Entretien avec Daniel Brecht (Death Mountains)
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Entretien avec Daniel Brecht (Death Mountains)

« le scénario de Christophe (Bec) m'a inspiré  des trucs dont je ne me croyais pas capable »

 

Belle surprise que les deux albums de Death Mountains publiés simultanément par Casterman. Le western se fait rare en BD et on est cette fois bien servis avec cette double sortie toute récente. Un convoi de pionniers, des éléments déchaînés, la lutte pour survivre et…Mary, que l’on surnommera « la cannibale ». Christophe Bec signe un scénario efficace, dans un registre assez inhabituel pour lui, et évoque un épisode authentique de l’histoire de la conquête de l’Ouest. Et puis, côté dessin, on découvre le talent de Daniel Brecht qui signe ici un premier grand projet, du sur-mesure pour un passionné de western qu’on aimerait voir arriver au galop dans la cour des grands. Classique, diront certains, mais qu’est-ce que ça fait du bien de retrouver de telles bases à l’heure où il arrive qu’on ait l’impression qu’à force d’explorer et d’expérimenter, la BD part parfois dans tous les sens. Balade sur la piste de Death mountains avec Daniel Brecht, quitte à en revenir végétarien… 

 

-Bonjour Daniel, on découvre pour la première fois votre nom en couverture d'un (deux) album(s) de BD, pouvez-vous vous présenter ?

 

Oui, on me découvre pour la première fois, je suis illustrateur freelance spécialisé dans l'illustration de consignes de sécurité dans le travail et pourtant j'essaye de publier depuis 1993,  j'avais dessiné pour un ami de toujours, un certain Joël Polomski pour ne pas le citer, le tome 1 de 56 pages d'une trilogie plutôt proche de l'héroic fantasy on m'a fait comprendre à l'époque qu'il y en avait déjà trop dans les bacs. Pas trop à l'aise dans le contemporain ou l'historique, qui nécessite toute une documentation, je préfère inventer une réalité plausible et je me suis orienté vers le Western qui m'a toujours inspiré mais sans oser y toucher... Je me suis donc entraîné et néanmoins documenté en essayant de ne pas faire du sous Gir.C'est donc en 1997 que je publie une histoire courte de 4 pages  pour une carte blanche dans le magazine Golem dirigé par Laurent Galmot qui souhaitait un western bête et méchant... et j'ai fait un truc bête et méchant !

Plus tard je poste un dossier  à l'intention de Jean Giraud qui un jour me téléphone, me fait rêver en évoquant le tome 3 de Marshall Blueberry que Willam Vance ne dessine pas, mais qui  finalement le sera par Rouge. Il me met en contact avec Erik Svane  qui cherche un dessinateur pour un projet sur Alamo, tout le monde connaît l'histoire et surtout la fin... Je me laisse tenter quand même et le projet est signé chez Soleil qui laisse tomber un an plus tard ... je n'avais dessiné que 28 planches sur 48 et le contrat spécifiait 1 an pour la réalisation.

Donc je digère tranquillement,  je continue à m'entraîner, je crée mon blog et je m'en contente, j'y mets mes dessins western, sans commentaire, juste un titre pour donner envie d'imaginer la suite.

 

-Comment avez-vous abouti à Death Montains ? Et comment s'est opérée votre rencontre, et puis votre collaboration avec Christophe Bec ?

 

Un coup de chance, j'avais mis en ligne quelques illustrations western en N&B et en couleur sur le Forum de Café Salé en espérant des commentaires d'encouragement qui font toujours plaisir, Christophe est tombé dessus a aimé mon dessin et m'a proposé de faire un essai sur Mary La cannibale, c'était son titre. Un projet qui lui tenait à coeur depuis plusieurs années et qui  mûrissait  dans le bon sens, j'ai lu deux versions du synopsis. J'ai d'abord épluché toute la doc qu'il avait accumulé, pris le temps de m'imprégner de l'ambiance et du ton de l'histoire, et je me suis lancé sur les 3 planches d'essai, bivouac la nuit sous la pluie et dans la boue et Mary...  plus d'autres personnages tout aussi importants. Les planches ont plu à Christophe et il s'est occupé de trouver l'éditeur. 

 

-Death Montains est un western, mais, à mon sens, plus que cela. Comment le définiriez-vous ? 

C'est une histoire de pionniers, qui pour la plupart espèrent une vie meilleure, qui n'ont pas forcément l'esprit aventurier, mais ont le courage d'affronter les épreuves et ont le sens du sacrifice. Pas d'indiens scalpeurs ou de hors la loi détrousseurs, seuls la nature et les éléments seront leurs ennemis et au bout du compte la volonté dépasse la force physique...

 

 

 

© Daneil Brecht

 


 

-Sur votre blog, on découvre (à travers de nombreux et très beaux dessins) un amoureux du western, bien avant ce projet...et des cases de Death Mountains avec une "Miss Potter" qui deviendra Mary Graves ? Qu'est-ce que c'est ?

 

En effet, j'ai commencé à alimenter mon blog avec des dessins issus de divers projets perso, soit des illustrations où des cases découpées dans mes planches, plus quelques  crayonnés d'inspiration western année 50/60, le cliché du héros protecteur de " Miss Potter". Quand je me suis lancé sur Death Mountains, je n'avais plus le temps de cogiter des images  j'ai  donc pioché dans Death Mountains, changé les textes plus humoristiques ou modifié les dessins et Mary devenait Miss Potter. J'en ai détourné comme ça quelques-unes, pas toujours avec Miss Potter.

 

-Si je vous dis Giraud, Hermann, Rouge...ce sont des références qui vous parlent ?

