Interview avec Antoine Aubin
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La sortie d’un nouvel album de Blake & Mortimer est toujours un évènement ! A l’occasion de la parution du second et dernier tome de la « Malédiction des Trente Deniers – tome 2 La Porte d’Orphée », Christian Missia a rencontré le dessinateur Antoine Aubin qui a eu la lourde tache de succéder au regretté René Sterne et à son épouse Chantal de Spiegeleer.

Christian Missia : Est-il facile de s’attaquer à un monument tel que Blake & Mortimer ?

Antoine Aubin : Je me suis lancé dans cette aventure avec beaucoup d’inconscience. Je dois dire que je ne mesurais pas ou que je n’ai pas cherché à mesurer l’attente qu’il pouvait y avoir de la part des lecteurs par rapport à ce travail là. Quand on m’a proposé de dessiner le tome deux de « La Malédiction des Trente Deniers » j’étais ravi, c’était Noël pour moi. Je me suis lancé là dedans, bille en tête, sans trop réfléchir.

Avez-vous changé votre méthode de travail pour attaquer cet album ?

A A : Je suis partie en faisant exactement comme d’habitude, ce qui m’a causé énormément de problèmes. Auparavant, je travaillais sur des histoires très courtes qui étaient destinées à la presse enfantine ou alors à des supports de communications qui étaient destiné à différentes entreprises. En tout cas, à des travaux très courts que j’avais tendance à faire en faisant des grosses charrettes* parce qu’il fallait respecter des délais qui étaient assez courts aussi. Donc, j’ai commencé à travailler sur le Blake & Mortimer de la même façon, mais je me suis épuisé très vite en faisant cela parce qu’une fois que les trois-quatre pages étaient finies, il en restait cinquante derrière et donc, faire des charrettes pour toutes les pages n’était pas possible. Donc, cela m’a causé beaucoup de problèmes et j’ai dû adapter une nouvelle méthode de travail. J’ai eu beaucoup de mal avec ça.

 


L’encrage des dessins a été réalisé par Etienne Schréder… pourquoi n’avez-vous pas réalisé cette tâche vous-même ?

A A : Je n’ai pas fait appel à un encreur, c’est l’éditeur qui l’a fait et Etienne n’a pas encré tout l’album, il n’en a encré qu’une partie. L’intervention d’Etienne s’est précisé au printemps dernier. A un moment, l’éditeur pensait, certainement à juste titre, que je risquais de ne pas être dans les délais pour la sortie de l’album fin novembre et c’est Yves Schlirf (directeur éditorial chez Dargaud, ndr) qui a imposé qu’Etienne travaille avec moi pour assurer de manière définitive le délai de parution. La date de publication, qu’en à elle, avait été fixée avant que je ne commence à travailler. Et puis, c’est une publication tellement importante pour les éditions Dargaud qu’il n’était pas possible de la repousser.

Segmenter le travail du dessin d’une bédé entre différentes personnes (dessinateur des crayonnés, encreur et coloriste) et une pratique courante, dans les comics par exemple…

A A : Oui, aux Etats Unis ou bien au Japon ! Mais là, il n’a jamais été question de créer une sorte de studio pour dessiner Blake & Mortimer. A priori, les Editions Dargaud restent plus dans l’esprit de la bande dessinée qui se fait ici (en Europe, ndr) ; un scénariste puis un dessinateur qui est sensé faire tout. Evidemment, il y a aussi l’intervention de la coloriste Laurence Croix derrière.

 

Comment s’est passé la collaboration avec Jean Van Hamme ?

A A : Je ne connaissais pas Jean Van Hamme auparavant. En revanche, je l’ai rencontré avant de travailler lorsque je suis venu le voir à Bruxelles. J’ai eu l’occasion de le revoir une autre fois, au cours du travail. Après, on s’est quand même assez fréquemment téléphoner ou envoyé des mails. Jean Van Hamme avait écrit l’ensemble du scénario, donc le tome un et le tome deux dès le départ. Le scénario sur lequel j’ai travaillé est un scénario que Jean avait écrit il y a six ans. Etant donné les circonstances malheureuses qui ont entouré l’élaboration de cette histoire, je crois que Jean était un peu passé à autre chose. De plus, le scénario de cette histoire avait été écrit pour René Sterne très clairement ; il y avait des petites annotations qui avaient été rédigées à son nom propre. Donc, moi j’ai dû prendre ce scénario là et travailler avec comme il était.

