Entretien avec Marc Hardy (Pierre Tombal)
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Entretien avec Marc Hardy (Pierre Tombal)

« Au début, peu de gens croyaient en un fossoyeur pour personnage central… »

Pierre Tombal a 30 ans, et du côté des expositions, Marc Hardy, son dessinateur, a rarement répondu autant « présent ». Après Malmédy et avant de le découvrir dans une expo collective associant art contemporain et BD, on peut admirer ses planches à Tournai et, jusqu’au 12 mai, dans l’espace Gallery du CBBD. On y découvre les planches de Des Os et des Bas (Dupuis), un 29ème album aux allures de « collector » dans sa première édition, présenté sous jaquette et assorti d’un cahier reprenant des illustrations pour les couvertures de Spirou et autres inédits. Et c’est dans cette Gallery (entre bien plus que 4 planches !) que nous avons rencontré Marc Hardy qui, pour Pierre Tombal, donne vie (si l’on peut dire !) aux scénarios de Raoul Cauvin.

-Bonjour Marc, Des Os et des Bas, votre nouvel album, salue les 30 ans de Pierre Tombal. Comment tout cela a-t-il démarré ?

Philippe Vandooren voulait revoir la formule de Spirou, et était à la recherche de nouveautés. De mon côté, je connaissais Raoul Cauvin depuis la fin des années 60’ et on a discuté de la possibilité de travailler ensemble. Mais au départ, mon style de dessin l’effrayait un peu. On a cherché dans différentes directions, je lui ai envoyé pas mal de croquis, d’esquisses, et finalement c’est au départ de ces dessins que lui est venue l’idée du personnage...que l’on imaginait provisoire, en attendant autre chose. Ca n’a pas été facile au début, peu de gens croyaient en un fossoyeur pour personnage central et pas mal d’anciens de chez Dupuis avaient même un avis franchement négatif. Mais le rédac ’chef s’est acharné, les retours des lecteurs étaient, eux, très positifs, et Pierre Tombal a peu à peu perdu son caractère « provisoire ». Il a cependant fallu attendre 4 ans entre la publication de la première planche dans Spirou et la sortie du premier album.

-29 albums en 30 ans, c’est presque une régularité métronomique…

Oui, mais il aurait pu y en avoir 30 ou 31 en fait. On a fait des choix, il y a eu des pages « oubliées », la plupart dans les années 80’ et en général, ce qui n’a pas été publié en album n’a pas été conservé.

-Raoul Cauvin m’a un jour raconté une anecdote au sujet d’un tournage de la RTBF et d’un cimetière pour animaux, j’imagine que ça ne doit pas manquer avec un tel thème…

Au départ, l’idée était d’organiser une séance de dédicaces au Père Lachaise, des autorisations en ce sens avaient été demandées, mais, le jour venu, on n’a pas voulu nous laisser entrer. Le directeur commercial de l’époque a alors décidé d’organiser une manifestation le lendemain, avec une équipe de chez Dupuis, des calicots et des pancartes. Mais pour ne pas envenimer les choses, on a été manifester devant un cimetière pour animaux tout proche du Père Lachaise. On n’a pas pu y entrer non plus… Non, les anecdotes ne manquent pas, les gags non plus, la série s’y prête bien pour peu que les organisateurs jouent le jeu. Je garde un très bon souvenir de la seconde édition du festival de Charleroi. Je dédicaçais dans un ancien corbillard tiré par des chevaux…et j’ai demandé au cocher de faire faire quelques pas à ces pauvres bêtes de temps en temps. Et là, la file des personnes attendant la dédicace a suivi, et ça ressemblait vraiment à un cortège funèbre, mais dans la bonne humeur…

 

 

 

 


-Le festival du film fantastique se déroule actuellement, avec sa parade de zombies. Les zombies sont à la mode, en BD, en littérature, au cinéma… Pierre Tombal a un côté précurseur, non ?

Au début, on glissait pas mal de personnages de ce genre dans les gags, oui, des zombies, des fantômes, des revenants, certains personnages ont évolué, d’autres ont été abandonnés. Personnellement j’aimais beaucoup le squelette de la classe de sciences naturelles, amoureux transi de la prof, il était attachant, mais la série évolue…

-Et la vie est apparue…

Oui, au départ je n’étais pas trop pour, mais ce qui est marrant c’est qu’elle a un côté très sûre d’elle, et que, curieusement, les lecteurs se prennent maintenant plus d’affection pour la mort, à qui il arrive plein de trucs…

-Sur un tel sujet, y’a-t-il des limites à ne pas dépasser ?

Pas vraiment, tout dépend de ce que chacun ressent. Raoul Cauvin ne fera pas quelque chose sur un sujet qui peut l’affecter ou le choquer. A un moment, il était exclu d’aborder le suicide, pourtant, depuis, certains gags y ont été consacrés. Il y a peut-être des limites dans la manière de le faire, ça oui… Je ne me vois pas dessiner quelque chose de trop gore, mais finalement, si l’histoire s’y prêtait, pourquoi pas ?

