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« C'est une partie de notre travail de raconter, d'exhumer ces trésors et de les chérir... »
Scénariste, co-auteur, avec José-Louis Bocquet, des commentaires de la formidable réédition de « Bravo les Brothers » de Franquin récemment parue, Serge Honorez est aussi le directeur éditorial des éditions Dupuis. Qui mieux que lui aurait pu nous donner une vision des deux approches bien différentes d'un riche patrimoine que sont cette belle réédition et le polémique « Gringos Locos » de Yann et Schwartz, album qui a sans doute fait jusqu'à maintenant couler le plus d'encre cette année...
Pourquoi « Bravo les Brothers » ?
Parce que c'est une histoire formidable, d'abord, et qu'elle met à la fois en scène Spirou et Fantasio et Gaston. Et puis c'est une histoire courte (22 planches) qui est intégrée à l'album « Panade à Champignac », c'est un chef-d'oeuvre un peu oublié qui méritait bien, en tant que tel, un album qui lui soit propre. Ce n'est d'ailleurs pas la seule histoire signée Franquin qui ait été intégrée à un album portant un autre titre, je pense qu'il y en a six, au total...
Les autres pourraient bénéficier du même dépoussierage que « Bravo les Brothers » ?
Oui, c'est possible, elles pourraient également être remises en valeur dans les mêmes conditions, avec un éclairage sur l'époque...
A travers ce type d'album et les intégrales, on sent vraiment une attention particulière apportée par Dupuis à son patrimoine, exceptionnellement riche, il est vrai...
Mais Dupuis est un éditeur pionnier de la BD, avec Spirou en 1938, sept ans seulement après Hergé... Et si la BD franco-belge a connu l'essor qui a été le sien, c'est grâce à d'extraordinaires créateurs, mais aussi à des éditeurs pionniers. Et puis, comment pourrait-on se projeter dans le futur si on ne connaît pas bien son passé ? C'est une partie de notre travail de raconter, d'exhumer ces trésors et de les chérir. Les valeurs fondamentales de Dupuis y sont présentes, notre volonté n'est pas de les changer mais de les faire révoluer...
J'avais rencontré Olivier Perrard au moment de la sortie du premier tome de l'intégrale Gil Jourdan, il comparaît le travail réalisé autour de cette intégrale au retour, dans le domaine de l'automobile, de la Mini ou de la Fiat 500...
Oui, c'est assez comparable. On prend quelque chose de connu, qui a gagné une place historique dans un domaine, et on le revoit selon des normes actuelles...
Il y a une dimension nostalgique aussi, à cette démarche, non ?
Pour ma part, je ne la vois pas comme ça. Des choses formidables ont été réalisées, d'autres sont à venir, et on peut y travailler en ayant en tête le regard des « grands anciens ». Ca aide à mieux bâtir des socles pour aller plus loin, plus haut. Je pense qu'on le prouve avec Spirou et ses diverses déclinaisons en « one shot », notamment...
Spirou semble n'avoir jamais été aussi présent dans le catalogue Dupuis...
C'est notre personnage emblématique, et d'une certaine manière il est devenu le plus « anglo-saxon » de nos héros comme ces personnages de « comics » traités par différents dessinateurs. Spirou bénéficie de la vision de différents auteurs, de différents angles d'approche tout en conservant ses caractéristiques fondamentales.
Quel est le cahier de charge des one-shot « le Spirou de... »
Il n'y en a pas vraiment, je dirais que la condition première, c'est, en en sortant, de laisser l'univers de Spirou aussi propre qu'en y entrant. On ne peut évidemment pas faire mourir le personnage, on doit conserver ses fondamentaux... Spirou, c'est un « coeur pur », il est là pour sauver, pour servir, d'où le personnage de groom. Quand il apparaît dans la première planche dessinée par Rob'Vel, il se présente : « Spirou, pour vous servir ! ». Récemment, Jean-Paul Goude, qui a notamment façonné l'image de Grace Jones, m'en parlait. Il me disait se sentir proche de ce groom, car durant toute sa carrière, il a servi les stars...
Vous aviez un attachement personnel à « Bravo les Brothers » ?
Non, pas vraiment. Mais outre le fait que cette histoire mette en scène Spirou et Fantasio et Gaston et qu'elle ait été une des histoires préférées de Franquin, elle est également intéressante parce qu'elle se déroule à la rédaction. Spirou vit une aventure dans son journal, dans tous les sens du terme. Et encore une fois il essaye de faire du bien, ça se marque notamment notamment à la fin, quand il parle de Noé à Fantasio et qu'il lui dit quelque chose du genre « bah, laisse-le, tant qu'il est heureux... », c'est l'esprit Spirou, et c'était l'esprit de Franquin et des auteurs de son époque qui faisaient de la BD pour amuser, pour faire plaisir...
Je suis toujours surpris, en lisant notamment vos commentaires de « Bravo les Brothers », des différents aspects de la personnalité d'André Franquin, ses valeurs morales bien établies mais aussi sa fragilité...
C'était aussi les valeurs de la maison Dupuis, volontaristes, humanistes, et qui à l'époque employait entre 700 et 800 personnes. Quant à Franquin, on imagine difficilement cela aujourd'hui, mais à certains moments il produisait, avec ses différentes séries, jusqu'à huit planches par semaine, et quelles planches !
Peut-on dire que « Gringos Locos » constitue une autre manière d'aborder le patrimoine Dupuis, ou un épisode de son histoire ?
« Gringos Locos », c'est deux auteurs, Yann et Schwartz et leur envie de raconter, avec leur vision, quelque chose qui s'est déroulé à la fin des
années 40'. Un autre éclairage montre différemment ce que c'était. Il y a donc des distorsions entre la réalité des faits et le fantasme que peuvent en avoir deux auteurs. Et les enfants des « héros » de cette histoire ont tenu à préciser ce décalage .
Ce n'est pas la première fois que des auteurs « maison » sont mis en scène...
Non, et de différentes manières. Et on en revient à la « rédaction » où sévit Gaston, mais il y a eu le Gang Mazda, « En direct de la rédaction » dans le Spirou ou encore, aujourd'hui,l' « Atelier Mastodonte ». Il est clair que la dimension « rédaction » a changé, puisque la plupart des auteurs sont aujourd'hui disséminés et que la majorité des échanges se déroule par mails.
Une aventure comme celle de Jijé, Morris et Franquin présentée dans « gringos Locos » serait, elle aussi, difficilement imaginable aujourd'hui...
Elle serait, en tous cas, différente. Il faudrait poser la question, par exemple, à Jean-David Morvan,quant à son immersion japonaise, mais a-t-il vécu ça comme une aventure ? Conrad et Frank Pe ont également abordé le monde du dessin animé, il faudrait voir quelle expérience ils en ont retiré...
Spirou aura 75 ans l'année prochaine. Un événement qui, j'imagine, sera célébré dignement...
Evidemment, et tout le programme n'est pas encore complètement élaboré. Au niveau de la visibilité, il y a, en tous cas, des accords avec le Tour de France, mais il y aura d'autres manifestations. Une grosse actualité éditoriale aussi, autour de Spirou et Fantasio mais aussi de Franquin, un film documentaire réalisé par Pascal Forneri qui a rencontré de nombreux témoins et dessinateurs, un nouveau « Spirou de... » aussi. Ce sera une année bien remplie, une vraie année Spirou !
Propos recueillis par Pierre Burssens
Interview © Graphivore-Burssens 2012
Images et photos © Dupuis
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