Gilles Ciment, victime des politiques? Voilà un exemple typique des relations au vitriol entre l'administratif et le créatif, voilà une personne à la tête de la Cité internationale de la BD à Angoulême depuis 2007. Poste stratégique s'il en est où, pendant ces 2 mandats, il a exercé aussi bien les postes de directeur de musée, distributeur de films, libraire, maison des auteurs, représentant international...tout ces métiers formant synergie pour une meilleure gouvernance de la Cité.
Sous ces deux mandats, on lui doit notamment la rénovation et l'extension des salles de cinéma ; la conduite, l'aménagement et l'ouverture du nouveau musée de la bande dessinée dans un nouveau bâtiment ; création aussi de la table à dessin, d'une brasserie panoramique, et du chronoscaphe, espace de réception dans la Cité. Il met aussi en place une identité visuelle spécifique pour la Cité, imaginé par le graphiste Étienne Robial. Il crée un portail Internet d'informations et de ressources avant de lancer la "Cité numérique", lance aussi une politique de coédition de catalogues et de beaux livres et initie un certain nombre de grands projets culturels en partenariat avec de grandes institutions françaises et étrangères.
Débarqué pourtant manu militari depuis juin 2014 par le pouvoir local à savoir Michel Boutant, président du conseil général de Charente, Gilles Ciment cherche à retrouver ses droits, droit indemnitaire et recours pour excès de pouvoir envers son autorité de tutelle. Entretien donc avec Gilles Ciment sur ses expériences passées à la tête de cette Cité, où se mélangent confrontation houleuse avec le festival BD, les élus locaux, les pesanteurs administratives mais aussi de réelles réussites avec des expositions ou collections sur des artistes de talent comme Art Spiegelman, Marc-Antoine Mathieu ou l'exposition "Cent pour cent". Poste de direction qui l'a amené à savoir allier forme de création pure et impératifs administratifs et budgétaires ; un cas d'école donc.
Concernant votre personne, il existe beaucoup de documentation sur Internet, vous êtes fier de cela?
Ça dépend de quoi l’on parle. Ce qui me gêne, c'est le côté rapide d'Internet et le droit à l'oubli qui, souvent, n'existe pas ou plus. Autant un article dans la presse papier est vite oublié (on dit qu’il n’y a rien de plus périmé que le journal publié la veille), autant Internet conserve la mémoire de tout. Du coup, Internet encourage les surenchères médiatiques, car il faut faire « remonter » sur les moteurs de recherche des points de vue contradictoires. C’est une sorte de feuilleton dans lequel il faut avoir le mot de la fin.
Actuellement, vos principales activités, ce sont vos actions judiciaires, cela doit prendre beaucoup de temps.
Oui cela prend beaucoup de temps ; l'accompagnement médiatique de la chose aussi. Mais tout cela n’est guère favorable à mon reclassement professionnel. Vous avez remarqué que, sur cette affaire qui dure depuis juillet 2013, je ne me suis jamais exprimé publiquement avant septembre 2014, alors que d'autres ne cessaient de répandre des rumeurs ou de déclarer des contre-vérités à la presse.
Le moral est bon?
Oui, merci, j'ai repris "du poil de la bête", après un semestre très pénible et de gros pépins de santé…
Vous êtes content de la mobilisation assez forte sur votre personne?
Il n’est pas dans mon caractère ni ma pratique de recourir à la mobilisation par pétitions ou réseaux sociaux. Mais cette initiative d’un auteur-critique-éditeur-bibliothécaire-militant, qui est intervenue à point nommé, a été d’abord une grande surprise, mais aussi un grand réconfort. Je suis très agréablement surpris par la forte mobilisation des auteurs de BD, qui ont eux-mêmes bien des préoccupations en ce moment, de la paupérisation de leur profession à la réforme de leur retraite, en passant par les bouleversements du numérique en matière de droits et de rémunération. C’est sans doute qu’ils ont reconnu le travail accompli depuis six ans par la Cité de la BD, au cours de mes deux mandats successifs à sa tête. Je sais que personne n'est irremplaçable, et ce qui m'a choqué dans cette histoire, c'est moins la volonté de poursuivre avec une autre direction (et peut-être dans une autre direction…) que la manière brutale qui a été utilisée pour m’évincer, sans motif.
