Entretien avec Nadia Gibert, 10 ans de collection Ecritures
Flux RSSFlux RSS

         Toute l'actualité

Entretien avec Nadia Gibert, 10 ans de collection Ecritures

“Il semble qu'Ecritures soit aujourd'hui devenue un gage de valeur avec une vraie reconnaissance qualitative de la part du public”

La collection Ecritures (Casterman), terre d'accueil des grands noms du roman graphique, fêtait ses dix ans cette année. Apparue chez les libraires avec trois titres très internationaux (L'autoroute du soleil, de Baru -oeuvre française préalablement publiée au Japon, Breakfast afternoon d'Andi Watson et l' aujourd'hui incontournable Quartier lointain de Jirô Taniguchi), elle rassemble aujourd'hui 80 ouvrages dans “un espace où le récit peut s'exprimer à plein et en toute liberté” comme le dit Benoît Peeters, à l'initiative de la collection. 2012, année anniversaire, a notamment vu sortir les “essentiels Ecritures” en très classieuse édition limitée, différentes actions destinées aux libraires comme aux lecteurs et, récemment, la publication de la Villa sur la falaise, un album collectif très original saluant l'événement. Au CBBD, c'est une exposition se tenant jusqu'au 8 avril 2013 qui clôture de belle manière ce jubilé. Une expo qui évoque le concept de la collection, des albums particulièrement marquants et représentatifs de sa qualité et de sa diversité ainsi que cette étonnante Villa sur la falaise. Autant d'aspects retrouvés en interview avec Nadia Gibert, éditrice en charge de la collection Ecritures.

Bonjour Nadia, L'exposition du CBBD, c'est un peu la cerise sur le gâteau d'anniversaire de la collection Ecritures ?

Oui, je viens de la découvrir et il s'agit vraiment d'une belle exposition. On clôture cette année anniversaire en fanfare. L'exposition est représentative de la collection, avec des auteurs d'horizons différents, horizons géographiques et graphiques, un focus sur le collectif des 10 ans et la conception de la narration privilégiée dans Ecritures, ce qui est très impoprtant.

Quel regard portez-vous sur ces dix ans et le chemin parcouru ?

Je suis ravie de l'essor de la collection. La production actuelle est pléthorique et il est de plus en plus difficile d'y faire émerger des talents, à fortiori une nouvelle collection et son concept. En 10 ans, je pense que l'on a réussi. Nous recevons des témoignages des auteurs, des libraires et des lecteurs, et il semble qu' Ecritures soit aujourd'hui devenue un gage de valeur, avec une vraie reconnaissance qualitative de la part du public, et c'est ce qui est le plus important. Nous continuons donc à essayer de trouver de nouveaux talents avec une envie de raconter des histoires fortes, trait commun à la collection.

Ecritures surprend souvent ses lecteurs, et c'est un peu ce qu'on lui demande. En tant qu'éditrice, vous arrive-t-il encore d'être surprise ?

Bien sûr, et même dans beaucoup de cas... Au départ je suis généralement attirée par le graphisme, puis je lis, j'essaye de comprendre si le récit est présenté dans une langue que je ne pratique pas, et puis, si ça me paraît bien, je demande qu'on me le traduise ou qu'on me l'explique... Et souvent, il y a une réelle adéquation entre le graphisme et ce que ça raconte. Ca s'est vraiment déroulé de cette manière pour Isabelle Kreitz, que je ne connaissais absolument pas. J'ai découvert la couverture d'un de ses livres en Allemagne, sans même savoir qu'il s'agissait d'un roman graphique, et puis en le parcourant je me suis dite que ça devait être superbe. J'avais envie de faire lire cet album par quelqu'un lisant l'allemand, et effectivement, l'histoire était à la hauteur du dessin...

Avec certains auteurs, on a parfois la sensation que c'est quasi le média BD qui se réinvente, comme avec Gabrielle Piquet...

Son travail est fragile et n'est pas d'un accès très facile, et son langage joue beaucoup sur la fibre émotionnelle. Je pense qu'il faut accepter de se laisser emporter dans son univers. Elle sort des traditionnelles cases de BD, et personnellement c'est ce qui m'a attiré chez elle au départ. Avec Ecritures, on essaye de faire découvrir des expressions différentes mais qui restent accessibles à un large public. Chez Gabrielle Piquet, il y a aussi beaucoup de musicalité dans le texte, et à la manière dont elle compose ses planches, on se demande parfois ce qu'on lit en premier, texte ou dessin ?

 

 

 


Parmi les albums récents publiés dans la collection, Marcinelle 1956 a reçu chez nous un accueil tout particulier...

Marcinelle 1956 est un vrai coup de coeur. Sergio Salma a présenté la première forme de ce projet voici déjà 5 ou 6 ans, il a écouté nos commentaires, puis a laissé ça un peu de côté, avant d'y retravailler et ça s'est construit comme ça, par étapes... On savait qu'il avait ce projet à coeur, il amenait beaucoup de bagages avec et il devait trouver le bon angle d'approche, qui s'est révélé être un angle pudique pour exprimer des choses fortes... On a vu le projet évoluer et on a mesuré la nécessité de sortir ce livre, époustouflant dans son graphisme comme dans sa narration. Et dans Marcinelle 1956, par rapport à votre question précédente, c'est un auteur qui, d'une certaine manière, se réinvente, avec quelque chose de très différent de Nathalie. C'est un travail magnifique qui révèle aussi un grand sens émotionnel.

