Entretiens avec Christian Godard – Le feuilleton Godard, épisode 2 : Martin Milan
Flux RSSFlux RSS

         Toute l'actualité

Entretiens avec Christian Godard – Le feuilleton Godard, épisode 2 : Martin Milan

 

 Deuxième partie de l’entretien de Christian Godard par Laurent Lafourcade. C’est l’arrivée aux éditions du Lombard. Aujourd’hui, décollons avec le pilote d’avion-taxi Martin Milan. C’est sur BD-Best, et nulle part ailleurs, le site qui vous fera attraper le Godarovirus.

 

 

 

 

 

 

 

En 1966, c’est l’atterrissage de Martin Milan dans Tintin. Pourquoi n’est-il pas paru dans Pilote ?

 

Tout simplement, j’avais commencé à faire Martin Milan dans Tintin sous forme d’histoires courtes, sans y attacher beaucoup d’importance.

Il s’est avéré que Goscinny a souhaité une nouvelle formule pour le journal Pilote, très différente de ce qui était convenu au départ. De rédacteur en chef, Goscinny est devenu directeur général. Par voie de conséquence, il décidait seul de l’orientation du journal et voulait en donner une totalement différente. J’ai suivi pendant un certain temps. Il m’avait demandé deux planches par semaine, en changeant de sujet à chaque fois, de la même manière que ce qu’il faisait dans la Rubrique-à-brac avec Gotlib. J’ai commencé à le faire. Je lui proposais des sujets. Il me répondait oui, non, ou bien « on l’a déjà fait » ou des choses de ce genre. Il m’a demandé de trouver un titre dans la veine de la Rubrique-à-brac. J’ai longtemps cherché. Il n’était jamais satisfait de mes propositions. Puis, je me suis aperçu que je faisais quelque chose qui ne me plaisait pas. Un jour où je sortais d’une réunion avec mon ami Greg, qui était aussi rédacteur en chef de Tintin, nous sommes allés boire un pot ensemble. Il était très proche de moi par ses qualités de narrateur mais aussi pour tout un tas d’autres raisons personnelles. Il m’a proposé de venir à Tintin pour faire des séries longues. Je l’informe que personne ne me l’a demandé. Il me dit alors : « Et bien je te le demande. », ce à quoi je réponds : « Je te dis oui. ». Je suis revenu à une forme de narration qui me convenait et pour laquelle je me suis servi des démarrages précédents, des histoires très courtes de Martin Milan pour en faire des longues. Ça a été un peu compliqué. J’ai eu du mal à revenir à mon point de départ. Il a fallu qu’entretemps je m’aperçoive que faire ce que Goscinny me demandait ne m’intéressait pas vraiment. J’ai pourtant fait un certain nombre de ces double-pages.

 

 

 

 

Martin Milan est un pilote, un vrai de vrai. Depuis tout petit, il rêvait en regardant les avions d’évoluer dans le ciel. Il en rêvait et a accompli son rêve. Martin Milan est un rêveur né, il n’a jamais cessé de l’être et n’arrêtera jamais. Godard aussi ?

 

Personnellement, je me suis en quelque sorte conformé à ce pourquoi j’étais fait. Ce n’est pas moi qui ai choisi le fait que je sois dessinateur. Je n’ai pas choisi ce métier. J’étais un dessinateur avant même de parler normalement quand on est dans sa petite enfance. Bambin, je crayonnais déjà.

Mon premier dessin je l’ai fait alors que j’étais à peine capable de parler. J’avais assisté à un combat de boxe dans les bras de mon père. Quand nous sommes rentrés à la maison, j’ai dessiné des fils de fer avec une grosse boule au bout, des simili bras. Mon père s’est promené avec ce dessin dans son portefeuille pendant au moins dix ans en souvenir.

