Entretien avec Dragan de Lazare
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Entretien avec Dragan de Lazare

 

On l'a découvert en tant que premier dessinateur de Rubine dans les années 90. Sa carrière est loin de se résumer à cela. Dragan de Lazare raconte toute sa carrière, de ses origines à nos jours, dans un grand entretien réalisé par Laurent Lafourcade pour BD-Best.

 

 

 

 

 

 


Bonjour Dragan, on vous a connu dans les années 90 avec Rubine au Lombard, puis hormis quelques productions un peu en marge dont nous reparlerons, vous avez aux yeux du grand public, disparu de la circulation. Où êtes-vous passé?

 

J’ai travaillé sur Rubine pendant huit albums. Pour les derniers, j’étais rentré en Serbie à Belgrade. Mais en 1999, il y a eu les bombardements de la Serbie. A ce moment-là, j’ai décidé d’arrêter la bande dessinée laissant le flambeau à Boyan qui a repris la série avec Mythic et François Walthéry. Moi, personnellement, je me suis occupé à faire du design. J’ai créé ma maison d’édition de cartes de vœux, ça a duré pendant une quinzaine d’années.

 

 

 

 

 

 

 

Revenons-en à vos débuts. Macherot, Deliège, Tillieux, Hermann et Franquin font partie de votre “ Panthéon ”. Comment le fils de diplomates yougoslaves né à Rio en 1964 est-il devenu fan de bande dessinée?

 

Justement, dans des écoles françaises où j’étais élève pendant ces séjours à l’étranger car mes parents étaient diplomates. Je me suis ainsi retrouvé à l’école, d’abord à Strasbourg, ensuite à Caracas au collège français où j’ai découvert les bandes dessinées franco-Belges dont je suis tombé amoureux tout de suite.

 

Pourtant, ce ne sont pas les études que vous avez décidé de suivre puisque vous devenez architecte d’intérieur à Paris. Pourquoi ce choix et comment vous êtes-vous retrouvé à faire ça en France? 

 

Voulant faire de la bande dessinée, j’ai décidé de me rapprocher de la France et de la Belgique. Mes parents qui ne croyaient pas trop dans ce métier de bande dessinée m’ont demandé de faire des études “ sérieuses ” si je puis dire. Je me suis donc décidé pour l’architecture d’intérieur. C’était assez proche de ce que je savais déjà faire. Je savais dessiner des intérieurs, je le faisais avec plaisir pour mes bandes dessinées. Je me suis dit autant faire des études d’architecture et de design en même temps. Cela calmait mes parents qui voulaient avoir un fils qui a, quand même, un diplôme. Entre temps, je dessinais des bandes dessinées que je proposais à des éditeurs en essayant de me faire publier.

 

 

 

 

 

 

 


 

Vous commencez la BD avec des séries dans la presse yougoslave. Il y a eu "X-Ion", "Zhar" et "Bozar", des personnages enthousiasmant les jeunes bédéphiles yougoslaves qui les découvrent dans "Strip Zabavnik", "Val Strip" et autres magazines. Quel type de BD était-ce? Etait-on déjà dans ce qui pourrait se rapprocher du franco-belge?

 

Oui, tout à fait. Depuis toujours, c’était l’école Spirou qui me plaisait beaucoup, certains personnages de chez Tintin aussi, mais surtout pour les personnages humoristiques comme Cubitus, Robin Dubois etc... Chez Dupuis il y avait beaucoup plus d’auteurs qui m’attiraient comme Franquin, Tillieux, Roba ou Deliège qui eux me fascinaient. Dès le départ j’étais bien décidé de faire ce genre de BD. J’aimais également beaucoup Astérix, mais ce qui m’a fait dessiner, surtout Gaston Lagaffe. Ce genre de bande dessinée n’était pas très présent en Serbie, je veux dire, les auteurs Serbes étaient plutôt des dessinateurs réalistes. J’étais un des rares qui faisait de la BD humoristique, donc, dès que j’ai commencé, je me suis fait, presque tout de suite, publié... je n’avais que 17 ans. Il n’y avait pas beaucoup de monde qui faisait ce genre de BD sur le marché.

 

 

 

 

 

 


 

Votre premier album en France, c’était Une aventure de Yves Rokatansky. Il y a eu un seul album, Le témoin, scénarisé par Lazzaro, paru aux éditions Sorg en 1989. Etait-ce une production destinée au marché francophone ou l’édition en français d’une histoire parue en Yougoslavie?