Vous avez des nouvelles du ministère de la Culture?
Aucune. Mais le fait que des centaines d'auteurs et d’autres acteurs majeurs de la culture se soient mobilisés en ma faveur ne laisse personne indifférent au cabinet, qui n’est peut-être pas étranger au fait que mes droits à l’indemnisation chômage soient enfin reconnus par Pôle Emploi. Après six mois sans aucune ressource, cela me permet de vivre plus sereinement et de poursuivre mes actions judiciaires, puisque je ne suis plus "étranglé" financièrement (ce qui était visiblement le but recherché). C’est donc une première victoire sur ceux qui ont voulu me maintenir dans un no man’s land juridique.
Donc, vous étiez à la tête de la Cité de la BD depuis 6 ans?
Oui, j'ai été nommé en 2007, sur projet, par le conseil d'administration du tout nouvel établissement public. Je voulais faire de la Cité un lieu de conservation, de création et de diffusion d’envergure nationale, avec un rayonnement international. La Cité a été créée sous la forme d’EPCC (établissement public de coopération culturelle), et je me suis "battu" pour que cette structure reste indépendante et protégée des pressions et diktats politiques locaux, comme l’a voulu le législateur en accordant une grande autonomie au directeur. C’était un enjeu quotidien.
La Cité de la BD a été reconnue pourtant avec le temps, un auteur comme Hermann a toujours vanté les mérites de cette structure alors qu'il a dit pis que pendre du festival BD et surtout les magouilles liées aux prix BD les années antérieures.
Oui et c'est intéressant, car on ne peut pas décrire Hermann comme un auteur élitiste, alors que c’est parfois le reproche – injuste – fait à la Cité, notamment par le Festival. Avant la création de la Cité et mon arrivée, trois structures associatives coexistaient : le Festival, le CNBDI et la Maison des auteurs (dont j’étais d’ailleurs président depuis quatre ans). Le premier a confié pour dix ans sa gestion à une société privée afin de ne pas intégrer l’établissement public, qui a donc fusionné les deux autres. Pour en prendre la direction, j'ai été choisi parmi une quarantaine de candidats, puis parmi les six finalistes qui ont proposé un projet triennal... J'ai eu mission de transformer et réformer la structure, mais avec un financement public constant (alors que les charges s’envolaient). Les résultats ont pourtant été au rendez-vous : entre 2007 et 2013, le musée de la BD a vu sa fréquentation augmenter de 112%, celle du cinéma de 72%, celle de la bibliothèque de 35%, tandis que le nombre d’enfants participant à des ateliers a bondi de 141%, le nombre d’auteurs accueillis en résidence de 77%. Ces résultats ont permis de dégager de nouvelles recettes, avec une augmentation de 47% des ressources propres (+47%), le développement des coproductions et partenariats, l’envol du chiffre d’affaires du cinéma (+93%) et de la librairie (+74%).
Tout ces divers métiers (bibliothèque, musée, cinéma, édition, expositions…) vous les avez appris en les exerçant ?
Oui et non, j’en connaissais certains avant. J’ai exercé des activités qui m’ont servi pour diriger la Cité et y lancer de grands projets : bibliothécaire, directeur de collection et éditeur, concepteur web, commissaire d’expositions... Chez MK2, dont j'ai été directeur général adjoint, j’ai acquis une certaine expertise en exploitation cinématographique et en communication. Quand j’ai pris mes fonctions à la Cité, il n'y avait pas de politique d’expositions, plus d’activité d’édition, presque aucune communication (ni programme, ni site web, ni newsletter, ni identité graphique), très peu de partenariats : il a fallu créer tout cela ex-nihilo, et mobiliser les ressources financières et humaines correspondantes. Je pense que tout ce travail, accompli par une équipe compétente et enthousiaste, a été reconnu et salué à travers la pétition signée non seulement par des auteurs, mais aussi par des éditeurs, des producteurs, des réalisateurs, des responsables d’équipements culturels et de festivals…

Pas trop lourd à gérer au quotidien, cette Cité de la BD?
