Interview avec Maryse et Jean-François Charles
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Une fois de plus nous vous proposons une rencontre avec un couple d'auteurs très productifs. Christian Missia nous offre une rencontre autour d'India Dreams tome 6 paru chez Casterman par les talentueux Maryse et Jean-François Charles.

Maryse et Jean-François Charles : India Dreams et Africa Dreams.

« D’un monde à l’autre » est le tome six de la série India Dreams. C’est aussi un nouveau cycle…

Maryse Charles (MC.) : C’est un nouveau cycle qui se passe en amont du premier. Puisque le premier se passe entre 1930 et 1965 et celui-ci c’est 1880. Donc plus ou moins après le couronnement de la reine Victoria qui devient impératrice des Indes.

Jean-François, en parcourant votre œuvre, on se rend compte de votre intérêt pour l’histoire, que ce soit en Inde, en Egypte, etc. Produire des histoires contemporaines ne vous intéresse-t-il pas ?

Jean-François Charles (J-F C.): Je suis passionné par le dessin, évidement, et je suis passionné aussi d’histoire. C’est vrai qu’à l’école j’étais un étudiant très difficile. J’ai fais peu d’études mais c’est vrai que j’avais bien mes points en dessin et en histoire. Je trouve que l’histoire est tellement passionnante et nous donne des raisons de s’interroger, de travailler sur l’histoire. On aime… Maryse et moi, on a aussi ce point commun d’aimer l’histoire, et on est passionné par les livres d’histoire. Par tout ce qui a fait un pays… C’est une passion en même temps que le dessin, je dois dire. Donc, on trouve dans l’histoire matière à raconter de nombreux scénarios, etc.

Revenons un peu sur les personnages qui parsèment ce nouvel album. Pouvez-vous nous les présenter ?

M C. : Donc, plusieurs personnages. Des Anglais vont quitter l’Angleterre dans l’espoir d’une vie meilleure, parfois pour fuir la justice… Et donc, ils vont se retrouver en Inde. C’est le contraste entre deux mondes, un monde plus gris et puritain et un monde pleins de couleurs, plus libre et beaucoup plus sensuel. Le premier personnage c’est le professeur Sybellius. C’est un professeur de collège universitaire qui est en marge du puritanisme de la société. Il a déjà eu un contact avec l’Inde, avec tout ce qui était temples d’amour, dont les temples de Khadjuraho. Le fait qu’il désire transmettre cette culture, la culture du Kâma-Sûtra, de l’Inde à ses étudiants va faire qu’il va se retrouver hors du collège et il partira alors pour les Indes. Il y a aussi un juge qui est promu juge à Calcutta. Donc, lui aussi va faire le voyage pour une autre vie. Puis, il y a l’héroïne qui est accusée d’un meurtre horrible. Elle a tué son amant et son enfant – elle est couturière – elle les a tué avec des ciseaux, c’est quelque chose d’assez horrible. Donc elle quitte l’Angleterre et elle réussi à prendre la place d’une autre personne qui est en fait la gouvernante des enfants du juge.

 


J-F C. : Il y a aussi le militaire…

M C. : Oui, il y a aussi le militaire qui est un ancien lancier du Bengale. Son père est évoqué très brièvement. Donc, son père était lancier du Bengale aussi et il est certainement intervenu lors de la révolte des Cipayes (ou mutinerie indienne  - Indian Mutiny - au Royaume-Uni, est une période de soulèvement et de rébellion survenue en 1857-1858 dans le nord et le centre de l'Inde contre la domination britannique. Les Indiens la considèrent parfois comme le premier mouvement pour l'indépendance de leur pays. Ndr). On suppose qu’il a plutôt pris parti pour les Indiens que pour les Anglais. Et puis, nous avons aussi un cultivateur qui est passionné par la culture du thé, qui envisage de cultiver le thé à Darjeeling, sur les versants de l’Himalaya.

 

Vous êtes un couple à la ville et vous travaillez ensemble, en particulier ces dix dernières années. N’est ce pas difficile de travailler avec son conjoint et comment vous organisez vous au quotidien ?

M C.: On dit toujours que c’est une partie de ping-pong. L’idée vient de Jean-François, puis on y travaille. On apporte d’autres idées, en se documentant par des bouquins, par des films. Puis, j’établie un synopsis. A nouveau, on remodifie le synopsis à deux. Je propose un découpage, on remodifie le découpage et ces modifications vont jusque dans les dialogues, c’est pour cela que l’on dit que c’est une partie de ping-pong. Personnellement, je trouve que c’est très intéressant de travailler en couples, pour autant que l’on puisse faire la différence entre le professionnel et le privé, mais ça, ça se passe bien. On travail quand même chacun de son côté. Et alors, on discute énormément du scénario. C’est beaucoup plus facile que quand on doit téléphoner à quelqu’un d’autre qui n’est pas toujours libre. D’une autre façon, quand on veut expliquer quelque chose, on l’explique avec moins de mots parce que l’on beaucoup de souvenirs en commun.