 

Ça a été fait en Yougoslavie et publié en Yougoslavie, à l’époque, parce que c’était encore un pays uni, mais c’était tout à fait dans l’esprit Franco-Belge que je voulais faire. C’était assez proche de la bande dessinée que j’aimais, qui était inspirée par cette école de Spirou. Donc une fois que j’étais en France, j’ai assez facilement trouvé un éditeur pour la publier.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dès la couverture, on y voit votre passion pour Tillieux.

 

Tout à fait. J’aime beaucoup les histoires humoristiques, mais, policières. J’ai toujours aimé ce que faisait Tillieux au niveau scénario et au niveau dessins aussi. J’aimais beaucoup les Tif et Tondu lorsque Tillieux écrivait le scénario, et surtout les Natacha qu’il faisait. Ce genre de bandes dessinées un peu grotesques mais avec une histoire policière bien ficelée était le genre de bandes dessinées que je voulais faire. Par la suite, le choix de Rubine a donc été logique et normal pour moi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Annoncé comme une série, Yves Rokatansky n’a connu qu’un seul album. Aviez-vous commencé le deuxième épisode quand l’aventure s’est arrêtée?

 

Je voulais en faire. C’était à l’époque où je suis venu faire mes études à Paris et je n’avais pas vraiment de temps pour faire deux bandes dessinées. J’avais X-ion qui me tentait beaucoup plus que Yves Rokatansky à ce moment-là, c’était une histoire un peu plus fantastique. J’avais fini l’album de X-ion en attendant de refaire un album de Rokatansky, mais malheureusement l’éditeur Sorg et un peu en même temps les éditeurs Yougoslaves et Serbes ont arrêté de publier. Il y avait une crise éditoriale à l’époque déjà dans mon pays. Sorg a de son côté fait faillite. N’ayant plus d’éditeur, j’ai essayé de faire autre chose. J’avais rencontré Mythic à cette époque-là. On a essayé de faire d’autres séries comme Gus Daïe, Georges et Washington, Le Showffeur,… Presque rien n’a été publié. C’était des projets pour Spirou ou Tintin qui n’ont pas été acceptés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il faudra attendre 1993 pour vous retrouver avec Rubine. Comment un jeune auteur quasi-inconnu se retrouve-t-il à travailler aux côtés de François Walthéry?

 

Justement grâce à cette rencontre avec Mythic, qui était déjà un scénariste connu et qui travaillait dans les années 70 pour les journaux de Spirou et de Tintin. J’avais quelques projets en cours avec lui. Mythic avait, avec Thierry Martens, créé un personnage féminin, genre Natacha, mais pas tout à fait, c’était dans un esprit plus réaliste. Il devait être réalisé avec François Walthéry, et cette série s’appelait Rubine. Mais cela faisait déjà des années que ce projet traînait. A un moment donné, François avait changé de maison d’édition. Il s’est retrouvé chez Marsu productions. Je sais qu’il y a eu un problème avec Dupuis parce qu’il était parti de chez eux. Dupuis ne réapprovisionnait pas beaucoup Natacha en librairies dont les ventes avaient chuté un petit peu. Il a pensé que c’était le moment d’activer cette autre série, pour faire des rentrées d’argent. C'est comme ça qu’il a réactive l’idée Rubine. Il a dit tout de suite à Mythic qu’il ne pouvait pas faire ça tout seul et qu’il lui fallait quelqu’un pour l’aider. Walthéry avait déjà l’habitude des assistants sur ses décors de Natacha comme par exemple Will, Jidéhem ou Wasterlain. Mythic, étant en contact avec moi, m’a proposé de faire un essai d’une planche. Le sujet me plaisait. On a été plusieurs auteurs à faire ces essais. C’était sur la deuxième planche du premier album de Rubine. L’héroïne est dans sa salle de bain, le téléphone sonne... J’ai fait ma planche. Il fallait faire juste les décors. Je trouvais ça assez bête de m’en tenir à ça. Je me suis dit que j’allais dessiner une fille genre Walthéry. J’ai suivi le scénario et j’ai fait tout le dessin. Walthéry a flashé et demandé à Mythic si je savais encrer une planche. A l'époque, je ne savais pas qu’en Belgique “Est-ce qu’il sait?” voulait dire “Est-ce qu’il peut?”. Un peu vexé j’ai dit à Mythic: “Bien sûr que je sais!”. Une fois encrée, Walthéry a voulu me voir tout de suite chez lui à Cheratte, et il m’a dit: “Voilà, tu vas tout faire.”          

