Entretien avec Gos : seconde partie – La traversée de l’âge d’or
Flux RSSFlux RSS

         Toute l'actualité

Entretien avec Gos : seconde partie – La traversée de l’âge d’or

 

 

 

Peyo, Franquin, Tillieux, Roba, Walthéry, Jidéhem, Seron, Derib, Mittéï,… Quel grand auteur encore en activité a travaillé avec autant de grands noms de la bande dessinée ? Gos. Pour BD-Best, Laurent Lafourcade a eu la chance d’interviewer son auteur préféré, le créateur du Scrameustache. Après la première partie consacrée au voyageur de l’espace, voici le second volet survolant la carrière de l’auteur.

 

 

 

 

 

 

Vous avez démarré une carrière de militaire. Comment passe-t-on de l’uniforme à la bande dessinée ?

 

Ah, ça, c’est assez rigolo. J’ai travaillé au ministère de la défense nationale comme secrétaire particulier de l’amiral en chef. Il y avait un livre d’or avec une couverture en cuir dans lequel on faisait à chaque fois un beau dessin pour accueillir l’arrivée d’une personnalité étrangère. Le type que je suis venu remplacer était un peintre qui faisait des tableaux merveilleux. Un jour, mon chef de service adjudant-chef m’a dit que je dessinais bien et que je devrais faire un dessin dans le livre d’or car un amiral devait venir. Répondant que mes dessins étaient plus proche de la BD, on m’a répondu que si je savais faire ça, je savais faire autre chose. J’ai été mis au pied du mur. C’est comme cela que j’ai commencé à faire des dessins régulièrement dans le livre d’or. Un jour dans une revue militaire inter force, je vois de la BD. J’ai appelé le dessinateur Jean-Luc Engels et je suis passé le voir avec des croquis que j’avais fait pour m’amuser. Il m’a expliqué comme faire de la BD, quelles plumes employer, quel papier. Le rédacteur en chef de la revue, un major, est arrivé et, voyant que j’étais dessinateur, m’a demandé de dessiner une dizaine de planches racontant la vie d’un matelot, de son incorporation jusqu’à sa démobilisation. A l’époque, on faisait des services militaires de 24 et 18 mois. J’avais le choix pour faire balader mon personnage. L’ennui est qu’ils ont changé tous mes dialogues dans mes planches pour que ça devienne de la propagande. Mais j’avais mis le pied à l’étrier et voulais me lancer dans la BD. Les démissions de l’armée étaient refusées à l’époque. Soutenu par ma femme qui a mis de l’argent de côté, j’ai fini par pouvoir démissionner un an après.

 

 

 

© Gos

 

 

Vous avez commencé comme assistant de Peyo sur du lettrage. Comment l’avez-vous rencontré ?

 

Quelques temps avant de pouvoir démissionner de l’armée, j’avais rencontré Peyo et lui avais montré ce que je faisais. Trouvant qu’il y avait encore du boulot, il m’a dit qu’il me faudrait encore au moins deux ans de travail pour être prêt. J’étais un peu sonné.

Un an après ma démission, Peyo m’a rappelé. Derib repartait en Suisse. Il m’a demandé que si la place m’intéressait, elle était pour moi. Entretemps, il m’avait engagé pour faire du lettrage pour Johan et Pirlouit, les Schtroumpfs et Benoit Brisefer, ce qui fait que je suis un des rares à connaître les « bas de casse » (lettrage en caractères d’imprimerie minuscules) que les autres ne maîtrisent pas. C’est pour cela que Dupuis m’a demandé de faire du « bas de casse » sur le Scrameustache, que j’avais commencé en textes majuscules, car s’adressant à des petits, ils retrouvaient une écriture proche de l’écriture cursive qu’on leur apprenait alors à l’école.

 

 

 

 

© Gos, Peyo - Dupuis

 

 

 

Puis vous participez au scenario et aux dessins du Cracoussas.

 

Vraiment tout seul, oui. Les autres nous les faisions ensemble. J’écrivais un scénario, le lui soumettais et on le continuait tous les deux s’il le trouvait bon. On commençait le samedi suivant. Je me rendais chez lui et on démarrait sur le synopsis que j’avais fait en le changeant au fur et à mesure que l’on avançait pour le modifier et le perfectionner. Peyo était très fort pour ça. On faisait le scénario comme une partie de ping-pong. L’idée partait de l’un, revenait chez l’autre, puis retournait au premier jusqu’à ce qu’elle soit bonne. Il faisait des petits croquis et moi j’écrivais les textes. Quand c’était fini, ma femme retapait les textes à la machine. On donnait à François Walthéry, par exemple, mon texte imprimé et les petits dessins de Peyo. Peyo relisait tout, rajoutait une virgule par ci, remplaçait parfois un mot par un synonyme par là.

