Avant de reprendre le Transperceneige pour un prequel (!), Jean-Marc Rochette un peu plus au sommet : « Aujourd’hui, je m’accepte comme je suis, le cinéma m’a donné un éclairage sur mon art »
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Avant de reprendre le Transperceneige pour un prequel (!), Jean-Marc Rochette un peu plus au sommet : « Aujourd’hui, je m’accepte comme je suis, le cinéma m’a donné un éclairage sur mon art »

Avec Ailefroide, c’est un grand coup de piolet, de longue haleine, que nous livre un Jean-Marc Rochette au sommet de sa forme et de son talent (enfin, bon, chaque fois, en escaladeur chevronné, il repousse ses limites graphiques, vous savez). Plongeant dans ses aventures d’ado, quand il apprenait à toucher le ciel avec un matériel de fortune mais une idée en tête qui germait et allait bientôt être aussi grande qu’une montagne; Jean-Marc Rochette (en compagnie d’Olivier Bocquet, en renfort scénaristique) nous fait découvrir la montagne comme jamais, avec un angle personnel, des notices professionnelles mais, surtout, un rendu et un propos universel qui vient nous chercher, qu’on ait la tête dans les nuages ou qu’on soit pris de vertige dès que nos pieds ne touchent plus le plancher des vaches. Un caillou a eu raison de son rêve de devenir guide de montagne. Pourtant, quarante ans plus tard, il l’est devenu. Par la force d’un Neuvième Art qui ne lui a pas brûlé ses ailes montagnardes. Passionnant de bout en bout, de bas en haut, tout en haut.

 

 

 

 

 

 

© Bocquet/Rochette chez Casterman

 

Bonjour Jean-Marc, j’ai l’impression que cette fois, même si c’est à retardement, vous l’êtes devenu ce guide de montagne que vous rêviez d’être ado?

Jean-Marc Rochette : C’est vrai, c’est un peu ça. Il y a même des sites spécialisés en montagne qui me demandent de leur dresser la liste de course du matériel idéal pour s’attaquer à une ascension.

Votre première ascension, elle date d’il y a quelques décennies. Comment se fait-il que vous l’ayez fait resurgir aujourd’hui ?

J’avais enterré, ça, c’est vrai. C’était une autre vie même si je suis resté extrêmement passionné par la montagne. Une fois, j’en ai parlé à mon éditrice et elle a été assez emballée. Mais, pour réaliser cet album, je devais trouver un axe qui aille vers le public, élargir le passage et dépasser le propos du simple spécialiste.

 

 

 

 

© Bocquet/Rochette chez Casterman

 

Vous avez cherché longtemps ?

Non, c’est venu assez vite, c’était ma vie, je n’avais rien à inventer. J’ai regroupé certaines scènes pour plus de cohésion. Mon éditrice m’a aussi fait des remarques face à ce que j’avais imaginé être un personnage de Mark Twain en liberté, seul ou presque dans la montagne. Elle n’avait pas tort, je devais parvenir à mettre en relation mon personnage. Au lycée, avec mes amis de l’époque et avec ma famille et, surtout, ma mère qui m’a élevé seul après la mort de mon père durant la guerre d’Algérie.

 

 

 

 

© Bocquet/Rochette chez Casterman

 

Avec l’intervention d’Olivier Bocquet, avec qui vous aviez travaillé sur le Terminus du Transperceneige.

Oui, même si j’ai beaucoup écrit, objectivement. Il m’a amené la distance, la fluidité du discours tout en évitant de se nombriliser. On y a gagné en temps !

Puis, dans l’histoire des oeuvres culturelles, travailler en coscénaristes, c’est important. Regardez Kubrick. Cela dit, je remarque que là où c’est presque une constante dans le cinéma, la BD associe moins deux co-scénaristes ou plus sur un même projet. Moi, je trouve que ça permet de discuter, de s’améliorer.

 

 

 

 

© Bocquet/Rochette

 

 

 

 

© Bocquet/Rochette chez Casterman

 

Cela dit, Olivier  est venu en technicien du scénario. La montagne, il n’y connait rien, je ne sais même pas s’il y a déjà été. C’était son regard de candide qui m’intéressait. Il m’a aussi permis de tout tester, de me rendre compte que si ça fonctionnait sur lui, ça pouvait fonctionner sur tout le monde.