Si, bien sûr ! Passer un marché public, par exemple, c'est d'une lourdeur administrative très forte. Monter un budget et le faire voter par des élus locaux qui n'ont pas tous les mêmes préoccupations (ville, département, région), ni les mêmes que vous, ce n’est pas simple non plus. Il existe parfois des conflits entre eux, qu'ils peuvent régler sur le dos de l’établissement ou de son directeur – et ce sont parfois même des divergences dans une même majorité, entre courants différents au sein d'un même parti, voire des conflits de personnes.
Mais à mon avis le problème est plus profond. Le CNBDI avait été voulu et pensé par Jack Lang comme un des « grands projets » présidentiels de François Mitterrand, le seul implanté en région. Mais la greffe n'a jamais vraiment pris car beaucoup d’édiles locaux n'ont jamais vraiment compris l’intérêt de la structure et de ses actions. C’était un établissement mal-aimé, avec des a priori forts. Un exemple : il n'y a pas un panneau aux abords de la ville pour annoncer l’existence de la Cité, ni en ville pour indiquer où elle se trouve, c'est surréaliste! A l’inauguration du nouveau musée de la bande dessinée, en 2009, on avait mis des pancartes en carton un peu partout autour : ils y sont toujours ! Chaque fois que l’on veut montrer que la BD existe aussi en dehors du festival et même toute l'année, c’est pris comme une attaque contre la manifestation événementielle, alors que les activités sont complémentaires et que la Cité attire, tout au long de l’année et singulièrement pendant la saison touristique, de très nombreux visiteurs (plus que pendant le festival !), qui fréquentent aussi les restaurants, les commerces, les hôtels, et qui ne viendraient pas à Angoulême sans cette attraction originale.
D’où viennent les conflits entre le Festival et la Cité de la BD ?
Dès la création du CNBDI il y a vingt-cinq ans, il y a eu conflit direct entre le festival, événement ponctuel à vocation essentiellement commerciale, et la Cité, structure culturelle pérenne de conservation, de diffusion et de soutien à la création. Le festival n'a jamais vraiment reconnu le rôle du centre à Angoulême, au point que l’organisateur de l’époque a d’abord voulu montrer son désaccord en quittant la ville pour tenter l’aventure à Grenoble (ce fut un échec). Même conforté dans la cité des Valois, le festival a ensuite entretenu avec le CNBDI des luttes d'influence et conflits larvés.
Puis la Cité a été créée sous forme d’établissement public il y a sept ans afin de regrouper toutes les activités de la BD. Comme je l’ai dit, le festival a refusé de s’intégrer à cette Cité avec des arguments fallacieux qui ont néanmoins porté auprès des élus.
Le premier de ces arguments était que les éditeurs, interlocuteurs premiers de la manifestation, ne voudraient pas travailler avec un établissement public. Or le Festival international du cinéma d’animation d’Annecy (leader mondial sur le sujet et deuxième festival de cinéma en France) est devenu EPCC sans que ses interlocuteurs (les studios Disney, Pixar ou Dreamworks, les chaînes Canal+, France Télévisions, Disney Channel et autres Cartoon Networks…) s’en émeuvent le moins du monde. Le deuxième argument était que la Cité serait une coquille vide dirigée par un haut fonctionnaire énarque. La suite de l’histoire a démontré le contraire : ni fonctionnaire ni énarque, j’ai développé un établissement qui, pendant six ans, a largement débordé de sa coquille… Le troisième argument, cette fois pour justifier le transfert de la gestion de l’association historique à la SARL 9eArt+, était que les sponsors et partenaires seraient plus rassurés avec une société privée qu’avec une association. Or le Festival de Cannes, qui reçoit des millions de financement ou de prestations de la part de sponsors tels que L’Oréal, Renault, Canal+ et Chopard (partenariats d’une autre ampleur que ceux du FIBD), est toujours une association Loi 1901 !