En fait, j’ai exprimé par le dessin une chose que j’avais vue et que je ne pouvais pas exprimer de vive voix avec des mots. Je n’ai pas choisi ce mode. Dans mon legs génétique, il y avait le dessin. Ensuite, d’autre choses sont venues se greffer à cette partie de ma personnalité. Bien entendu, j’étais un grand lecteur. Dès l’instant où j’ai su lire, j’ai, par voie de conséquence, pensé que je pouvais écrire. J’ai essayé de devenir un auteur de romans mais ça n’a pas marché. Par contre, écrire pour la bande dessinée, je me suis rendu compte que ça coïncidait parfaitement avec ma personnalité puisque j’aimais dessiner. Quitte à écrire, autant écrire pour le dessinateur que j’étais. La logique a été imposée par ma personnalité.

 

 

 

 

Mathias, le reporter, est un peu tête brûlée. Martin le raisonne. Ce personnage, que l’on voit dans quelques histoires, a permis, comme un yin et un yang, d’accentuer la personnalité calme et posée de Martin. Avez-vous conçu ce personnage comme un alter ego de Martin.

 

Non, je ne me suis pas posé cette question. Quand j’ai commencé à écrire des histoires longues pour Martin, il était pour moi évident que c’était un personnage qui, dans mon imaginaire, allait vivre sa vie. Comme par définition c’était quelqu’un qui utilisait un appareil qui le transportait à chaque fois dans des endroits différents, il m’obligeait, si je voulais qu’il ait un semblant de vérité, à ne pas m'embarrasser d’une flopée de personnages secondaires. Il s’en est ensuivi que, par sa définition même, en changeant à chaque fois d’endroit, il allait vivre des aventures à chaque fois différentes qui ne rappelait pas les précédentes et à la faveur desquelles il se révélait lui-même en tant que tel, ainsi qu’à l’auteur. Je me suis retrouvé devant un personnage totalement différent de ce que sont les personnages de BD classiques. Même vis-à-vis de moi, il évoluait dans sa personnalité. C’est la raison pour laquelle j’ai été contraint au démarrage de faire un tel personnage. Je me suis rendu compte, sans y avoir réfléchi avant, que je ne faisais pas un produit, avec des histoires qui se répètent comme les Schtroumpfs. Je faisais exactement le contraire. Martin Milan ne pouvait pas devenir un produit sinon il cessait de se ressembler à lui-même, puisqu’il était voué à chaque fois à vivre des aventures qui ne se ressemblaient pas entre elles. C’est un constat dont je ne tire aucune fierté particulière. Sinon au lieu de tirer à cinquante mille exemplaires j’aurais tiré à un million avec une autre série.

 

 

Martin Milan est un observateur plus qu’un acteur. Pour autant, on ne peut pas le qualifier d’anti-héros.

 

Oui, je suis d’accord avec vous.

 

 

 

 

Celui qui définit le mieux Martin, c’est Schnockmaster, un des personnages de Destination Guet-Apens : « Vous voulez savoir qui c’est, ce gars-là, hein ? Eh bien je vais vous le dire ! C’est un homme, rien qu’un homme… mais… un vrai. ».

 

Vous avez trouvé la réponse dans la question. J’ai poussé le vice assez loin, parce qu’il m’est arrivé, par exemple par défi, de raconter une histoire dont je ne connaissais pas la fin, et qui n’en avait pas du reste. Ce qui est complètement à revers de ce qu’il est normal de faire. Dans la bande dessinée, on sait dès le début où on va aller et comment cela va se terminer. Ça me permettait d'ajouter un peu de vie vraie dans un personnage imaginé.

 

 

Mille ans pour une agonie traite de la possibilité d’être immortel. Vous y personnifiez la mort et la dédramatisez. Est-ce qu’à l’époque de sa publication dans le journal Tintin cette histoire atypique a-t-elle eue un écho particulier ?

