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“Sergio (Salma) portait ce projet depuis longtemps et n'avait pas le droit de se planter”
C'est à la sortie de la présentation à la presse des cérémonies commémorant la catastrophe du Bois du Cazier, de l'album “Marcinelle 1956” de Sergio Salma (à paraître le 29 août chez Casterman) et de l'exposition qui lui est consacrée jusqu'au 30 septembre que nous avons rencontré Christine Cam, son éditrice. Récemment promu au patrimoine mondial de l'Unesco, le site du charbonnage du Bois du Cazier fête cette année les 10 ans de sa requalification. La collection “Ecritures” pour laquelle travaille notamment Christine et qui accueille le nouveau Salma souffle elle aussi ses 10 bougies. L'occasion d'en discuter avec une éditrice surprise et émue par l'accueil enthousiaste de ce roman graphique dans les lieux mêmes où se déroule une bonne partie de son histoire.
Bonjour Christine, “Marcinelle 1956” vient d'être dévoilé à la presse dans un espace où se déroule un des éléments majeurs de son histoire. Quelles sont vos premières impressions ?
“Je pense qu'il vient vraiment de se passer quelque chose de très particulier, là...Je suis sincèrement surprise -et heureuse- des réactions recueillies, de l'accueil témoigné, et je pense que ça dépasse ce que l'on pouvait imaginer. Sergio portait ce projet depuis longtemps, et par rapport à ce que l'on vient de vivre je mesure plus encore qu'il n'avait pas le droit de se planter. C'est la première fois que je suis confrontée à ce type d'histoire, généralement il s'agit de fiction ou de quelque chose de plus “historique”, ici je me rends compte que “Marcinelle 1956” rencontre une population particulière, tout en ayant une portée très large, qu'il y avait un devoir de mémoire à respecter et que ça nécessitait réellement le travail pointu auquel s'est astreint l'auteur. Quant au site du Bois du Cazier, je l'avais entrevu sur les planches, ici je le découvre, chargé d'histoire et magnifique!”
Comme la requalification de ce lieu, la collection “Ecritures” fête cette année son dixième anniversaire. Peut-on y voir la succession des fameux “romans (à suivre)” ?
“Peut-être pas la succession, mais “Ecritures” en constitue, à mon sens, la continuité. La collection a pour ambition de favoriser à la fois de réels sujets associés à de véritables démarches artistiques. Rencontrer le grand public n'est pas une priorité, mais si cela se produit, tant mieux !”
Le choix du noir et blanc (ou de la bichromie, plus rare...) s'inscrit dans cette exigence ?
“En partie, et d'autre part il s'inscrit dans une équation économique qui serait nettement plus difficile à résoudre avec des coûts de coloriage et une impression en quadrichromie.”
“Ecritures” a un caractère véritablement international. A côté d'auteurs européens, on trouve des signatures américaines, japonaises, coréennes... Comment se développe et se gère cet aspect ?
“Il s'agit généralement d'achat de droits auprès des éditeurs d'origine. Dans ce domaine il arrive que l'on doive faire face à de la concurrence, comme ce fut le cas pour Jirô Taniguchi et Craig Thompson. Mais à l'arrivée on peut parler de victoires éditoriales ! Suit alors un travail de traduction et si nécessaire, un travail graphique de remontage des planches et de l'album pour lui donner un sens de lecture “occidental”. Taniguchi, en fonction des sujets, se trouve ainsi à la fois chez Sakka sous forme manga et dans la collection “Ecritures” sous forme de roman graphique... Mais “Ecritures” s'ouvre aussi à la création. Il y a récemment eu Catel et Bocquet et aujourd'hui Sergio Salma”.
On dit que certains auteurs étrangers sont à la fois surpris et envieux de l'album “franco-belge” classique. Avez-vous rencontré des auteurs qui demandaient spécifiquement ce type de livre ?
“Oui, Jirô Taniguchi, encore une fois, pour “le Promeneur” et “la Montagne magique”. Au-delà de l'aspect “exotique” que l'on peut imaginer, c'était un véritable rêve pour lui de se voir édité en album cartonné type BD franco-belge.”
Certains auteurs démarchent-ils directement vers la collection “Ecritures” ?
“Ca ne se déroule pas vraiment de cette manière. “Ecritures” permet une forte pagination, et est donc plus adapté à un récit “au long cours”. Il est clair que “Habibi” de Craig Thompson avec ses 670 pages aurait difficilement pu trouver place ailleurs. Mais c'est également un espace propice à une écriture qui “prend son temps”, qui est proche du roman (“roman graphique”), qui, par exemple, laisse de la place au développement d'une gestuelle... Quand Casterman rencontre un auteur et est intéressé par son projet, on étudie avec lui la forme la mieux adaptée à sa concrétisation. On n'essaye pas de le faire rentrer à tout prix dans tel ou tel format, mais on tente de trouver ce qui convient le mieux à son histoire et la forme qui en donnera le meilleur écho. Et puis on construit progressivement en adaptant aspects techniques et artistiques. Ca s'est déroulé de cette manière pour “Marcinelle 1956”. Sergio avait l'histoire en tête depuis très longtemps mais, au départ, ne savait pas quelle forme lui donner et ça s'est construit peu à peu en essayant de conserver le meilleur rapport qualité/quantité, fluidité et force de narration, et en élaguant ce qui devait l'être pour y arriver...”
Le nombre de titres publié annuellement est-il défini et limité ?
“le nombre de sorties est limité pour plusieurs raisons. L'optique de la collection et son exigence d'abord, et le temps de création des oeuvres publiées, lié à l'exigence des sujets et au volume de la pagination. Si ma mémoire est bonne, le “Kiki de Montparnasse” de Catel et Bocquet, par exemple, a pris sept ans : deux années de préparation et cinq de réalisation proprement dite. On travaille donc sur du long terme en privilégiant toujours la qualité sur la quantité.”
En 10 ans, “Ecritures” a su s'imposer comme une collection prestigieuse qui participe à l'image de Casterman...
“Mais bien plus que cela ! Tout en ayant une vraie exigence, la collection est rentable économiquement et a connu de beaux succès éditoriaux. “Ecritures” est également une collection qui vit en permanence, notamment via ses rééditions, et pour ces dernières aussi l'option du noir et blanc constitue un avantage...”
Interviews et photos © Pierre Burssens 2012
Images © Casterman-Salma 2012
Notons qu'à l'occasion des Journées du Patrimoine, le dimanche 9 septembre, Sergio Salma dédicacera “Marcinelle 1956” dans l'exposition qui lui est consacrée (jusqu'au 30 septembre) au Bois du Cazier de 10 à 12 h et de 14 à 16 h.
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