Conscient que le risque demeurait qu’un jour les collectivités reviennent à l’idée de confier l’organisation du festival à leur établissement public (comme à Annecy, avec un succès certain), Franck Bondoux, gérant de 9eArt+, n'a eu qu'un seul objectif : « dézinguer » la Cité afin de l’empêcher de démontrer sa capacité à organiser des événements, notamment pendant le festival (mission inscrite aux statuts de l’établissement). Le dénigrement systématique devenant vite ridicule et inaudible devant les réalisations de la Cité saluées par tous (colloques, rencontres internationales, expositions itinérant à travers le monde, publications, ressources en ligne, etc.), une nouvelle stratégie consista à empêcher la Cité de valoriser ses richesses, son patrimoine, ses actions, ses auteurs en résidence. La neutraliser par diverses formes de lobbying, en l'empêchant tout simplement de faire, de s’afficher, d’avoir des sponsors, mécènes ou partenaires, et finalement en attaquant ma personne, partant du principe que, privée de ma direction, la Cité serait moins « gênante ». Un auteur comme Art Spiegelman a voulu, dès qu’il fut Grand Prix, travailler avec la Cité et son musée, car il voulait braquer les projecteurs sur l’histoire de la littérature graphique. On lui a donc ouvert le musée pour créer en collaboration avec lui une exposition de forme inédite : « le musée privé d’Art Spiegelman ». Le délégué général du festival a alors réclamé ma tête au ministre de la Culture, au prétexte que j'aurais « nui à l'image de la France » (sic). Art Spiegelman a été l'un des premiers signataires de la pétition lancée le mois dernier par des auteurs pour me soutenir, pétition qui a été signée par tous les festivals, les institutions, les éditeurs, français et étrangers, avec lesquels j'ai établi des partenariats, ce qui tendrait à démontrer que je n’ai pas tant nui à l’image de la France et que les relations difficiles ne sont pas nécessairement de mon fait.
Vous avez pu constater aussi l'explosion du festival BD d'Angoulême depuis quelques années.
Oui, le festival se développe, mais nous ne savons rien de certain sur sa fréquentation, qui semble d’ailleurs stagner, puisqu’on nous annonce environ 200 000 spectateurs chaque année. Est-ce le vrai chiffre ? Au regard d’un certain nombre d’indicateurs ou de points de comparaison, il est permis d’en douter très fortement. Mais comme les organisateurs se refusent à recourir à une certification par l’OJS (Office de justification des statistiques des foires et salons) ou un contrôle d’Expo’Stat, comme le font le Salon du Livre ou Japan Expo, et comme ni les financeurs publics qui leur versent des subventions considérables, ni les exposants qui dépensent beaucoup d’argent pour être présents ne l’exigent, nous ne pouvons pas être fixés, ce que dénonce par exemple Bertrand Morisset, le délégué général du Salon du Livre, qui parle de concurrence déloyale et le manque de transparence dans l’utilisation de l’argent public.
En tant qu'ancien directeur général de la Cité de la BD, que retenez-vous comme belles rencontres d'auteurs?
Chaque rencontre avec un artiste est un moment unique et inoubliable. Mais si je devais donner deux exemples, je citerai Art Spiegelman, avec qui nous avons monté son « musée privé », exposition qui a fait date, et Amruta Patil, une auteure indienne avec qui je suis entré en contact par Facebook, que j’ai fait venir pour participer aux 24 heures de la bande dessinée, qui a effectué deux résidences à la Maison des auteurs et qui s’est mariée et installée à Angoulême. Nous nous connaissons peu, mais j’ai l’impression d’être un peu lié à son destin...
Sur votre propre site web, on peut voir vos entretiens BD, dont celui avec Jean Giraud.
Ce fut une belle rencontre avec une belle personne. Jean fut même le tout premier visiteur de notre nouveau musée. Peu après sa mort, nous avons rebaptisé le bâtiment conçu il y a vingt-cinq ans par Roland Castro et Jean Remond, siège social de la Cité, « Vaisseau Mœbius ».
Il y a, actuellement, surproduction mais aussi beaucoup de BD éditées de grande qualité, on le voit, chaque année, avec les prix à Angoulême.
