Entretiens avec Christian Godard – Le feuilleton Godard, épisode 7 : Hommage à Albert Uderzo
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Entretiens avec Christian Godard – Le feuilleton Godard, épisode 7 : Hommage à Albert Uderzo

 

Septième partie de l’entretien avec Christian Godard par Laurent Lafourcade.

Dans cet épisode « hors-série », Christian dévoile son admiration pour le travail de l’immense artiste qu’était Albert Uderzo. Il nous raconte leur rencontre, leur amitié et replonge dans sa carrière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Bonjour Christian. Nous nous retrouvons aujourd’hui pour un entretien « hors-série » consacré à Albert Uderzo.

 

Vous savez, entre Uderzo et moi, il n’y a pas une grande différence d'âge, 5 ans tout au plus. Quand j’étais gamin, à l’époque où je lisais beaucoup d’illustrés, que j’achetais généralement d’occasion parce qu’il y avait un marchand pas très loin qui en vendait, j’avais remarqué un dessinateur qui me laissait pantois par son talent. Uderzo faisait tout ce que l’on voulait bien lui demander. Il faisait du dessin humoristique et du dessin réaliste. J’avais donc fait des dossiers dans lesquels je collectionnais tous les dessins de cet auteur. Je ne le connaissais pas du tout à cette époque-là où, en quelque sorte, on commençait à remarquer la qualité de ce qu’il faisait. On lui avait confié l’intégralité de la dernière page de couverture de France Dimanche. Il était chargé de faire les illustrations autour des faits divers qui s’étaient passés au cours de la semaine. Ses dessins étaient accompagnés d’articles. Moi, je classais très soigneusement tout ce qu’il publiait. Il me fascinait. J’étais persuadé qu’il était célèbre et très entraîné dans le métier qui était le sien car il était capable d’adopter n’importe quel style.

 

 

 

 

 

 

 

 

On l’a vu. Vous faisiez partie de l’équipe fondatrice du journal Pilote dans laquelle se trouvait un certain Albert Uderzo. Vous souvenez vous de votre première rencontre ?

 

J’ai tout d’abord fait la connaissance de Goscinny, bien avant que Pilote ne se crée. On a fait des bricoles ensemble à droite et à gauche, comme des pages de publicité. C’est lui qui démarchait. Il me demandait par exemple si je voulais me charger d’une page pour une machine à laver. Je me rappelle qu’on m’avait donné un modèle à partir duquel je l’avais dessinée. Je m’étais trompé. Je l’avais représentée s’ouvrant de face vers la droite au lieu de l’autre côté…

Ensuite, Pilote s’est créé et Goscinny m’a proposé de travailler dedans, ce que j’ai bien entendu accepté. A cette époque, le journal était hébergé dans une agence avec plusieurs bureaux où il y avait Edi-Monde et Edi-Presse, dans une petite rue qui donnait sur l’Avenue de l’Opéra. Au tout début de mon arrivée au journal, je lui explique que l’une de mes admirations, c’était Uderzo. Goscinny me dit : « Ha, bon ! Vous admirez Uderzo ? » et me demanda très tranquillement si je voulais le voir. C’était pour moi quelque chose de complètement extravagant. Sans se lever de son bureau, il hurla : “Albert !”. La porte d’à-côté sur le flanc gauche s’ouvrit et je vis arriver un mec qui avait à peu près mon âge. Inutile de vous dire que ça a été l’une des révélations de ma vie. J’ai réalisé que ce garçon avait dû commencer à travailler très très tôt et qu’il était incroyablement en avance par rapport à ce que je savais moi. Moi qui pensait que c’était un ancien. Pour moi, Uderzo a toujours été cet espèce d’animal incompréhensible qui savait dessiner depuis toujours. Je suis resté bouche bée devant lui.

Dans le dossier introductif du tome 2 de l’intégrale de Martin Milan, je montre quelques-uns de ces dessins que j’avais collectionné enfant. Ce qui m’avait sidéré à l’époque c’est qu’il faisait des plongées franches. On voyait le haut du personnage montant à l’échelle. Ça nécessitait une vision sur le plan réaliste et sur le plan imaginaire qui était tellement lointaine de mes possibilités de l’époque que je ne pouvais pas imaginer un seul instant qu’un dessinateur presque aussi jeune que moi soit capable de faire ça uniquement par imagination, sans avoir un modèle.