Evidemment, au fur et mesure des pages, le dessinateur a besoin de se référer d’une manière ou d’une autre au scénariste pour lui demander une précision ou lui demander une adaptation parce que le dessin le conduit vers quelque chose d’un tout petit peu différent de ce qui était écrit, etc. Ca, ça c’est fait avec Jean surtout par téléphone ou par mail, mais globalement j’ai travaillé sur le scénario qu’il avait écrit il y a six ans sans rien changer.

Quel type de scénariste est Jean Van Hamme ? Vous laisse-t-il une grande liberté de mouvement ou au contraire, est-il très dirigiste ?

A A : Un scénario de Jean Van Hamme c’est une mécanique de précision : il n’y a pas de cases ou de gras à enlever. Il n’est pas très directif dans le sens ou il ne décrit pas beaucoup les cases et les personnages. Mais en revanche, comme son action est très précise, on est complètement guidé par son scénario. On n’a pas beaucoup de choix sur ce que l’on doit dessiner ou pas. Bon, il y a un peu de choix quand même d’angles de vue et tout ça mais quand même, il nous prend par la main, clairement.

 


Quel est votre marge de manœuvre créative lorsque vous reprenez une série telle que Blake & Mortimer ?

A A : Il n’y a pas de charte graphique pour un Blake & Mortimer. L’éditeur, quand il m’a demandé de travailler la dessus, il m’a demandé de faire du « Blake & Mortimer ». Après, il faut essayer d’interpréter ce que cela peut vouloir dire...

Je pense que la série des nouveaux Blake & Mortimer a été situé dès le départ dans les années 50. C’est une espèce de boucle de série en dérivation sur les albums de Jacobs de cette période là. Donc, on une référence graphique qui est évidente avec la Marque Jaune ou l’Enigme de l’Atlantide. Je pense que, par exemple, René Sterne a préféré se plonger dans le Mystère de la Grande Pyramide.

Allez-vous rempiler si on vous propose une nouvelle histoire de Blake & Mortimer ?

A A : On m’a déjà proposé de dessiner un nouvel album de Blake & Mortimer, avec toujours Jean Van Hamme au scénario et cela devrait commencer bientôt. Yves Schlirf attend avec impatience le scénario de Jean qui nous a dit pouvoir écrire dans les semaines qui viennent.

 

Eventuellement, pourrait-on imaginer une autre collaboration avec Jean Van Hamme dans un tout autre projet ?

A A : Alors là en revanche il n’en est pas question du tout car Jean Van Hamme ne souhaite plus développer de nouveaux projets de bandes dessinées. Je crois qu’il a envie de faire autre chose et il a déclaré que ce prochain Blake & Mortimer serait le dernier qu’il écrirait.

 

 

Antoine Aubin


Pourriez-vous nous présenter votre parcours ?

