Entretien avec Régis Hautière et Hardoc (La Guerre des Lulus)
Flux RSSFlux RSS

         Toute l'actualité

Entretien avec Régis Hautière et Hardoc (La Guerre des Lulus)

« Ils ne savent pas que c’est la guerre, mais nous on sait ce qui se passe en arrière-plan »

Avec la Maison des Enfants Trouvés (Casterman), premier tome de La Guerre des Lulus, Régis Hautière et Hardoc (Vincent Lemaire) nous offrent un des tous beaux albums de ce début 2013. Une histoire d’enfants dans la guerre pleine de sensibilité, ne tombant jamais dans le pathos et pas dénuée d’humour. Alors que l’an prochain on commémorera le centenaire du début de la première guerre mondiale, les Lulus la traversent loin des tranchées et à hauteur d’enfant. Une belle histoire ancrée dans une belle région à laquelle ces planches rendent aussi hommage. Un vrai coup de cœur que nous avons partagé avec ses auteurs.

Bonjour Régis, vous habitez Amiens depuis 30 ans, la première guerre mondiale et les événements qui se sont déroulés dans cette région paraissait un sujet évident… Pourtant il semble que ça n’ait pas été une de vos priorités…

RH : Non, c’est peut-être dû au poids de l’Histoire… Pour la Guerre des Lulus, l’idée est partie d’une conversation avec une responsable de l’Historial de la première guerre mondiale de Péronne, qui me faisait remarquer que leur librairie ne compte aucune BD destinée aux enfants traitant de cette guerre. Il existe d’autres livres, mais pas de BD a priori destinée aux plus jeunes. C’est quelque chose qui m’a trotté dans la tête à partir de là. Mais l’approche que l’on a généralement de la guerre 14-18 est très noire, très lourde. C’est l’image de la guerre des tranchées et de l’horreur qui va avec et je n’avais pas envie de passer par là. Il fallait donc trouver un angle de vue différent. A travers la vision d’enfants ? Il y eu plusieurs contacts et embryons de projets avec différents dessinateurs, mais ça ne collait pas. En discutant avec Hardoc, il m’a dit que ça pouvait l’intéresser et on a d’abord réalisé 4 planches pour un album collectif édité par « On a marché sur la bulle », l’association qui organise le festival d’Amiens. En deux mots, ça présentait des enfants en train de jouer à la guerre et qui, finalement, découvrent le cadavre d’un soldat. De « leur » guerre, ils sont confrontés à la vraie guerre… Aujourd’hui on voit ces planches comme un galop d’essai pour la Guerre des Lulus que l’on a démarré juste après. On a présenté deux planches à Didier Borg (Casterman) qui a été immédiatement enthousiaste, et puis voilà…

Une des choses qui frappent dans ce premier album, c’est justement cette découverte très progressive du conflit… Le canon tonne, pour les enfants c’est l’orage etc…

RH : Mais leur vision est différente de la nôtre. Ils ne savent pas que c’est la guerre, nous on sait que c’est ce qui se déroule en arrière-plan, et c’est cette différence de perception qui était intéressante à exploiter. Quand ils découvrent le village désert, pour eux c’est chouette, il n’y a plus d’adultes, ils vont pouvoir faire ce qu’ils veulent… Nous, on sait ce qui se passe, et ça génère une forme d’angoisse qui monte progressivement. De plus, comme nous voyons le projet se développer sur 4 ou 5 ans, que les enfants ont, au départ des âges différents, ils vont grandir et appréhender les choses de manières différentes. Au début de l’histoire, Lucas a 11 ans, Lucien a 15 ans, et on voit déjà qu’ils fonctionnent différemment. A la fin de la guerre, ce ne sera plus des enfants, mais des adolescents et des jeunes adultes qui auront évolué avec ce qu’ils auront vécu, intellectuellement et physiquement.

Pour un scénariste…adulte, n’est-ce pas un challenge d’animer un groupe de gosses ?

RH : C’est un challenge, mais c’est aussi un plaisir immense, comme du côté des dialogues d’ailleurs… Les Lulus représentent un canevas assez large et à certains moments j’ai presque l’impression qu’ils ont pris le contrôle de l’histoire. Dans les dialogues, ça démarre sur un thème, et chaque membre du groupe apporte, quelque part, sa petite touche personnelle. Les dialogues amènent des sensations, des sentiments qui marquent les différents personnages, j’ai vraiment pris mon pied en les écrivant…

Hormis ce contexte, vous aviez envie de mettre en scène des enfants ?

RH : J’avais envie de changer, de me renouveler, et la thématique « enfants » me tentait. Et puis, j’ai des enfants et ils m’ont souvent demandé pourquoi je n’entreprenais pas une histoire avec des personnages de leur âge, donc…

 

 

 

 


Mais vous abordez aussi un symbole très fort, celui des enfants dans la guerre, que l’actualité nous renvoie quotidiennement, encore récemment avec les enfants soldats…

RH : Mais les Lulus ne deviendront pas des enfants soldats… On ne les retrouvera pas dans les tranchées, mais ils feront des rencontres… Encore une fois, ce que j’avais envie de mettre en avant, c’est le contraste entre leur insouciance et les horreurs de la guerre, entre ce qu’ils vivent et ce que nous, nous connaissons du conflit.

