Entretien avec Jean-Claude Servais
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Entretien avec Jean-Claude Servais

« Dans le dernier brame, finalement, c'est une biche qui en sort victorieuse... »

 

Fin août, Jean-Claude Servais évoquait pour nous la place de la nature dans son oeuvre. Alors que « Le Dernier Brame » collecte, à juste titre, les critiques élogieuses (il s'agit sans conteste d'un excellent Servais), nous avons cette fois choisi d'aborder avec son auteur des aspects plus spécifiques à cet album tout récemment publié dans la collection « Aire libre » de chez Dupuis.

 

En couverture du dernier brame, trois éléments : un cerf, une femme et un château. Nous avons longuement évoqué la nature (le cerf) dans notre dernier entretien, mais la femme est également omniprésente dans votre oeuvre...

C'est vrai qu'il y a toujours cet élément féminin, depuis Violette... Mais j'aime beaucoup dessiner les femmes, ça c'est pour le côté graphique. D'autre part, avec 4 soeurs autour de moi, j'ai toujours vécu entouré de femmes, et ça m'a sans doute influencé. Mais attention, hein, je ne suis pas un dévoreur de femmes, je suis avec la même depuis le début ! (rires) Plus sérieusement, je crois que j'ai toujours un peu un fantasme de femme fée, un peu sauvage, qui devient dessin, histoire. Ca fait aussi partie de ma griffe, et puis j'attribue plus facilement un côté féminin que masculin à la nature, à la forêt, et dans « le dernier brame », finalement, c'est une biche qui en sort victorieuse...

 

Une biche et une jeune femme, Colette, à travers ses métamorphoses. Finalement elle rejoint le rôle de Chalenton, l 'écrivain, et le rejoue...

Elle devient comme lui, et c'est un final qui surprend pas mal de lecteurs. C' est mon coloriste Guy Raives qui m'avait suggéré cette idée en lisant mon synopsis, ce retournement complet de situation... Généralement je fais lire mon synopsis à différentes personnes, ce qui me permet, le cas échéant, d'encore modifier mon scénario, comme ici...

 

Troisième élément en couverture, le château...

Il s'agit du château de Laclaireau, à Ethe (Virton). Il correspond bien à l'histoire. Je cherchais un château en bordure de forêt, pas trop grand et où pouvait vivre une personne seule...ou presque, comme mon écrivain. Je connaissais ce château car il est occupé par l'architecte de l'abbaye d'Orval, qui s'implique aussi dans la maison du Tourisme de Virton, et que j'ai rencontré via des expositions et différentes animations... J'ai donc choisi de mettre en scène ce château dans ma BD. Il appartient actuellement à la fondation demeures et Châteaux qui y organise régulièrement des activités culturelles. Et l'album a été présenté là-bas en avant-première.

 

 


 

Ce château, son occupant, ses propriétaires, trois écrivains pour « Le dernier brame », vos amis de l'abbaye pour « Orval », Cécile Bolly pour « le jardin des glaces »... Vos albums sont marqués par des rencontres ?

Oui, et d'une certaine façon c'est nécessaire. Je pense que ma bibliographie doit compter plus de 40 bouquins, et si je ne veux pas me répéter, raconter toujours la même histoire, je dois aller explorer des terrains nouveaux. Une rencontre, c'est un support, parfois une véritable complicité sans imposer quoi que ce soit. Je découvre ce que ces personnes m'apportent et je l'intègre dans ma création, avec aussi l'envie de le faire découvrir au public.

 

 

 

 

 

Le dernier brame aborde la littérature, alors que la BD en a souvent été considérée comme le parent pauvre...

C'est vrai, et je pense qu'intégrer des extraits d'oeuvres de 3 écrivains a amené un autre rythme, une autre narration que si je m'étais limité à un langage purement BD sur toute la longueur de l'histoire. Je faisais parvenir des copies de mes planches à ces trois auteurs et amis Franck Andriat, Alain Bertrand et Jean-Luc Duvivier de Fortemps au fur et à mesure de leur réalisation. Pour ma part, c'est après l'écriture du scénario et son découpage que j'ai recherché des extraits qui pouvaient convenir. Je connaissais bien les bouquins, mais je voulais que chaque extrait ait réellement un début et une fin. Je ne voulais pas que le lecteur ait l'impression d'être planté là, frustré...et il fallait que ça corresponde à l'espace et à la narration.

 

Via le personnage de Chalenton, c'est un aspect peu reluisant du monde littéraire que vous approchez, un manipulateur et un plagiaire, avec un assistant qui est finalement son « nègre », c'est imaginable en BD ?

Ca existe partout, dans tous les domaines où existe une certaine notoriété. Et ça existe en BD, j'en ai connu qui profitaient bien d'une certaine forme de pouvoir sur leur public féminin...mais avec l'âge ils se sont calmés (rires). Personnellement, la semaine dernière, j'ai vécu une situation très proche de celle décrite dans mon histoire. Une jeune étudiante de Saint Luc est venue vers moi à une séance de dédicace, et s'est trouvée complètement paralysée face à moi ! J'avais l'impression de rencontrer Claudine, le personnage de mon album... Finalement, j'ai essayé de la rassurer et j'ai été vers elle après, voir comment ça allait... D'autres en auraient peut-être profité...

 

 

 

Une case de l'album m'a particulièrement frappé. Il s'agit du bas de la planche 39, quand l'homme à tout faire de Chalenton ramasse des champignons, qu'il entend le premier brame et éclate de joie, en disant « c'est la fête dans la forêt ». Personnellement je trouve ça extraordinaire...et quand même un peu suprenant !

Mais c'est comme ça chez nous ! C'est la fête dans la forêt, le brame, et les gens le savent. C'est vraiment une période très particulière ! Jean-Luc Duvivier de Fortemps, qui a consacré plusieurs ouvrages au brame du cerf et signe le texte « jour de brame » dans le dossier accompagnant l'album arrète toute ses activités pendant près d'un mois et part en forêt pour vivre et profiter de ces moments. Et il n'est pas le seul à le faire, c'est un véritable événement annuel!

 

La sortie de l'album pendant cette période du brame du cerf, c'est voulu ?

Absolument, pour moi c'était indispensable ! Ce qui m'a d'ailleurs joué des tours, car quand j'ai entamé ce projet, je l'imaginais sur 54 planches...qui sont devenues 70 ! Je peux vous dire que j'ai du carburer à la fin, et même pendant ! 

 

Interview © Graphivore-Pierre Burssens 2011

Photos :© Pierre Burssens 2011

Images © Dupuis-Servais 2011

 



Publié le 27/10/2011.


Source : Graphivore

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