Le premier Nestor Burma de Moynot reprend des couleurs: « J’étais là pour servir le roman, pas pour me faire plaisir à ses dépens »
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Le premier Nestor Burma de Moynot reprend des couleurs: « J’étais là pour servir le roman, pas pour me faire plaisir à ses dépens »

Je ne sais pas vous, mais moi, ça m’a toujours énervé de remarquer sur les sites de certains éditeurs et même sur les couvertures et les pages-titre de certains albums, que les coloristes étaient souvent « oubliés », comme si leur travail avait été mineur par rapport à celui d’un scénariste ou d’un dessinateur. Pourtant, si le scénario et le dessin font office de colonne vertébrale d’un récit, tout se joue parfois sur la couleur qui rendra pétillant, sexy, voyageur, noir, etc. un récit. Et à l’heure où il n’y en a eu, ces dernières semaines, que pour Tintin et ses Soviets colorisés, Emmanuel Moynot a passé quelques mois à réviser les couleurs de son premier Nestor Burma en compagnie de Chantal Quillec. Un travail d’orfèvre sur un Saint-Germain-des-Prés qui sort de la fadeur pour gagner en atmosphère et gagne donc à être relu et redécouvert. Interview du tac au tac avec Emmanuel Moynot.

Résumé de l’éditeur: Paris, été 1957. Nestor Burma enquête pour le compte d’un client dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés. Manière pour le détective de nouer quelques connaissances parmi les cercles artistiques et intellectuels qui semblent avoir élu domicile dans ce secteur de Paris : écrivains, critiques, musiciens. C’est sur les traces de l’un deux, justement, que Burma est lancé : Charlie Mac Gee, batteur de jazz talentueux, et sans doute aux prises, aussi, avec les milieux de la drogue et de la délinquance qui gravitent autour de ce genre d’artiste. Avec le concours de Marcelle, compagne de circonstance, Burma parvient finalement à loger son client, dans un hôtel de la rive gauche. Il n’y a qu’un seul ennui :il est mort…

 

 

© Emmanuel Moynot

 

 

© Emmanuel Moynot

 

Bonjour Emmanuel, votre dernier album n’en est pas un ! Vous vous êtes replongé dans votre première aventure de Nestor Burma, onze ans après sa parution. Comment cela s’est-il fait ?

C’était mon souhait depuis longtemps. Je n’aimais plus l’ancienne mise en couleur et je souhaitais harmoniser le traitement avec les tomes suivants. J’ai sauté sur l’occasion quand on m’a dit que le titre était épuisé et qu’il allait être réimprimé.

Cela veut-il dire que vous étiez mécontent de votre travail ?

Je n’ai pas, ou pratiquement pas touché au dessin, hormis pour la couverture. C’est les couleurs qui me posaient problème.


À l’époque vous preniez la relève de Tardi. Même si vous étiez loin d’être un jeune premier, ça vous a mis la pression ? Cela a-t-il été facile de vous émanciper de la marque qu’il avait posée sur Burma ? En avez-vous discuté avec Jacques ?

Je me suis souvent exprimé là-dessus. La grande difficulté était de contenter tout le monde : Tardi lui-même, en premier lieu, bien sûr. Lui et moi souhaitions que la reprise soit bien marquée, qu’il n’y ait pas d’ambiguïté. Mais il fallait satisfaire aussi l’équipe Casterman de l’époque, qui n’était pas tout à fait au même diapason. Ça a généré pas mal de pression qui a sans doute rejailli sur mon travail de l’époque et explique que je me sois retiré de la série pendant quelques années.

Que vous évoquait le personnage de Nestor Burma, à l’époque ? Un héros dont vous vous sentiez proche ?

C’était un personnage familier, parce que j’avais lu tous les romans de Malet dans les années 80, après l’avoir connu par l’adaptation de Brouillard au pont de Tolbiac. Au long des trois premières adaptations que j’ai réalisées, c’est resté un personnage de papier. Mais dans le dernier tome sorti, Nestor Burma contre C.Q.F.D., je crois avoir réussi à lui insuffler un peu de chair, et de vie.

 

 

Nestor Burma contre CQFD © Moynot

 

 

Nestor Burma contre CQFD © Moynot

 

Nestor, c’était aussi une manière de redécouvrir Paris, la ville où vous êtes né, non ? Le Paris de Nestor était-il proche du vôtre ?