Pour moi, Uderzo a toujours été cet espèce d’animal totalement incompréhensible parce que je n’ai jamais réussi à comprendre comment il savait dessiner depuis toujours. Moi, il a fallu que j’apprenne longuement, longuement, longuement, à force de faire pour arriver à être un dessinateur relativement professionnel.

 

 

 

 

 

 

 

 

Plus qu’un collègue, Uderzo a été un modèle pour vous.

 

Oui, bien sûr. J’admirais autant Uderzo le dessinateur humoristique qu’Uderzo le dessinateur réaliste. On est ensuite devenu amis.

 

 

 

 

 

 

 

 

Vous avez partagé une série commune. En 1957, Uderzo vous a en effet succédé sur la série Benjamin et Benjamine.  C’était pour la presse belge dans l’hebdomadaire Benjamin fondé par Jaboune alias Jean Nohain.

 

On m’a proposé de faire la première bande dessinée qui était publiée dans ce journal parce qu’il n’y en avait aucune. J’ai donc été le créateur de Benjamin et Benjamine à une époque où je dessinais comme un cochon de mon point de vue. Je me donnais beaucoup de mal pour les dessiner. J’étais très content de le faire. Je crois que j’ai illustré Benjamin et Benjamine plus d’un an, peut-être deux, de 1955 à 1956. Et à ce moment-là, en 56, j’ai été rappelé sous les drapeaux pour aller en Algérie. Quand je suis rentré, j’avais envie de reprendre contact avec le journal de Benjamin et Benjamine puisque j’étais moi-même l’auteur de la bande dessinée. J’ai ouvert le journal et j’ai vu qu’Uderzo faisait la bande dessinée à ma place. Bien entendu, je n’ai pas voulu aller réclamer ma place. C’était Uderzo qui l’avait prise, lui que j’admirais tant, qu’il la garde.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette anecdote se situe avant votre première rencontre que nous avons racontée. Ce jour-là, le nom de Godard n’a pas fait tilt aux oreilles d’Uderzo ?

 

Non, on n’en a jamais parlé. Nous n’avons pas une seule fois évoqué cette question. Je n’aurais jamais eu le culot de revendiquer la création de Benjamin et Benjamine, alors qu’il avait repris la série de main de maître.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vous êtes tous les deux au sommaire du numéro zéro de Pilote en 1959, lui avec Michel Tanguy, Belloy et Astérix, et vous de votre côté avec Jacquot le mousse. Avez-vous à moment donné envisagé une collaboration ensemble ?

 

Ah, non jamais. L’idée que je puisse collaborer avec Uderzo ne m’a jamais effleurée, d’abord parce que nous avions très peu de différence d'âges, mais entre lui et moi c’était comme s’il y avait eu trente ans, vu son expérience. Il travaillait avec les meilleurs scénaristes, Goscinny et Charlier. Je ne pouvais pas passer derrière. Ça n’avait aucun sens.

A la création du journal Pilote, lui, faisait Tanguy et Laverdure. Il réalisait deux pages réalistes par semaine qui concernaient l’aviation dans ce qu’elle a, à cette époque, de plus moderne. Il faisait en plus une troisième page humoristique qu’il devait dessiner à toute vitesse en deux ou trois heures sans doute, car je sais que en faisant Tanguy et Laverdure il ne pouvait pas faire autrement que de se déplacer en allant sur place pour prendre des photos. Les avions à réaction ne se dessinaient pas comme ça. C’était un travail énorme de faire deux pages hebdomadaire plus Astérix. Et moi j’en étais encore à me poser la question : “Comment vais-je m’y prendre pour apprendre ce métier ?”.

 

 

 

 

 

 

 

© Godard

 

 

 

Faisons un grand bond dans le temps. A l’époque du contentieux entre Dargaud et Uderzo à propos des droits d’exploitation d’Astérix à l’étranger, plusieurs procès se sont succédés. Uderzo a récupéré les droits d’exploitation des vingt-quatre premiers albums et les éditions Dargaud ont été condamnées à lui verser 5,5 millions de francs de dommages et intérêts. Les auteurs se sont alors constitués en deux clans. Ceux qui soutenaient Uderzo comme Brétécher ou Tibet, et ceux qui soutenaient Georges Dargaud et sa maison d’édition comme Bilal, Druillet ou votre grand ami Greg. Avez-vous pris parti à l’époque ou êtes-vous resté observateur extérieur ?

