le lustre…

Xavier : C’est un lustre hollandais, ils en avaient partout, là-bas, à l’époque.

Alcante : Au final, c’est beaucoup de travail, mais ça ne se sent pas. Xavier a un réalisme et un niveau de détails qui nous plonge directement dans l’histoire, dans l’époque qu’il fait revivre. C’est un voyage dans le temps et géographique. Après coup, on peut caler trente minutes sur une case.

 

 

 

 

© Bollée/Alcante/Besse chez Glénat

 

Alors, l’histoire commence doucement, nous ne sommes pas encore en Chine, ce n’est pas encore la guerre.

Alcante : Oui, en général, c’est comme ça. On se prépare doucement, il y a des tractations, c’est l’incertitude. Mais dans le tome 2, ça va vraiment bien éclater. L’idée est de plonger ce jeune Français, François Montagne. Un soldat d’infanterie parti de Toulon (une infanterie qui a réellement existé, on en a retrouvé un carnet de bord) qu’il fallait rendre vivant et de manière à ce que le lecteur s’y attache. C’est un soldat qui n’obéit pas aveuglément aux ordres, un  gars bien quoi, sur un champ de bataille que vont se disputer trois empires. Comment va-t-il s’en sortir ? Comment va-t-il s’arranger avec sa conscience alors que tout le pousse ailleurs ? Son visage sur la couverture, c’est pile-poil ce qu’il fallait. On devine son courage, qu’il est costaud mais aussi indigné et scandalisé.


Xavier : Pour le coup, il y a eu beaucoup d’allers-retours sur l’expression à lui donner.

Alcante : On part d’un brouillon mais tant que le dessin n’est pas finalisé, on ne voit pas comment il va se concrétiser. Il faut rendre l’expression au bout du dessin.

Comment l’avez-vous créé ce personnage. Je me disais qu’il avait un petit quelque chose de Clint Eastwood ?

Alcante : On nous l’a dit aussi mais en écrivant ce scénario, j’ai pensé à un autre acteur. J’ai envoyé sa photo à Xavier au moment de commencer l’histoire. C’était…

Xavier : Alex Pettyfer, le gars dont je m’inspirais pour mon histoire… précédente. Comme quoi !

 

 

 

 

© Bollée/Alcante/Besse chez Glénat



 

Vous avez rencontré des difficultés ?

Xavier : La principale fut de restituer le Shanghai de 1860. Il n’existe aucune photo, aucune documentation le montrant. Pour plus tard, 1890, oui, mais ça n’a plus rien à voir. J’ai eu vraiment du mal à trouver de la documentation.

Puis, dans la partie française, il y a la séquence de montagne, en haut d’un piton rocheux. Les soldats sont à l’entrainement et doivent émerger d’un parcours dangereux, une sorte de via ferrata de tous les dangers. Imaginer ce parcours, ça m’a bien pris quinze jours.

 

 

 

 

© Bollée/Alcante/Besse chez Glénat

 

Alcante : On a souffert de la limite des 46 planches. Il manquait deux planches.

Xavier : On aurait dû les demander ! Du coup, j’ai dû mettre neuf cases en une seule planche. Ça fait beaucoup et c’est un travail de dingue.



Et au niveau des couleurs ?

Xavier : La technique est simple, je fais mes couleurs avec des encres aquarelle. Je les fais sur des pages imprimées en haute définition pour récupérer tous les détails de l’encrage original. De fait c’est de la quasi-couleur directe. Ensuite je scanne, et je nettoie. J’ajuste aussi quelques éclairages et certains contrastes et voilà…

Sur combien de tomes s’étendra cette histoire ?

Alcante : Trois et… demi. (rires). On a pensé à le faire sur quatre mais l’attente aurait été trop longue. Du coup, le troisième sera un gros album et conclura le premier cycle.

 

 

 

 

© Bollée/Alcante/Besse chez Glénat

 

Le deuxième tome ?

Alcante : La pression va augmenter. Le sergent veut faire la peau à François. On voulait le faire déserter, mais on s’est rendu compte que ça n’aurait pas été réaliste. Puis, concernant ces empires qui s’affrontent, on ne voulait pas faire de camps. Ils devaient être ni bons ni méchants. Car les motivations des Anglais ou des Français ne sont pas nobles, mais les Chinois ne sont pas pour autant des victimes. Encore moins sous la gouverne d’un empereur cinglé, obsédé sexuel et opiomane. La guerre va se décider par un empereur planqué.

La première version de l’histoire se rapprochait d’un Danse avec les loups ou d’un Avatar qui se serait passé en Chine. Mais François ne passera pas d’un camp à l’autre. Nous nous sommes imposé de rester réaliste, de voir comment notre héros va se comporter tout en sachant qu’il n’inverserait pas le cours de la guerre.

 

Propos recueillis par Alexis Seny



Publié le 04/04/2017.


Source : Bd-best

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