 

 


J-F C. : C’est vrai que c’est une passion mais Maryse et moi on se connait depuis très très longtemps. On s’est connu quand on avait seize ans. Disons que cela a toujours été un rêve de pouvoir justement partager une passion commune et pouvoir raconter des histoires ensemble. Et vivre comme ça, au travers de la bande dessinée avec nos personnages qui sont de personnages fantômes mais qui vivent avec nous, donc quelque part on a toujours quelque chose à raconter. On aime bien travailler quand on est en voiture, par exemple quand on travaille à la construction d’un scénario. Je pense que ça lie beaucoup aussi et on a cette chance. Bon, c’est vrai qu’en même temps Maryse c’est quelqu’un avec qui c’est assez facile de travailler parce que elle trouve toujours des solutions quand parfois je panique, ou quand j’ai l’impression que l’on est face à un mur et que je ne sais pas comment le sauter, Maryse trouve des solutions et ça c’est intéressant. Et aussi la joie d’être directement avec la personne et que l’on peut travailler dans l’immédiat. Je pense que ça apporte beaucoup à la passion du travail.

Que ce soit dans India Dreams ou dans Africa Dreams, l’album que vous aviez publiez plus tôt cette année avec Frédéric Bihel au dessin, le graphisme est toujours envoutant. Il nous transporte… comme dans un rêve.

J-F C. : On a rencontré Frédéric Bihel il y a déjà quelques années et on s’était toujours dit que l’on travaillerait ensemble. C’est vrai que lorsque l’on rencontre des dessinateurs, c’est souvent lors de festivals… Et on a vu tout de suite qu’il y avait une sensibilité. Frédéric Bihel et moi, nous aimons un peu les mêmes choses. Cela s’est fait assez naturellement, et quand on a proposé à Frédéric de faire ce travail sur l’Afrique, forcément on voulait un dessinateur qui donne cette sensation. Je voulais quelqu’un qui soit graphiquement très proche aussi et disons que la rencontre s’est faite et c’est très bien. C’est merveilleux quand ça se passe comme ça. On a passé deux-trois jours ensemble, pratiquement sans sortir de la maison, en voyant des films, en voyant de la documentation. En se parlant, en construisant le scénario. C’était une véritable symbiose. Le travail est magnifique aussi parce qu’il faut à peine donner des indications que tout de suite on sent que le collègue à compris.

 

Avez-vous visitez les pays que vous mettez en avant dans vos albums ?

J-F C. : On a visité. On a fait un court voyage en Inde d’à peu près trois semaines. Mais j’aime bien dire qu’avec dix ans de travail que l’on a fait sur India Dreams, en travaillant sur de la documentation, des livres, des photos, etc. On a l’impression d’y avoir vécu beaucoup plus longtemps. Ce qui était important pour nous en Inde c’était de voir, de sentir le pays, pas ses odeurs, etc. Parce que, plus qu’un dessin, un dessin documenté, c’est les parfums, les odeurs, tout ce qui fait un pays. On n’y est pas allé très longtemps, mais je pense que comme on a beaucoup travaillé sur le sujet, on a l’impression d’y avoir vécu et même je peux dire que cela a influencé notre vie aussi dans la vie de tous les jours, peut être par la pensée indienne aussi ou par la tolérance.

Qui de vous deux a eu l’idée d’aborder le thème du Kâma-Sûtra, car il est très présent dans cette histoire…

M C. : C’est vrai que lorsque l’on pense au Kâma-Sûtra, on pense à l’aspect sensuel, même sexuel mais cela a un aspect religieux en Inde et cela on tenait à le décrire puisque dans la religion indoue, lorsqu’il y a union entre un homme et une femme, ils détiennent, le temps d’une fraction de seconde, une part d’éternité. Tout ce côté-là un peu mystique était très important à souligner car ça fait partie de leur religion également.

Comme vous le savez, l’année 2010 a été marquée par le cinquantenaire de l’indépendance de dix-sept pays africains dont la République Démocratique du Congo, pays dans lequel se passe l’histoire de cet album Africa Dreams. Était ce votre manière de fêter cet anniversaire ou aviez-vous déjà prévu de traiter une part de l’histoire de la Belgique et du Congo ?