 

 

C’est la méthode qui a été employée sur les scenarios de Tonton Placide et du Cirque Bodoni pour Benoît Brisefer.

 

Oui, c’est ça. D’ailleurs le mot « Bodoni » vient d’un type de caractère d’imprimerie. Ce nom m’est revenu en tête. C’est pour ça qu’on l’a appelé comme ça.

 

 

 

 

© Gos, Walthéry, Peyo - Dupuis


 

 

Rapidement, vous co-écrivez des scénarios de Jacky et Célestin. Cette série était une véritable pépinière de talents : Walthéry, Derib, Mittéï, et bien sûr Peyo lui-même. Comment tout ce petit monde travaillait-il ensemble ?

 

Derib et moi, on travaillait sur le scénario. On le soumettait à Peyo qui faisait deux trois corrections et il le passait à Walthéry qui devait le dessiner. C’est comme ça que ça marchait. Seulement, Derib avait des idées bien précises et préconçues. Il avait du mal à s’adapter à quelque chose qui existait déjà. Ça n’allait pas parce qu’on passait plus de temps à discuter qu’à travailler. Après le départ de Derib du studio, je devais m’en occuper, mais on a laissé tomber la série, qui était publiée dans Le Soir Illustré, pour s’occuper de Benoit Brisefer, pour Dupuis. Pour Jacky et Célestin, on était moins bien payés et, en plus, on ne faisait pas d’albums. Ils sont parus bien plus tard dans la collection « Péchés de jeunesse ».

 

 

 

 

© Gos, Walthéry, Peyo - Dupuis

 

 

Vous avez aussi participé au scénario de Panade à Champignac, le dernier Spirou de Franquin.

 

Oh, oui, ça s’était marrant. Un jour, la femme de Franquin téléphone à Peyo et dit : “Je suis embêtée parce qu’André va refaire une dépression si ça continue. Dupuis veut qu’il continue Spirou et lui ne veut plus. Ça ne l’amuse plus. Il n’y a que Gaston qui compte pour lui. Il a commencé une histoire mais il n’en sort pas. Vous ne voulez pas l’aider ?”. Peyo m’en parle. On a trouvé comme prétexte pour amener Franquin chez Peyo que j’avais un problème avec le Cracoucass. Il m’a dit : “Ton oiseau est bien, mais il n’est pas méchant. ”. Il m’a fait un petit croquis vite fait pour l’améliorer. Puis, on a parlé de lui. Peyo l’a habilement amené à parler de son avenir. Franquin a avoué en avoir marre de Spirou. Peyo lui a alors proposé qu’on lui donne un coup de main pour l’aider à finir son scénario. Il avait déjà dessiné onze planches. Il nous a expliqué ce qui venait après, mais il y avait de quoi faire cent-vingt pages en plus. Ça n’allait pas. On a suggéré de repartir sur ce qu’il avait fait et de le conclure en quarante planches. Il a trouvé l’idée merveilleuse et nous a donné carte blanche. J’ai réécris la suite. Ça ne valait évidemment pas ce que Franquin faisait, mais il a bien aimé. Quand je lui montrais le scénario, il rajoutait sa mayonnaise personnelle et ça devenait vraiment du Franquin.

Un jour, il m’a étonné. Il avait dessiné la planche où un landau passe devant le train. Il avait fait ce dessin vu au ras du sol, mais ce n’était pas impressionnant. Devant moi, il a déchiré sa demie-planche et l’a refaite. J’étais soufflé qu’un type qui avait quarante-six ans de métier fasse ça.  Chapeau. Il est revenu deux jours après avec le même dessin vu d’en haut. C’était évidemment beaucoup plus net et précis. Ça m’a tellement marqué… Un jour, sur une planche du troisième album du Scrameustache, ma femme m’a fait remarquer qu’il y avait un problème avec la boule qui reçoit toutes les infos de la Terre. J’avais dessiné un mur de télévisions, mais ma femme m’a dit que ce n’était pas dans l’esprit du Scrameustache, mais plutôt du Gil Jourdan. Pour éviter toute discussion stérile, je lui ai dit que j’allais voir ça. J’ai fait comme Franquin. J’ai déchiré ma planche. Je l’ai refaite et je ne le regrette pas. Le jour où j’ai vu Franquin détruire sa planche, j’ai eu une belle leçon et je devais en profiter. Chapeau, Franquin ! Il était extraordinaire.