Paris sera toujours Paris ? Non, mon Paris est assez différent. Il suffit sans doute de se référer aux nombreux récits que j’y ai situé pour s’en rendre compte : Bonne fête, Maman !, Pendant que tu dors, mon amour…

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Et Saint-Germain-des-Prés vous en étiez familier, vous le musicien ? Le fait que Nestor soit focalisé sur son enquête ne permettait pas pour autant à votre crayon d’y flâner, une frustration ?

J’étais là pour servir le roman, pas pour me faire plaisir à ses dépens. Rien ne m’empêche de faire de la musique ou de musarder où bon me semble en dehors de cela.

 

 

 

 

Gris de la planche 2 © Moynot

 

Venons-en au travail qui vous a occupé de longs mois. Cet album, vous avez dû vous le réapproprier ? Êtes-vous perfectionniste ?

Non, pas perfectionniste. Mais j’ai une idée assez définie de ce à quoi mon travail doit ressembler. C’est même sans doute ce qui me différencie du reste du monde : je fais du Moynot bien mieux que qui que ce soit, comme Tardi est le seul à pouvoir faire du Tardi.

La couleur a été refaite avec l’aide d’une coloriste, Chantal Quillec.

Chantal a réalisé seule les couleurs de C.Q.F.D. Elle m’a ici donné un gros coup de main.

 

 

 

 

Version 2017 de la planche 3 © Moynot/Quillec chez Casterman

 

En parlant de couleurs, autre album revu et corrigé qui a défrayé la chronique : Tintin au pays des Soviets. Qu’en pensez-vous?

Je ne l’ai pas relu depuis des années. Mon souvenir est que le fond est un tissu de clichés de l’époque, sans véritable trame narrative. La mise en couleur a selon moi l’intérêt de faire ressortir les authentiques qualité du dessin, souvent décrié. Le dessin est excellent, très maîtrisé, très bien composé. On peut préférer la version noir et blanc, ou trouver cette édition superfétatoire. Personnellement, j’y suis tout à fait indifférent. Je ne suis ni un intégriste, ni un nostalgique.

Combien de temps cette révision vous a-t-elle pris ? Autant de temps que la conception d’un album original?

Non, puisque je n’ai refait que les couleurs. Trois mois, pour autant qu’il me semble.

Il y a eu Tardi, Moynot mais aussi Barral, que pensez-vous de son Nestor Burma ?

Il fait ce qu’il faut qu’il fasse: du Barral. J’ai hâte de voir ce qu’il fera la prochaine fois.

 

 

Micmac moche au Boul'Mich © Barral chez Casterman

 


Micmac moche au Boul’Mich © Barral chez Casterman

 

Nestor Burma est finalement multi-supports et multi-médias, en livre, en bd, sur les écrans (petits ou grands), ce n’est pas le cas de toutes les fictions. Comment expliquez-vous cela ? Et qu’apporte la BD par rapport aux films ? Quelle est la richesse de la BD par rapport aux autres arts?

Grave question. Dans le cas de Burma, la bande dessinée a l’avantage de respecter l’époque à laquelle les romans sont situés. Et de ne pas inventer à Nestor des centres d’intérêt qui n’ont jamais été les siens. Nous sommes plus libres, en somme.

En pleine période d’Angoulême, que pensez-vous de ce festival ?

Comme tout le monde. Que c’est un grand bazar. Qu’en penser d’autre ?

Quels sont vos projets ? Un autre Burma, notamment ?

Oui. L’homme au sang bleu, qui se déroule à Cannes en 1946.

Et le Petit Monsieur ?

Un jour, sans doute. Mais j’ai déjà quelques autres casseroles sur le feu.

Propos recueillis par Alexis Seny

 

Série: Nestor Burma

Tome: 6 – La nuit à Saint-Germain-des-Prés

D’après le roman de Léo Malet

Scénario et dessin: Emmanuel Moynot (Facebook)

Couleurs: Chantal Quillec et Emmanuel Moynot

Genre: Polar

Éditeur: Casterman

Nbre de pages: 72

Prix: 16 €



Publié le 23/01/2017.


Source : Bd-best

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