A A : Il y a presque dix ans, je fréquentais une librairie de bandes dessinées dans la ville où j’habite (à Tours, ndr), la librairie Bédélire de Grégoire Seguin. Dans cette librairie, j’ai rencontré quelques auteurs de bande dessinée qui habitent cette ville aussi. A ce moment là, il y en avait deux ou trois qui venaient juste de s’installer et qui cherchaient à se rassembler dans un atelier pour travailler en commun. Et donc moi, je me disais que la bande dessinée est quelque chose qui m’attirait beaucoup. Je savais que j’étais capable de tenir un dessin à l’endroit et de faire quelque chose d’à peu près convenable. Donc, quand j’ai appris ça, en laissant trainer mes oreilles dans la librairie, je suis rentré chez moi, j’ai pris mon crayon, j’ai dessiné quelques trucs et je suis allé voir les gars en leur disant : « je crois que je peu dessiner un peu et cet atelier m’intéresse… S’il est possible de travailler… Si vous avez des contactes dont je puisse bénéficier, etc. » J’ai été accepté dans cet atelier – je crois qu’ils cherchaient du monde pour payer le loyer (rires) – et je me suis retrouvé avec une table, une chaise, une lampe dans cet atelier mais pas de travail ! Mais bon, assez rapidement, plusieurs d’entre eux avaient des contactes, donc du travail, il m’en on laisser quand même (rires). Ils m’ont permis de démarrer. Il y a eu quelques travaux en commun. L’un des dessinateurs travaillait chez Disney, à qui on a proposé de faire des planches, de la bande dessinée pour Disney, ce qui ne l’intéressait pas trop et il me les a refilé alors que moi je suis incapable de dessiner ça. Il m’a dit : « Si, vas-y ! Et de tout façon, qu’est ce que t’as à perdre ? » Je suis rentré comme cela dans la presse. C'est-à-dire que j’ai travaillé pour Disney -Hachette Presse qui possède le label Disney en France et qui publie le Journal de Mickey et plusieurs autres journaux. J’ai travaillé pour Disney pendant quatre ou cinq ans de manière assez régulière mais pas très dense. Et j’ai fait d’autres boulots, comme ça.

L’atelier, je l’ai quitté assez rapidement parce que travailler avec pleins de gens dans la même pièce n’était pas tellement mon truc.

J’ai pu avoir un contact avec les Humanoïdes Associés. J’y ai fait un album qui s’appelle « Sur La Neige » avec Pierre Wazem.

Tout cela a duré une dizaine d’années et il y a deux ans, j’ai présenté un projet à différents éditeurs et qui était scénarisé par Laurent Rullier. Projet qui devait s’appeler « Les Combattants ». C’est une histoire qui se passe dans le Nord de la France, au moment de la débâcle en 1940. Ce projet a été présenté chez Dargaud, qui n’en a pas voulu mais en revanche m’a contacté juste après pour me faire faire des essais sur Blake & Mortimer.

 

Antoine Aubin à l'oeuvre sur une dédicace pour la rédaction

 

Quels sont vos projets en dehors de Blake & Mortimer ?

A A : A vrai dire, je n’en ai pas. Pendant un temps j’ai caressé l’espoir de faire aboutir ce projet des fameux Combattants avec Laurent Rullier mais en fait - ce que je comprends tout à fait - Laurent a perdu patience et pour le projet en question, nous avions signé un contrat chez Delcourt juste au moment ou Dargaud m’appelait, je venais de le signer. J’ai demandé à Delcourt s’ils pouvaient me laisser le temps de faire autre chose. Eux étaient d’accord mais Laurent voulait que son projet aboutisse plus rapidement. Donc, ils ont recruté un autre dessinateur, Hervé Dufaux et l’album « Les Combattants » va paraitre chez Delcourt début février, le sept février je crois… Je ne travaillerais pas sur cette série.

 

* faire une charrette signifie chez les architectes et les dessinateurs passer la nuit au studio afin de terminer un travail en retard. Cette expression doit son origine aux étudiants en architecture des Beaux-arts de Paris, au XIXe siècle, qui passaient une nuit à travailler en commun et devaient transporter eux-mêmes dans une charrette leurs panneaux d'exposition de plans, des ateliers vers la salle des rendus - l'actuel Palais des études -  quand ils étaient en retard à un rendu d'exercice et que l'appariteur était déjà passé prendre les documents avec une charrette.

 

 


 

Remerçiement particuliers à la librairie Multi BD et aux Editions Dargaud!

Interview © Graphivore-Christian Missia 2010

Images @ Blake & Mortimer Edition 2010

Photo © Christian Missia 2010

Multi BD, 122-128 Boulevard Anspach, 1000 Bruxelles.



Publié le 20/12/2010.


Source : Graphivore

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