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Oui, on peut être docteur en histoire tout en étant un auteur BD talentueux et à succès. Mais si, c’est possible, grâce à « Fluide Glacial » notamment. L’exemple est donné ici par Fabrice Erre et son humour BD si spécial. Un bon docteur du rire soucieux de rendre au mieux les perles scolaires en bulles et en cases. Le deuxième tome de son « Une année au lycée » vient de paraître en ce mois de septembre.

Bonjour Fabrice Erre, vous avez réalisé une thèse sur la caricature et la satire au XIXème siècle, pouvez-vous nous en faire comprendre les problématiques et enjeux?
Ce travail porte sur la naissance de la presse satirique en France, de la Révolution de 1789 à celle de 1848. Il s’agit de décrire la création d’une forme très particulière d’expression qui est devenue un élément « naturel » de notre paysage médiatique. Les attentats de janvier 2015 ont montré, tragiquement, à quel point ce genre de journaux faisait partie de notre culture. Mais, également, toute la difficulté à bien les comprendre dès lors qu’on essaie d’en montrer le fonctionnement, les limites…
La caricature, le meilleur moyen pour faire passer ou comprendre des idées ou enjeux politiques?
Le meilleur, non, mais un très bon sans doute. La caricature ouvre les yeux, oblige à regarder quelque chose qu’on ne pouvait ou ne voulait pas voir. Mais cela ne suffit pas d’ouvrir les yeux. La caricature ne propose pas de solutions, ce n’est pas son rôle.

Vous êtes prof d’histoire-géographie en lycée, une matière devenue fourre-tout? Vous travaillez avec des caricatures pour vos cours?
Non non, ce n’est pas fourre-tout du tout. Il se trouve qu’on peut aborder beaucoup de sujets dans ces disciplines, parce que ça oblige à se pencher sur le monde qui nous entoure, mais c’est un avantage et il nous revient, à nous les professeurs, de donner du sens en « organisant » cet examen du monde, en le simplifiant aussi bien sûr. La caricature historique peut servir de support, mais c’est toujours un message de second degré (ou plus), alors ce n’est pas très facile à comprendre pour les élèves.
Votre graphisme me fait penser à celui d’EDIKA, autre auteur de « Fluide Glacial », d’accord avec ça?
Edika est un des auteurs que je lis depuis toujours et qui me fait mourir de rire. Son dessin est extrêmement dynamique et vivant, je rêverais d’arriver à une telle souplesse, autant d’expressivité, donc nécessairement ça doit se sentir dans mon dessin. Mais il y a d’autres influences qu’on m’a signalées aussi, comme l’Italien Jacovitti par exemple. Une manière de dessiner s’inspire forcément de plusieurs styles, mais l’auteur n’en est pas toujours pleinement conscient.

« Fluide Glacial », le meilleur journal BD humoristique actuel?
Le meilleur journal BD humoristique de tous les temps. N’écoutez pas les grincheux.
Vous avez réalisé des albums BD essentiellement de satire, bientôt un album BD réaliste?
Un de mes derniers, Madumo, procède d’une démarche plus « réaliste » en ce sens où je me suis laissé porter par des choses plus personnelles. Mais bon, ça reste du gros nez avec un maître du monde et des vaisseaux bizarres. Je ne saurais pas aller vers le réalisme.
Avez-vous des retours de lecteurs sur vos albums? De votre hiérarchie aussi?
Des collègues essentiellement (de mon lycée ou d’autres) me parlent d’Une année au lycée, me disent dans quelle situation ils se sont reconnus. C’est très agréable d’avoir ce retour, de savoir qu’on n’est pas passé à côté. Ma hiérarchie ne s’est pas manifestée, non.

Un gag, ça se trouve comment?
Le processus du gag est mystérieux, et il n’est pas le même par exemple dans Une année au lycée ou dans Guide sublime, parce que ce sont des univers et des tons différents. Mais je crois qu’il y a nécessairement, à un moment, une forme d’abandon : il faut se laisser aller à partir d’une situation vers ce qu’elle peut générer de grotesque (en fait tout ce qu’on essaie d’éviter dans la vie quotidienne).
Que pensez-vous de la surproduction actuelle en BD (Plus de 5500 albums parus chaque année)? N’est-elle pas aussi et surtout une forme de démocratisation éditoriale?
Cette tendance à une forte production m’a permis d’être moi-même édité, donc je ne m’en plains pas. En plus j’ai publié trois livres en 2015, j’y participe donc activement, voyez. C’est par ailleurs un formidable signe de vitalité de la bande dessinée. Si on veut baisser la production, pour assurer une meilleure visibilité à ceux qui resteront, ce sera au détriment de tous ceux qui ont pour l’instant une existence plus confidentielle. Or, on lit des livres formidables qui ont de petits tirages. Donc, passons plutôt à 10 000 nouveautés par an et n’en parlons plus.
Vos prochains projets et festivals BD?
Je me consacre pour le moment un peu plus à la presse (Fluide glacial, Spirou, La Revue dessinée…) et mon blog. Dès que j’aurais trouvé mon rythme je me plongerai dans un projet plus long, c’est ce que je trouve le plus agréable à faire. Les festivals à venir (sous réserve) : Mouans-Sartoux, Brives, Brignais, Angers, Angoulême, Perros-Guirec…
Merci beaucoup Fabrice!
Propos recueillis par Dominique Vergnes. Fabrice Erre possède aussi son propre Tumblr. Fabrice Erre est au coeur de bien des nouveautés: Guide Sublime (chez Dargaud), Madumo (chez Vide Cocagne) et Une année au lycée (chez Dargaud)
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