Autre regard, le vôtre sur la peinture. C’est la première chose qu’on voit dans cet album, avant même la montagne.

J’ai d’abord été attiré par la peinture avant la BD. Pour sa dramaturgie, son mystère… Après, je n’ai pas fait de peinture, car il n’y avait plus de maître sur lequel prendre exemple. C’est un monde curieux.

 

 

 

 

© Bocquet/Rochette chez Casterman

 

Mais aujourd’hui, dans votre BD, ne faites-vous pas plus de peinture qu’avant ? Votre trait n’est-il pas hybride ?

C’est vrai que je fais pas mal de peintures de paysage, puis j’utilise de portraits. Après, je reste assez loin de la peinture, finalement. Pour tout vous dire, je rêve de me retrouver un jour dans l’atelier de Goya et Poe qui se seraient unis pour faire une bande dessinée. Je ne sais pas ce que ça aurait donné mais ça aurait mis tout le monde d’accord. Je n’ai pas suffisamment de recul sur ce que je fais que pour savoir s’il est acceptable de me ranger parmi les peintres-dessinateurs.

 

 

 

 

© Bocquet/Rochette chez Casterman

 

Quoi qu’il en soit, l’ascension de cet album vers le lecteur a été fulgurante.

C’est très émouvant d’apprendre qu’au bout de deux semaines, l’ouvrage part en réédition, qu’il a trouvé les mains de personnes qui ne sont même pas de ma région, qui ne la connaissent pas.

Après, je pense que je suis parvenu à la rendre universelle, cette histoire. Mon ami Tardi, qui n’a rien à voir avec la montagne, m’a avoué avoir eu le vertige, s’être senti comme un enfant alors que c’est un géant. À ce moment, je me suis dit que j’avais marqué un point. Que j’avais réussi à faire passer ce sentiment d’immersion.

 

 

 

 

© Bocquet/Rochette

 

Un sentiment qui atteint son paroxysme lorsque tombe la pierre qui va changer votre vie et vous défigurer. Trois cases qui font basculer un jeune homme et ses projets.

Je voulais qu’on voit l’accident de loin, que ce ne soit pas frontal, que de l’alpiniste on ne distingue rien qu’une silhouette. Et une pierre qui se décroche, qui dégringole et vient s’exploser sur ma figure. J’ai laissé passer le temps, les planches avant de montrer le visage défiguré au lecteur.

 

 

 

 

© Bocquet/Rochette chez Casterman

 

Ça passe d’abord par le regard avec, dedans, quelque chose d’un animal en souffrance. Ce n’est pas un hasard, je me suis inspiré d’une photo d’un chat qui avait eu le bas de la tête explosé. Après, je voulais me dégager du pathos, évoquer cette douleur, ce choc de manière artistique, durant la traversée jusqu’à l’hôpital… et, avant ça, l’embouteillage. Là, je n’ai pas eu d’autre choix que celui de sortir de la voiture et de montrer mon visage, de montrer l’urgence pour que les automobilistes nous laissent passer.

Que de frissons pendant cette séquence !

Je me suis interrogé sur comment rendre tout ça, sans cacher les choses. Je me suis retrouvé parfois sur le fil du rasoir lors de mes ascensions en montagne. Cette séquence qui va changer ma vie, elle arrive après un premier accident dans le couloir. Un accident après lequel le lecteur peut souffler, se dire que le pire est passé. Ouf, ça va aller mieux… Et là, boum, c’est le deuxième accident, qui vous saisit par surprise.

 

 

 

 

© Bocquet/Rochette

 

Pour un gars du plat pays qui est le mien, mais certainement pour d’autres qui ne se sont pas aventurés bien haut, une montagne, c’est une montagne. Qu’est-ce qui fait votre amour des Écrins, le principal décor de cette aventure, au final ?

C’est une histoire d’amour. Bien sûr, je suis monté dans d’autres régions, au Mali, à Chamonix, je n’ai jamais retrouvé le rapport au massif qui était les miens. Certains disent que c’est érotique. Il y a une texture. C’est une femme à laquelle on a aucune envie d’être infidèle (il sourit).