 

Oui. J’avais envie de parler de la mort, car, je ne sais pas si vous êtes au courant mais tout le monde est mortel. C’est un sujet qui concerne tout le monde. Je vous l’annonce. Vous êtes condamné. Et cette condamnation qui concerne absolument tout le monde, il fallait que j’en parle. Mais ce n’est pas facile d’en parler si vous en faites un sujet sérieux, ou alors on s’ennuie sérieusement. J’ai donc décidé d’en parler d’une manière humoristique. J’ai représenté la mort sous une silhouette que Martin ne voit évidemment pas, bien qu’elle le suive un peu partout. J’en ai fait un personnage humoristique. C’était une idée complètement farfelue, mais puisque ça concernait un homme qui prétendait accéder à l'immortalité grâce à une machine et grâce à la cryogénisation, ça pouvait passer. J’ai trouvé une fois sur un site sérieux de recherches que l’homme qui vivra mille ans était déjà né. Si on y arrive, ça posera des problèmes pour financer les retraites ! (Rires)

 

 

On peut même dire que l’homme qui vivra mille ans s’appelle Martin.

 

Absolument

 

 

 

 

Plus que tous les grands récits, c’est l’histoire courte Il s’appelait Jérôme, une des plus belles histoires d’amitié jamais écrites, dont on parle le plus quand on évoque la série Martin Milan.

 

Oui, parce que cette histoire est une histoire triste. C’est l’histoire d’un jeune homme qui prend Martin comme modèle et veut faire absolument tout ce que Martin fera. Il conduit cette décision jusqu'à son terme pour devenir comme lui pilote d’avion taxis. Il se tue car il n’est pas fait pour ça. Il n’est pas fait pour avoir le destin de Martin. Martin le voit en rêve. Jérôme lui dit de ne surtout rien se reprocher. Ce n’est pas de sa faute ; il n’est pas responsable. Tout cela ne fait pas une histoire humoristique du tout. C’est exactement le contraire. C’est triste à pleurer. Alors, ça n’a pas plu à tout le monde. Des lecteurs de Tintin se sont élevés très violemment contre ce récit. Ils m'ont accusé de raconter des histoires que l’on ne raconte pas aux enfants. Ils venaient pour se distraire et non pas pour réfléchir, ce qui est absolument contraire à ce que je pensais. Je me suis trouvé en face de Greg qui avait reçu une montagne de lettres de protestations et dans le journal de Tintin, qui n’était pas la version Française mais la version Belge, il était contraint et obligé de publier les lettres qu’il recevait. Parmi ces lettres, il y en avait des violentes. J’ai franchi une barrière que je n’avais pas le droit de franchir. Greg ne m’en a absolument pas voulu. Au contraire, ça l’amusait beaucoup. Il m’a proposé de répondre. J’ai répondu d’une manière aussi violente et cela a été publié dans le journal. Je leur répondais qu’on n’avait pas le droit de dire aux enfants que la vie est toujours belle, que la mort n’existe pas, qu’il ne faut s’inquiéter de rien. On n’a pas le droit de le leur dire parce que c’est faux. Pour une fois, je me suis laissé aller à dire quelque chose que je ressens profondément. Non pas pour moi. J’ai eu de la chance. J’ai presque toujours pu faire ce que je voulais dans l’existence. Imaginez la veine que c’est. C’est fabuleux.

Quand on a la prétention de raconter des histoires, de temps en temps, on se laisse aller à en raconter toutes les facettes.

 

 

 

 

Certains épisodes de Martin Milan sont co-signés Henri Dufranne. Quel était son rôle à vos côtés ?

 

Il m’aidait à encrer. C’est moi qui dessinait et il m’a encré pas mal de personnages. C’était douloureux pour moi. Il faisait aussi le lettrage. Je l’ai fait par manque de temps. C’était douloureux pour moi. Sur un crayonné, il n’y a pas toutes les indications, sur le gras et le délié par exemple. Il suivait montrait très convenablement avec beaucoup de savoir-faire, mais ce n’était plus mon encrage et, du coup, j’en souffrais beaucoup. On a arrêté notre collaboration dès que j’ai pu me libérer d’un certain nombre de travaux que j’avais acceptés. J’en faisais trop.