Oui, je suis d'accord avec cela. Dans les années 1980, j'arrivais à lire à peu près tout ce qui paraissait: cela représentait un peu plus de 300 albums dans l'année. Aujourd'hui, avec 5 500 albums édités par an, il est devenu impossible de tout connaître. Cela restreint donc les possibilités de découvertes, comme par le passé avec des chocs comme Akira, Watchmen, Maus, Franck Miller… Aujourd'hui, il y a tellement de choses publiées que l'on a moins de surprises de taille, mais tout est devenu possible : la BD de l’intime, la BD de reportage, la BD dite « girly »... Surproduction, sans doute, mais aussi diversité de lectures et variété de l’offre, que ce soit dans les comics, les mangas ou la franco-belge. Il y a aussi profusion de jeunes talents et d’aspirants auteurs.
Ce que je remarque aussi vis-à-vis des auteurs étrangers présents, c'est qu'ils ont l'air très heureux d'être ici à Angoulême ; pour eux, c'est une sorte d'aboutissement artistique, comme à Cannes d'ailleurs.
C'est vrai, Angoulême reste la référence BD dans le monde. Recevoir un prix au festival, être exposé au musée, être accueilli en résidence à la Maison des auteurs sont des marques de reconnaissances inégalables, notamment à l'étranger. D’ailleurs, de nombreux éditeurs visitent l’exposition annuel des auteurs en résidence, pour repérer des artistes déjà passés par le « filtre » de la Maison des auteurs et dont ils peuvent admirer le travail de l’année écoulée. C’est pour eux une sorte de marché du talent.
Vous étiez en contact avec les éditeurs BD?
Pas beaucoup. Les éditeurs sont la chasse gardée du festival, qui est une manifestation commerciale. La Cité a davantage vocation à être en relation avec les artistes, les musées ou d'autres institutions, les festivals, les chercheurs, les galeristes. Mais, par exemple, avec les 75 ans de "Spirou", on a travaillé main dans la main avec "Dupuis", éditeur honoré que le musée de la BD d'Angoulême mette en place une exposition sur l'histoire de "Spirou".
Vous avez beaucoup travaillé avec les écoles de l’image d'Angoulême?
Oui, beaucoup. On a travaillé notamment avec l'EESI, bien sûr, mais aussi avec l'EMCA qui dépend de la Chambre de commerce, ainsi qu’avec l'ENJMIN école du jeu vidéo du CNAM, ou CREADOC, le CEPE...
Pour en revenir à votre situation personnelle, que s'est-il vraiment passé?
Je n'ai pas apprécié la brutalité de mon éviction. Si je n'avais pas été reconduit pour un troisième mandat, je me serais tout naturellement incliné, mais rien n'a été fait dans les règles. S’il devait y avoir un amendement à mon projet approuvé par le Conseil d’administration, il devait être clairement formulé, débattu et délibéré en Conseil d’administration, puis cette délibération devait passer au contrôle de légalité, être enregistrée en préfecture et être publiée, comme toute délibération. Je m’y serais conformé, comme à toutes les délibérations prises depuis six ans. Mais, cette procédure, destinée à assurer la légalité des décisions prises, a été refusé, pour des raisons inavouables. Devant ma résistance, on a préféré m’évincer et on l’a forcément fait en dehors de toute procédure légale, salement, au mépris de mes droits les plus élémentaires de salarié. C’est pourquoi je me bats, en justice, pour faire valoir mes droits.
Vous aviez aussi un rôle de représentation, il fallait que vous soyez vu en tant que directeur de la Cité.
Oui, tout à fait, et c'était souvent en contradiction avec l'esprit charentais, tout en discrétion. La première chose que j'ai faite en arrivant à Angoulême (je suis Parisien), c'est d'aller voir les acteurs culturels : directeurs et directrices du musée municipal, du théâtre, du Conservatoire, du FRAC, de la scène de musiques actuelles, des centres socio-culturels des quartiers, des écoles de l’image, des divers festivals… Et je me suis vite rendu compte qu’ils ne se connaissaient pas toujours entre eux, qu’aucune démarche de collaboration n’était à l’œuvre. Aussi, pour y remédier, avec le directeur du théâtre lui aussi arrivé depuis peu, nous avons institué un petit-déjeuner culturel mensuel. Un lundi matin, on se retrouvait dans une nouvelle structure culturelle chaque mois, que l’on visitait avant de débattre entre nous de nos problèmes, de nos projets d'avenir, de possibles coopérations. Le nom de ce groupe informel, CACTUS (pour « collectif des acteurs culturels du territoire et des usagers »), a été très mal pris par les élus qui ne comprenaient pas notre démarche et tiquaient au mot « collectif ». Ça a d'ailleurs été un peu le début de mes problèmes.