Mais, finalement, vous gardez cet amour pour la montagne malgré tout ce qu’elle vous a pris : une partie de votre visage, pas mal d’amis…

Oui, mais les choses graves ne se sont pas passées dans les Écrins. Dans le Vercors, par exemple. Dans l’Oisans, s’il y a eu des chutes de pierres, des orages, je n’ai jamais craint pour ma vie ou celle d’un compagnon de cordée. C’était sans conséquence véritable.

 

 

 

 

© Bocquet/Rochette

 

Saviez-vous en commençant que votre histoire ferait 280 planches ? Ce caillou dont on parlait est devenu un pavé !

Non, j’avais signé, et été payé pour 150 planches. Pour tout dire, j’ai coupé des séquences. Des histoires, j’en avais plein à raconter. Celle d’un copain qui voulait devenir prêtre. Mes ascensions au Mali. Mais c’était hors propos, ça ne tenait pas avec le fil narratif.

Une autre fois, peut-être ! Le fait que votre Transperceneige ait été adapté en film a-t-il changé votre regard sur votre art et ses capacités ?

D’un coup, la bande dessinée underground qu’était Le Transperceneige est devenue mainstream. J’ai pris confiance en ce que j’étais, de ce que la montagne cachait par rapport à moi qui me sentais un peu ridicule. Aujourd’hui, je m’accepte comme je suis, le cinéma m’a donné un éclairage sur mon art. Je peins, je fais de la sculpture. Ça rejoint la métaphore de l’arbre dans la canopée. Il peut rester des années à vivoter dans l’ombre, face à d’autres arbres bien plus grands. Puis, un jour, il va trouver la lumière, vite pousser et devenir luxuriant. Moi, à l’heure où d’autres se voient vieillissant, j’ai l’impression d’avoir acquis une maturité, une certaine jeunesse, à 60 ans. C’est sans doute grâce au film, donc, qui m’a ouvert les yeux sur ça et ce dont j’étais capable.

À l’écran, l’aventure du Transperceneige n’est pas finie, la série se prépare.

Oui, là aussi, ça peut être quelque chose de grand, nous faire franchir un cap supérieur. Bon, pour le même coup, ça sera un flop, un coup dans l’eau. Toujours est-il que j’ai rencontré quelqu’un qui avait vu un trailer et apparemment ça donnait bien. Moi, je suis dans l’attente. Tout ça me paraît bien mystérieux. Pour les éléments tangibles, c’est le scénariste-créateur d’Orphan Black, Graeme Manson, qui est à la tête du projet avec Jennifer Connely au casting (ndlr. et, notamment, Scott Derrickson, le réalisateur de Doctor Strange, à la réalisation). Ça a été commandé par la TNT, quand même, la Warner Bros est derrière. Après, je ne toucherai aucun droit mais il y a autre chose, comme le rayonnement de la série BD. En matière de séries BD franco-belge, outre Tintin, il ne doit pas y en avoir énormément qui ont atteint un succès mondial tel que Le Transperceneige.

 

 

 

 

© Lob/Rochette chez Casterman

 

Puis, s’il y a la série, Le Transperceneige en BD… ce n’est pas fini. C’est un scoop. Je travaille à un prequel avec Matz. Nous n’avons pas de titre, pour le moment, mais nous avions pensé à « Extinction ». Le but est de voir ce qui a mené à la catastrophe, le déclic qui a fait plonger la civilisation dans la barbarie.

 

 

 

 

© Rochette

 

C’est super-intéressant, le tout avec un scénario choral. Matz est très fort là-dedans. Nous serons sur un format plus court que Terminus, un format comme le Bug d’Enki Bilal. L’idée est d’y aller graduellement. Une exposition aura lieu en juin 2019. Pour le moment, j’ai trente planches. Mais avec la sortie d’Ailefroide, la promotion, les dédicaces, j’ai arrêté d’avancer, je bloque. J’ai besoin de calme, de rester dans mon histoire…

… qu’on a donc fort hâte de découvrir. Merci pour cette échappée en hauteur.

 

 

Propos recueillis par Alexis Seny

 

Titre : Ailefroide

Sous-titre : Altitude 3954

Récit complet

Scénario : Olivier Bocquet et Jean-Marc Rochette

Dessin et couleurs: Jean-Marc Rochette

Genre : Autobiographie, Drame, Aventure

Éditeur : Casterman

Nbre de pages : 296

Prix : 28€



Publié le 17/04/2018.


Source : Bd-best

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