 

 

Vous avez créé pour lui Pamphile et Philéas.

 

Absolument. Dufranne est un charmant garçon avec un style à lui et ça a été un vrai plaisir. Il est devenu apiculteur, fabricant de miel et de nonettes au miel, avec succès.

 

 

 

 

Revenons à Martin. En 1984, L’ange et le surdoué raconte l’histoire de Claudius, un enfant ayant conçu une arme terrifiante poursuivi par des espions. Il apprend à Martin qu’il a un ange gardien, et Martin lui sert en quelque sorte lui-même d’ange gardien. Cette histoire nous amène à une question philosophique : Ne serait-on pas tous l’ange gardien de quelqu’un ?

 

En ce moment, j’ai deux chats que j’ai recueillis. Ils vivaient à la rue. Je veille sur eux en ce moment. Ils sont bien nourris et couverts de caresses. Alors, est-ce que je suis l’ange gardien de mes deux chats ? Oui, bien sûr. Mais, ils ont un rôle important dans la maison. Ils viennent m’embrasser à leur manière avec leur bout de nez tout froid. Ils viennent faire leurs griffes sur mes jambes pour me signifier qu’ils m’aiment beaucoup. Quand vous publiez une page dans un journal, vous l’ouvrez, vous la regardez, vous le repoussez, mais vous ne ressentez rien. Quand un chat fait ses griffes sur vos cuisses, vous ressentez très clairement qu’il est heureux. Mes chats me confortent dans l’idée que je peux servir à quelque chose de vivant, et c’est important dans l'existence.

A chaque fois que l’occasion s’est présentée, je ne me suis pas dérobé. J’ai une longue vie derrière moi. J’ai un fils, deux petits-enfants, j’ai eu une première femme, qui m’a quitté il y a dix ans. Ayant beaucoup de difficultés à vivre seul avec deux chats, j’ai actuellement une seconde épouse qui partage ma vie. Je n’ai pas repris de chien, parce que leur perte est trop douloureuse. J’ai eu une boxer, Trombine, qui a énormément comptée pour moi. Avec mon fils, on s’était amusé à compter le nombre de mots qu’elle connaissait. On s’est arrêté de compter au bout de deux cents mots, sans en voir le bout. Elle a eu notre peau. Quand ils sont doués pour ça, les chiens sont capables de comprendre mille fois ce que l’on se contente de croire.

L’idée consiste à faire en sorte d’assurer un bonheur de vie à tout le monde. Il faut rendre heureux tout le monde.

 

 

 

 

Vous y parlez ouvertement de religion, mais de manière œcuménique. Martin Milan, et par là même Christian Godard, serait-il déiste, admettant l'existence d'une divinité, sans accepter pour autant une religion ?

 

Effectivement, je n’ai pas de religion particulière, mais ce dont je suis sûr et certain, c’est que nous les humains nous n’avons pas la faculté de comprendre l'intégralité du monde dans lequel nous vivons. A partir du moment où l’on fait cette constatation, on renonce à être sûr de quoi que ce soit. Moyennant quoi, je ne peux vous dire de quoi je suis sûr puisque je ne suis sûr de rien.

 

 

Comme disait Socrate : « Je sais que je ne sais rien. »

 

Excellente citation à point nommé. J’adhère pleinement à cette phrase.

 

 

 

 

La mère de Martin, dans La goule et le biologiste le taquine en l’appelant Tintin, chose qui l’insupporte. On connaissait l’opposition entre la Syldavie et la Bordurie. Dans Destination guet-apens, c’est entre la Slavonie et la Baltovaquie que la tension règne. Cerise sur le gâteau, est-ce que la création du chien Klebsky est un moyen de rendre hommage à Tintin et Milou ?

 

Ah, non, je n’y ai pas pensé un seul instant. Je ne suis pas lecteur de Tintin.