 

Je n’en ai pas gardé de souvenirs très précis mais inutile de vous dire que compte tenu de mon état d’esprit j’étais du côté d’Uderzo tout le temps, quel que soit le sujet. Je me souviens vaguement que mon nom a été sollicité pour savoir dans quel clan je me situais. J’avais répondu : « Uderzo, bien entendu. ».

Uderzo est quelqu’un que j’ai admiré toute ma vie pour tout un tas de raisons. C’était un homme que j’ai connu très jeune. Il était d’une modestie absolument incroyable.

 

 

 

 

 

 

L'éditeur Georges Dargaud

 

 

Greg avait déclaré à L’express que celui qui reprendrait Astérix se casserait la gueule. Que pensez-vous de la reprise de Ferri et Conrad ?

 

Je n’ai pas d’avis sur le sujet. Je ne suis pas lecteur.

Je me suis intéressé à l’époque à Uderzo. A partir du moment où il n’a plus fait Tanguy et Laverdure, je n’ai plus lu la série. Je m’en suis totalement désintéressé. Pareil pour Astérix.

 

 

 

 

 

Ferri & Conrad, les repreneurs

 

 

 

Étant devenu la star que l’on sait, Uderzo était-il toujours facilement abordable ? Par exemple, était-il quelqu’un que vous pouviez appeler pour son anniversaire ou pour le nouvel an ?

 

Absolument. Il décrochait son téléphone lui-même. Uderzo n’a jamais été une star et ne s’est jamais pensé comment étant une star. Uderzo était un homme d’une simplicité biblique, comme je n’en ai jamais rencontré d’autres.

Je ne sais pas si vous avez remarqué mais le journal s’appelle Pilote et la star du journal c’est Astérix. Pourquoi ça s’appelle Pilote ? Parce qu'à l’origine le journal a été fait pour Michel Tanguy, et pas pour raconter les aventures d’un petit Gaulois qui s’appelle Astérix. Personne ne le dit aujourd’hui.

 

 

 

 

 

 

 

 

Qu’est-ce qui a fait qu’Astérix a pris la vedette ?

 

Au début, Astérix, ne marchait pas du tout du tout, à tel point que Goscinny pensait qu’il fallait trouver une manière de transformer la série. Ils avaient commencé à le faire. Quand on consulte les Pilote de l’époque, on s’aperçoit assez vite qu’il y a des bandes de trois dessins qui sont semées tout le long du journal, qui racontent les aventures de deux Bretons, qui ont exactement la tête d’Astérix et Obélix. Ils avaient commencé à transformer la série en la rendant contemporaine.

Astérix a commencé à marcher suite à un article dans L’Express en 1966 à l’occasion de la sortie d’Astérix chez les bretons Cet article a été absolument déclencheur. Brusquement ce que représentaient Astérix et Obélix, c’est-à-dire la résistance d’une minorité contre une majorité qui les cernait de partout, ça coïncidait avec la politique de l’époque et la situation de la France. Ça a été une explosion, et brusquement, à la suite de cet article, tout le monde s’est reconnu dans les traits de deux Gaulois qui sont cernés de partout et qui résistent malgré tout en face de l’occupant. C’était un démarrage très tardif qu’ils n’attendaient plus du tout.

 

 

 

 

 

 

 

 

De nos jours, sept ans pour faire décoller une série, pas un éditeur ne laisserait faire ça.

 

Absolument.

Les deux Bretons contemporains ont été abandonnés. Astérix a explosé de façon extraordinaire à la vitesse grand V, ce qui a amené ses créateurs au faîte de la réussite très vite, au point d'imaginer de faire en France un studio de dessins animés. Ils ont mis dans le coup leur éditeur Dargaud qui n’y tenait pas du tout, parce qu’il pensait que ça allait lui faire dépenser beaucoup d’argent. Ils ont commencé à créer ce studio et ont engagé quatre-vingts personnes pour l’animation. Quand Goscinny est mort, il est parti en laissant ça derrière lui, à savoir une réussite complète, un studio de dessins animés en cours de réalisation qui n’avait encore rien produit, quatre-vingts personnes à payer, etc, etc…

Il y a eu un article, il me semble me souvenir que c’était pour Paris-Match mais je n’en suis pas certain, où tous les collaborateurs de Pilote avaient été convoqués pour une photo de groupe et le hasard a fait que je me suis trouvé à côté d’Albert Uderzo. Pendant le temps de cette pose avec le photographe, j’ai demandé à Albert comment il allait sur le plan émotionnel car il venait de perdre son principal collaborateur. Ils travaillaient ensemble depuis leurs débuts. Il était détruit. Il se tourna vers moi et me dit textuellement : “Ben, qu’est-ce que tu veux, s’il faut que je fasse autre chose et bien j'essaierai de faire autre chose.”. Il pensait qu’Astérix était mort avec la mort de son scénariste.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Qu’est-ce qui l’a convaincu de relancer la machine ?

