Barly Baruti : « Si à la fin de la lecture le lecteur finit par oublier « le singe jaune », on aura gagné le pari ! »
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Barly Baruti : « Si à la fin de la lecture le lecteur finit par oublier « le singe jaune », on aura gagné le pari ! »

Avec son nouvel album, Barly Baruti nous plonge dans une jungle, pas forcément à l’abri de la noirceur des hommes mais à la recherche d’un singe incroyable. L’occasion de croiser en chemin des sujets bien plus brûlants que la quête assignée. Dans la jungle humaine qu’est la Foire du Livre de Bruxelles, nous avons croisé Barly pour un échange passionnant.

 

 

 

 

 

 

 

 

Barly Baruti (Photo © Jean-Jacques Procureur)

 

Bonjour Barly. Vous nous revenez avec Le Singe Jaune, mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

C’est vrai, ça aurait pu être un cheval rose (il rit). En fait, il fallait pour faire exister cette histoire, trouver quelque chose qui ne soit pas ordinaire pour susciter l’intérêt. Si j’avais annoncé des thèmes comme le métissage ou tous les problèmes abordés dans ce roman, on m’aurait rétorqué : « C’est ton problème! » Mais si j’intrigue le lecteur, que je lui propose une quête, il va se dire: « Un singe jaune, mais qu’est-ce que c’est que ça ? » Et, à partir de ce moment-là, je peux le balader.

 

 

 

 

© Cassiau-Haurie/Baruti chez Glénat

 

Avec Christophe Cassiau-Haurie.

Mon compère ! En fait, j’avais écrit le scénario de A à Z. J’en ai parlé à Christophe et ça l’intéressait d’en développer certains angles. Le côté aventure, la forêt. Du coup, il s’est glissé à l’intérieur de mon histoire. On a partagé.

Tout en faisant évoluer une journaliste, Paulette Blackman, qui a des similarités avec une autre, existant réellement : Colette Braeckman.

Cette journaliste, c’est avant tout une manière de personnifier le lecteur, de l’amener dans mon chemin. Après, je voulais aussi faire ressortir cette ambigüité, la relation fusionnelle entre la RD Congo et son ancien colonisateur, par voie de presse. Et Colette Braeckman (la vraie !) symbolise bien cette situation. En fait, c’est un hommage que je lui rends. Humblement.

 

 

 

 

© Barly Baruti

 

Mais c’est une arnaque monumentale qui l’amène au Congo.

Une pirouette, le type va vite être démasqué. Mais, vous savez, je pourrais dire que moi aussi il m’a arnaqué. Mais, encore une fois, l’important n’est pas l’objet de la quête.

Cette journaliste, en partant en quête de ce singe jaune, ne passe-t-elle pas à côté de son/ses sujet(s)?

E tout cas, elle est surprise par le cours des événements. Son supérieur voulait qu’elle traite l’affaire du singe jaune de loin. Elle les a bien emmerdés en voulant partir en Afrique, sur le terrain. Et elle va finalement se retrouver plus proche de ses aspirations. Elle n’obtiendra pas le scoop initial mais il y a d’autres réalités qui vont finir par la toucher. Jusqu’à un choc qui va lui permettre de mesurer la profondeur de la plaie. Elle n’est plus journaliste, elle est plus « humaine », plus sensible aux réalités. Il y a une vraie rupture.

 

 

 

 

© Cassiau-Haurie/Baruti chez Glénat

 

Et cette obsession salutaire : raconter les choses « de l’intérieur ».

Une évidence ! Mais il faut y arriver. Il me faut un levier pour y entrer tout en permettant à qui me lit d’adhérer à la démarche. Et ce Singe Jaune va me permettre d’investir le terrain même si, à la fin, personne ne se demande où il a bien pu disparaître. Si à la fin de la lecture le lecteur finit par oublier « le singe jaune », on aura gagné le pari !

 

 

 

 

© Cassiau-Haurie/Baruti chez Glénat

 

Avec l’importance du devoir de mémoire !