En redécouvrant ce qui s’est déroulé dans la Somme, en en pensant aux Lulus, je me suis dit « Oh non, ils ne vont pas les envoyer en enfer ! »…

RH : Mais c’est génial que vous me disiez ça ! On a réussi notre coup, le lecteur s’attache aux héros, ça fonctionne ! Quand on tremble, on sent qu’on est dans l’histoire, c’est super, merci ! (rires)

Le projet est devenu « tous publics », avez-vous recueilli les premières impressions de jeunes lecteurs ?

RH : La sortie est récente, et on a eu très peu contacts avec des enfants jusqu’à maintenant, mais le fils d’un journaliste m’a dit qu’il avait adoré l’histoire et qu’il avait appris plein de choses sur cette période, c’est très chouette !

Vous avez eu une forme de collaboration avec le Courrier Picard, ce qui marque encore plus votre volonté d’ancrer l’histoire dans votre région…

RH : Oui, parce que ça nous parle… Le Courrier Picard est le principal quotidien régional. Et puis, l’histoire l’imposait. On voulait que ça se déroule de l’autre côté des lignes allemandes, donc ça pouvait être la Picardie, le Pas-de-Calais ou les Ardennes, pas trop loin de la frontière belge. Les Lulus feront d’ailleurs peut-être une petite incursion en Belgique.

 

 

 

 

 


Vincent, cet attachement, on le ressent très fort à travers vos dessins, vous rendez hommage à votre région…

: Forcément. J’habite non loin d’Amiens, et la maison familiale avait été reconstruite avec les dommages de guerre. Et puis en vieillissant, je mesure que je suis de plus en plus sensible aux arbres, aux cours d’eau, aux lumières. Je pense que plus on grandit, plus on observe et on peut découvrir que l’on est entouré de belles choses. Si vous l’avez ressenti, c’est que ça passe à travers mon dessin, et ça me fait vraiment plaisir !

Ce que l’on découvre aussi, dans les premières planches, c’est une vraie douceur de vivre qui précède le conflit…

: Je n’ai pas connu de guerre, mais j’en ai une peur atroce, et ça n’a fait que croître en me documentant. Mes amis vous diraient que je suis un « bon vivant », et je suis un gourmand de la vie et justement, de cette douceur de vivre. On a la chance de vivre en paix, et j’essaye d’en profiter pleinement.

Retrouver un regard d’enfant pour le retranscrire graphiquement, c’est difficile ?

H : Ce n’est pas toujours simple, mais je m’y applique. Je pense que mon style se rattache à celui de la BD franco/belge, même si j’apprécie aussi des choses très actuelles, et que ce style, justement, facilite un peu les choses. C’est un peu comme les dialogues de Régis. On évite le côté cru et cruel de la guerre pour que l’histoire reste abordable par les enfants. Mon dessin permet peut-être de rendre une certaine distance par rapport à ce que l’on connaît de la réalité… En tous cas, je n’aurais pas été capable d’aborder ce sujet avec un dessin réaliste.

 

 

 

 


J’imagine que le travail de préparation et de documentation a été important…

H : Oui, et assez difficile, car on trouve énormément de documents sur le front, sur les aspects militaires de la guerre, mais très peu sur la vie civile à l’époque. On trouve d’ailleurs plus facilement ça dans certains bouquins que sur internet, mais le tout est de trouver ces bouquins ! Et puis, je dirais qu’il y a une part personnelle dans cette documentation, car j’ai pas mal de collectionneurs, d’amateurs d’antiquités dans mon entourage, mes parents sont également très attachés à cela, et donc dans les décors, dans les intérieurs, j’ai glissé de nombreux objets et meubles que je vois très régulièrement. A 20 ans, alors que mes copains se passionnaient pour les ordinateurs, moi je pouvais leur expliquer à quoi tel ou tel vieil outil servait autrefois ou ce qu’est une baratte… Il y a un peu de ma vie là-dedans… Pour le reste, j’essaye de faire au mieux, mais par rapport aux traces qui subsistent, je suis obligé de réinventer beaucoup. Heureusement, la campagne a peu changé, j’habite un village encore relativement préservé, j’essaye de poser un œil partout, je joue sur les cadrages…

Et vous nous offrez de belles vues aériennes, avec leurs mosaïques de cultures, ce qui est plutôt rare en BD…

: C’est vrai, ou des plans très très larges pour que le lecteur puisse voyager, ne pas s’ennuyer… Ca permet aussi d’aborder les paysage d’une manière différente, que l’on n’a pas l’habitude de voir, et c’est intéressant graphiquement. Dans ce domaine, en évoluant, je me rends compte qu’il y a encore plein de choses à faire et parfois je ne me l’autorise pas. Mais l’essentiel est de donner du plaisir au lecteur en se faisant plaisir. Je m’amuse bien avec les Lulus !

Dans une case apparaît un dessin signé…Lemaire, votre nom, alors qu’Hardoc est un pseudo. Un clin d’œil ?

: Vous l’avez remarqué ? Oui, complètement, c’est un gag. En fait j’ai choisi un pseudo car quand j’ai commencé ce métier, le nom de « Lemaire » me paraissait très courant. Et mes parents m’ont toujours reproché de ne pas signer avec mon vrai nom. C’est un clin d’œil à ça. Ici, le dessin est, dans l’histoire, dû à un dessinateur de presse. Et si un dessinateur, à l’époque, s’était appelé Lemaire ? Qui sait ?


Propos recueillis par Pierre Burssens

 

Interview © Graphivore-Burssens 2013

Images © Casterman 2013

Photo © Le courrier Picard

 



Publié le 18/02/2013.


Source : Graphivore

        Toute l'actualité

©BD-Best v3.5 / 2025