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Pas évident de survivre dans la jungle palombienne quand on est toute seule pour se débrouiller au milieu des serpents sournois, des oiseaux mauvais coucheurs et des alligators voraces. Sans compter le pire prédateur de tous (et le plus bête) : le braconnier. Biba, jolie petite marsupilamie, en sait quelque chose... Mais elle ignore encore qu'elle est loin d'être seule au monde !
Laurent Lafourcade est parti à la rencontre du célèbre Batem, dessinateur de grand talent et auteur du Masupilami, pour un entretien autour et en détails à propos de ce nouvel opus du facétieux animal dont c'est déjà le vingt-huitième épisode.
Biba, votre vingt-huitième album du Marsupilami, commence par un pré-générique rythmé. Est-ce un défi que vous vous êtes lancé pour surprendre encore le lecteur ?

Je ne sais pas si on peut parler de défi. Une chose est certaine : l’album précédent était un peu plus complexe que les autres albums de la série, on se baladait de flash-back en flash-back. Il était temps pour nous de renouer avec une histoire un peu plus linéaire.
On aime bien démarrer sur une petite intrigue. Le « petit défi » ici était d’inviter le lecteur à suivre pendant quelques pages la petite Biba, menacée de tous les dangers de la grande forêt. De plus, comme mon scénariste Stéphan Colman avait vraiment envie de me faire plaisir il m’a baladé dans cette forêt parmi tous ces animaux que j’aime tant dessiner. Démarrer un album avec un tel confort est toujours très agréable. On termine page 8 avec la cabane d’Hector qui est un autre défi graphique. Mine de rien, cette case m’a pris énormément de temps à dessiner.
Comment et pourquoi créé-t-on un nouveau personnage comme Biba ? Est-ce de la même façon dont Peyo créait de nouveaux Schtroumpfs ?
Oui, j’imagine. Je ne sais pas exactement ce qui se passe dans le cerveau du scénariste. Dès qu’il a un début d’histoire, il me la raconte et on échange, je rebondis sur certains aspects. Ici, j’aurais tendance à dire qu’il m’a eu. Je lui avais dit que lors de séances de dédicaces des lecteurs me demandaient quand est-ce qu’il y aurait un Marsupilami noir à tâches jaunes. Je leur répondais : « Vous êtes fous. ». Imaginez le défi graphique. L’idée était peut être à retenir pour une sérigraphie ou que sais-je.
Quand Stéphan a débarqué à la maison avec une histoire qu’il m’avait déjà racontée mais qui a changé de dimension car il a apporté ce petit personnage, je l’ai remercié. Avec des amis comme ça, on n’a pas besoin d’ennemis comme dirait l’autre ! (Rires) Et puis, voilà, je me suis lancé le défi. Je pensais que ça n’allait pas poser trop de problèmes en définitive. Il s’agissait d’un bébé. Je ferais ma petite femelle toute noire et je reviendrais à la gouache gentiment faire mes tâches. Techniquement, ça n’a pas été possible. Je travaille avec des mélanges d’encre de Chine et de liquides acryliques, avec une encre bien noire qui résiste à l’eau et au gommage. La gouache ne s’appliquait pas bien dessus. Moralité : à chaque fois qu’apparaît la petite Biba dans l’album, je l’ai dessinée au crayon avec toutes les petites taches que j’ai détourées à l’encre de Chine. Imaginez un ciel noir constellé d’étoiles que vous dessinez au crayon et que vous détourez lorsque vous mettez du noir sur le ciel, c’est un peu une petite punition. (Rires) Voilà l’historique de la petite Biba.
Je ne sais pas comment ça se passait dans le génial cerveau de Peyo, mais en amenant une petite comme ça, ça fait rebondir l’histoire. La famille s’agrandit. D’ où vient-elle ? Ça nous permet de faire revenir Mars le noir qui est un personnage qui avait énormément plu aux lecteurs les moins jeunes aujourd’hui. Il y a un peu de tout ça évidemment. La petite trouvaille en plus dans cet album, c’est le drone. L’album ayant été écrit il y a plus d’un an, nous n’étions pas encore confrontés à ces problèmes de drones actuels.
Justement, dans cet épisode, Hector filme la jungle avec un de ces drones. Est-ce une volonté pour, non pas être à la mode, mais pour être au plus près des préoccupations modernes des jeunes lecteurs ?
Inévitablement, il y a un peu de ça. Stéphan a toujours été au fait de l’actualité. Il est vrai qu’on entend parler de drones de plus en plus, dernièrement avec les événements au-dessus des centrales nucléaires. On est en plein dans l’actualité. Bien sûr, on essaye de vivre avec notre temps, mais certainement pas d’être modernes à tout prix. Il se fait que Stéphan a eu cette petite prémonition et qu’on colle parfaitement à l’actualité. Il a eu le nez creux. Ce n’est pas une volonté de capter le public là où il n’est pas. C’est simplement un coup de génie de mon scénariste.