Sous l’angle du rapport humain. Ce n’est pas de l’histoire, je ne suis pas historien. Mais je veux pouvoir le ressortir, ce rapport humain, par tous les moyens ! Tout en ne trahissant pas la vraie Histoire. L’Histoire avec un grand « H ».

Mais le sorcier veille.

C’est le gardien des traditions, il a un pouvoir, est mystique et ne semble pas avoir d’âge. Il est aveugle mais s’il ne voit pas, il sent les choses. Et lui il va amener les gens dans nos croyances. Pourquoi pas ? Il y en a bien qui s’éclate avec la science-fiction, non ? (rires !)

 

 

 

 

© Barly Baruti

 

 

 

 

© Cassiau-Haurie/Baruti chez Glénat

 

Et l’idée est de remettre un peu en perspective l’impact du rôle de la Belgique.

Il faut dire ce qui est. La Belgique a lâché le Congo pour mieux le contrôler. Retenez ce qu’avait dit le Général Janssens : Avant l’indépendance égal après l’indépendance. On l’a pris pour un fou mais ce qu’il s’est passé lui a donné raison. L’indépendance, c’était une façade, un subterfuge. Et dire qu’on a même dansé pour elle. « Indépendance Cha-Cha » ! Belle mélodie sur YouTube ! (Rires !)

En fait, je pense qu’on est en train de tourner en rond. C’est un peu le serpent qui se mord la queue, nous retournons sur nos pas, revenons sur notre passé avec l’obligation de l’affronter lui et nos démons.

 

 

 

 

© Cassiau-Haurie/Baruti

 

Belges et Congolais, on s’est loupés, pris en otage par les appétits gloutons des politiques des deux bords. Et ça continue ! Heureusement qu’il y a la BD…

Dans la fine équipe, vous nous faites rencontrer Anaclet, un personnage complètement perdu.

Complètement perdu, c’est le mot. Il cherche son père et il ne cesse de rater les rendez-vous. C’est bête, hein, son père aurait eu un portable, il aurait su répondre directement. Sauf qu’il est resté très colonial et qu’il a gardé un téléphone d’époque. Du coup, il arrive en retard pour décrocher. Entre sa cuite et le téléphone, il a été trop lent.

 

 

 

 

© Cassiau-Haurie/Baruti

 

On n’a jamais vraiment été au fond des choses en parlant du métissage. Ce n’est pas qu’une question de couleur de peau, on peut parler du métissage culturel. Anaclet, lui, est perdu, c’est comme si on touillait sa blessure qu’on lui ramenait son histoire. Et quand le sorcier lui dit: « ah, tu es revenu », il ne sait pas vraiment d’où il vient

C’est un ouvrage finalement très dense que vous nous proposez, empli de thèmes et de questions.

Et, en même temps, je laisse au lecteur le soin de deviner l’épaisseur des choses. Je passe à côté de certaines de celles-ci. Et j’ose croire que si le lecteur lit ça comme il faut, il ira sur le net. Toutes proportions gardées, je fais ça un peu à la manière des lanceurs d’alerte. (rires)

 

 

 

 

© Cassiau-Haurie/Baruti chez Glénat

 

Au niveau de la représentation de cette jungle dans laquelle vos personnages s’engouffrent, comment vous y êtes vous pris ?

Je connais le Bas-Congo mais je ne me suis jamais promené à l’intérieur. Mais je connais une autre région, similaire… J’ai passé deux ans de ma scolarité en internat à Lokutu (ex Elisabetha, pour les nostalgiques !), en pleine forêt, pas loin de Kisangani (Stanleyville, ma ville natale). Tout se faisait en forêt, se nourrir, les flirts, etc. Ces souvenirs sont ma documentation. Je connais l’odeur, le danger, la lumière de la forêt, la douce musique de la flore et sa faune…

 

 

 

 

© Cassiau-Haurie/Baruti chez Glénat

 

J’ai pris autant de plaisir à travailler la ville de Bruxelles, que j’aime beaucoup, que la forêt.

Est-ce vrai qu’on a toujours l’impression d’être épié ?

