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« J’ai l’impression d’avoir marché dans les pas des anciens que j’admire… »
C’est une aventure pétaradante qui nous est depuis peu proposée dans la collection Calandre des éditions Paquet. Avec Du Rififi chez les Yéyés, première aventure de Raoul Scopitone, Jérôme Lebrun, secondé au scénario par Philippe Pinard, nous entraîne inconsciemment dans une vieille salle de cinéma de quartier où serait projetée le genre d’histoire qui aurait pu s’inscrire dans l’âge d’or d’un certain cinéma français qui savait encore ne pas se prendre trop au sérieux : « 1964, après une mission calamiteuse au Maroc, le commandant Raoul Scopitone et son adjoint, le sergent Marcel Formica, des Barbouzes « à la Papa », sont chargés par le chef des services secrets français, en représailles, d’assurer la protection de l’idole des Yéyés : Sonny Brushing. Le monde du Yéyé voyant ses vedettes disparaître mystérieusement, nos deux zigues vont devoir mener Leur enquête en immersion totale dans le monde du show-business… » . Des dialogues qui lorgnent du côté d’Audiard, des personnages savoureux, des situations franchement cocasses, une foule de références aux années 60, la musique Yéyé comme bande originale et l’occasion de dévoiler les rondeurs des françaises de l’époque (les bagnoles, bande de nazes !), autant d’ingrédients qui rendent tout de suite très attachant le petit monde de Raoul Scopitone, très proche de celui de…Jérôme Lebrun, comme nous l’a confirmé le dessinateur .
-Bonjour Jérôme, comment est né Raoul Scopitone ?
Il s’agit d’un projet qui me tenait à cœur depuis longtemps déjà et qui me correspond bien. Je suis moi-même musicien dans un groupe de reprises yéyé, je collectionne les vinyles, les vespas…c’est toute une ambiance et j’avais envie d’amener ça dans une BD. Du Rififi chez les Yéyés sort dans la collection Calandre, mais ce n’est pas un album centré sur les voitures, même si elles y tiennent une belle place, c’est vraiment ancré dans les années 60’. Pierre Paquet a bien embrayé sur le projet, mais comme le storyboard présentait quelques faiblesses scénaristiques, il m’a proposé de travailler avec Philippe Pinard pour le scénario, une collaboration dont je suis très content…
-L’album joue vraiment sur le côté franchouillard. Est-ce une réaction à votre passage par chez Disney ?
Probablement de manière inconsciente, oui. J’ai appris énormément chez Disney, ça a été une formidable école de dessin pour moi. De plus, j’aime bien la musique américaine des années 60’, la contre-culture… Mais là, j’ai été confronté à un modèle de culture d’entreprise qui correspond et dépasse même largement pas mal de caricatures, et j’ai fini par partir en claquant la porte ! Ça ne me collait pas avec moi, j’avais envie de me relâcher et mieux, plus loin, de m’épanouir !
-Il y a un véritable attrait actuel pour le vintage, même un côté mode. Yoann et Vehlmann m’en parlaient récemment par rapport à leur reprise de Spirou…
Oui, c’est vrai. On assiste, par exemple, au grand retour du vinyle. C’est chouette, parce qu’à Lille, par exemple, plusieurs disquaires avaient dû fermer, et certaines boutiques de disques ont pu rouvrir grâce à ce regain d’intérêt pour les vinyles… Moi j’ai l’impression d’avoir toujours baigné là-dedans, les oldies et tout ça. Je dis parfois que je suis « né ringard », mais j’assume complètement, hein… Mais revers de la médaille, il y a un vrai marché qui s’est développé autour de tout ça, les prix flambent, et ça atténue forcément le côté sympa de la chose.
-Est-ce que finalement on ne peut pas y voir une forme de compensation au « virtuel » ? Aujourd’hui, une chanson, une image, un bouquin ou les plans d’une voiture, c’est un fichier…
Et on ne sait pas ce que sera devenu ce fichier dans 20 ans ! Dans les années 60’ il y avait une vraie recherche de design des objets, généralement dessinés à la main, y compris les voitures. Graphiquement, j’ai voulu traiter l’album de cette manière, avec une plume et l’aquarelle appliquée directement après l’encrage. C’est un boulot énorme et il m’est arrivé de me demander si j’arriverais au bout mais je suis heureux de l’avoir fait. Il n’y a plus beaucoup d’auteurs qui travaillent de cette manière, qui ne laisse pas de droit à l’erreur. J’ai réappris la technique, super-exigeante, mais je suis content du résultat et d’avoir bossé comme ça. J’ai aussi l’impression d’avoir marché dans les pas des anciens que j’admire.