Bring M.Backalive apparaît très tard dans l’album, si bien qu’on le retrouve comme un vieil ami. Est-ce un plaisir que vous avez vous aussi en tant que dessinateur ?
Oui, je l’aime bien. C’est l’ennemi juré des marsupilamis, le personnage bête et méchant par excellence, le pendant des Dalton dans les aventures de Lucky Luke. Chaque fois qu’on dessine des méchants, ils sont toujours un peu pitoyables. Les trois grosses crapules qui débarquent dans cette aventure, dont l’ignoble Mondrone qui kidnappe Biba pour essayer de la négocier, sont trois vrais méchants, mais pitoyables aussi. D’ ailleurs, ça se termine très mal pour l’un d’entre eux.
Bring finit par apparaître sympathique. Mondrone tombe par inadvertance dans sa marmite de porridge alors qu’il était tranquillement en train de manger gentiment dans son coin. Je me demandais même ce qu’il fichait là. En définitive, ce bandit cherche toujours l’opportunité de capturer un marsupilami, ce qui est son désir et son but ultime. Il n’apparaît pas nécessairement dans tous les albums, mais c’est un lien. De la même façon, j’aimerais bien un jour revoir Noé. Peut être que ça me permet à nouveau de renouer avec André Franquin et son travail, puisqu’ aussi bien Bring que Noé ont été créés par Franquin.
Est-ce que Mondrone a été conçu pour réunir toutes les qualités, ou plutôt tous les défauts, que n’a pas Bring ?
Alors c’est raté, parce qu’il est aussi méchant, et aussi bête. Donc on ne peut pas vraiment dire ça. Mondrone est simplement une crapule qui a l’opportunité de se faire de l’argent en subtilisant la petite Biba aux deux autres.
Les changements physiques de Mondrone ont-ils été complexes à réaliser graphiquement ?
Vous faites allusion à la piqûre d’araignée. Ça n’a pas été un gros problème. Il faut s’y reprendre à plusieurs fois. Stéphan Colman, qui est aussi dessinateur, me montre que c’est un œdème plutôt fulgurant, dans le style de ce qui arrive à Coluche dans Banzaï. Je fais des petits croquis, des petites études. C’est tellement amusant que c’est venu assez facilement.
Pour une des premières fois dans la série, il y a un strip « à la Tex Avery » où Biba éclate une bulle en forme de cœur. Cet artiste fait-il parti de votre panthéon ?
Certainement. Il fait partie de mon univers graphique. Je suis un grand fan. Quand j’ai dessiné ça, je me suis demandé si on ne prenait pas quelques libertés avec Stéphan. Il me l’aurait proposé il y a quinze ans, j’aurais peut-être trouvé ça trop décalé par rapport à ce qu’André Franquin aurait voulu. Mais on s’est dit qu’il fallait évoluer. Il faut bouger. Je suis sûr qu’André aurait aimé.
Certains épisodes se déroulent totalement dans la forêt palombienne, d’autres comportent bon nombre de scènes dans des villes sud-américaines. Est-ce une alternance voulue pour ne pas se lasser de la forêt ou bien cela se fait-il au gré des idées ?
Ça se fait au gré des idées. Tout en sachant que mon scénariste me sait beaucoup plus à l’aise dans la grande forêt. Ce à quoi je lui réponds toujours de ne pas ménager son dessinateur. Si l’action doit se passer en ville, il n’y a pas de soucis à la faire. D’ailleurs, il est plus que probable que l’album suivant se passe en partie en ville.
Après tant d’années aux commandes de la série, diriez-vous que l’ombre de Franquin est plutôt pesante ou plutôt rassurante ?
Je n’ai jamais travaillé dans l’ombre d’André Franquin, j’aime à dire que je travaille dans sa lumière. D’autant plus que ce n’est pas une reprise comme les autres. C’est un personnage que l’on m’a confié. Ce n’est pas une série. C’est un personnage qui n’existait pas comme héros à part entière. Tout l’univers dans lequel il évolue était à créer. Enfin, ce n’est pas tout à fait vrai puisqu’il y avait déjà eu Le nid des Marsupilamis, et André Franquin avait réalisé une bible graphique pour un projet de dessin animé. Dans les deux ou trois premiers albums, avec André, on s’est resservi de tout ça pour créer cette ambiance.