-Sur votre site, on peut découvrir pas mal de dessins réalisés sur ordi, pourtant, les planches récentes exposées ici sont traditionnelles…

L’ordinateur peut intervenir, mais mon trait est très particulier et à l’ordi je pense que je devrais passer un temps infini à chipoter pour retrouver ce côté « arraché » de mon dessin. Pour moi l’ordinateur peut simplement être un outil supplémentaire qui vient parfois finaliser une illustration. Rien ne dit que si je me lançais dans une nouvelle série elle ne serait pas conçue sur ordi, mais j’aime le papier, la matière, son odeur…

 

 

 

 


-Par contre, les illustrations du cahier supplémentaire de Des Os et des Bas également visibles dans cette exposition montrent que vous vous attachez parfois à d’autres techniques…

Presque 1/3 de ce que je dessine n’est pas destiné à être publié dans un cadre précis, et pour cela j’aime bien aborder d’autres façons de faire. On me demande aussi parfois des illustrations en rapport avec d’autres de mes séries, et pour ça, oui, j’aime bien expérimenter.

-Justement, il y a eu Arkel, la Patrouilles des libellules, Lolo et Sucette, avec différentes formes d’humour, mais pour le grand public, c’est totalement à Pierre Tombal que vous êtes associé, un peu comme un acteur pour lequel on cite immanquablement tel rôle. N’est-ce pas un peu frustrant ?

Pas du tout, non, ça fait partie du jeu. Les autres séries sont toujours susceptibles de redémarrer et elles continuent à vivre, indirectement, à travers ces illustrations que l’on me demande parfois… Vous savez, j’ai eu des débuts difficiles, j’ai travaillé 17 ans avant d’avoir un premier album publié, ça m’a sans doute appris à relativiser. Et puis, Raoul a bien tapé, peut-être que Pierre Tombal est le personnage qui me correspond le mieux. J’ai perdu 3 frères au cours de mon enfance, et ma première épouse est décédée très jeune… J’ai eu pas mal de crises d’angoisses suite à tout ça, et elles ont disparu depuis. Peut-être qu’aborder ce sujet via Pierre Tombal y est pour quelque chose…

-C’était une forme de thérapie ?

Peut-être que ça l’a été… Un jour, une dame vient me voir avec plusieurs albums lors d’une séance de dédicaces. C’était pour sa fille, qui était en phase terminale d’un cancer… Une de ses amies lui avait amené quelques albums et elle avait vraiment apprécié… Si ces bouquins ont pu l’aider à passer le cap, alors ça aura vraiment servi à quelque chose ! Depuis 29 albums on fait un pied de nez à la mort, on essaye d’émousser la faux, mais ce n’est pas suffisant !

-Vous exposez ici, au CBBD jusqu’au 12 mai, à Tournai jusqu’au 3 mai, il y a eu l’exposition de Malmedy, on vous retrouvera bientôt au sein de l’exposition « Quelques instants plus tard » associant BD et art contemporain… Faut-il y voir une forme de reconnaissance « officielle » ou professionnelle, à l’occasion de ces 30 ans ?

Un peu comme ces médailles du travail ? (rires). Non, je ne crois pas… On m’a souvent sollicité pour ce genre de choses, particulièrement depuis le milieu des années 90, mais j’ai longtemps refusé. Je voulais me consacrer exclusivement à la BD, 29 Pierre Tombal en 30 ans, comme vous l’avez remarqué… Et puis, finalement, j’ai accepté une exposition, mais il y a un effet « boule de neige » et donc voilà. Mais ça demande énormément de temps. J’ai ainsi un one shot Spirou en route depuis 4 ans, et il est loin d’être terminé. Ceci dit, c’est quand même très agréable et c’est un plaisir que je découvre peut-être sur le tard… Mais l’essentiel est de continuer à travailler, avec idéalement un album par an.

 

 

 

 


-Dans l’album se trouve une illustration évoquant les 75 ans de Spirou. On y parle d’un groom mégalo…et d’un fossoyeur parano. Pourquoi le fossoyeur parano ?

Je pense que chaque auteur a un petit côté parano, plus ou moins accentué. Raoul est rarement satisfait de ce qui lui est consacré, mais on est tous un peu comme ça. On a toujours ce que j’appellerais un sentiment de survie dans le monde de la BD et au sein de notre maison d’édition, et on est toujours en recherche d’un petit geste de la part de notre éditeur. Mais lui doit s’occuper de 150 ou 200 personnes. Et si on reçoit ce petit geste, on se sent favorisé, mais après, si ça ne marche plus ? Oui, c’est de la parano. Alors, vous pensez bien, avec le programme des 75 ans de Spirou, on en a entendu beaucoup des « et moi, et moi et moi… », et ce dessin symbolise tout cela !

 

Texte et photos : Pierre Burssens

 

 

A l’agenda de Marc Hardy :

Exposition Pierre Tombal "Des os et des bas" (tome 29) au Centre belge de la BD, dans l'espace Gallery jusqu’ 12 mai. Adresse : 20 rue des Sables, B-1000 Bruxelles

Exposition Pierre Tombal ''La mort... et alors !'' à Tournai dans le cadre du "Printemps des Bibliothèques", l'exposition Pierre Tombal "La mort... et alors !" est accessible jusqu’au 3 mai à la Bibliothèque Cerist de Tournai.
Adresse : Boulevard des Combattants 78, B-7500 Tournai.

Exposition « Quelques instants plus tard », expo collective associant art contemporain et BD du 8 mai au 21 juillet au Centre d’Art du Rouge Cloître, Adresse : rue de Rouge-Cloître 4, 1160 Auderghem (Bruxelles)

 

Interview © Graphivore-Burssens 2013

Images © Hardy-Dupuis 2013

Photos © Burssens 2013



Publié le 09/04/2013.


Source : Graphivore

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