J-F C. : C’est un projet qui datait pour nous de plus de vingt ans. C’est un projet qui nous intéressait. Au départ, il y a vingt ans de cela, on l’avait prévu pour un dessinateur mais les choses ne se sont pas faites. Le dessinateur ne le sentait pas comme ça. Donc, le projet est resté dans les tiroirs. Et puis c’est aussi grâce la rencontre avec Frédéric Bihel que le projet est ressorti. Frédéric Bihel est un dessinateur qui est français, normand et qui connaissait très peu l’histoire de la Belgique, et forcément du Congo. Il est venu en Belgique. On lui a fait découvrir le musée de Tervuren et nous on le redécouvrait aussi ce fameux musée qui était un passage obligé lorsque l’on était enfants. Pour nous, c’était le premier voyage scolaire quand on était enfants. En retravaillant toute cette documentation, on a vu l’importance qu’avait toute cette période et comment les choses se sont faites. Donc, on s’est documenté au niveau des livres, etc. On à découvert un personnage qui est effrayant quelque part, c’est le roi Léopold II. Donc, on s’est intéressé à lui, au règne et on lu plusieurs livres et on eu terriblement envie d’en parler.

 

 

Maryse et Jean-François Charles


Vous faites sans doute allusion au scandale des mains coupées... Bien que le sujet soit connu, il demeure sensible... Aviez-vous reçu certaines « consignes » par rapport à cet épisode de l’histoire précoloniale du Congo ?

J-F C. : Non, on n’a pas eu d’autocensure, ni de « consignes ». Justement, c’est parce que l’on avait pas l’impression que l’on en parlait beaucoup que nous avions eu envie d’en parler parce que je crois que, quelque part c’est aussi un peu notre rôle, lorsque l’on découvre quelque chose d’en parler. On sait que cela à pu déplaire à certaines personnes. D’autres, trouvent cela intéressant que l’on en parle, justement. Et c’est un journaliste qui nous le disait : avec notre bédé, on va peut être toucher un plus large public que ce que des écrivains on pu toucher. Je pense à ce monsieur Jules Marchal qui a fait tout un travail et qui est décédé, malheureusement, dans les années 2002, je pense (Jules Marchal est né en 1924 en Belgique, et est décédé le 21 juin 2003 à Hoepertingen. Docteur ès philosophie et lettres de l’Université Catholique de Louvain, il a été fonctionnaire territorial au Congo belge de 1948 à 1960, conseiller technique au Congo-Zaïre de 1960 à 1967 et enfin diplomate jusqu’en 1989. Ses travaux de recherche, entrepris depuis 1975, ainsi que ses nombreuses publications, concernent la période de l’histoire de la colonisation belge du Congo, ndr), qui a fait tout un travail sur, justement cette période et qui a fait un livre qui a été tiré à compte d’auteur. Donc cela n’a pas touché un très grand public. Il y a le livre d’Adam Hochschild (journaliste américain, né à New York en 1942. Il publia en 1998 le livre « Les Fantômes du Roi Léopold II », ndr) qui a eu beaucoup de succès, qui a été beaucoup lu et beaucoup distribué. Mais nous voulions en parler parce que même au niveau du musée de Tervuren… Même si on en parle très peu, c’est un peu caché mais ils ont quand même fait l’effort d’en parler parce que l’on ne peut plus passer à côté de ça. On est à une époque ou il ne faut pas avoir peur de l’histoire. Il faut pouvoir parler de l’histoire sans honte et le dire. Il faut la dénoncer, donc voilà. Je pense que cela tombait sous le sens que l’on avait envie d’en parler.

Combien de volumes avez-vous prévu pour India Dreams et Africa Dreams ?

J-F C. : India Dreams ce sera entre trois et quatre albums, cela dépend un petit peu de l’univers que l’on a envie de développer et Africa Dreams ça ira aussi jusqu’à trois ou quatre albums. Maintenant c’est vrai qu’avec la documentation, on a envie d’aller plus loin. On à envie d’aller – si on parle d’Africa Dreams – on a aussi envie d’aller voir du côté de Mobutu, par exemple. Toute cette histoire est très intéressante parce qu’il y a des parallèles entre Léopold II et Mobutu. C’est intéressant aussi si on trouve un terrain intéressant - parce que l’on n’est pas historiens – si on trouve le bon filon, on ira plus loin, si on peut garder l’intérêt du lecteur parce que on veut aussi donner une envie de voyage, d’aller voir là bas. Et ce qui nous fait le plus plaisir, c’est quand des lecteurs viennent nous dire, en séance de dédicaces et c’est arrivé plus d’une fois, grâce à vous on est allé en Inde. On a eu envie de découvrir l’Inde et les gens viennent nous en parler. Cela nous touche toujours beaucoup parce que l’on est seul à la maison devant son travail et que c’est seulement après que l’on se rend compte, quand c’est tiré à beaucoup d’exemplaires que ça peut influencer des gens et on espère toujours, en tout cas, faire rêver.

 

 

 

Interview © Graphivore-Christian Missia 2010 

Photos : © Christian Missia 2010

Images : © Casterman-Jf-Maryse Charles 2010



Publié le 10/12/2010.


Source : Graphivore

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