Même si contractuellement je me suis engagé à être le plus fidèle possible visuellement du travail d’André Franquin, je ne suis tout simplement pas lui. Aussi surprenant que ça puisse paraître, je n’ai jamais eu de cahier des charges. Mon seul et unique cahier des charges est celui que j’ai en tête et que je me suis forgé dans le respect de mon maître. Je sais très bien ce qu’il aurait aimé ou pas, même si parfois je prends quelques petites libertés dans les attitudes du Marsupilami. Par exemple, dans Cœur d’étoile, il y a une ou deux pauses pipi. Peut-être qu’André se serait un petit peu senti gêné par ça, mais ce n’est pas sûr du tout.
Il faut continuer à évoluer. La série doit rester fidèle à elle-même et à l’esprit d’André Franquin, mais sans être figée dans le temps. C’est déjà ce que certains appellent une bande dessinée « à papa ». Moi, j’appelle ça de la bande dessinée classique, mais il ne faudrait pas qu’elle soit datée.
Sur la piste du Marsupilami, adaptation BD du film, a-t-il été plus simple ou plus complexe à concevoir ?
Beaucoup plus complexe, surtout pour le scénariste. Pour adapter le plus fidèlement possible le scénario, il aurait fallu un album de 115 ou 120 pages. Or ce n’était pas possible. On a eu la grande chance que l’éditeur accepte de tirer 60 planches. C’est un album un peu plus consistant, mais le problème était qu’il fallait faire le tri. Une fois rassemblées les idées à reprendre, il fallait avoir la caution d’Alain Chabat scénariste du film. On l’a rencontré à plusieurs reprises. Il a mis la main à la pâte. Stéphan Colman est arrivé à un excellent travail qu’il avait ramené autour de 74 planches. Le projet avait été accepté comme tel dans un premier temps par l’éditeur avant qu’on nous demande de le ramener à 60 planches. Ce fut un travail de gueux que de refaire tout le découpage. Une table de dessin n’est pas une table de montage.
J’ai abordé cet album un peu inquiet car je savais que Marsu Productions était dans une phase de revente, racheté par Dupuis. J’ai eu quelques petites inquiétudes, me demandant où j’allais. Stéphan Colman étant lui aussi dessinateur, il m’a épaulé. Nous avons fait cet album ensemble chez lui dans son atelier. C’est devenu une partie de travail et de plaisir, voire de franche rigolade pour arriver au résultat. En fait, nous avons vu le film après avoir réalisé l’album. On avait vu quelques photos, de façon très confidentielle. Quand on a vu le film, on s’est dit que quelqu’un avait tiré un film de notre album. C’est assez surprenant et très agréable aussi.
Avec Colman, avez-vous participé au film, que ce soit au niveau du scénario, du story-board, ou tout simplement d’un point de vue éthique ?
Non. Notre éditeur nous a fait rencontrer Alain Chabat. Je suis allé aux studios chargés de l’animation du marsupilami. J’ai été amené à donner mon avis sur son look. Mais, dans l’absolu, on ne m’a pas demandé mon avis. J’ai lu le scénario. J’avais même lu un premier scénario co-écrit par l’auteur du fabuleux destin d’Amélie Poulain. Je l’avais beaucoup apprécié, mais il était moins inspiré de l’univers de Franquin. Il était plus tiré des albums que j’avais dessinés jusque là. C’était intéressant pour moi aussi.
En dehors de ça, l’audiovisuel est un milieu non pas fermé, mais qui n’avait pas trop envie de se laisser encombrer par les auteurs de la série dessinée.
S’il y a une suite, j’aimerais être plus présent, juste pour satisfaire ma curiosité.
Cœur d’étoile était un épisode un peu atypique. Est-ce qu’on peut le considérer comme un bilan d’étape ? comme le Tintin au Tibet du Marsupilami ?
Non. C’est un album atypique, je suis bien d’accord. Il y a beaucoup de flashbacks. Il était un peu culotté de mettre en scène les auteurs de la série, de les voir élaborer l’album, en toute complicité. Les lecteurs s’y sont retrouvés. Je n’en ai eu que des échos positifs.
Ce n’est pas un album « étape » comme Tintin au Tibet. Restons modestes. (Rires)
Vous avez travaillé avec divers scénaristes. Avec Colman, on sent qu’il y a une vraie alchimie entre vous, un véritable travail à quatre mains. Est-ce comme cela que votre collaboration est conçue ?
C’est comme ça qu’elle s’est faite pour la simple et bonne raison que Stéphan est le seul scénariste que l’on ne m’ait pas imposé. Ce n’est pas que je n’ai pas aimé travaillé avec les autres, mais lui, c’est moi qui suis allé le chercher.