 

 

 

 

 

 

 

 

La série Rubine était scénarisée par Mythic. Quelle était la part de travail de Walthéry sur les planches de Rubine?

 

Je faisais les crayonnés. François les corrigeait et me les renvoyait à Paris. Ensuite, je les encrais. C’est comme ça que l’on a travaillé pendant trois ou quatre albums. Sur les albums suivants, même s’il ne les corrigeait plus, je lui envoyais toujours les planches pour qu’il les approuve. Je remercie Walthéry car il m’a laissé faire à ma façon les dessins et l’encrage. Je me suis émancipé de son trait. J’ai fait évoluer Rubine à ma façon. Elle est vraiment devenue mon personnage.  

 

 

 

 

 

 

 

 

Vous est-il arrivé d’intervenir sur le scénario?

 

Non, jamais. Je le regrette un peu. Je n’en ai jamais eu l’occasion car Mythic était toujours très en avance dans son travail. Je n’avais pas fini un album qu’il m’envoyait déjà le scénario du suivant. Je n’avais donc pas tellement l’occasion de lui dire ce que j’aimerais faire. C’était lui qui imposait le rythme et qui décidait des histoires. Je ne voyais pas trop une collaboration à ce niveau-là. J’étais juste l'exécuteur d’un scénario et ça a fini par me fatiguer. Avant, avec Lazzaro, sur la série X-ion et toutes ces séries que je faisais, j’étais très actif dans le scénario. J’aimais apporter mon grain de sel, faire des changements pour améliorer l’histoire, la rendre plus intéressante afin de me motiver à la dessiner.

 

 

 

 

 

 

 

 

Après huit albums, en 2002, vous laissez la série dans les mains de Boyan, votre coloriste. Pourquoi avoir quitté le navire?

 

C’était à l’époque des bombardements de la Serbie et j’étais assez révolté par cette attaque contre mon pays qui était montée de toute pièce. C’était vraiment de la propagande contre mon peuple qui se défendait contre un extrémisme musulman qui nous attaquait dans le sud du pays. On s’est retrouvé bombardé par l’Europe, soit disant civilisée, alors qu’on se défendait. Je trouvais ça ahurissant. J’étais vraiment très, mais très révolté. J’ai arrêté tous mes contacts avec les pays de l’ouest pendant une quinzaine d’années. A ce moment-là, Boyan n’avait pas vraiment de travail. Il m’aidait déjà sur Rubine. Ça lui rapportait l’argent dont il avait besoin pour vivre. Comme je quittais le navire, il m’a demandé que je propose son nom pour me succéder. Dans le huitième album il avait déjà fait les décors, les couleurs et les personnages secondaires. Il était donc capable de continuer. Le Lombard a accepté et voilà comment Rubine s’est retrouvée dans ses mains. Il a très bien repris le personnage. Aujourd’hui, il travaille avec beaucoup de succès chez Delcourt.

 

 

 

 

 

 

 

 

Il faudra attendre 2016 pour vous retrouver avec Acidités de couleur noire, un album que vous signez avec Bam, chez YIL édition, hommage aux grands maîtres de la BD franco-belge et en particulier Gotlib et les idées noires de Franquin.

 

Cet album-là est un album que j’ai, pour ainsi dire, commencé même avant Yves Rokatansky. C’était des planches d’humour noir. Je suis un très grand fan de Franquin, de ses “Idées Noires”, et bien sûr de “Gaston”. C’est un petit mélange de tout ça avec des gags que je faisais. Le scénariste Lazzaro écrivait des gags d’humour noir. Bozidar Milojkovic - BAM et moi en faisions chacun certains. A un moment donné, il y en eut assez pour un album. C’est resté dans un tiroir durant des années. J’ai juste terminé une petite histoire avec des généraux pour compléter l’album et j’ai repris tout ça dans un livre qui s’appelle “Absurdités noires” pour avoir la connotation des “Idées Noires”.

 

 

 

 

 

 

 

Comment un auteur comme vous se trouve-t-il chez un micro-éditeur. C’est même de l’auto-édition presque?

 

Je n’étais pas sur le marché depuis très longtemps en France. J’ai un ami qui commençait à y travailler en tant qu’éditeur et qui m’a proposé de venir chez lui. Publier un "grand auteur" était bon pour sa promotion. Je me suis rendu compte après que c’était un imprimeur et non pas un éditeur. Il n’avait aucune réelle diffusion, aucune promo, aucune vente.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En 2017 et 2018, “La Vache qui Médite” met vos travaux à l’honneur avec “Morceaux choisis”. Ce sont des recueils de croquis ou y a-t-il aussi des histoires courtes?