Pour en revenir à cet anniversaire, l' année 2012 a aussi vu la sortie des “essentiels Ecritures”...

Qui ont bénéficié d'une belle mise en lumière à Angoulême. C'est une belle opération, qui a été très bien accueillie, mais l'année a aussi été marquée par de nombreux événements plus modestes, notamment en librairies. Ecritures a pu profiter d'une belle visibilité toute l'année. Mais la collection, il faut le souligner, et je les en remercie profondément, a un beau suivi auprès des libraires. On trouve généralement de nombreux titres en rayon, ce qui est remarquable quand on voit le rythme auquel ils doivent accueillir les nouveautés. Ca indique aussi que la collection représente réellement quelque chose en BD.

La Villa sur la falaise, était-ce l'album qui s'imposait pour ces dix ans ?

Pas l'album qui s'imposait, non, mais on avait envie d'une trace de cet anniversaire. On s'est interrogés sur ce que l'on pouvait faire, et l'idée de donner des ingrédients communs à différents auteurs est apparue, c'était le début de quelque chose. La collection compte déjà quelques albums collectifs, mais réalisés dans un autre registre, et le principe de l'album collectif a ses partisans...et ses opposants. L'écueil qui est apparu avec l'idée de ces ingrédients communs était la question de l'éventuelle ressemblance entre les histoires. Mais heureusement, nous avons reçu des choses extrêmement différentes, chacun des auteurs s'étant impliqué de manière très personnelle. C'est aussi ce qui devrait donner à la Villa sur la falaise un caractère moins fugace que celui d'autres collectifs.

 

 

 

 


On n'attendait pas forcément Benoît Sokal dans ce genre d'exercice...

Non, c'est vrai. Mais j'aime beaucoup la manière dont Sokal raconte une histoire. C'est un grand narrateur, très original, avec des idées très personnelles. Je lui parle souvent de roman graphique, mais il travaille toujours sur d'autres projets... Pour le “pitch” de départ de cet album, j'ai pensé à lui dès que l'on a commencé à réfléchir à cette formule. Je lui ai dit que je lui offrais la possibilité de commencer une histoire...mais pas de la finir ! Et il a d'emblée joué le jeu avant de suivre tout le projet avec attention. Il était impatient de voir rentrer les différentes histoires nées de ses éléments de départ et de découvrir la manière dont différents auteurs les avaient interprétés.

Des auteurs qui ne font d'ailleurs pas tous partie de la collection... La Villa sur la falaise laisse-t-elle présager de nouvelles signatures ?

C'était aussi un but de cet album, ce mélange d'auteurs de la collection et d'autres talents. Il y a toujours l'envie et l'objectif de faire découvrir quelque chose de nouveau. C'est vrai que l'on a quelques projets pour l'avenir avec l'un ou l'autre mais c'est encore assez vague, laissons à ces projets le temps de se développer...

Pouvez-vous déjà nous parler du programme Ecritures 2013 ?

En tout, je pense que 7 ou 8 nouveaux titres enrichiront la collection. Dès janvier paraîtra Le Boxeur de Reinhard Kleist. Il s'agit de l'histoire, réelle, d'un prisonnier juif pendant la seconde guerre mondiale. C'est un récit très poignant, très fort. Ce prisonnier a survécu grâce à la boxe, et a continué à boxer pour devenir célèbre mais avec un objectif : retrouver la femme de sa vie dont il avait été séparé lors de sa captivité... L'auteur a rencontré son petit-fils et ça nous donne un album très fort et très bien raconté...mais dont je ne vous dirai pas la fin ! Ensuite, je pense à un album de Will Argunas consacré au syndrôme dont souffrent les combattants américains revenus d'Irak. On a beaucoup travaillé avec lui sur ce projet et je pense que le résultat en valait la peine. Nouvelle signature : celle du cinéaste américain Boaz Yakin, avec la sortie, en avril, d'un ouvrage centré sur Jérusalem bien avant la création de l'état d'Israël. Il s'agira d'un livre important tant sur le fond que sur la forme et qui devrait se décliner, au minimum, sur 450 pages. Enfin j'ai très envie de vous parler du prochain livre de Mari Yamazaki, l'auteure de Thermae Romae. Il s'agit de l'histoire d'un grand-père qui élève seul sa petite-fille artiste. Tous deux ont des personnalités complètement différentes ce qui les conduit à des rapports parfois électriques mais aussi d'une tendresse inouïe. C'est un album très touchant que l'on pourrait rapprocher des oeuvres de Taniguchi, mais avec un ton plus moderne, Mari Yamazaki a 20 ans de moins que Jirô Taniguchi...

Qui est un des auteurs phares de la collection depuis le début...

Et qui récolte un succès phénoménal ! Au départ, il était réticent à ce qu'entraînait une publication en Ecritures, notamment quant l'adaptation et au changement de sens de lecture. Aujourd'hui il est ravi, il suit tout le processus depuis le départ, valide les adaptations et oriente plutôt tel ouvrage vers Ecritures ou tel autre vers Sakka, conservant alors le sens de lecture manga. Tous ses livres fonctionnent très bien, mais paradoxalement, je pense qu'il recueille plus de succès auprès du public plus littéraire ou BD d'Ecritures que du public manga de Sakka !



Propos recueillis par Pierre Burssens

 

Interview © Graphivore-Burssens 2012

photos © Jean-Jacques Procureur 2012

 



Publié le 06/12/2012.


Source : Graphivore

        Toute l'actualité

©BD-Best v3.5 / 2025