La meilleure chose qu’on a pu faire à l’époque est qu’on se réunissait tous les mois, Franquin, Peyo, Walthéry, Roba, Jidéhem et moi, une fois chez l’un, une fois chez l’autre. On cherchait des idées pour tout le monde. C’est pour ça que l’on voit mon nom apparaître sur certains gags de Roba. C’était très enrichissant. Mais je crois qu’on aurait plutôt dû faire du scénario pour Playboy que pour Spirou. C’était gratiné. Qu’est-ce qu’on s’est marrés ! Nine Culliford, la femme de Peyo, venait de temps en temps et nous disait : « C’est comme ça que vous travaillez ! ».

 

 

 

 

© Franquin, Gos, Jidéhem, Peyo - Dupuis

 

 

Vous avez à une époque fait des essais pour une reprise de Spirou. C’était juste après Franquin ?

 

Oui. Mais seulement Dupuis a dit que si je reprenais Spirou, je ne ferai plus de Schtroumpfs. C’est comme ça que je ne l’ai pas eu. Et c’est une très bonne chose. Franquin m’avait dit : « C’est bien mais c’est une corvée parce que tu vas devoir te baser sur tout ce que j’ai fait avant. Tandis que si tu créé des trucs à toi, tu feras ce que tu voudras. ». J’ai compris plus tard qu’il avait bien raison.

 

 

On n’aurait jamais eu le Scrameustache si ça avait marché.

 

Exactement. Franquin était de bon conseil pour tout ça. Peyo, lui, avait toujours peur qu’on s’en aille. Et c’est finalement ce que j’ai fait. Je ne pense pas qu’il m’en ait voulu quand je suis parti, mais il ne me l’a pas dit.

 

 

 

 

© Gos - Dupuis

 

 

Puis démarre l’aventure Natacha avec Walthéry. Vous la co-créez en quelque sorte.

 

Oui, ça, c’était la grande aventure. A part Sophie dans Spirou et Secottine, il n’y avait pas de femmes, pas de filles. Je cherchais des idées, parce que souvent Peyo partait en vacances et, deux jours avant, il nous disait : « Samedi, je suis parti, je pars en vacances ! ». Peyo ne voulait pas qu’on travaille sur ses planches pendant son absence, alors il fallait que l’on trouve quelque chose. Je cherchais vite des petits scénarios de quatre cinq planches et je courais les proposer à Yvan Delporte, rédacteur en chef de Spirou. C’est comme ça que l’on faisait des petites histoires comme Roland Labricole avec François Walthéry. Un jour, François en a eu marre. Il a proposé que l’on fasse une longue histoire dont il pourrait faire quatre ou cinq planches à chaque fois que Peyo partirait. J’ai cherché, je voulais faire un récit qui pourrait se passer n’importe où. Yvan Delporte a alors émis l’idée de faire une histoire d'hôtesse de l’air. Il avait vu des croquis de François qui dessinait les filles divinement bien, et c’est comme ça que c’est parti. Delporte nous a encouragé : « Allez les gars, faites la bien qu’on ait envie de la coucher sur un divan. ». Au fur et à mesure de l’histoire avançait, sa jupe rétrécissait de plus en plus. Dupuis nous a dit : « J’espère qu’on va arriver à un moment où elle a une culotte. ». Walthéry lui répondait : « Vous aurez la surprise la semaine prochaine. ». Ça a été un succès dès le départ.

J’ai compris un peu tard, et je m’en excuse auprès de lui, que Walthéry est un gars à qui il ne faut pas remettre un scénario et s’attendre à ce qu’il soit respecté à la lettre. Il va toujours changer quelque chose pour amener de l’action. Je ne l’avais pas compris au départ et c’est bien dommage. Si je devais refaire un scénario pour lui maintenant, je lui laisserai la main libre sur les scènes d’action, sans lui imposer quoi que ce soit. Mais je lui suis reconnaissant. Ces deux premiers Natacha, c’était un sacré boulot.

 

 

 

 

© Gos, Walthéry - Dupuis

 

 

Walthéry avait dû rajouter sur la couverture du premier album une main de Natacha pour cacher sa poitrine.