-Les visages des personnages sont très travaillés, on en reconnaît d’ailleurs certains, et parfois on a l’impression que vous êtes plus dans une démarche de caricaturiste que de dessin de BD…
Mais si vous regardez les films français de l’époque, vous vous rendrez compte que les acteurs n’avaient pas, comme aujourd’hui, un physique de jeunes premiers ! Ces gens sortaient de la rue, ou de métiers improbables plutôt que du Cours Florent, et c’est sans doute ce qui leur donnait ce naturel, cette aisance dans le jeu. Regardez Lino Ventura, c’est tout son corps qui bougeait, qui jouait, c’est fascinant à voir. Et j’ai appris récemment que De Funès avait débuté comme musicien de boogie woogie avec Eddy Barclay, euh pardon, Teddy Raclay…
-Côté décors aussi, les références sont nombreuses, et on sent là aussi que vous y avez accordé un soin particulier…
Oui, j’ai glissé pas mal de bâtiments relativement connus dans les décors, comme un café de Lille… Si vous voulez plus d’infos là-dessus, je vous invite à visiter mon blog ( jeromelebrun.wordpress.com/ ), la gazette de Jérôme Lebrun, vous y trouverez pas mal d’explication, un peu à la manière des bonus sur un dvd. Au départ, je n’étais pas trop chaud pour réaliser ça, et puis je me suis pris au jeu. C’est une sorte de clin d’œil plus fin à certains éléments de l’album, en guise de pré-lecture ou de complément à la lecture du bouquin.
-Clins d’œil BD aussi, avec l’apparition de Gil Jourdan comme figurant, ou encore la découverte de la boucherie Sanzot…
Des BDs qui m’ont marqué, forcément… L’apparition de Gil Jourdan, ça correspond à la sortie du formidable album Héroïc… Il y a aussi Christian Marin en gendarme (pas de St Tropez) dans la même case. J’ai eu l’occasion de le rencontrer à l’occasion de la nouvelle version des Chevaliers du Ciel, un modèle de gentillesse et de disponibilité… J’ai rencontré Jean Lefèvre aussi, c’est toute mon enfance ça…
-Ce jeu de références, très riche, que vous développez, ne risque-t-il pas d’être, à l’inverse, une barrière pour les plus jeunes, qui n’ont pas connu les années 60’ ou qui ne connaissent pas les nombreux éléments d’époque que vous introduisez dans l’album ?
Non, je ne pense pas. Mon jeune frère a lu Du Rififi chez les Yéyés et s’est bien amusé avec l’histoire, l’ambiance et les gags. Pour lui, pourtant, les années 60 c’est presque de la SF, hein… Et puis, avec cette mode vintage, je rencontre de plus en plus de gamins dans des concerts rock, avec choucroutes, perfectos et tout et tout… Est-ce qu’ils s’intéressent à son histoire ou est-ce qu’ils s’approprient ces symboles et ce look, je n’en sais rien, mais il y a un engouement pour la période… Raoul Scopitone est un héros tous publics, en tous cas je l’espère…
-On s’attache très vite à tout ce petit monde… Du Rififi chez les Yéyés, one-shot ou premier album des aventures de Raoul Scopitone ?
One-shot au départ, mais c’est vrai qu’avec Pierre Paquet on euh…subodore l’espoir d’une carrière sous forme de série du personnage. Sans surprise, ça dépendra des ventes…J’ai envie de continuer, c’est clair, et j’envisage d’emmener Raoul et Marcel à Las Vegas, avec le rat pack, tout cet univers… Las Vegas aussi était très différent d’aujourd’hui dans les années 60’. A l’opposé il y a aussi les Pays de l’Est… Ce sont des projets, et il est vraiment possible de s’amuser avec ces personnages, leur cadre est beaucoup moins limitatif que ce que l’on imagine au premier abord, et il est possible d’approfondir leurs caractéristiques, leurs personnalités.
Texte et photos : Pierre Burssens
Interview © Graphivore-Burssens 2013
Images © Paquet 2013
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