Comment conceviez-vous votre mission ?
Ce qui m'intéresse fondamentalement, c'est de transmettre des idées, des savoirs, des connaissances, conduire des réflexions sur le monde de la bande dessinée et son histoire, et ce n'est pas chose facile. Pendant six ans, j'ai travaillé 70 heures par semaine – aux dépens de ma famille – pour faire éclore la Cité et l’installer comme une institution essentielle, nécessaire, indispensable, incontournable. Mon travail s'inscrivait dans une politique de collaboration internationale, avec échanges d’idées et savoirs et prêts de documents. Le musée et la bibliothèque ont reçu beaucoup de dons car on savait que la Cité était sérieuse dans la conservation de documents. Mais nos activités étaient aussi en prise avec la création : que ce soit les cartes blanches à des auteurs, l’accompagnement des auteurs en résidence, le travail avec l’OuBaPo (expositions, Oubaposhow…) ou avec Marc-Antoine Mathieu pour la scénographie de l'exposition Nocturnes sur le rêve dans la bande dessinée… Ce sont des moments formidables.
Toute la complexité de la Cité tient dans sa nature de « mobile de Calder », se maintenant en équilibre entre centre culturel local et tête de réseau internationale, entre conservation du patrimoine et aide à la création contemporaine, entre culturel et commercial, entre bande dessinée et autres images (cinéma, animation…), entre papier et numérique…
Avec ce nouveau musée, on voulait à la fois offrir à la bande dessinée un musée digne des plus beaux musées d’arts graphiques et attirer un public qui n'avait jamais mis les pieds dans ce genre de structure. Dans les premières expositions, j’ai d’abord voulu montrer les filiations entre auteurs d'hier et ceux d'aujourd'hui. On a ainsi demandé à plus de cent auteurs du monde entier de dessiner une planche faisant écho à une planche issue des collections du musée : ça pouvait être une parodie, une suite, un remake, un commentaire, un souvenir de lecture… On a ainsi montré, en résonance, un florilège des plus belles planches de de notre fonds et un de la bande dessinée mondiale actuelle. Cette exposition Cent pour cent et son catalogue ont formé une sorte d’arbre généalogique de la bande dessinée. On a eu des choses vraiment étonnantes avec des auteurs avant-gardistes qui choisissaient des planches très classiques et inversement. Ce dialogue s’est poursuivi dans les expositions Parodies ou Le Musée privé d’Art Spiegelman. Un autre fil rouge a été le dialogue entre bande dessinée et autres arts : Parodies qui évoquait aussi la BD parodiant la littérature, le cinéma, la peinture, le théâtre…, Une autre histoire qui montrait l’œuvre de peintre de plus de quarante auteurs de BD européens des cinquante dernières années, Quelques instants plus tard qui faisait collaborer à quatre mains des auteurs de BD et des artistes contemporains… Et puis, l’été, les grandes expositions thématiques attirant les familles, telles que Pirates, Spirou ou Mangapolis.
Vous êtes au courant des combats du SNAC-BD? Du problème du numérique en BD?
Oui je suis cela, et la Cité y a consacré de nombreuses rencontres, à Angoulême ou à Paris. La dématérialisation des œuvres soulève plusieurs problèmes distincts, qui s’additionnent pour assombrir l’avenir : la renégociation des droits, le piratage, le prix de vent et sans doute à terme un changement radical de toutes les pratiques métier, y compris techniques. C’est une nouvelle page qui s’ouvre pour la bande dessinée, à laquelle doivent réfléchir aussi les éditeurs, les festivals, la Cité…
Propos recueillis par Dominique Vergnes.
Photographie © Dominique Vergnes
Publié le
27/10/2014.