 

Oui, c’est vrai. On voyait un bout de téton qui faisait une petite bosse en dessous de son chemisier. Les pudiques de chez Dupuis lui ont demandé de mettre une main devant. Ce n’est pas croyable. Il faut dire que la maison Dupuis au départ était fortement sous influence du curé de la paroisse.

 

 

Vous avez eu la chance de bénéficier d'une époque où la presse était reine avant les albums, de travailler dans un journal et se faire la main. 

 

C'était bien parce que l’on était payé au prix de la planche qui passait dans Spirou, plus les droits d’auteur sur les albums vendus. C’était vraiment rentable.

 

 

 

 

© Gos - Dupuis

 

 

A partir de 1970, vous êtes adoubé par Maurice Tillieux pour lui succéder au dessin de Gil Jourdan. Comment s’est déroulé ce passage de témoin ?

 

Chez Dupuis, il y avait une réunion annuelle. Un jour, Tillieux était à côté de moi et je lui ai dit : “Dis donc Maurice, quand est-ce que tu vas refaire du Gil Jourdan ? ça commence à manquer”. Il m’a répondu : “Quand je trouverai un couillon comme toi pour me le dessiner.”. Et j’ai dit bêtement : “Chiche”. J’ai fait des croquis que je lui ai montré. Il les a trouvés bons, et c’est parti comme ça.

 

 

 

 

© Gos, Tillieux - Dupuis

 

 

 

Aviez-vous une pression particulière à prendre sa suite ?

 

J’étais tenu de faire du Gil Jourdan et les voiture, ça, c’était mon problème. Il m’a montré deux ou trois trucs un jour, et là j’ai appris à dessiner les voitures : incliner la voiture dans un virage, soulever les roues du sol pour montrer qu’elle va vite,… Tillieux était malin. Il me donnait un scénario et disait : “Tu vois, dans cette image, Gil tire sur le volant, la voiture va faire des tonneaux et il va s’éjecter. Quand il aura retrouvé les deux pieds sur terre, je reprendrai pour faire la suite.”.  Il me laissait toute liberté pour faire la scène d’action. Je prenais le nombre d’images qui me semblait nécessaire ; ça c’était très chouette.

 

Après sa disparition tragique en 1978, vous avez clôturé l’épisode en cours. Avez-vous envisagé après de poursuivre seul la série ?

 

Non parce que déjà, avant, j’avais dit à Maurice que je n’arrivais plus à mener de front Gil Jourdan et le Scrameustache. Je lui avais demandé de trouver un repreneur parce que je ne m’en sortais plus. Ayant liquidé pas mal de dessinateurs pour qui il fournissait des scénarios, il avait l’intention de redessiner Gil Jourdan. Malheureusement, il a eu son accident de voiture et il est mort. Vis-à-vis de l’éditeur, j’étais obligé de terminer l’album en cours. En revanche, il ne m’avait pas raconté son scénario et je ne savais pas la fin. Il m’avait juste dit un jour que le trafic sur la Manche était organisé de telle façon que son histoire ne tenait pas debout. Après son accident, j’ai trouvé l’astuce de faire échouer l’aventure avant qu'elle ne démarre. On a rajouté dans l’album des petites histoires complètes.

 

 

 

 

© Gos, Tillieux - Dupuis

 

 

En 2015, paraît Histoires courtes, reprenant les 3 histoires de Boubou le puma, Adhémar le petit lapin et Roland Labricole. Reste-t-il d’autres trésors à exhumer ?

 

Non, il n’y a que ça. Ce sont les petites histoires que l’on faisait pour meubler pendant les vacances de Peyo.

 

 

 

 

© Gos - Hématine

 

 

 

Du 27 août au 14 septembre, la galerie Daniel Maghen à Paris a fait une exposition de vos planches et dessins originaux, ainsi que de Walt, Mazel et quelques Tillieux. Un bel hommage.

 

Oui ! Daniel Maghen est notre galeriste depuis une quinzaine d’années. Comme ça fonctionne bien, il continue. Il a récemment déménagé et occupe une plus grande galerie. J’ai essayé de convaincre François Walthéry d’exposer simultanément avec nous. A l’approche de l’anniversaire des 50 ans de Natacha, cela aurait été chouette. Mais il n’a pas donné suite. Je pense qu’il ne souhaite pas vraiment céder ses originaux encrés pour le moment.

 

 

 

Merci, Monsieur Gos.

 

 

 

© Gos - Glénat 

 

 

 

 

Entretien réalisé par Laurent Lafourcade

 



Publié le 28/09/2019.


Source : Bd-best

        Toute l'actualité

©BD-Best v3.5 / 2024