« - ça fait longtemps que tu es guide ?
- Quelques années. À la mort de mon père, j’ai dû m’occuper de mes petits frères, et très vite aussi de mes propres enfants… Etre guide pour les touristes est un bon moyen de gagner de l’argent sans avoir à quitter la forêt.
- Comment as-tu appris l’anglais ?
- Avec les touristes qui venaient de notre uma (maison communautaire traditionnelle) lorsque j’étais adolescent. »
2018, en Indonésie, sur l’île de Siberut, Tahnee Juguin, jeune française de 27 ans, vient filmer une tribu locale, en s’immergeant dans leur monde, apprenant leur langue, leurs coutumes. Elle avait 18 ans la première fois qu’elle a débarqué sur l’île. Tahnee, guidée par Teo Jartho, un Mentawaï, réalise un reportage avec naturel et objectivité, sans mise en scène comme tentent de le faire certains. Elle nous amène dans la jungle de Siberut, à l’intérieur des umas, ces maisons communautaires dans lesquelles vivaient jusqu’à une cinquantaine de personnes avant d’être contraints de rejoindre des villages, mais dont certaines sont encore habitées. Elle nous guide à travers la verdure et sur le fleuve, au-delà des frontières de la civilisation qui ronge un havre d’innocence.
© Pendanx, Juguin - Futuropolis
Alors que le gouvernement indonésien veut assimiler les Mentawaï à leur société, la tribu est protégée par le tourisme, curieux de leur culture. Mais le combat avec le pouvoir continue. Les écoles sont dans les villages. L’histoire et la langue enseignés font abstraction de leurs origines. C’est une absorption pernicieuse, alors que, comme l’explique Teo Jartho dans l’avant-propos, la forêt, les rivière, la terre et la mer sont essentiels à la vie. C’est leur richesse. En servant de guide à Tahnee, en supervisant ce livre, Teo veut créer un lien entre les lecteurs et l’île. Il veut montrer que la mémoire est garante de l’indépendance pour les siens.
© Pendanx, Juguin - Futuropolis
La couverture montrant un Mentawaï perché au sommet d’un arbre en train de filmer reflète parfaitement le concept de Tahnee. Elle permet aux autochtones de s’exprimer à travers l’écriture de la voix, dans leur langue, et à travers les yeux de la caméra.
Après un début de carrière « classique » dans lequel il s’est fait connaître avec la série Labyrinthe sur scénario de Dieter, puis Les corruptibles avec Brézault, le dessinateur Jean-Denis Pendanx a acquis une véritable personnalité grâce à Jéronimus avec Christophe Dabitch. Aucun de ses albums suivants ne ressemble à un autre, chacun avec son style, sa spécificité, son originalité, jusqu’au remarqué Les oubliés de Prémontré.
© Pendanx, Juguin - Futuropolis
Avec Mentawaï !, Pendanx marche sur les traces d’Emmanuel Lepage. Depuis La terre sans mal paru chez Aire Libre en 1999 où il nous avait amené en plein cœur de la forêt paraguayenne, l’auteur, voyageur invétéré a fait des émules, dont Pendanx qui relève le gant avec talent. Dans des couleurs directes absorbantes, il recrée la jungle de l’Asie du Sud-Est.
Mentawaï ! n’est pas une fiction, ce n’est pas non plus un carnet de voyage, ce n’est pas une BD reportage non plus. Mentawaï ! est un témoignage de voyage : un voygnage. Marchant dans les pas de Tahnee, immergé dans un village au cœur de la jungle, Pendanx embarque le lecteur dans ses valises pour le faire participer à la vie des locaux.
© Pendanx, Juguin - Futuropolis
Le site https;//mentawaistorytellers.com permet de prolonger l’aventure en suivant le projet de réalisation de films Mentawaï.
Laurent Lafourcade
One shot : Mentawaï
Genre : Chronique de voyage
Dessins & Couleurs : Pendanx
Scénario : Pendanx et Juguin
Éditeur : Futuropolis
Nombre de pages : 160
Prix : 25 €
ISBN : 9782754827690
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