« - Mes enfants ! L’oiseau de Mai par ces deux notes a ramené les beaux jours : les échos de son chant ont réveillé les vallées… Le jeune soleil a chassé la vieille des neiges. Il a rompu la glace et libéré les eaux… Le torrent, les rivières, le long des rives refleuries. De sous l’écorce sèche, du fond des ramures gelées, il a réchauffé la sève… Et la sève a ramené les feuilles… L’oiseau, le lièvre fécond, le sanglier dans sa force… Et toutes les créatures, dans le cercle des saisons qui toujours renaîtront tant que nous respecterons le cours sans jamais rien en changer. Ainsi est venu le temps de fêter ses bienfaits, bientôt viendra le temps des fenaisons, puis des moissons, des fruits à cueillir et de la chasse… Et le temps des enfants à naître pour que tout se perpétue encore et encore, et demeure ainsi sous le regard protecteur de notre mère, notre déesse mère.
- Ainsi qu’il en soit fait… Que la première danse commence ! »
Après le discours du mage à l’occasion du retour du printemps, Maître Wilhem lance les festivités. La ronde de Mai est ouverte. Les cœurs et les âmes des jeunes de la vallée peuvent s’unir. Mais le calme et la sérénité de la communauté cachée va être perturbée par l’arrivée de guerriers masqués : les Sans-Visages. Ayant trouvé le passage entre leur monde dévasté par la guerre et cette vallée fleurie, les arrivants prétendent venir défendre les autochtones d’éventuelles attaques. Sous leurs masques de loup, de chouette ou de taureau, ils ne sont que des hommes qui fuient le sang et la mort des champs de batailles. Leur intégration va-t-elle se faire en toute simplicité ? Les dagues et les mousquets vont-ils avoir raison des coquelicots et des bourgeons ?
Pierre Dubois, l’elficologue, nous embarque au 17ème siècle dans une Allemagne dévastée par la guerre de Trente Ans. Derrière leurs masques, les Sans-Visages sont des mercenaires qui portent sur leurs épaules le poids des exactions, des boucheries des champs de bataille et des cadavres dansant dans les arbres ou gisant dans des mares de boue. Las de toutes ces vicissitudes, ils aspirent à une vie simple et tranquille, tout en veillant au calme de la vallée perdue qu’ils ont découvert par hasard. Mais pour certains d’entre eux, les meurtrissures ont été si profondes qu’il leur est impossible de s’en sortir psychologiquement.
Les phrases du formidable raconteur d’histoires qu’est Pierre Dubois sont une « proésie ». Avec une introduction absorbante, l’écrivain fait chanter les mots dans des danses macabres. Le récit somme toute réaliste de l’ardennais ne l’empêche pas de glisser quelques fées se baignant dans une cascade. Mais comme dans toute histoire de lutins, d’elfes ou de faunes des bois, on ne saura jamais vraiment où se situe la frontière de l’imaginaire. Par ailleurs, le final est un peu abrupt, mais après tout, pourquoi s’attarder lorsque la messe est dite ?
Kas s’est depuis longtemps émancipé de l’héritage Rosinski. Il a son propre style. Les grandes cases aux nombreux personnages ne lui font pas peur, pas plus que les batailles équestres. Son trait fouillé est généreux. Un dossier graphique rassemble les portraits des principaux personnages. Aidé aux couleurs par Graza, Kas passe du rouge-sang des ciels de guerre à la quiétude verte et bleue azur de la vallée préservée. Il a en outre la lourde responsabilité de succéder à l’inoubliable magicien René Hausman dans le cœur des lecteurs de Pierre Dubois.
On ne saura certainement jamais si les responsables éditoriaux du Lombard l’ont fait exprès, mais on peut dire que cet album casse du bois, Kas-Dubois comme il est inscrit en couverture.
Laurent Lafourcade
One shot : Les sans-Visages
Genre : Aventure aux frontières du fantastique
Scénario : Dubois
Dessins : Kas
Couleurs : Graza & Kas
Éditeur : Le Lombard
Collection : Signé
Nombre de pages : 96
Prix : 16,45 €
ISBN : 9782803670130
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