Pour l’album n°19 Magie Blanche, j’avais une idée que j’avais envie de scénariser moi-même. J’avais envie de faire neiger sur la Palombie. J’avais commencé en terminant le beau scénario de Dugomier Robinson Academy. A l’époque, depuis un an ou deux, on travaillait en atelier en ville avec quelques amis Olivier Saive, Fabrice Borrini et Stéphan Colman. Stéphane m’avait déjà donné un coup de main graphique sur un album de gags. On s’était lié d’amitié. Me voyant un peu buter sur mon scénario, il m’a proposé d’essayer. Il s’est replongé dans tous les albums. Il est allé en chercher la substantifique moëlle pour ne pas que la série dévie. Il est venu avec sa touche personnelle en se servant de tout ce qui avait été dit et fait auparavant, tout ce qui pour lui avait été le plus important. La série devenait désordonnée. On passait d’un scénariste à l’autre, d’albums de gags à autre chose, des adaptations de dessins animés,… C’était peut être justifié mais toujours est-il que l’homogénéité de la série en souffrait un peu. Stéphan est arrivé et a amené cette part de chamanisme, de magie dans la série. Etant lui même dessinateur et sachant ce que j’aime dessiner, travaillant dans le même atelier, une vraie complicité s’est installée. Il m’a poussé à essayer des choses. On s’est tiré l’un et l’autre vers le haut. J’ai toujours travaillé en étroite relation avec mes scénaristes, mais ici, c’est plus que ça, c’est carrément une symbiose. Comme c’est un ami et un excellent dessinateur, je n’ai pas peur de lui demander son avis sur la qualité des pages dessinées. De la même façon, si j’ai un petit souci par rapport à l’écriture, on en parle ensemble.
Est-ce que le rachat de Marsu Productions par Dupuis va changer quelque chose pour vous ?
Il y a une réelle différence sur la vente du fond qui est de loin supérieure à ce que nous avions auparavant.
Ensuite, l’album a été pré-publié dans Spirou. Je fais partie de l’équipe Dupuis. C’était un rêve de tout gamin qui a pratiquement appris à lire dans le journal de Spirou.
Dupuis a beaucoup de projets pour le Marsupilami, et évidemment des projets éditoriaux. Il y a eu un méga Spirou dans lequel un album est paru. Une intégrale paraît dans une collection Hachette.
J’ai beaucoup plus de possibilités de m’exprimer en faisant des affiches pour différents festivals. Le Marsupilami est subitement un peu plus présent hors des albums.
Pour tout ce qui est produits dérivés, je suppose qu’ils vont essayer de faire aussi bien que Marsu Productions, qui était un champion en la matière.

Le Marsupilami revient dans les aventures de Spirou très prochainement. Allez-vous chercher une cohérence entre votre travail et celui de Yoann et Velhmann, ou bien resterez-vous sur des chemins indépendants et parallèles ?
Chemins indépendants et parallèles, c’est mon avis. Et je pense qu’il est partagé par tous. D’ailleurs, à la fin de Cœur d’étoile, en quelques cases, nous expliquons la différence entre les deux. Notre Marsupilami n’a rien à voir avec celui qui va apparaître de façon plus ou moins épisodique dans les aventures de Spirou et Fantasio. Il est salutaire que les séries restent bien différentes, que l’une ne vienne pas phagocyter l’autre. Nous, c’est « la famille du Marsupilami ». L’autre, c’est le Marsupilami que Fantasio a ramené à l’époque, le fameux Marsupilami Franquini.
Seriez-vous tenté par « Un Spirou vu par Batem et Colman » ?
Ça m’aurait amusé si on avait eu une excellente idée, pourquoi pas… En même temps, je me rends compte que graphiquement ce serait trop proche d’un Spirou et Fantasio des différents repreneurs, hormis peut-être Munuera. Franquin, Fournier (un peu différent mais dans la lignée), Tome & Janry, Yoann, sont dans le même "genre". De tous les one shots que j’ai lus, ce sont les plus décalés qui ont été les plus intéressants. Donc, à moins d’avoir une idée géniale, j’aurais bien peur de faire un ersatz de Spirou et Fantasio. Je viens de cette école graphique de Marcinelle, l’école Franquin. J’aurais trop tendance à vouloir m’inspirer du Spirou de Franquin et de ne pas suffisamment me l’approprier comme j’ai pu le faire avec le Marsu, même si, je l’espère en tous cas, il rappelle vraiment celui de Franquin. Mais ayant dessiné bien plus le Marsu que Franquin, graphiquement, je ne me pose plus de questions. Je n’ai plus qu’à me demander s’il est bien mis en scène, s’il joue bien, si je peux aller plus loin dans l’attitude. Quand je le dessine, je ne pense pas à ce qu’André Franquin aurait fait, sauf dans ce que le récit raconte.
Propos recueillis par Laurent Lafourcade
Images © Batem-Dupuis 2014
Photo © Jean-Jacques Procureur 2014
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