 

 

Quels étaient vos rapports avec Hergé ?

 

Je l’ai croisé. Je n’ai jamais eu de conversation avec lui ; je n’ai pas eu le temps. Et je ne suis pas lecteur, vraiment pas lecteur du tout. En fait, je ne suis pas lecteur de bandes dessinées. Mais je suis passionné par le travail de certains de mes confrères. Je ne suis pas fasciné par le graphisme très mécanique de Tintin, qui a été mis au point par un Monsieur qui était très intelligent, beaucoup plus que moi. Je le reconnais bien volontiers. Il a été beaucoup plus loin dans son aventure alors que la mienne s’est arrêtée relativement tôt si on entend la définir au niveau du tirage des albums. Je suis fasciné par d’autres comme Moebius par exemple. On était plus que copains. Son travail me laisse complètement perplexe et, graphiquement, me pose des questions incessantes. J’avais aussi beaucoup d’admiration pour Alexis, qui est mort très tôt, à l’âge de trente ans. Il savait tout dès le départ. Uderzo aussi savait tout faire dès ses débuts. Ces gens-là m’intéressent énormément sur le plan graphique. Je peux rester une demi-heure devant un dessin de Moebius en essayant de comprendre quel était son état mental au moment de tracer tel ou tel trait.

 

 

 

 

Il faudra attendre 1995 pour retrouver Martin Milan chez Dargaud avec Le cocon du désert, puis La goule et le biologiste, dernière histoire de Martin, parue en 1997. Pourquoi cette longue interruption ?

 

Parce qu’il y a eu la création de ma maison d’édition Le Vaisseau d’Argent à ce moment-là. Le Vaisseau a eu une vie courte, mais cela a pris beaucoup de temps en amont et en aval.

Si Le Vaisseau d’Argent s’est arrêté rapidement, c’est de ma faute. Ça n’aurait pas dû s’arrêter, mais j’étais mort de fatigue. A un certain moment, on s’était partagé le travail avec Julio Ribera qui m’avait dit qu’il était d’accord pour s'asseoir devant une planche à dessin et dessiner toute la journée mais qu’il ne fallait pas lui demander autre chose. Donc, les “autres choses”, c’était moi qui les faisait toutes. Il n’y avait pas seulement l’écriture, mais aussi la réalisation comme je souhaitais qu’elle soit faite de la planche. Indépendamment de cela, il y avait l’impression. Pour des raisons de prix, les albums étaient imprimés à l’étranger. Il fallait aller jusqu’en Hollande. Parfois, quand j’assistais à l’impression, je faisais moi-même le réglage des couleurs. Je m’occupais aussi de la distribution. Et je continuais à dessiner ! J’ai fait deux albums pendant les cinq ans du Vaisseau. Je me suis donc retrouvé en petits morceaux à un certain moment. J’en suis arrivé à la conclusion que si je trouvais un partenaire pour reprendre la question logistique, cela me dégagerait près de cinquante pour cent du temps. J’ai failli le trouver. J’ai proposé à Vents d’Ouest, petite maison d’édition, mais déjà plus importante que la nôtre, de lui céder 49 % des parts et de garder 51 %, ce qui nous libérerait sur le plan de la création et soulagerait sur le plan fonctionnel. Le propriétaire de Vents d’Ouest à l’époque était d’accord. On a signé un contrat à 49/51 qui était la seule solution qui permettait de continuer en étant uniquement préoccupé par la création. J’ai attendu d’avoir un règlement financier qui devait suivre et, au bout d’un certain temps, au lieu de l’obtenir, j’ai reçu un coup de téléphone de Jacques Glénat, que je connaissais depuis ses débuts, qui me dit : “Je viens de m’apercevoir que tu as vendu des parts de ta société à Vents d’Ouest.”. Je lui ai répondu que la transaction me donnait pleinement satisfaction. Il a continué : ”Oui, mais il y a un gros problème, c’est que moi, je viens de racheter Vents d’Ouest et c’est trop cher.”. Il m’annonce ne pas pouvoir me payer la somme qu’il me doit et me propose de renégocier le contrat ou de le déchirer. J’ai choisi de déchirer le contrat. C’est pour cela que le Vaisseau a pris fin. Initialement, on voulait continuer notre maison d’édition, mais dans des conditions plus normales de travail.