 

Forcément, Giraud m'a plus influencé que Hermann mais j'adore Hermann, mais Rouge est trop proche de Giraud,  j'aurais plutôt cité  Rossi qui a su créer son propre style. Côté influence pour Giraud c'est certain, mais j'ai beaucoup aimé Hugo Pratt et Jijé aussi tous deux fans et héritiers de Milton Canniff  qui m'a marqué lui aussi…  Je ne sais pas si ça se ressent dans mon dessin. Mais je suis attentif à des styles très différents qui ne m'influencent  pas forcément mais auxquels je suis sensible. 

 

 

 

 

 

-En planche 10 du tome 1 on rencontre un personnage qui rappelle un peu le Mc Clure de Blueberry, un clin d'œil volontaire ?

 

C'est Donner le chef de l'expédition, qui a eu la mauvaise idée de suivre le raccourci de Hasting, il fume la pipe en toute circonstance et  quand il est assis il se trouve toujours une chaise ou un tabouret, contrairement aux autres qui sont parfois par terre sur une caisse ou sur un tronc, même dans le campement abandonné du lac Truckee il a un tabouret, on voit sa pipe parmi les déchets humains devant Keserberg case 5 p42  tome2. Je dirais que c'est un clin d'oeil involontaire!

 

-L'histoire de l'expédition Donner est inconnue chez nous, sauf peut-être de quelques spécialistes. Qu'en est-il aux USA ?

 

Tout est dit dans la dernière case du tome 2, mais peut-être est-ce connu surtout dans l'Ouest, c'est devenu un lieu touriste et le col est atteint en deux  heures par la route. Un certain Jean Luc Serrano qui a bossé pour Dreamworks il y a quelques années y est allé  et Erik Svave, qui connaît  les USA, connaît aussi l'histoire, il a d'ailleurs aussi vu la Mine de l'Allemand Perdu qui existe elle aussi.

 

-Avec un tel sujet, vous pouviez facilement basculer dans le macabre si pas le gore. Visiblement, Christophe Bec et vous avez choisi (et c'est tant mieux) la sobriété...

 

C'était pas le but, bien que l'histoire tourne autour du cannibalisme, en appuyant trop le côté racoleur sanguinolent  la tragédie tourne vite au ridicule. C'est avant tout sur l'horreur psychologique et l'instinct de survie qui brise tous les tabous sur lesquels il fallait insister, explorer les limites de chacun. 

 

-Au niveau du scénario, on découvre aussi un Christophe Bec assez différent de ce à quoi il nous a habitués, et de ses thèmes relevant plus du fantastique...

 

Sans être une histoire fantastique, l'histoire baigne dans une atmosphère étrange, de par son découpage et le choix des dialogues sans fioritures, les silences qui en disent  long... Dès le départ de fort Laramie on sent le drame qui s'installe et la piste du paradis les emmène en enfer. 

 

-Parallèlement aux difficultés de l'expédition, j'ai l'impression que Death Mountains présentait aussi pas mal de difficultés pour le dessinateur : des décors en très grande partie rocheux, montagneux, la boue, la neige et, peut-être, une héroïne féminine à représenter à deux époques de sa vie...

 

C'est ce que j'aime faire, moins les héroïnes à deux époques de leurs vie, mais les décors rocheux  imaginaires censés évoquer les rocheuses. Pour la neige, la pluie, la boue, les tempêtes ce n’était pas toujours facile et j'y ai passé quelques nuits blanches , le scénario de Christophe m'a inspiré des trucs dont je ne me croyais pas capable.

 

-La sortie simultanée des deux albums était-elle prévue dès le départ ? Et pourquoi ce choix ?

 

Oui, dès la signature c'était prévu comme ça, j'ignore où est la malice mais au lieu d'attendre 1 an, voire plus, pour lire la suite le lecteur peut se ruer le lendemain pour acheter le tome 2 et deux albums ce sont deux couvertures et deux sous-titres... qui se répondent.

 

-Cela a-t-il influencé votre manière de travailler ?

 

Pas vraiment, j'ai passé environ deux ans sur les 2 tomes, avec des petites pauses, fin 2011 j'avais terminé le tome 1. S'il était sorti courant 2012 en faisant un bide ma déprime aurait déteint sur le tome 2... Finalement cette sortie simultanée est une bonne idée !

 

 

-Question clin d'œil : dessiner des chevaux pose problème à nombre de vos confrères, y a-t-il un "truc" pour y arriver ?

 

Le truc c'est d'en faire plein, des moches au début et, petit à petit, ils s'améliorent, mais un boeuf ou un chien pose problème aussi. Moi je bloque sur les voitures. Elles ont l'air bancales ! Certains aiment tout dessiner et le font bien, moi j'ai besoin d'une forte dose de motivation et d'un bonne documentation pour dessiner ce que je ne sens pas.

 

-Après un aussi beau démarrage, j'imagine que vous avez d'autres projets, pouvez-vous nous en parler ? Toujours dans le western ?

 

Des projets qui ne restent que des projets pour l’instant, qui j'espère se concrétiseront si Death Mountains trouve ses lecteurs. J’ai un peu sondé à mi-tome 2 mais les scripts des différents scénaristes que j'ai sollicité ou qui m'ont sollicité n'ont pas convaincu. Mais je me sens bien dans le western et on peut raconter autre chose que des westerns dans un western…

 

 

Propos recueillis par Pierre Burssens

 

Interview © Graphivore-Burssens 2013

 

Images © Casterman

 

 



Publié le 25/03/2013.


Source : Graphivore

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