Le dernier brame, une rencontre en Aire Libre avec Jean-Claude Servais
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Le dernier brame, une rencontre en Aire Libre avec Jean-Claude Servais

Jean-Claude Servais : « En magnifiant la nature, j'appelle à ma façon à la respecter... »

Jean-Claude Servais aurait-il pu trouver meilleure période pour que sorte son nouvel album intitulé « le dernier brame » dans la prestigieuse collection « Aire libre » des éditions Dupuis ? Par analogie à une intrigue très « humaine » (!) ce géant de la BD y décrit, comme son titre l'indique, le brame du cerf qui se produit en fin d'été début d'automne . Forêt fascinante, couleurs automnales éclatantes, ce sont comme toujours des planches magnifiques que signe Servais pour qui la nature est bien plus qu'un décor, mais bien un élément indissociable de ses histoires...et de leur auteur !

 

Avec un regard rétrospectif, on a l'impression que « la mémoire des arbres », titre d'une de vos séries, aurait pu être le générique de l'ensemble de votre oeuvre...

Peut-être, mais la forêt est tellement présente ici, à deux pas de mon village, que je ne peux pas ne pas la voir, et forcément, comme je l'aime ça m'influence certainement. Pour sortir de mon village, vers Orval ou vers l'Ardenne, je dois traverser des bois. De plus, j'ai un métier sédentaire, je passe des heures dans mon bureau, et quand j'ai besoin ou envie de sortir, c'est dans la forêt, dans la nature qui me passionne...

 

La nature qui est bien plus que le décor de vos histoires, mais quasi un personnage, avec ses différentes facettes. On peut ainsi la trouver inquiétante (« Déesse noire, déesse blanche »), rédemptrice (« L'assassin qui parle aux oiseaux ») accueillante (« Lova »)...

Je crois que s'il existe un fil rouge entre toutes mes histoires, c'est le désir de montrer que l'homme est relié à la nature. Beaucoup l'oublient, et certains de mes personnages suivent le même chemin. Mais nous sommes liés à la nature. Je ne suis pas un écolo revendicateur, mais peut-être qu'en la représentant, en la magnifiant, j'appelle à ma façon à l'aimer et à la respecter. Elle contraste aussi avec l'aspect « humain » de mes histoires, parfois assez sombre ou même effrayant, alors que cette nature dite « sauvage » est finalement bien moins menaçante.

 

Dans « Le jardin des glaces », elle est encore différente, recréée, d'une certaine manière, sous forme de ce très beau jardin...

Un jardin qui existe, même si j'ai modifié sa disposition pour le dessiner. J'ai découvert le jardin...et son jardinier avec lequel je partage la même sensibilité, et nous sommes restés amis. Les carnets qui figurent dans la BD sont également très inspirés des siens. Les éditions Weyrich ont d'ailleurs publié un livre type « guide nature » consacré au jardin en reprenant également certains de mes dessins.

 


 

Cet album était également celui de la rencontre avec l'explorateur polaire Alain Hubert...

Indirectement. J'ai fait la connaissance d'une dame de Neufchâteau, Cécile Bolly, guide nature, photographe, écrivain, passionnée d'oiseaux et...médecin dont le mari est un ancien condisciple d'Alain Hubert. C'est elle qui prépare les trousses de secours de ses expéditions, elle est en contact avec lui en cas de pépin etc.... C'est suite à cette rencontre que j'ai été mis en relation avec Alain Hubert, j'ai lu ses livres, et l'idée du lien avec un explorateur pour évoquer, derrière l'intrigue principale, la problématique du réchauffement climatique qui se fait ressentir au pôle mais aussi dans le jardin est venue de cette manière... 

 

Votre actualité directe, c'est « Le dernier brame »...

Oui, j'avais envie de raconter quelque chose autour du brame du cerf, mais je ne fais pas de documentaire et une BD, c'est comme un roman. Le brame du cerf, c'est quoi ? Une série de « rituels » qui se résument tout de même à un combat de « mecs » pour les biches, avec le cerf dominant, les autres cerfs et les femelles. C'est donc devenu, au niveau humain, l'histoire de quelqu'un de célèbre et de son pouvoir de « dominant » sur ses admiratrices, toujours en analogie avec ce qui se déroule dans la forêt. Comme le « dominant » est écrivain et que c'est dans l'univers littéraire que se déroule l'intrigue, j'ai emprunté des éléments à trois écrivains de ma génération et du Luxembourg belge, trois amis : Franck Andriat, Alain Bertrand et Jean-Luc Duvivier de Fortemps qui a consacré plusieurs ouvrages au brame du cerf, bien avant qu'une sorte de petite mode ne se développe autour de cela. Mais « mon »écrivain n'a aucune affinité avec eux.

 

Des écrivains que l'on retrouve dans le dossier qui complète la BD...

Avec le texte « jour de brame » de Jean-Luc Duvivier de Fortemps... Je tiens beaucoup à ces dossiers. Quand je démarre une histoire, ce n'est jamais les mains vides. Je me documente, je collecte de nombreux éléments et informations, et finalement, j'en arrive toujours à constater que je ne peux en restituer qu'une petite partie. Et comme je n'écris pas, je préfère confier cet espace à des spécialistes pour approfondir certains aspects de l'histoire. C'est ainsi, par exemple, que le dossier complétant « L'assassin qui parle aux oiseaux » a été confié à des ornithologues passionnés et des responsables d'Aves. Pour « le dernier brame », il existe un autre complément puisqu'une édition de l'album en tirage limité (2500 ex.) comporte un CD de 14 morceaux illustrant l'histoire. Les couleurs des morceaux vont du folk au jazz ou au rock, en intégrant pour certains des sons de la nature, et ils préfigurent un spectacle qui devrait être créé l'an prochain.

 


 

Qu'est-ce qui détermine la sortie d'un de vos albums dans la collection « Aire libre » ou dans la collection Servais (comme « Orval ») ?

Les récits publiés en « Aire libre » sont plus contemporains, peut-être plus personnels aussi, d'une certaine manière, alors ceux de l'autre collection ont un fond légendaire, ou historique... 

 

On a dû vous poser souvent la question, mais de quelle manière le passage du noir et blanc à la couleur a-t-il influencé votre manière de travailler ?

Beaucoup de gens me parlent encore de « Tendre violette (*)» en noir et blanc chez Casterman, mais on oublie généralement qu'à la même période, « Isabelle » et « La Tchalette » (aujourd'hui chez Dupuis) sortaient déjà en couleurs au Lombard. Dupuis ne publie pas d'album en noir et blanc, donc mon arrivée chez cet éditeur impliquait un travail en couleurs. De ce côté, Guy Raives, mon coloriste, a bien compris mes envies, alors que pour ma part j'adoptais un très grand format pour mes planches tout en essayant d'alléger mon dessin. Depuis « Le jardin des glaces », Guy passe par l'informatique et le résultat à l'impression est nettement plus fidèle. De plus il constitue des palettes spécifiques à mes histoires...tout ça est très réfléchi.

 

Propos recueillis par Pierre Burssens

NB : hormis (*) tous les albums cités dans le texte sont publiés aux éditions Dupuis

 

Interview © Pierre Burssens 2011

Images © Dupuis 2011

Photo © JJ Procureur 2011



Publié le 13/09/2011.


Source : Graphivore

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