 

Oui, il y a une dizaine de pages de BD. “Morceaux choisis” était une collection avec des dessins inédits de François Walthéry. L’éditeur m’avait contacté pour que je fasse la même chose avec mes dessins. Comme à l’époque j’étais revenu sur le marché, j’avais beaucoup de dessins sur commande. Il y avait de quoi faire un recueil. C’est ainsi qu’on a fait les deux tomes de “Morceaux choisis”.

 

 

 

 

 

 

 

 

En 2019, vous renouez avec Rubine dans “Hommage collatéral”, album de fausses couvertures de Natacha et Rubine, que vous signez avec Bruno Gilson. Qu’elle est la genèse de ce livre?

 

Il y avait beaucoup de dessins que je faisais sur commande. Je dessinais des hommages à Natacha, et c’était toujours avec Rubine. Il y avait donc déjà un paquet de fausses couvertures. Gilson qui en avait aussi m’a proposé que l’on fasse un album ensemble. J’ai vraiment aimé faire cet album. J’ai mis les dessins que j’avais déjà en couleurs, j’ai inventé des titres. Ça m’a fait très plaisir de faire ce vrai livre de fausses couvertures. Il a été très bien accepté et s’est assez bien vendu.

 

 

 

 

 

 

 

 

Vous est-il arrivé d’intervenir sur une même couverture avec Gilson?

 

Non, chacun a fait les siennes de son côté.

 

 

 

 

 

 

 


 

Comment François Walthéry a-t-il accueilli cet hommage?

 

Il était très content. Il s’est bien marré. Il m’a dit que c’était vraiment très bien mais qu’il ne fallait pas trop “tirer sur la ficelle”. C’est à dire que les hommages c’est sympa, mais il ne faut pas en faire trop.

 

 

 

 

 

 


 

Pourrait-on vous retrouver un jour au dessin d’une nouvelle aventure de Rubine?

 

Non, pas vraiment parce que Rubine a été finalement reprise par Bruno Di Sano. S’il y a un nouvel album de Rubine, ce sera un album fait par lui. (Ndlr: cet album est annoncé pour 2021 aux éditions du Tiroir) Je ne pense pas que je ferai un nouvel album de BD en tant que dessinateur. C’est quelque chose qui est derrière moi.

 

 

 

 

 

 

 

 

“Le crayon dans l’encrier” est un artbook grand format, paru en 2019 à seulement 75 exemplaires chez “Coup de Noir”. Reste-t-il des exemplaires disponibles ? 

 

Il en reste encore quelques-uns. Il y en a trois ou quatre chez un ami en Belgique si quelqu’un veut en acheter. Ils sont à vendre avec des dessins originaux en noir et blanc à l’intérieur et sont dédicacés. C’est même plus que des dédicaces. Ce sont vraiment des dessins de Rubine à l’encre.

 

 

 

 

 

 


 

Sur votre page Facebook Dragan Lazarevic – de Lazare / ART, on peut admirer des acryliques et des œuvres au crayon. Ce sont des portraits de femmes. Quelles sont vos inspirations?

 

J’ai toujours eu envie de peindre. J’ai peint quand je faisais des pauses dans la BD ou quand j’en avais marre de la BD qui finit par me fatiguer à un moment. Je peignais pour moi. Maintenant, avec la facilité de présenter ses travaux à d’autres avec Facebook, j’ai recommencé à peindre en début d’année. J’ai voulu montrer un peu ce que je faisais.

 

 

 

 

 

 

 

 

Est-ce que les confinements qu’on a vécus et qu’on vit encore changent la donne dans l’esprit d’un artiste?

 

Oui, ça change beaucoup. Il y a une très grosse crise économique évidente en marche. J’espère que la BD et d’autres arts vont y survivre… bien que j’ai de gros doutes…

Mais c’est un autre sujet...

 

 

 

 

 

 

 

 

Quels sont vos projets?

 

Pour l’instant, je vis surtout des commissions, un peu comme les artistes Ricains. Des fans de Rubine me commandent des dessins. Sinon, je ne vends pas mes tableaux pour l’instant sauf quelques-uns avec Rubine.  Pour les commissions, les dessins que je fais sont des dessins à l’encre de chine, formats A3 ou A4 de Rubine et d’autres personnages que l’on me demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Merci Dragan.

 

 

Propos recueillis par Laurent Lafourcade

 

Toutes les images sont © Dragan de Lazare

 



Publié le 29/11/2020.


Source : Bd-best

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