 

Je n’en sais rien. Je pense qu’il était entouré de plein de gens qui l’ont encouragé à le faire.

Ensuite, il s’est aperçu de quoi il était capable, de quoi il était propriétaire surtout. On s’est revu ensuite beaucoup plus tard. Il faisait faire des dessins animés en Allemagne. Il avait renoncé à les faire en France. Il était tout à fait capable de gérer la succession.

 

 

 

 

 

Astérix & Obélix au cinéma

 

 

Il a eu un regret dans sa carrière, c’est l’échec de Oumpah-Pah. Je crois que la série lui tenait particulièrement à cœur.

 

Absolument. C’était beaucoup plus drôle et bien meilleur qu’Astérix.

 

 

 

 

 

 

 

 

Si l’on fait coïncider les dates, c’est un peu L’Express qui a tué l’Indien.

 

Je n’ai pas l’information. A partir du moment où il s’est trouvé à la tête de l’Empire Astérix, cela ne représentait pour lui plus aucun intérêt de refaire Oumpah-Pah.

 

 

 

 

 

 

 

 

La question impossible : y a-t-il selon vous un album d’Astérix en particulier ou un album d’Uderzo en général qui serait plus remarquable que les autres ?

 

Je n'étais pas un vrai lecteur d’Astérix. La série est conçue pour que les Gaulois soient toujours gagnants de la partie à la fin, et on ne peut pas dire que ce soit une surprise. C’était toujours plus ou moins, avec des variations astucieuses, la même histoire. C’est du reste ce que beaucoup de lecteurs aiment, (ils détestent être surpris). Ça ne m’intéressait pas vraiment - bien que ce soit toujours issu d’une inspiration inépuisable. Goscinny était capable d’écrire n’importe quand, à volonté. Je ne l’ai jamais vu CHERCHER. C’est la vérité. Jamais.

Par contre là où j’étais toujours surpris, c’était par l’inventivité du dessin de Uderzo, toujours, immanquablement au rendez-vous.

Pour moi, la bande dessinée humoristique, c’est du dessin par-dessus tout…

Ça marche d’une manière totalement différente du dessin réaliste.

 

 

 

 

 

 

 

De manière globale je ne lis pas, ou plutôt disons très peu de bandes dessinées. Par contre, j’en REGARDE ENORMÉMENT, aucune ne m’intéresse pas pour une raison ou pour une autre, et certaines sont même pour moi des sujets de réflexions rigoureusement permanents. (Moebius en particulier, dont je collectionne les dessins chaque fois que possible, car je suis incapable de deviner de quoi étaient faites ses raisons quand il fait ce qu’il fait, et encore moins à ce qu’il pense. C’est un peu comme si, pour moi, il s’exprimait dans une langue étrangère.).

Astérix, c’est une invention de Goscinny, pas d’Uderzo. Goscinny était un scénariste qui fonctionnait comme un scénariste. Moi, j’ai connu Goscinny avant qu’il ne créé Astérix. Le Gaulois a été imaginé en une semaine car la série qu’ils s’apprêtaient à faire, Le Roman de Renart, existait déjà ailleurs. C’est là que Goscinny a proposé et improvisé Astérix. Le système sur lequel fonctionne Astérix est archi simple. Ils sont entourés d’ennemis. Ils leur mettent une peignée, ils rentrent chez eux et ils fêtent ça tous en cœur autour d’un banquet en chantant joyeusement. Pourquoi voulez-vous qu’Uderzo qui se trouve du jour au lendemain à la tête d’Astérix fasse autre chose ? Il a continué à faire Astérix comme il existait depuis le début, au départ avec l’aide de Pierre Tchernia. Le chemin était tout tracé. Il n’y a pas eu une seule histoire où les Gaulois perdent la bataille.

 

 

 

Pierre Tchernia

 

 

 

 

 


(à suivre…)

 

Entretien réalisé par Laurent Lafourcade

Sauf indication, les dessins sont © Uderzo/Goscinny/Charlier

La photo de titre d’article est © Laurent Mélikian

 



Publié le 10/06/2020.


Source : Bd-best

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