 

 

Dans cette dernière aventure de Martin, adieu l’exotisme, l’aventure est au coin de la rue. Martin y est beaucoup plus fataliste. Il a le regard tombant. Le récit est très théâtral, parfois absurde façon Ionesco. Etait-ce une envie de changement ou un chant du cygne ?

 

Non, ce n’est pas ça. Tout simplement, pour moi, Martin est un personnage vivant. Ce n’est pas un héros de bandes dessinées. Par voie de conséquence, il me semblait que je pouvais m'attribuer à moi-même le droit qu’il ne soit pas toujours de la même humeur. Evidemment ce n’est pas une idée qui serait venue à Hergé. On n’imagine pas Tintin tout abandonner pour devenir égoutier. Martin a dans la tête une cervelle qui est assez proche de la mienne.

 

 

 

 

Le graphisme de Martin Milan, plutôt humoristique franco-belge marqué école Tintin, école de Bruxelles au départ, tendra vers plus de semi-réalisme au fil du temps. Est-ce que ça s’est fait naturellement ou était-ce un moyen de faire grandir Martin avec ses lecteurs ?

 

Ça s’est fait en pleine clairvoyance.  Tout naturellement, quand j’ai commencé à dessiner, je suis parti de très bas. Je n’étais pas Alexis, je n’étais pas Moebius. J’étais Christian Godard. Il a fallu que je fasse un long long chemin de graphisme. J’étais un narrateur. J’aurai très bien pu devenir romancier par exemple. J’aurai éprouvé une grande satisfaction à écrire des histoires en ne passant que par les mots. Ça a failli se faire. En ce qui concerne Martin, l’évolution du style a suivi son évolution mentale. Par exemple, les yeux de Martin à ses débuts étaient deux petits points, comme Tintin ou Astérix. A partir du moment où les vrais yeux se sont installés. tout le reste a suivi un petit peu.

 

 

 

 

Une âme pénètre le personnage.

 

Ça reste le même, mais comme si c’était quelqu’un d’autre qui racontait son histoire. En fait, c’est quelqu’un d’autre, c’est moi plus tard.

 

 

A bord de son vieux coucou Le Pélican, Martin a exercé ses missions au service de causes cocasses et émouvantes. On sent que vous avez mis beaucoup de vous dans Martin. Est-ce que vous auriez pu vivre la vie de Martin ?

 

C’est une très bonne question. Vous êtes le premier à me la poser.

Je crois que non, pour une raison très simple. J’avais en quelque sorte en moi des outils. La destinée en avait décidé ainsi. Ce n’est pas moi qui ait demandé à avoir de l’imagination. Je dessinais depuis que j’étais môme. Ce n’est pas moi qui avait décidé de le faire. C’est venu spontanément. C’est la raison pour laquelle je suis devenu ce que je suis devenu. Je n’avais pas les outils nécessaires pour devenir un aventurier. Quand j’étais devant ma table à dessins, je me posais la question de savoir de quel côté j’allais faire partir mon trait sur ma planche, de la gauche ou de la droite. Mais jamais, au grand jamais, je ne me suis posé la question de partir avec un sac de voyage, vers la gauche ou vers la droite.

 

(à suivre…)

 

 

 

 

 

Entretien réalisé par Laurent Lafourcade

Les dessins sont © Christian Godard

La photo de titre d’article est © Laurent Mélikian

 



Publié le 18/03/2020.


Source : Bd-best

        Toute l'actualité

©BD-Best v3.5 / 2024