(Il rit) C’est pour amplifier la parano de la journaliste. Si je me sentais épié, ça ne m’a pas marqué. Ceci dit, on est toujours épié dans une forêt. Il y a tellement des vies invisibles qui te guettent : tu es chez eux, dans leurs zones !

 

 

 

 

© Cassiau-Haurie/Baruti chez Glénat

 

Vous parliez de lumière mais j’ai l’impression que l’ombre de Frank Pé plane aussi sur votre album, non ?

Je ne le remercierai jamais assez. C’est un ami et, grâce à lui, je pense que je dessinerai jamais plus les animaux de la même manière. Il m’a fait comprendre non seulement comment animer les animaux mais aussi leur donner une âme. À les voir vivants même quand ils ne bougent pas.

 

 

 

 

© Cassiau-Haurie/Baruti chez Glénat

 

Si on reste près des animaux, vous adressez aussi une pensée pour une personne bien particulière, Tim…

Je ne le connaissais pas. C’est en surfant sur le site de l’ICCN, l’institut congolais de conservation de la nature que je suis tombé sur cette « breaking news » commémorant la mort d’un ranger abattu alors qu’il gardait un parc. Ça m’a vraiment touché. Avant, les braconniers avaient peur de ces gardiens de la forêt. Aujourd’hui, c’est le contraire, ils ont du matos, ils sont presque aussi équipés que des groupes armés (on subodore le financement des multinationaux, quelque part…). Face à ça, les rangers sont des poids plume.

 

 

 

 

© Cassiau-Haurie/Baruti chez Glénat

 

Sur ce petit monde, vous faites tomber une belle nuit, à plusieurs reprises dans cet album.

Avec Christophe, nous avions convenu de faire vivre cette aventure au jour le jour, mais de nuit aussi, en temps réel. Et parfois, en faisant l’impasse sur le texte, parce que les images suffisent.

 

 

 

 

© Cassiau-Haurie/Baruti chez Glénat

 

J’ai vu aussi sur votre mur Facebook, une sélection de couvertures non-retenues.


Mais qu’est-ce qui peut-être assez fort ? C’est toujours la question. Du coup, Thierry Bellefroid a bien voulu s’amuser avec moi pour choisir la couverture finale. On s’y est mis toute une après-midi. Il y a toujours plus dans deux têtes que dans une, non ? Et Thierry avait le recul suffisant pour m’aider à faire mon choix. Moi, j’achète des albums, c’est important de faire une couverture qui me donnerait envie de l’acheter.

 

 

 

 

© Barly Baruti chez Glénat

 

Allez quittons un peu ces planches pour en rejoindre donc. Dites donc, il paraît que vous avez mis le feu lors de votre concert hier à la Foire du livre !

 

 

 

 

© Jean Goovaerts

 

Les concerts, la musique, c’est mon autre dada. Inviter les gens à danser, à garder la tête dans les nuages … et les pieds bien ancrés sur terre.

Et si vous deviez donner une B.O. à cet album ?

Si les lecteurs le peuvent, qu’ils écoutent de la rumba, Le Grand Kalle et l’African Jazz. Puis Papa Wemba! On était très lié, on a pas mal joué ensemble.

Quels sont vos projets, désormais ?

Rester dans les parages tant qu’on me supporte. J’ai tellement d’histoires, tellement de choses à raconter. À un moment, on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’on a laissé au monde. Après, j’apprends en même temps, mais pourquoi ne pas partager tout ? De toutes les façons, je crois qu’il faut être honnête avec le lecteur. On peut le promener, l’emmener totalement dans la fiction, mais en gardant l’essence originelle quand on touche à l’histoire d’un pays, d’un peuple… Il ne faut pas prendre le lecteur pour bête, sous prétexte de le divertir !

 

Propos recueuillis par Alexis Seny

 

Titre : Le singe jaune

Récit complet

Scénario :  Christophe Cassiau-Haurie et Barly Baruti

Dessin et couleurs : Barly Baruti

Genre : Aventure, Histoire, Drame

Éditeur : Glénat

Nbre de pages : 100

Prix : 22€



Publié le 09/03/2018.


Source : Bd-best

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